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Un autre monde à deux heures vingt de Paris

Londres, la capitale capitale

Une ville où l’on vivrait volontiers

samedi 29 juin 2019, par Lionel Labosse

Je vous ai déjà fait le coup d’Amsterdam, capitale altersexuelle, alors il va falloir trouver un autre titre pour Londres, même si ce serait bien tentant. Certes, pas de filles ou de garçons en vitrines pour éponger à moindre coût nos priapismes strauss-kahniens ; nul sex-shop ouvert à tout vent où les ménagères se ménagent une errance entre épicerie & mercerie ; mais tout un luxe de comédies musicales qui ne sont pas précisément des repères de machos ; non pas un, mais des quartiers gays où tous les publics se mélangent ; un royaume de la pédale – je veux dire du vélo, vous m’avez bien compris ? – où les petits Londoniens (et Londoniennes) exhibent même en novembre leurs tendres mollets poilus (leurs épaules veloutées pour ces demoiselles)… Des musées où l’on retrouve les richesses du monde entier, pillées ou achetées par des collectionneurs de bon goût ; un art ancien qui n’étouffe jamais les artistes d’aujourd’hui mais les invite à sa table. Et puis une ville plus propre que Paris – ce n’est guère difficile – où il y a peut-être des émeutes comme en France, mais où la fraude et les dégradations semblent absentes dans des transports publics onéreux mais fort bien organisés. Bref, Ich bin ein Londoner ! Cet article est mis à jour après sept plus ou moins courts séjours à Londres qui ont fait évoluer ma perception de la capitale. Un article spécifique est dédié à mon 7e séjour en 2024 : George Orwell l’avait pensé, le Brexit l’a fait.

Plan de l’article
 aller à la fin de l’article
 Notting Hill, Halloween, etc.
 Du British museum…
 … à la National Gallery
 Des comédies musicales
 Métro, bus et politique non-laxiste de la ville
 Memorial benches & parcs publics
 5e séjour en 2017
 6e séjour en 2019
 7e séjour en 2024
 Brexit & rollmops

Notting Hill, Halloween, etc.

Bien qu’ayant fait le tour de la planète, je n’avais pas mis les pieds outre-Manche jusqu’à l’âge de 45 balais ! Pourtant, c’est deux heures vingt depuis la Gare du Nord, autant dire depuis chez moi, sans compter les formalités sécuritaires ; et si l’hôtellerie est hors de prix, on trouve quand même des hôtels modestes à deux pas de la gare de Saint-Pancras. J’ai d’ailleurs commis l’erreur lors de mon quatrième séjour, de vouloir changer d’hôtel. J’ai trouvé pour plus de vingt livres de plus par nuit quelque chose qui ne valait pas mieux au niveau prestation, et n’avait pas le privilège du cosy comme le petit hôtel où j’avais mes habitudes à Tavistock place, qui vient de passer (en 2014) à 60 £ par nuit pour une single rudimentaire. Lors de mon cinquième séjour, j’ai enfin trouvé mieux, un petit hôtel (So Kingscross à 2 minutes de St-Pancras), chambres minuscules au matériel déglingué (nous sommes en Angleterre !), pour moins de 60 £ ! Mais revenons en arrière. Des amis pétris de commisération pour les pauvres hères de mon acabit m’avaient chaperonné d’autorité pour une découverte de trois jours en août 2011, ce qui m’a permis de me fondre dans le fameux carnaval de Notting Hill, défilé bon enfant malgré une foule impressionnante, qui donne sur le vieux continent un vague aperçu du carnaval de Rio. J’y suis retourné passer une semaine à la Toussaint suivante (2011), histoire d’apprécier les déguisements d’Halloween. Fête commerciale ici, déguisements pendant tout le week-end, rien à voir avec le défilé bien rôdé de New York. Il faut dire qu’il existe une fête populaire le 5 novembre, la Guy Fawkes Night ; sans doute à quelques jours d’intervalle les deux se télescoperaient ? J’ai profité de quelques aspects de la ville, mais avec mon côté obsesslionel, j’ai notamment investigué le British Museum et la National Gallery, visités de fond en comble (enfin, je me comprends) en cinq ou six séances chacun (entrée gratos, ça facilite les choses, on peut saucissonner sa visite). Entre août 2013 et les vacances de printemps 2014, j’ai ajouté à ce palmarès la visite complète de la Tate Britain et de la Tate Modern, du Victoria & Albert museum, du château de Windsor, Hampton court, Kew gardens, etc. En 2017, je complète avec quelques visites oubliées et un retour sur des lieux déjà visités.
C’est une des premières fois que je tombe sur une capitale où j’aimerais vivre. On pourrait faire un classement à l’instar des critiques de films dans Le Canard enchaîné : les villes où l’on peut ne pas habiter (Cotonou, Ouagadougou, Le Caire, Irkoutsk, Caracas, Quito, Ushuaia, Xian, Bombay…), les villes où l’on peut habiter à la rigueur (Mexico, Catane, Naples, Buenos Aires, Tbilissi, Erevan, Istanbul, Saint-Pétersbourg…), les villes où l’on peut habiter (Amsterdam, New York, San Francisco, Munich, Lisbonne, Budapest, Prague, Rio…), et les villes où l’on habiterait volontiers (Londres, Barcelone, Madrid, Berlin, Rome et quelques autres…) Cela dit à la va-vite, bien sûr, et je vous laisse libre de vitupérer ce classement qui dépend des idiosyncrasies. Revenons à notre visite guidée… Quand même, ce Palais de Westminster et sa Big Ben, à condition de tomber sur un jour de beau temps, ça vous a-ti pas de la gueule ? En 2014 j’ai visité le Parlement qui siège dans ce palais, justement, sans faire la queue. Ça vaut vraiment le coup. Mais on tombe dans la catégorie de ce qui n’est pas gratuit, et l’on passe à des tarifs entre 16 et 20 livres par visite… Reste à savoir si l’on accorde à un monument prestigieux le prix, sinon la valeur, d’une mauvaise place dans un théâtre ! Si un navet au cinéma peut valoir 10 €, alors pourquoi pas 100 € pour visiter le Louvre ?

Palais de Westminster et Big Ben
Le Palais de Westminster et sa Big Ben, octobre 2011.

Du British museum…

Au British museum, c’est pas comme au Bénin, on peut photographier autant qu’on veut, et j’en ai donc profité pour non pas mitrailler, mais fixer quelques détails dont j’avais en tête d’agrémenter quelques-uns de mes articles. Vous trouverez donc par exemple une photo d’une hydrée grecque ancienne à figures noires de –500 dans un article sur la Sicile ; des photos des bronzes du Bénin dans un article sur Terre d’ébène d’Albert Londres, et dans un autre sur… le Bénin ; une frise d’Amazones dans un article sur L’Enquête d’Hérodote, et Epoxy de Paul Cuvelier & Jean Van Hamme ; une tablette de l’épopée de Gilgamesh dans l’article du même nom, et une photo d’un bas-relief d’Assurbanipal dans cet article sur une autre version de Gilgamesh. Enfin une photo de l’ami Darwin prise au museum d’histoire naturelle orne cet article sur son best-seller. Pour en revenir au British museum, je ne vais pas vous infliger la liste de ce que j’ai préféré. Cela commence à la coupe Warren, sur laquelle le musée propose une monographie pour pas cher, où l’on comprend que sans doute des objets de cette valeur ont dû être perdus dans les siècles passés, que ce soit faute d’acquéreurs ou parce qu’ils furent détruits par des héritiers pudibonds. D’où la sous-représentation de l’altersexualité dans les objets d’art. Cela continue avec la salle petite mais si dense, sur l’Amérique précolombienne et ses objets terrifiants (serpent à double tête, tête de mort, stèle de supplice, femme se passant une corde d’épines à travers la langue, etc.), et puis la Coupe de Lycurgue. Et puis encore…
Ce qui est peut-être le plus bluffant au British Museum, c’est la modernité de la muséographie. On n’hésite pas à mélanger les siècles et les cultures dans les salles, à présenter des expos provocatrices, comme celle de l’artiste Grayson Perry, The Tomb of the Unknown Craftsman (« La tombe de l’artisan inconnu »), que j’ai eu la chance de voir en octobre 2011. Grayson Perry est un plasticien multi-supports, notamment céramiste. Il a la particularité d’être souvent travesti, et ses thématiques sont fréquemment… altersexuelles ! Dans son expo, des objets de toutes les cultures issus des collections étaient associés à des réalisations personnelles, notamment des céramiques colorées parfois gaiement obscènes. À côté de ça, l’expo consacrée concomitamment à Le Clézio au Musée du Louvre à Paris, bien qu’intéressante, fait pâle figure. (Mais si, le Louvre a fait de grands efforts, par exemple cet immense plafond entièrement peint, dans l’aile Sully, dans une salle consacrée à la Grèce préclassique). Il faut dire que lorsque le Château de Versailles présente autre chose que de vieilles croûtes, ça démange les réactionnaires de tout poil. Encore un effort, Français, pour être… Londoniens ! J’en reviens à ce que je disais de la statuaire dans mon article sur la Géorgie.

… à la National Gallery

Deux tableaux de Vélasquez à la National Gallery.
À gauche, Le Christ contemplé par l’âme chrétienne, 1628 ; à droite, Saint Jean à Patmos, 1618.

Dans cet article, je ne vais pas vous assener mes photos de voyage, surtout sur Londres ; comment voudriez-vous faire original ? (voir le lien en fin d’article). À la National Gallery, les photos sont interdites, ou plutôt étaient interdites, car lors de ma nouvelle visite en février 2017, elles étaient autorisées. Cette interdiction se justifiait parfaitement par l’incroyable qualité des photos presque intégralement disponibles en ligne, jusque dans le détail des prédelles, comme vous allez le constater ci-dessous, ainsi que par la gratuité, et donc la fréquentation massive du musée. Contrairement aux objets du British museum, autour desquels on peut souvent tourner, des milliers de photographes empêchent les autres de voir les tableaux, sans parler des flashs qui abîment plus la peinture que la pierre ou le bronze. J’ignore pour quelle raison les photos sont dorénavant autorisées ; peut-être parce que les progrès des appareils numériques ont rendu les flashs caducs ? En tout cas il faut dorénavant prêter plus d’attention aux crétins qui se photographient avec ou sans moutards devant cent tableaux pendant l’expo, qu’aux tableaux eux-mêmes. Enfin, lors de cette première visite, comme j’ignorais que c’était interdit, car je sortais du British où c’était libre, coup de bol, j’avais eu le temps, avant que les gardiens ne me tancent, de prendre posément la photo ci-dessus, qui n’est pas belle mais utile pour vous parler non pas d’un tableau, mais disons d’un accrochage altersexuel. Dans une salle, on se trouve confronté à cinq ou six tableaux sublimes de Diego Vélasquez, une brouettée de ténébreux Zurbaran, et dans la salle à côté, des Caravage comme s’il en pleuvait. Eh bien, devant quoi que je me suis pâmé d’après vous ? Raté ! À gauche, c’est Le Christ contemplé par l’âme chrétienne (1628), de Vélasquez ; à droite, le sublime Saint Jean à Patmos 1618, tableau du même. Ne dirait-on pas, grâce à cet accrochage malicieux, que le beau Saint Jean contemple impuissant son ami, tandis que le Christ, embringué dans une scène de bondage, quête le regard de Saint Jean ? Vélasquez, plus altersexuel que Caravage ? Mon ami Carlos Franklin, croisé par hasard près du British [1], m’a dit que ses tableaux préférés de la National gallery étaient ceux de Giovanni Battista Moroni. Effectivement, c’est un portraitiste troublant. J’ai beaucoup aimé notamment son Tailleur, lequel est mentionné par Henry James dans sa nouvelle « Le menteur » (1888) en ces termes : « There were half a dozen portraits in Europe that Lyon rated as supreme ; he regarded them as immortal, for they were as perfectly preserved as they were consummately painted. It was to this small exemplary group that he aspired to annex the canvas on which he was now engaged. One of the productions that helped to compose it was the magnificent Moroni of the National Gallery — the young tailor, in the white jacket, at his board with his shears. The Colonel was not a tailor, nor was Moroni’s model, unlike many tailors, a liar ; but as regards the masterly clearness with which the individual should be rendered his work would be on the same line as that. » C’est un des rares portraits de cette époque qui représente un simple travailleur avec l’attention que l’on accordait aux aristocrates ou aux bourgeois. Au fait, sur le site du musée, on peut acheter des reproductions personnalisées de toutes les œuvres exposées ! Parmi ce qui m’a le plus bluffé à la National gallery, à part de me retrouver tout seul devant l’immense tableau des Ambassadeurs d’Holbein le Jeune (cf. infra), ce sont des tableaux flamands. Notamment une série des Quatre éléments de Joachim Beuckelaer (1534-1574), placés dans une rotonde autonome. Accrochage modifié en 2019, où je n’en retrouve que deux, dans la salle suivante, ce qui gomme le sens de la tétralogie. Ce sont quatre scènes de marché, de grande dimension, qui correspondent aux éléments. L’eau, c’est les poissons ; le feu, c’est la cuisson des aliments ; l’air, c’est la volaille ; et la terre, c’est les fruits et légumes, comme on peut le voir sur cette photo provenant de Wikicommons :

La Terre, de Joachim Beuckelaer
Les Quatre éléments, La Terre, de Joachim Beuckelaer (1534-1574), National Gallery.
© Wikicommons

Ce qui me frappe, en dehors du réalisme et de la composition des tableaux de ce peintre, c’est dans celui-ci, la prise en compte anti-réaliste de la notion du temps. Les fruits et légumes représentés sont des fruits d’été & d’hiver, ce qui témoigne d’une volonté d’inscrire dans l’œuvre, en plus des 4 éléments, la 4e dimension temporelle (en plus de la perspective offerte par les points de fuite, souvent des scènes bibliques vues au loin). Qu’on me pardonne ces remarques d’un Candide découvrant le fil à couper le beurre ! J’ai retrouvé avec ce même étonnement naïf ces « quatre saisons » dans des natures mortes d’un peintre flamand méconnu, Jan van Os. En tout cas, une œuvre à étudier en marge de la lecture du Ventre de Paris de Zola. À Milan, la Pinacothèque de Brera possède des tableaux de la même veine, par Vincenzo Campi.
J’ai aussi beaucoup aimé, en fonction de mes préoccupations actuelles, les tableaux mythologiques délurés, par exemple un atypique Van Dyck (inspiré par Rubens) : Silène ivre supporté par des satyres, ainsi que de Nicolas Poussin, Bacchanale devant un terme, avec ce troublant trouple (deux hommes et une femme entraînés dans une farandole, et ouverts sur le reste de la troupe).
Pensant à notre ami Jean-Yves, j’ai admiré, parmi les innombrables Saint Sébastien jouissant leur martyre dans les salles, un tout petit caché dans Still Life with Drinking-Horn, de Willem Kalf : agrandissez plusieurs fois l’image, jusqu’à admirer l’un des trois personnages sculptés à la base de la corne ! De l’orfèvrerie en peinture ! Un autre qui tire une tronche incroyable, dans The Virgin and Child with Saint Anne and Other Saints, de Francesco Francia. Dans le genre minus, admirez le Saint Sébastien qui sert d’attraction de foire, à droite de la prédelle de La Madonna della Rondine de Carlo Crivelli. Vous allez me trouver futile, mais j’ai admiré le personnage en slip qui enlève son Damart, à la droite de The Baptism of Christ, de Piero della Francesca (1450 !). De même j’ai pu admirer leur unique tableau de Jérôme Bosch : Christ Mocked (The Crowning with Thorns). Agrandissez le personnage au coin supérieur droit, vous verrez un magnifique collier de chien S.M. ! (voir notre article sur le piercing). Le célèbre Portrait du pape Jules II de Raphaël remet les choses en place après la lecture du sulfureux Pape terrible, de Jodorowsky & Théo. Parmi les Français, j’ai reconnu l’original attendrissant de la gravure de Lépicié, La Maîtresse d’école de Chardin. J’admire toujours beaucoup la copie de Lépicié !

Globe terrestre 1533
Détail redressé du tableau Les Ambassadeurs, d’Holbein le Jeune.

Je reviens pour terminer sur le tableau d’Holbein, Les Ambassadeurs, sur lequel j’ai fait travailler mes élèves de 1re L (à propos de l’humanisme). Voici un agrandissement retourné du globe terrestre qui occupe le milieu du tableau, posé comme négligemment à l’envers. Mise en abîme de ce monde sens dessus dessous qu’est notre planète à l’époque des grandes découvertes, un monde qui contient Londres et que Londres contient. Si ce tableau est une vanité, alors le monde est aussi un des biens éphémères auquel il nous faut renoncer. Sur ce tableau sublime, je vous renvoie à l’article de Wikipédia, et au fichier extraordinaire (de 215 Mo !) qu’on peut y télécharger : on distingue les moindres craquelures, et sur ce globe par exemple, la ligne de partage du traité de Tordesillas, qui sépare le Brésil du reste de l’Amérique du Sud. Détail caustique à ajouter : j’avais moqué la mégalomanie de Pierre Bergé dans mon livre Le Contrat universel : au-delà du « mariage gay » (2012), signalant par exemple la présence de deux salles aux noms de Pierre Bergé & Yves Saint-Laurent (inscrits sur la cimaise en capitales dorées) dans le musée. En 2017, je suis encore passé par celle au nom du premier… Cela dit, pour un musée gratuit, ce genre pitoyable de vanité de parvenus puant le flouze, est inévitable.

Des comédies musicales

En ce qui concerne les spectacles, j’ai pris le temps pour l’instant de voir deux comédies musicales (et quelles !) et un concert classique. Le concert, c’était par le Royal Philarmonic Orchestra, des « Great Classics English Masterpieces », en l’occurrence les Variations Enigma d’Edward Elgar, et la Symphonie nº 1 de Vaughan Williams. C’était surtout pour découvrir l’intérieur du Royal Albert Hall ; incroyable salle de concert située en face du maousse mausolée d’Albert, le chéri de Victoria [2]. J’ai été impressionné par les 300 choristes, pour la 2e œuvre, installés entre l’orchestre au grand complet et l’orgue monumental.
Côté comédies musicales, je me suis régalé de l’adaptation de Priscilla, folle du désert, incroyable délire de tubes gays (voyez le film), de costumes tous plus inventifs les uns que les autres, de décors, de danses, de prouesses de comédiens beaux autant qu’époustouflants, le tout pour une somme qui couvre sans doute à peine les frais de production. Les salles sont presque pleines tous les soirs (nombre d’échoppes, sur et autour de Leicester square – enfin restauré en 2017 –, proposent des tarifs réduits pour le soir même, ou des billets à tous les tarifs pour les autres jours, ce qui vous évite de perdre du temps lors de votre séjour), mais pour rendre possible une telle variété de spectacles en permanence renouvelés, cela suppose un terreau d’artistes disponibles et formés dans la ville même, de ce niveau incroyable de qualité. Il semble impossible de parvenir en France, pour le même prix, à cette qualité de prestation, car il faudrait faire venir les artistes de l’étranger, les loger, etc. Sans oublier les bâtiments magnifiques du XIXe siècle. J’ai vu aussi en 2011 l’adaptation de Billy Elliot. Là, et pour cause, ce ne sont pas les costumes qui sont épatants, mais l’émotion qui se dégage des chorégraphies, et l’abattage du jeune garçon qui joue le rôle-titre, sans doute plusieurs garçons, si la loi est la même qu’en France, ce qui signifie des frais supplémentaires, des journées de répétition, etc. Les producteurs n’ont pas lésiné d’ailleurs : deux garçons et neuf filles sur scène pour jouer de façon crédible les cours de danse. Qu’on imagine les coûts d’une double distribution d’enfants acteurs, sinon triple… la scène qui m’a le plus ému est celle où les policiers et les mineurs s’opposent, avec les enfants qui, telles les Sabines dans le célèbre tableau de Jacques-Louis David, interposent leur fragilité dans ce concours de virilité. Évidemment, les mauvaises langues regretteront l’absence des fesses de Romulus au milieu du tableau, mais il faut savoir où l’on est, que diable ! En 2014, j’ai choisi la comédie musicale We Will Rock You, basée sur des chansons de Queen. C’est la fin d’une série de représentations qui durent depuis 2002. Je n’ai pas été enthousiasmé. J’ai aussi vu lorsque j’ai emmené ma famille, un spectacle encore moins bon, une adaptation des Monty Python – choix de mon ado de neveu qui était du voyage – passons !

Métro, bus et politique non-laxiste de la ville

Bon, les nuits sont longues à Londres, sauf le vendredi où les musées ferment à 21 h. Que faire ? Ben dame ! les comédies musicales, les concerts… Bon, l’ethnologue qui sommeille en votre serviteur, a bien jeté un œil didactique et lointain sur quelque pandémonium, par exemple, le Royal Vauxhall Tavern, un vieux bâtiment de spectacle imposant récemment transformé en club gay, avec des grappes de gars qui fument et papotent à l’extérieur, ce qui donne une drôle d’impression vu que le bâtiment occupe seul une sorte de rond-point. Bref, pas le genre de bar gay discret ! Londres est truffé de sympathiques saunas, des très grands aux très petits… Mais je vous laisse découvrir ça tout seul. J’en reviens au système des bus et métros. Certes, le métro a des aspects vieillots, et on prend parfois peur dans certaines stations bondées, aussi profondes que celles de Moscou, dont la sortie se fait uniquement par ascenseurs. Que se passerait-il en cas d’incendie, ou simplement d’alerte à la bombe ? Pas très rassurant, même si d’un autre côté, contrairement au métro parisien, on n’a pas l’impression de circuler dans un dépotoir, et de n’être qu’un réceptacle captif à publicités que nos politiciens ont vendu aux annonceurs (mais il y a quand même beaucoup de pub), ou la cible des miasmes colportés par junkies & clodos. Certaines rames sont basses, et les grands doivent se pencher pour tenir plus ou moins debout, ce qui accentue la claustrophobie. Je préfère le réseau extrêmement bien structuré, régulier, propre et rassurant, des bus, dans la zone correspondant au « Péage urbain de Londres » (London congestion charge), y compris des bus de nuit réguliers qui quadrillent toute la ville, au lieu d’être tous centrés sur Châtelet comme à Paris.
En traversant la Manche, on a l’impression de traverser la planète de part en part, et de rejaillir sur Mars. Quoi ? dans le centre d’une mégapole cosmopolite, des bus (c’est pareil pour le métro) propres, pas le moins du monde tagués, avec semble-t-il pas un seul resquilleur qui ait l’idée de monter sans s’acquitter de son titre de transport, que ce soit en validant sa fameuse Oyster card ou autrement ? C’est possible, figurez-vous ! Avant d’avoir été à Londres (vous avez bien lu : j’ai été – et en automne, même – à Londres : j’y suis pas « zallé » !), je vitupérais contre nos politiciens qui avaient supprimé les receveurs sur le bus et les poinçonneurs dans le métro, mais il ne semble même pas que ce soit la question : les chauffeurs de bus londoniens sont seuls à bord, mais on ne leur a pas, depuis des années et des années, donné des ordres laxistes, et il demeure, comme ça l’était en France à l’époque des receveurs, inconcevable de frauder sciemment, et de mépriser les boloss qui commettent cet anachronisme de payer leur billet. Si un passager se comporte de façon incivile, idem, le chauffeur, dès qu’il s’en rend compte, à l’aide des caméras ou de visu, s’arrête, appelle la police éventuellement, et ne redémarre que lorsque le trublion a quitté le bus. Résultat : une femme seule peut prendre le bus de nuit même si elle n’est pas championne de judo.
En France aussi, on a installé dans les bus, au frais des boloss qui paient leurs billets, des caméras de vidéosurveillance fabriquées en Chine, mais pourquoi faire ? Pour vérifier que les fraudeurs se sont bien assis les premiers (en passant par la porte arrière) aux meilleurs places, et que les connards de payeurs voyagent debout, et songent au politicien efficace surtout dans l’agitation de bras et le trémolo vocal, pour lequel ils vont voter aux prochaines élections ? Mieux, dans les bus gaulois, il y a souvent un ou deux types – salaires à la charge de ceux qui paient leur ticket – qui sont là pour vous remercier de valider ou pour réaliser un nième sondage sur votre satisfaction, mais qui ont ordre de ne rien faire et ne rien dire aux hordes de fraudeurs. Au lieu de cela, à Paris, le payeur, qui, quand il a enfin réussi à s’asseoir, voudrait bien lire, en est empêché par la diffusion répétée de divers messages enregistrés, du type : « Nous vous rappelons qu’il est obligatoire de valider votre titre de transport », ou « de monter par les portes avant », ou « merci de reculer au fond du bus », etc. Nul message sonore autre que les noms des stations ne vous pollue les oreilles dans les bus de Londres. Les décideurs qui ont trouvé ça au lieu de réfléchir au moyen de faire payer tous les voyageurs, dans une démocratie digne de ce nom, devraient être écartelés en place de Grève ! Bon, je dois être de droite, mais j’admire cette civilisation si exotique qui parvient à des miracles dont les politiciens français n’ont même pas idée ! Sur ce, je rentre à Paris ! Aïe l’agité du vocal Sarkozy [3] s’en prend encore aux fraudeurs des basses classes, boudiou ! Je vais passer pour copiste (partisan de Copé). C’est vrai qu’on aurait tendance, vu l’indulgence complice de nos politiciens adorés avec les gros fraudeurs, les mêmes qui, avec les millions qu’ils leur permettent de mettre à gauche, remplissent leurs valises de billets, à être indulgents avec les petits fraudeurs… mais dans une société qui vous écrase par le haut et par le bas, vous vous sentez un peu comme un ludion dans un… intestin, ou comme un Zorba grec au temps de l’euro…

Memorial benches & parcs publics

Memorial bench
Holland Park, London

Contrairement à ceux de Paris, les édiles londoniens semblent avoir des cerveaux. Par exemple, il n’y a pas besoin d’élus écolos pour que tous les pubs de Londres soient ornés de superbes jardinières de fleurs. Dans les rues de Paris, vous trouvez parfois un immeuble entier, un des rares qui aient des balcons, avec 100 % de ces balcons dépourvus de la moindre plante en pot ! Organiser un concours de balcons fleuris ne coûterait pourtant rien à la collectivité, et ferait fonctionner le petit commerce. Aucun élu, écolo ou pas, n’a jamais eu cette idée. Personne non plus à Paris ne semble avoir connaissance du Memorial bench, une tradition étendue à l’Amérique du Nord, comme j’en ai vu à San Francisco. Comme sur la photo ci-dessus, on offre au public un banc en hommage à un ami ou parent mort (lire ce bel article). Quelle émouvante façon moderne, laïque, de commémorer un mort, tout en améliorant la vie en ville, et sans grever les finances publiques ! À Paris, où l’on manque cruellement de bancs disposés chichement dans les rues, et encore plus chichement dans le métro sous prétexte que les clodos les squatteraient, quelle bonne idée – et gratuite ! – ce serait ! En période de crise, comment se fait-il que nos édiles soient si aveugles aux meilleures pratiques de nos voisins européens ? À quoi servent les institutions internationales du type Cités et Gouvernements locaux unis, si ce n’est à faire croître et multiplier les bonnes idées ?

Holland Park, Londres
Jardin de Kyoto

Et puis les parcs publics ! Voici une photo de Holland Park, un parc arboré du centre de Londres, dans un quartier chic, avec des parties sauvages, quelques mammifères en liberté, mais aussi de superbes petits jardins, et de belles sculptures modernes (et non ces vieilleries du XVIIe siècle dont on n’arrive pas à se débarrasser au jardin des Tuileries). Allez, je n’ai pas pu m’empêcher, en 2017, de photographier un bronze de ce Mr Holland, assis, surmonté d’un pigeon qui fait sur lui ce que font les pigeons ! Connaissez-vous, dans Paris, un jardin aussi propre, aussi bien entretenu, aussi artistiquement fleuri ? Tout cela suppose une politique de la ville bien différente. Voyez mon article sur la signalisation des bus.

5e séjour en 2017

Je n’ai rien dit de mes séjours intermédiaires, où j’ai pu découvrir quelques incontournables, comme les châteaux de Windsor et Hampton court, Camden Market, Greenwich, etc. En février 2017, j’y passe trois nuits juste comme ça, m’attendant à ne rien découvrir de neuf. Voilà-ti pas que mon amie architecte m’écrit comme ça : « Ah ! Londres, mes endroits préférés sont X, Y et Z ». Or, honte à moi, je n’avais jamais vu aucun des trois ! Eh bien, quelle découverte ! Le musée (Wallace Collection) du philanthrope Richard Wallace (1818-1890), généreux donateur à Paris des « Fontaine Wallace » qui 150 ans après constituent toujours la seule eau que cette ville qui s’enorgueillit d’accueillir le plus de touristes au monde, est capable de leur offrir, propose gratuitement ses trésors. Il s’agit surtout d’art ancien, et le chef-d’œuvre en est la fameuse The Swing, ou Les Hasards heureux de l’escarpolette (1767), de Jean-Honoré Fragonard. J’ai été surpris de découvrir difficilement un tableau de taille moyenne que j’avais imaginé bien plus grand. Certains détails que je n’avais jamais remarqués m’ont sauté aux yeux, comme cette pantoufle immobilisée en plein vol ! Parmi les céramiques, j’ai été estomaqué par des faïences du XVIe siècle (mouvance de Nicola da Urbino), dont des versions classées X de la légende de Léda & le cygne, où la ronde bosse permet de comprendre la nature de la métamorphose de Zeus. Celle-ci, selon Wikicommons, serait un encrier. Un plat (voyez mes photos) montre une sorte de bande dessinée, avec la métamorphose inverse du cygne en Zeus ; je n’ai pas pu retrouver trace de cette version sur Internet. Voir une autre Léda Renaissance dans l’article sur Le Ventre de Paris de Zola. J’ai photographié un tableau académique amusant (La Tentation de Saint-Hilarion, de Dominique Papety) qui m’a fait penser au chapitre I de L’Œuvre de Zola, le genre de peinture qu’il exécrait.

Léda et le cygne, faïence, d’Urbino
Wallace Collection
© Lionel Labosse

Le Sir John Soane’s Museum est censé présenter en l’état la maison (ou plutôt les maisons, car ce labyrinthe est constitué de trois maisons mitoyennes aboutées) de cet architecte de la fin du XVIIIe et du début du XIXe, dont certains projets évoquent Claude-Nicolas Ledoux. Sympathique (et gratuite !) visite. Last but not least, la maison de Frederic Leighton (1830-1896). J’ai été ravi de cette visite faite à ce moment-là précisément. En effet, j’avais dans mes bagages L’Œuvre, à laquelle je consacre un article de ma rubrique Zola pour les nuls, et je venais de lire la description de l’atelier de Claude Lantier au chapitre I : « les jeunes peintres du plein air devaient louer les ateliers dont ne voulaient pas les peintres académiques, ceux que le soleil visitait de la flamme vivante de ses rayons », lorsque je pénétrai dans cette maison dont l’inattendu bain turc vous fait vous imaginer chez Pierre Loti, et l’atelier immense au 1er étage, tout vitré comme une serre, orienté au nord comme les usines à toitures à sheds, fait penser à ce qu’aurait rêvé posséder le héros de Zola.
C’est à la Tate Britain qu’on admire la très suggestive sculpture An Athlete Wrestling with a Python (1877), de Leighton. Et chance extraordinaire, lors de ma visite, une exposition était consacrée à Flaming June (1895), propriété d’un musée de… Puerto Rico. J’aurais pu attendre longtemps pour admirer ce chef-d’œuvre ! J’ai également éprouvé la même impression d’avoir eu la chance de visiter un site at the right time, lorsque au cours de ce même 5e séjour, je me suis brusquement décidé à visiter enfin la Cathédrale Saint-Paul de Londres, que je prenais de loin pour un bâtiment ennuyeux. Résultat : j’y ai passé trois heures à épuiser les ressources de l’audioguide. J’ignorais que la visite inclût l’ascension du dôme, et la vue magnifique sur le centre de Londres, juste en face de la Tate modern, de l’autre côté de la Tamise. Et justement, venant de la Tate, dont j’avais parcouru l’aile sud flambant neuve (bof !) et reparcouru les salles d’art moderne, je découvre, au fond du chœur de la cathédrale, deux installations vidéo de Bill Viola, Martyrs et Mary. J’ignore comment cela vieillira, mais ces sacrés Angliches nous clouent encore le bec en matière d’art moderne mêlé à l’ancien. Pour intégrer ces installations au bâtiment, l’artiste a tout simplement imaginé un socle sobre et luxueux d’acier massif, de façon à éviter l’effet écran de téloche, et on a choisi un endroit où l’œuvre peut se voir en y consacrant le temps nécessaire (7 minutes et 13 secondes), permettant une sorte de méditation. Le martyr de l’eau vous a une sensualité toute saint sébastienienne, et l’on regrette que le même artiste ne nous ait pas torché un Saint Sébastien moderne dans le même esprit ! Et voilà pour cette cathédrale anglicane calquée sur les églises catholiques romaines.
Parmi mes découvertes lors de cette 5e visite, figure aussi la statue d’Eduardo Paolozzi représentant le dessin de Newton au travail, par William Blake. Encore un genre de statue moderne inconcevable en France… On la trouve dans la cour de la British Library, mais une maquette en est exposée dans la salle consacrée à William Blake de la Tate Britain.
Et encore, le processus de transformation des bureaux de poste en commerces. Celui que j’avais utilisé lors de mes séjours précédents, près de Russel Square, est devenu un restaurant, et il m’a fallu deux jours pour comprendre que cette épicerie en face de King’s cross arborant au milieu de son enseigne le nom « post office », n’était pas une ancienne poste dont on aurait gardé le nom par snobisme, mais qu’une poste était incluse dans l’épicerie, comme cela commence à se faire également en France ! Et puis, j’ai remarqué dans le métro une initiative que l’on ne copiera jamais en France : des panneaux « Stand on the right » pour appeler l’usager au civisme. Voir dans l’article « Ingénieux ingénieurs ». Peut-être parce que c’était l’hiver, j’ai expérimenté une extraordinaire chaîne de fast-food de cuisine japonaise, qui existe pour l’instant seulement à Londres et à New York : Wasabi. On vous y sert d’excellents bento chauds tout prêts pour une somme modique (5,5 £, par exemple pour un bento au poulet que vous aurez du mal à terminer). Idéal quand on veut optimiser sa journée : les musées étant ouverts de 10 h à 17 h, manger un plat roboratif & chaud en 15 minutes chrono est un must ! Bref, une alternative à l’indigeste kebab, dont on a hâte qu’elle s’installe en France. Et à Londres, il existe bien d’autres chaînes de restauration rapide. Comment se fait-il que le reste de l’Europe soit tellement à la traîne ?

6e séjour en 2019

Le Brexit était censé avoir lieu le 31 mars 2019, qui tombait un dimanche. Étant natif du 1er avril, je m’étais offert un week-end londonien, ayant réservé longtemps à l’avance mon billet de façon à ne pas trop grever mon budget. Je me régalais à l’avance des scènes qu’on nous avait annoncées : rafles de continentaux, Français rasés à Trafalgar square (je me ferais passer pour Belge), Allemandes violées à la chaîne, Espagnols tailladés à la machette sur le pont de Westminster ; bref, le Brexit, quoi. Et patatras, quelques jours seulement avant l’échéance, voilà-ti pas que la date est repoussée ; certains parlent même de nouveau référendum. Va-t-on nous refaire le coup du référendum de 2005 sur le TCE ? Va-t-on à nouveau expliquer que oui, les Britanniques ont voté pour, mais qu’ils n’avaient pas assez réfléchi, que finalement, ça sera plutôt non que oui ? Bref, le report du Brexit n’étant pas un motif de remboursement, je fais contre mauvaise fortune bon cœur. Je me trouve un petit hôtel pourri typiquement londonien : chambre minuscule, lit étroit, prises de courant années 40. Ce pays n’a pas besoin de Brexit : il n’est jamais rentré dans l’UE ! Je suis retourné sur les lieux de mes crimes pour la plupart. À la National Gallery, j’ai repéré quelques belles Crucifixions, car mon fétichisme sur ce point n’avait commencé qu’après ma visite complète du musée. Il y avait aussi une petite expo consacrée à un dessinateur et peintre français méconnu, Louis-Léopold Boilly, dont j’ai relevé « Deux jeunes femmes s’embrassant » (1790), rare scène lesbienne qui illustrerait bien les mémoires de Casanova. Du même, on trouve facilement (mais il n’était pas exposé) « La toilette intime ». Pas étonnant que ce peintre ait été mis au placard ! Pour la première fois, j’ai visité la Royal Academy of Arts à l’occasion d’une exposition The Renaissance nude dont l’affiche m’avait alléché. J’en ai profité pour visiter le peu que l’on peut voir des collections permanentes, où des écorchés académiques de William Hunter vous glacent le sang, sans parler d’un écorché crucifié (1771) de Thomas Banks. Il s’agit du cadavre d’un certain James Legg, fraîchement moulé devant la foule juste après avoir été pendu. Le but était de déterminer la forme anatomique exacte d’un crucifié, en effet fort différente des crucifiés artistiques ! Vous remarquerez en passant – car vous avez l’esprit mal tourné – que ce crucifié est émasculé, ce qui n’était pas le cas du Christ. La pudibonderie interdisait sans doute de vérifier la légende de l’érection du pendu.

Écorché dressé (cadavre crucifié), 1801, Thomas Banks, Royal Academy of Arts, Londres.
© Lionel Labosse

J’ai vu de jolies choses dans cette petite expo. De Francesco Di Giorgio Martini (1439-1502), un manuscrit ouvert à une page contenant deux dessins inspirés de Vitruve (avant Vinci) pour établir un rapport entre le corps humain et l’architecture d’une chapelle. À intégrer dans une réflexion sur l’éloge du corps humain. De Luca Signorelli (1450-1523), un petit tableau charmant intitulé « Figures dans un paysage ; deux jeunes hommes nus », à voir sur le site du musée de Tolède, qui a dû inspirer Frédéric Bazille pour son Pêcheur à l’épervier. J’ai d’ailleurs admiré à Milan à quelques semaines près une Flagellation (1482) du même acabit ! J’ai admiré un exemplaire de la célèbre gravure d’Antonio Pollaiuolo Combat d’hommes nus (1470), la plus grande réalisée au Quattrocento selon Wikipédia. La partie droite du triptyque d’Hans Memling La Vanité terrestre et la salvation divine, que vous pouvez voir dans l’article de Wikipédia Memento mori. C’est une peinture saisissante, avec un démon à pattes de rapace qui piétine des humains dans la bouche enflammée d’un monstre infernal. Son ventre est la tête d’un autre démon aux crocs à la Dracula !

Francesco di Giorgio Martini (1439-1501), proportions du corps humain à la base d’un plan d’église.
© Lionel Labosse

À part cela, sur les conseils d’un ami, j’ai assisté à un traditionnel concert dans l’église de St Martin-in-the-Fields. Vivaldi et consorts, cela ne cassait pas trois pattes à un canard, mais Vivaldi était couvert par des voix d’un rassemblement populaire sur Trafalgar Square. Comme c’était justement l’avant-veille de la date prévue du Brexit, je me demandais si nos amis Britanniques ne manifestaient pas pour s’indigner du report du Brexit. Que nenni ! C’était une fête footballistique, et une recherche Internet m’a appris qu’il s’agissait de supporters du club de Sunderland, dans le Nord-Est, qui fêtaient je ne sais quelle victoire. Occasion de mater quelques beaux gosses exhibant leurs tablettes de chocolat en grimpant sur les immenses vasques de cette place, ce qui constitue un exploit sportif. Ils jouent les lampadophores avec des fumigènes, avant de redescendre. Des hectolitres de bière y sont avalés puis pissés, et le lendemain, tout était nickel ! Il y avait même de ces supporters à mon hôtel. Des gens de la cambrousse pro-Brexit. J’en frémis encore ! Sous le porche de l’église se trouve depuis 1999 une sculpture très originale de Mike Chapman, Christ Child représentant un bébé pris dans un bloc de 4,5 tonnes de pierre de Portland, dont semble sortir son cordon ombilical. Pour finir, j’ai revisité la Tate Britain, à l’occasion d’une fort belle exposition Van Gogh qui venait de commencer. J’ai admiré une « Fille de cuisine avec nature morte de fruits et légumes », de 1620, de Nathaniel Bacon (1585-1627), une peinture d’un peintre peu prolifique et mort jeune, qui rappelle les toiles de Joachim Beuckelaer (cf. ci-dessus). J’ai craqué devant un sublime bas-relief en marbre de Richard Westmacott, Jupiter & Ganymède (1811). Quand on sait que ce type est connu pour la grande statue d’Achille à Hyde Park, on se dit qu’il y a anguille sous roche. Dans le même style, « Hylas surpris par les naïades », de John Gibson (1827-36) est aussi une merveille. J’ai aussi photographié La Mort de Chatterton (1853), de Henry Wallis (1830-1916), pour illustrer l’article sur Le Théâtre romantique. Hammersmith Bridge on boat-race day (1862) de Walter Greaves (1846-1930), belle scène de foule sur un pont, non loin de August Blue (1894) de Henry Scott Tuke. De John Everett Millais, Christ in the House of his parents (1849) donne une image humble de la vie du Christ. Une installation de Mike Nelson, The Asset Strippers (jusqu’en octobre 2019), rappelle les ateliers collaboratifs de type hackerspace, même si ce qui manque justement est la présence humaine sans laquelle ces machines ne nous disent pas grand-chose. Et puis j’ai à nouveau admiré et photographié la sculpture en albâtre de Jacob Epstein Jacob et l’ange, qui n’en finit pas de m’émouvoir. Dans l’expo Van Gogh, j’ai eu le plaisir de photographier les fameux « Vieux Souliers aux lacets » qui m’ont paru plus jaunes en vrai et sur ma photo que sur la photo disponible sur Wikicommons (mais qui est techniquement meilleure). Ces souliers ont constitué un de mes meilleurs souvenirs pédagogiques, dans une séquence sur l’objet en poésie. Nostalgie…
Sinon dans la rubrique ma bonne dame comme les temps changent, moi qui voulais quand même avoir du bon temps, j’ai constaté que trois des saunas gays sympathiques de Londres où j’avais vaguement mes habitudes, étaient fermés, dont un pour travaux qui devait rouvrir… le jour de mon départ ! Eh oui, les applis et sites de rencontre tuent ce genre de convivialité non virtuelle. En France, une telle vague de fermetures n’a pas encore frappé, mais ce n’est que reculer pour mieux sauter, d’autant que les tenanciers de ce genre d’endroits ne font aucun effort.

Brexit & rollmops

Dans cette période interminable de Brexit, allons-y dans des réflexions qui vont nous faire passer pour un criminel de guerre nazi. Eh oui, entre ma précédente visite de 2014 et celle de 2017, messieurs les Anglais, qui sont tous de sales racistes, c’est bien connu, ont élu Sadiq Khan (un chrétien blanc d’extrême droite, comme son nom l’indique) comme maire de Londres, et ont choisi le Brexit. Parlons bref : depuis que j’habite près de la gare du Nord et que je voyage, que je revienne d’Orly ou de Roissy par le RER ou d’un Eurostar ou d’un Thalys pour des séjours en Europe du Nord, de Dakar ou de Londres, d’Amsterdam ou de Madagascar, j’ai à peu près la même impression en parcourant avec mes bagages ces 15 minutes à pied de la gare à chez moi. Nous ne sommes pas en France ou en Europe ; nous sommes dans le tiers-monde. La foule est composée à 80 % de traînards, de dealers, de prostituées blacks, de mendiants estropiés d’Europe de l’Est à la Charles Dickens ou de fausses familles avec bambins déposés le matin et ramassés le soir par telle ou telle mafia, de vendeurs à la sauvette, de joueurs de bonneteau, de crasseux qui vous roucoulent dans les oreilles leur rengaine : « Marlboro, Marlboro », etc., le tout à 95 % constitué d’immigrés. Et tout cela vous bouscule ou vous empêche d’avancer, et se rue dans les bus par la porte arrière sans valider aucun billet, de façon à rafler les places assises devant vous qui avez la drôle d’idée de payer votre transport. Ce soir à la station de métro Marcadet-Poissonniers sur la ligne 12, en fin de service, j’ai compté sur les deux quais, 18 clochards drogués – et il s’agit de drogue dure : cour des miracles ! Deux jours plus tard, à ma station Marx Dormoy, c’est 13 drogués. Une amie d’une cinquantaine d’années qui m’a rendu visite un soir de février 2017, pour aller au restaurant dans mon quartier, a payé un taxi aller et retour, soit plus de 50 €, parce qu’elle n’ose plus garer sa voiture dans le quartier, et pour elle, prendre le métro à Marcadet-Poissonniers ou même y passer le soir est désormais inenvisageable. Les gauchistes à œillères qui osent parler de « gentrification » pour ce quartier, autant que les militants bêlants des « Violences faites aux femmes » oublient systématiquement cet aspect du problème : l’interdiction de facto pour les femmes seules d’utiliser certains transports publics à certaines heures. Et pendant ce temps-là, comme lors de toutes les périodes électorales, les politicards que nous avons en France (socialos ou « républicains » confondus) recrutent des centaines de « pousseurs » sur le RER pour faire baisser artificiellement les chiffres du chômage. Mais au lieu de pousseurs, jamais ces politiciens n’auraient l’idée de recruter des contrôleurs pour empêcher ces indésirables de transformer le métro en cour des miracles. Il est vrai que cela n’existe que dans les quartiers de Paris où n’habite aucun de ces politicards. Malheureusement, ce sont aussi les quartiers où tous les touristes européens pas trop friqués essaient de se dégoter des hôtels pas trop chers… et ces touristes constatent l’état de décadence où nous sommes, et le disent à leurs amis, et cela commence à se savoir… jusqu’au drame des attentats de Christchurch en mars 2019. Cette impression a été amplifiée cette fois-ci, parce qu’il se trouve que j’ai fait à Londres un parcours symétrique à pied, de l’hôtel à la gare, ce qui m’a permis d’apprécier la différence entre Europe et tiers-monde. Multipliez cette impression par le nombre de Britanniques qui ont vécu cette même expérience en débarquant à Paris, et vous comprenez le Brexit. Et si au lieu d’être de sales racistes, nos braves Angliches n’avaient tout simplement pas envie que ce tiers-monde qui gangrène Paris (et Milan, et Turin, et Rome, et Cologne…) fasse tache d’huile de leur côté de la Manche ?
Des amis qui connaissent Londres depuis longtemps m’ont appris qu’avant que le terminal Eurostar ne soit déplacé à cette gare Saint-Pancras, le quartier était mal famé, réputé pour ses prostituées et ses drogués. De même pour la réputation de New York, qui s’est nettement améliorée durant les 20 dernières années, pendant que celle de Paris baissait. A-t-on dépêché une commission d’experts parisiens (payés 7000 € par mois) pour étudier la façon dont ces fichus Angliches et ces New Yorkais ont procédé ? Alors évidemment, c’est être un nazi que de tenir de tels propos (on atteint le point Godwin). Mais regardons les choses en face : Londres est aussi une ville à forte population immigrée ; il y a aussi beaucoup de musulmans… Il y a même des policiers qui portent un turban sikh, des vendeuses qui portent un voile islamique, même des bonnes femmes enturbannées jusqu’aux yeux, des juifs déguisés de la tête aux pieds en costume hassidique, mais malgré ça, ce n’est pas le tiers-monde. Lors de mon 4e séjour, j’ai séjourné sans le savoir lorsque j’avais réservé, au nord de Marble Arch, dans un quartier islamique plutôt cossu, où il était difficile de trouver de l’alcool. Donc le problème n’est pas là. Le problème est qu’en France nous avons en guise de politiciens, des truellées de voleurs, de François Filou ou de Jérôme Abuzac, dont l’énergie est consacrée à puiser dans nos caisses, alors qu’en Angleterre, ils ont des hommes et des femmes politiques dont l’énergie est consacrée à faire de la politique, et à gérer les problèmes. Et ces gens-là, et ces voleurs, lèvent les bras au ciel au nom de la « morale républicaine », dès qu’une personne qui a des yeux pour voir dit : « Arrêtez de vous voiler la face : la façon dont l’immigration est gérée dans l’UE constitue un problème ». Et l’on persiste à diaboliser toujours plus le cannabis et la prostitution, on remet sur le tapis tous les six mois des questions de burkinis et de laïcité, ce qui ne fait qu’aggraver le problème, mais pendant que les flics et les juges sont occupés à faire les poches des dealers et des prostituées, ils n’ont pas le temps de surveiller les François Filou et les Jérôme Abuzac qui se servent à pleines brassées dans les caisses de l’État… Bref… mettons que je n’ai rien dit, et remettons-nous la tête dans le sable : l’immigration ne saurait constituer un problème, elle est « une grande chance pour la France » : youpi !

 Lire mon article sur le Journal de Samuel Pepys (Mercure de France, 1985), une excellente lecture pour découvrir le Londres des années 1660-1669, à l’époque de la grande peste et du grand incendie. Comme lecture de voyage et pour combler mes lacunes culturelles, j’ai aussi opté pour Nicolas Nickleby (1839), long roman (950 p. en Pléiade, quand même !) de Charles Dickens, l’auteur fétiche de Marie-Aude Murail, qui nous plonge dans le Londres du début du XIXe. Par contre, rien d’altersexuel, donc point d’article ! Et un article Scoumounie / Ascoumounie inspiré par une mésaventure survenue lors de mon 5e séjour londonien.
 Lors de mon 7e séjour à Londres en 2024, j’ai radicalement changé d’avis sur le Brexit, et j’ai donc décidé d’y consacrer un article à part entière, même si j’ai quand même légèrement revu et corrigé celui-ci.

Lionel Labosse


Voir en ligne : Mes 205 photos de Londres


© altersexualite. com, 2011-2019. Les photos (sauf le tableau de Beuckelaer) sont de Lionel Labosse.


[1Incroyable : lors de ce séjour, j’ai rencontré coup sur coup un ami, et un couple d’amis ; dans le cas de ces derniers je ne savais même pas qu’ils fussent à Londres !

[2Je me garderai de toute remarque grivoise sur Albert & Victoria, car autant la question du piercing nommé « prince-Albert » que celle des « chemises de nuit à trou » dont l’écho m’a atteint me semblent tenir de la légende, en attente d’informations vérifiables.

[3Cette partie de l’article est rédigée vers le 16 novembre 2011, et la cible du jour de l’agence de com qui dirige la France est, je vous le donne en mille, les fraudeurs aux arrêts de travail…