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Turpitudes papales, pour bouffeurs de curés

Le Pape terrible, d’Alejandro Jodorowsky & Théo

Delcourt, 2009 & 2011, 2 tomes, 58 p., 13,95 €

mercredi 8 décembre 2010

Le Pape terrible, annoncé d’abord comme un diptyque faisant suite à un triptyque du même auteur sur les Borgia, aura finalement trois tomes. Le Tome 1, intitulé « Della Rovere », du nom de famille du pape Jules II, neveu de Sixte IV, présente une vision pour le moins terrible de l’Église et de la papauté. Alejandro Jodorowsky semble avoir pris plaisir à réunir en un seul pape les vices les plus effroyables de la création. Mensonge, blasphème, calomnie, captation d’héritage, vol, népotisme, trahison, traîtrise, maquereautage, sadisme, torture, meurtre, rien n’échappe à son palmarès. Le seul trait fleur bleue qui rachète son personnage est son goût invétéré non pas tant pour l’homosexualité que pour la pénétration anale, qu’il pratique de façon insertive avec son giton Aldosi dont il est amoureux, et de façon réceptive avec Josaphat, un esclave noir qui semble accréditer La légende du sexe surdimensionné des Noirs. À moins qu’il ne s’agisse, dans l’esprit de l’auteur, d’un vice suprême, dont l’étalage constituerait une accusation des crimes de la papauté. C’est toute l’ambiguïté de cet album flamboyant comme l’enfer, que de toute façon, on réservera à des lecteurs avertis, tant pour le bain de stupre que pour les libertés avec l’histoire au profit d’un anticléricalisme primaire.

Résumé

L’album commence par le tourbillon de luxure engendré par la mort du pape Alexandre VI Borgia. Tempête de stupre avant le calme des dix jours de deuil préludant à l’élection du nouveau pape. Giuliano della Rovere ne perd pas son temps : après avoir raconté à son « poussin » le giton Aldosi comment il a empoisonné le feu pape, il court assurer de son soutien à l’élection le vieux Francesco Todeschini Piccolomini. Pour mieux convaincre ce débauché sans héritier, il lui offre la bouche experte de son Aldosi. On se doute que ce Crésus n’aurait jamais pensé tout seul à utiliser sa thune pour se payer un giton. En échange, il lui demande seulement d’hériter de tous ses biens. Malgré le délire de persécution du nouveau pape, Giuliano parvient à le faire assassiner, et le voilà riche héritier. Il fornique son Aldosi à même le tas d’or du vieillard, tout en échafaudant ses plans : promettre à la France et à l’Espagne l’alliance secrète que chacune espère contre l’autre ! Sans oublier un blasphème en passant : « Par le con immaculé de la Vierge ». Aussitôt élu pape, il réunit sa famille aux airs de bras cassés, et torture sauvagement de ses mains un cousin qu’il accuse de tricher aux cartes : il lui sectionne toutes les premières phalanges de ses doigts avec des tenailles rougies ! Après cette démonstration, il distribue terres et prébendes d’apparat, histoire de s’assurer l’obéissance du clan : « Vous êtes loin d’avoir le talent, la cruauté et la rapacité des Borgia mais c’est vous qui m’aiderez à étendre les pouvoirs de mon Église ». L’épisode suivant voit Jules II régler son compte à César Borgia grâce à la traîtrise de Nicolas Machiavel, au prix d’un raccourci historique de quelques années (ce qui est dommage, car c’est pendant ces années supprimées que Machiavel est censé avoir conçu Le Prince aux côtés de son grand homme…) Une planche sans lien avec les autres montre Aldosi travesti en robe de mariée devenant l’épouse du pape, lequel consomme le mariage sur l’autel ! Enfin, Jules II s’enfonce dans un délire d’orgueil assassin, et fait la démonstration de l’étendue de son pouvoir. On frémit en attendant le 2e tome !

Mon avis

Si l’on est subjugué d’emblée par la force des dessins et la vigueur blasphématoire du texte, force est de constater que l’auteur se laisse entraîner par une sorte de délire sacrilège, qui le pousse à en rajouter pour noircir le trait. Les libertés avec l’histoire sont difficiles à passer. Il semble qu’Alexandre VI Borgia ou, bien avant lui, Sixte IV, correspondent davantage aux turpitudes homosexuelles attribuées ici à Jules II (Voir par exemple Les Clés de Saint Pierre, de Roger Peyrefitte). Or Alejandro Jodorowsky avait déjà consacré à Alexandre VI une trilogie publiée entre 2004 et 2008, illustrée par Milo Manara (à compléter par un 4e tome) [1]. Peut-être n’avait-il pas osé y aborder l’homosexualité ? Mais alors, pourquoi vouloir tout refourguer ici, sur ce seul sujet, des goûts homosexuels de tous les papes ? Et du coup, ne paraît-il pas suspect, puisqu’il est avéré qu’un tel nœud de turpitudes est une pure création, de lier de force homosexualité et crime ? L’allusion de la couverture à Michel-Ange (parodie de la Pietà) est coupée de son contexte, car à force de faire de ce pape un monstre, et de lier cette monstruosité à son goût unique pour les garçons, il a fallu gommer les côtés positifs du personnage, y compris liés à l’homosexualité (soutien à Raphaël, Bramante, Michel-Ange, commande des fresques de la chapelle Sixtine, première pierre de la basilique Saint-Pierre…) [2] Un extrait de l’entrevue de Jodorowsky est révélateur de cette absence de pertinence du propos sur l’homosexualité : à la question « Della Rovere se fait un allié de celui qui sera l’éphémère pape Pie III grâce à la bouche de son chéri. C’est une première en BD », l’auteur répond, à côté de la plaque : « Parce qu’on refuse de voir la vérité. Les amours homosexuelles de Michel-Ange ou de Léonard de Vinci sont très connues. Pourquoi ne pas en parler ? C’est de l’hypocrisie. Et pourtant, cette homosexualité était logique. Des dizaines de milliers de jeunes moines vivaient dans les monastères clos. Que vouliez-vous qu’ils fassent ? Ce que font les hommes enfermés dans des prisons ! » Où l’on voit que le vieil homme confond ses fantasmes et la vérité historique : ses personnages n’ont jamais mis les pieds en prison, et ont accès à toutes les prostituées qu’ils peuvent souhaiter ! Et je ne comprends pas bien son propos : si cette homosexualité est « très connue », où donc serait la prétendue « hypocrisie » ? Son problème est qu’il confond homosexualité avec dépravation. Cela sent l’homophobie à plein nez.

Le tome II, paru en avril 2011 : « Jules II »

Avec ce tome II qui, nous apprend-on, ne sera malheureusement pas le dernier, mais le centre d’une trilogie, on est en plein dans le délire blasphématoire. Aldosi administre à Jules II un philtre d’amour, de façon à le pousser à publier leur mariage secret, et à réunir toute sa famille pour lui présenter « la papesse Julienne première ». Ceux-la, qui ont repris du poil de la bête depuis le 1er tome, ont tôt-fait d’assassiner Aldosi d’une façon très bucolique : ils le tuent pendant qu’il fornique avec Josaphat, et lui enfoncent dans la bouche le sexe – énorme, rappelons-le – du noir. Le pape se venge bien entendu, ce qui soit dit en passant lui fait perdre tout le soutien qu’il est censé d’après le tome I attendre de son clan, puis entre dans une folie guerrière qui suit de très loin l’histoire. En coupant deux ou trois têtes, il transforme la garde suisse dont il est le créateur – une bande de tafioles digne de la vision de l’homosexualité de Michel Sardou dans les années 70 – en bande de soldats aguerris. Il recourt aux conseils de Machiavel, lequel passe son temps à forniquer avec des femmes felliniennes, et encule Michel-Ange (représenté comme un homme viril, contrairement à Aldosi) sans lui demander son avis, en lui commandant un tombeau pharaonique. Puis il change d’avis, et fait construire par Bramante une nouvelle cathédrale. Michel-Ange se fâche, mais Jules II le fait revenir, l’encule, lui commande les fresques de ladite cathédrale, l’encule encore et autres frasques, avant de préparer le tome III, en entamant la double trahison des Français et des Espagnols déjà annoncée dans le tome précédent. On frémit d’avance en attendant ce tome. Il n’y a pas grand-chose à dire sur ce 2e tome : on risquerait de passer pour une grenouille de bénitier si l’on avouait ne prendre aucun plaisir à ce tissu de bêtise alliant anticléricalisme potache et homophobie. La seule explication, sinon excuse, est que le vieux scénariste retombe en enfance, et prend plaisir à dessiner des bites aux statues des églises. Dommage qu’il entraîne dans cette aventure un jeune dessinateur qui risque de gâcher sa carrière et son temps. Une autre explication serait qu’il se prépare une fin de vie en apothéose : après avoir eu ce grand courage de blasphémer sur le pape, peut-être s’apprête-t-il à proposer à Delcourt une fresque en dix volumes du même tonneau sur la vie de Mahomet ?

Le dessinateur Théo

Si le dessinateur Théo excelle dans les scènes de foule, dans les visages, notamment des papes âgés, dans les costumes et l’architecture, on peut tiquer devant ses nus masculins, disproportionnés (cf. p. 6 à 10). Aldosi varie d’une vignette à l’autre de l’éphèbe michelangelesque parfait à la crevette hallucinée. Il semble l’avoir négligé dans le seul but de nous montrer : « Voyez comme je ne mange pas de ce pain-là ! ». Dans le tome II, la représentation de Michel-Ange ne rend pas honneur au talent de Théo : une barbe et des cheveux aussi carrés que la vision de l’histoire de Jodorowsky ! Une planche de la p. 50 parodie la célèbre Création de l’homme peinte au plafond de la Chapelle Sixtine. Entre deux vignettes où Michel-Ange est sodomisé par le pape, il lui dit : « Tu seras Dieu le père et je serai Adam : nos index se toucheront comme deux sexes érigés ». Passe pour le blasphème infantile, mais on sent que le dessinateur a été inhibé par son modèle. Le palmarès du gore est attribué à la vignette sur laquelle le pape brandit comme un encensoir le pénis tranché et sans gland (pardon !) de Josaphat, pour expulser les pauvres bougres qui l’ont suivi sur le lieu du crime. Cela réjouira sans peine le cercle laïcard des bouffeurs de curé de Jouy-le-Moutier et de Neuville-sur-Oise… en dehors de ces joyeux drilles, passons notre chemin.

 Le titre du diptyque reprend celui d’une biographie Jules II : Le Pape terrible, par Ivan Cloulas, publié chez Fayard en 1990. Ce livre sérieux nous apprend la véritable identité du favori de Jules II, et met à rude épreuve l’homosexualité exclusive fantasmée par Jodorowsky : « Les polémistes vénitiens et français dénoncent le goût de Jules II pour les amours masculines : sa passion pour le bel et corrompu Francesco Alidosi, son compagnon dans la légation d’Avignon, qu’il fait cardinal, semble donner quelque fondement à l’accusation. Mais Jules II a entretenu, comme Alexandre VI, plusieurs liaisons féminines dont sont issues trois filles » (p. 127). « Trop inconstant pour entretenir une relation amoureuse unique, il avait contracté une maladie vénérienne, toute nouvelle à l’époque, la syphilis » (p. 80). De ces filles et de cette syphilis, il n’est nullement question dans l’œuvre de Jodorowsky…

 Lire, sur « Geek Culture » le point de vue d’Alex.
 Comparons la représentation de Théo au célèbre Portrait du pape Jules II de Raphaël, visible à la National gallery de Londres.
 Lisez mon article Lâchons la grappe au pape !.

Lionel Labosse


Voir en ligne : Enquête sur les pires papes de la chrétienté


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[1Il préparerait également une série sur le pape Léon X, successeur de Jules II.

[2Cela sera abordé dans le tome II, sous un angle purement sarcastique.