Accueil > Voyages > Europe > Balade au Finistère, de Plougastel à Pont-Aven

Au pays des « ploucs » & des peintres

Balade au Finistère, de Plougastel à Pont-Aven

Quimper, Concarneau, Brest, Douarnenez, Camaret, Crozon, Locronan, Bénodet…

samedi 17 décembre 2022, par Lionel Labosse

Qu’est-ce qui m’a donné envie de Finistère ? Pour commencer, le souvenir d’une randonnée en Côtes-d’Armor à la Toussaint 2020, de retour sur des lieux que j’avais fréquentés dans mon enfance, ce à quoi il faut ajouter la lecture récente de Par les champs et par les grèves, le voyage en Bretagne de Gustave Flaubert & Maxime Du Camp, à l’occasion de la mise au programme du thème « Invitation au voyage… » dans la matière que j’enseigne en BTS. Autre ingrédient exotique : lors de mon voyage en Islande l’été dernier, j’ai arpenté la falaise de Látrabjarg qui est le Finistère de l’Europe géopolitique comme notre Finistère est le bout du nez de la France. Je ne vous dis pas que je vais poursuivre avec le Cap Finisterre, mais sait-on jamais ! Des raisons plus personnelles, essayer un type de séjour autre que ceux dont j’ai l’habitude (voyages itinérants à base de randonnées en petits groupes touristiques), en louant un appartement et en rayonnant avec la voiture que j’ai achetée il y a un an, et proposer à deux personnes chères de partager cette escapade. Je ne m’étendrai pas sur les aspects privés, mais je pense que je continuerai à pratiquer les voyages de type randonnée, même si je m’y retrouve, jusqu’à preuve du contraire, avec des gens avec qui je n’ai plus rien à partager, parce que cette activité m’a manqué lors de ce séjour, mais je tâcherai de concilier en alternance Abel le pasteur & Caïn le sédentaire en prévoyant aussi des vacances plus popote, dans des lieux où j’aie moins envie de rayonner que de mijoter.
Le Finistère est un des départements français qui compte le plus de communes aux noms mythiques qui résonnent au cœur des Français qui se les égrènent en chapelet (Quimper, Concarneau, Brest, Douarnenez, Camaret, Crozon, Locronan, Bénodet…), et j’avais soif de les arpenter, à la va-vite, d’où une relative déception, ou plutôt un goût de revenez-y. Une solution serait de réserver des logements distants tout en conservant la voiture, ou de trouver un camarade de voyage amateur de randonnées… On en revient à nos amis Gustave & Maxime… Assez ronchonné : en route ! Le lien vers mes photos se trouve au bas de l’article.

Avant d’atteindre ce bout du monde, nous fîmes halte une nuit dans le Perche, pour voir des amis, après avoir visité en chemin les ruines du Château de la Ferté-Vidame (photos), lieu de résidence du mémorialiste Saint-Simon. J’ai jeté un œil sur la jolie bourgade de Mortagne-au-Perche (photo d’un magnifique vitrail dans l’église avec Salomé), puis sur La Chapelle-Montligeon, modeste village mondialement connu – mais ignoré de votre serviteur jusqu’à ce jour ! – pour abriter l’incroyable Basilique Notre-Dame de Montligeon. Je ne dirai rien de ces haltes, mais j’y retournerai sans doute ; c’est l’intérêt des voyages en voiture de découvrir en chemin des choses auxquelles on n’avait pas songé, alors que le train ou l’avion vous immobilisent, selon ce paradoxe signalé par Paul Virilio que plus les moyens de transport sont rapides, plus on est ficelé au siège comme un paquet. J’ai photographié l’aimable toutou de notre location dans le Perche. Nous fîmes une ultime halte à Fougères, en souvenir des Chouans de Balzac, pour admirer le château (photos). Nous arrivâmes au village de Plozevet situé proche de la mer, mais suffisamment loin pour que finalement je n’aie pas pris le temps d’aller me tremper les pieds dans l’eau durant ce court séjour (je l’aurais fait bien sûr en été). Dès le lendemain, direction Quimper, où mon objectif personnel était le musée des Beaux-Arts, pour y contempler de mes yeux « Les Joueurs de boules » (1887) de Théophile Deyrolle (1844-1923), que l’ami Robert Vigneau récemment décédé, m’avait envoyé en carte postale. Nous fîmes d’abord le tour de la Cathédrale Saint-Corentin, où j’ai photographié un vitrail sur la vie du Christ, avant de visiter le musée. Nous y découvrîmes tant de chefs-d’œuvre, dont j’ai photographié certains. L’Ex-voto (1898), saisissant tableau de Henri-Paul Royer, qui nous permet de lire sur les visages des figurants la douleur & la fascination qu’exerce la maquette d’un morutier. Ce tableau faisait le lien avec mon précédent voyage en Islande et les lectures qui l’ont accompagné. Robert Delaunay a peint des Brûleuses de Goëmon ; Albert Marquet Le Port de Fécamp (1906). Plus classique, un certain Constantin Jean-Marie Prévost nous propose de charmants Matelots napolitains se tatouant (1833). Maurice Denis est présent avec un magnifique tableau intitulé Régates à Perros-Guirec (1892). Parmi les statues, deux m’ont accaparé, un groupe anonyme intitulé Les Lutteurs, XIXe, copie de l’Antique, dont j’ai admiré les marmoréennes fesses, et L’Araignée d’Honoré Icard (1890), un bambin qui cherche une araignée cachée dans un… crâne !

La pointe du Raz
© Lionel Labosse

Le lendemain ce fut le tour de mon deuxième fantasme, plutôt qu’objectif, la Pointe du Raz. Nous fîmes halte à Pont-Croix, charmante bourgade dans les terres, son immense séminaire désaffecté et son église dont le porche est surmonté d’une dentelle de rosaces. On y a admiré des pancartes de sens interdit par exemple, customisées avec humour par l’artiste de rue Clet Abraham, qui a eu des ennuis au Japon pour y avoir répandu ses œuvres (merci à un lecteur attentif qui m’a donné l’info, Moka). Au retour, ce fut la magnifique Chapelle Saint-Tugen de Primelin, en pleine cambrousse, avec ses impressionnantes statues de pierre en kersantite ornées de mousse qui nous regardent et semblent dire : « Tu t’es vu quand t’écoutes BFMTV ? » (photo de Saint-Matthias ci-dessous, voir aussi celle d’un évangéliste à la barbe pointue en vignette de l’article). Ces statues figées mais si expressives me renvoient à un extrait du voyage de Flaubert et son pote, que j’ai lu pas plus tard que cette semaine avec mes étudiants de 1re année pour mon cours sur le corps humain. Flaubert y observe des autochtones, et en tire des réflexions en sculpteur moins habitué à la rude statuaire bretonne qu’aux formes torturées de l’époque romantique où baigna sa jeunesse, qu’il admirait dans l’atelier de James Pradier où il rencontra Louise Colet juste avant de partir pour la Bretagne. Voici cet extrait :
« Les jeunes garçons nus sortaient du bain ; ils allaient s’habiller sur le galet où ils avaient laissé leurs vêtements et, de leurs pieds qui n’osaient, s’avançaient sur les cailloux. Lorsque, voulant passer leur chemise le linge se collait sur leurs épaules mouillées, on voyait le torse blanc qui serpentait d’impatience, tandis que la tête et les bras restant voilés, les manches voltigeaient au vent et claquaient comme des banderoles.
Près de nous passa un homme dont la chevelure trempée tombait droite autour de son cou. Son corps lavé brillait. Des gouttes perlaient aux boucles frisées de sa barbe noire, et il secouait ses cheveux pour en faire tomber l’eau. Sa poitrine large où un sillon velu lui courait sur le thorax, entre des muscles pleins carrément taillés, haletait encore de la fatigue de la nage et communiquait un mouvement calme à son ventre plat, dont le contour vers les flancs était lisse comme l’ivoire. Ses cuisses nerveuses, à plans successifs, jouaient sur un genou mince qui, d’une façon ferme et moelleuse, déployait une fine jambe robuste, terminée par un pied cambré à talon court et dont les doigts s’écartaient. II marchait doucement sur le sable.
Oh ! que la forme humaine est belle quand elle apparaît dans sa liberté native, telle qu’elle fut créée au premier jour du monde ! Où la trouver, masquée qu’elle est maintenant et condamnée pour toujours à ne plus apparaître au soleil ? Ce grand mot de nature que l’humanité tour à tour a répété avec idolâtrie ou épouvante, que les philosophes sondaient, que les poètes chantaient, comme il se perd ! comme il s’oublie ! Loin des tréteaux où l’on crie et de la foule où l’on se pousse, s’il y a encore çà et là sur la terre des cœurs avides que tourmente sans relâche le malaise de la beauté, qui toujours sentent en eux ce désespérant besoin de dire ce qui ne se peut dire et de faire ce qui se rêve, c’est là, c’est là pourtant, comme à la patrie de l’idéal, qu’il leur faut courir et qu’il faut vivre. Mais comment ? par quel chemin ? L’homme a coupé les forêts, il bat les mers, et sur ses villes le ciel fait les nuages avec la fumée de ses foyers. La gloire, sa mission, disent d’autres, n’est-elle pas d’aller toujours ainsi, attaquant l’œuvre de Dieu, gagnant sur elle ? II la nie, il la brise, il l’écrase, et jusque dans ce corps dont il rougit et qu’il cache comme le crime.
L’homme étant ainsi devenu ce qu’il y a de plus rare et de plus difficile à connaître (je ne parle pas de son cœur, ô moralistes !), il en est résulté que l’artiste ignore la forme qu’il a et les qualités qui la font belle. Quel est le poète d’aujourd’hui, parmi les plus savants, qui sache ce que c’est que la femme ? Où en aurait-il jamais vu, le pauvre diable ? Qu’en a-t-il pu apprendre dans les salons, à travers le corset ou la crinoline, ou dans son lit même, s’il y a songé, pendant les entractes du plaisir ?
La plastique cependant, mieux que toutes les rhétoriques du monde, enseigne à celui qui la contemple la gradation des proportions, la fusion des plans, l’harmonie enfin ! Les races antiques, par le seul fait de leur existence, ont ainsi détrempé sur les œuvres des maîtres la pureté de leur sang avec la noblesse de leurs attitudes. J’entends confusément dans Juvénal des râles de gladiateurs, Tacite a des tournures qui ressemblent à des draperies de laticlave, et certains vers d’Horace ont des reins d’esclave grecque, avec des balancements de hanche et des brèves et des longues qui sonnent comme des crotales. »

Revenons aux moutons de la mer : nous fîmes halte pour un fish & chips pas vraiment mémorable à Audierne, avec son môle du Raoulic et l’étonnant Mât Fénoux, monument historique. Le lendemain, on continue dans le fantasme, avec pour commencer Plougastel-Daoulas, un autre nom de lieu qui me faisait rêver à l’instar de Tombouctou ou de Ouagadougou, et d’autant plus que c’est là qu’habite Ronald Guillaumont, le webmaster de Profession gendarme devenu un ami virtuel depuis deux ans, que j’ai souvent au téléphone. Nous devions lui remettre son diplôme de l’ordre de la LBD, mais ce fut – malentendu & contingences – un rendez-vous manqué. Il reçut le diplôme par correspondance. Nous admirâmes nonobstant le Calvaire de Plougastel-Daoulas (également en kersantite), que je mitraillai d’importance, puis nous prîmes le café chez une amie complotiste, une des rares enseignantes non embrigadée dans le national-covidisme, rencontrée à Paris, qui passe ses vacances dans une maison de famille les pieds dans l’eau. La Bretagne est une région hautement complotiste, faut-il le préciser ? Nous déjeunâmes dans une crêperie fort agréable avec une vue imprenable sur Brest & des tarifs indulgents quand on vient de Paris.
Puis ce fut Brest, en vitesse. Son Pont de Recouvrance avec ses pylônes de 70 mètres de haut, et le pont de l’Harteloire qui ferme la perspective sur la Penfeld. L’Église Saint-Louis de Brest est un bel édifice moderne de béton, avec une hauteur de 25 m et des vitraux lumineux. Nous avons fait nos emplettes à l’immense librairie Dialogues, avant de repartir non sans avoir admiré le ballet de l’Étourneau sansonnet, qui fait dans le ciel la même chose que les bancs de poissons. Cela a un nom : « murmuration » en anglais, parfois francisé en « agrégation » ! Voyez cet article sur le sujet et cette vidéo impressionnante. En fait je n’avais jamais eu l’occasion d’admirer ce phénomène, que l’on peut rapprocher du nid du Républicain social que j’ai observé en Afrique australe.
Le lendemain fut aussi un grand jour, un chouia moins touristique. Nous fûmes à Douarnenez pour une visite éclair l’après-midi car une soirée exceptionnelle nous attendait. Nous avons vu un arc-en-ciel ; j’ai photographié l’Abri du marin et l’Île Tristan, ancienne propriété des héritiers du poète Jean Richepin, qui fait l’objet sur Wikipédia d’un article disproportionné pour un lieu si petit. Je n’ai pas eu l’idée (et nous n’aurions pas eu le temps) de la visiter. Nous avions réservé nos places pour le spectacle d’Ingrid Courrèges, où nous fîmes connaissance en chair & os d’un autre ami breton virtuel jusqu’alors, Chanteur à Gages ! Ce fut une expérience inoubliable de spectacle de demain, dans une grange aménagée pour des spectacles, avec principalement un public très local de membres de divers collectifs d’entraide anticovidistes. La preuve que l’on peut exister, et exister très fort, en marge du système. À condition de s’entraider… Le retour sur les 2x2 voies bretonnes sous la pluie fut une expérience de conduite nocturne intéressante (qui m’avait privé de beuverie bretonne !)

Chapelle Saint-Tugen de Primelin, statue de Saint-Matthias.
© Lionel Labosse

Le lendemain nous partîmes pour la presqu’île de Crozon. Arrêt en passant pour photographier le cimetière de Saint-Nic, fleuri de la Toussaint. Nous commençons par la Presqu’île de Roscanvel au nord, avec la pointe des Espagnols, son canon du XIXe, pointé sur le Goulet de Brest. Puis nous faisons halte à Camaret-sur-Mer, mondialement célèbre pour sa chanson paillarde « Les Filles de Camaret » et son curé du même nom [1], mais plus sérieusement pour sa Tour Vauban, que je n’ai pas visitée. Sur le chemin du retour, dans la magnifique église Saint-Pierre de Crozon j’ai enrichi d’une prise mémorable ma collection de Crucifixions. Les trois grands vitraux du chevet, visibles derrière l’autel, sont l’œuvre du maître verrier nantais Félix Razin. Ils représentent de gauche à droite l’adoration des mages, la mort en croix et la Pentecôte. Mis en place en 1939, ils furent détruits pendant la guerre, mais refaits à l’identique vers 1950. La partie basse, la plus visible, est une pêche miraculeuse pour moi, d’autant que c’est un peu par hasard que nous nous sommes arrêtés dans cette ville et avons visité cette église. Le Retable des dix mille martyrs du XVIIe siècle est plus célèbre que les vitraux.

Église Saint-Pierre de Crozon. La mort en croix, par Félix Razin, détail.
© Lionel Labosse

Notre dernière halte fut Locronan, où nous visitâmes l’église Saint-Ronan. J’y ai photographié une statue de Saint-Antoine avec son cochon. Et puis j’ai craqué sur la boutique d’un artisan maroquinier (lequel par hasard était à croquer), une boutique comme dans le temps, alors que le gars était jeune. Pas d’ordinateur ni rien de clinquant, rien que des outils manuels. J’ai acheté une ceinture qu’il a ajustée à ma taille, alors que j’en avais déjà acheté une moins artisanale la veille. Quand on aime, on ne compte pas !
Le dernier jour, nous partîmes sur Pont-Aven ou nous visitâmes le musée, magnifique, avec un petit tour en ville sur les lieux qui inspirèrent tant de peintres. J’ai photographié pour mes étudiants une galerie de peinture dont la devanture présente trois coquilles, pas de Saint-Jacques ! L’expo permanente, très pédagogique (mais infestée de concons masqués !) présente des trésors. J’ai photographié Hommage à Gauguin (1906) de Pierre Girieud, une réécriture de la Cène ; Les Porcelets (1889), de Paul Sérusier, avec son cadrage provocateur ; Le Four (1909), d’André Jolly. En prime, une superbe expo temporaire était consacrée à Mathurin Méheut dont j’ignorais l’existence, et j’ai photographié Paludiers à Batz (1929), Le Départ des sardiniers (1913) et Le Cirque (1929) :

Mathurin Méheut, Le Cirque, 1929. Exposition au musée de Pont-Aven, 2022.
© Lionel Labosse

Puis en quête de nourritures terrestres, nous mîmes le cap sur Concarneau, où nous trouvâmes une brasserie providentielle juste en face de l’entrée de la Ville close de Concarneau. Nous dégustâmes les fameuses kouignettes de Georges Larnicol, version plus frugale du kouign-amann commercialisée par cette maison qui a essaimé en France et même ailleurs. Après nous filâmes tels des flèches sur Bénodet, une des rares villes où la route longe la mer, d’où sans doute le prix du foncier. J’ai en effet cru remarquer que ces Bretons prudents, fortes têtes gauloises qui ont réussi à maintenir les routes principales gratuites (où l’on ne trouve pas de stations essence), ont fait en sorte de préserver leur littoral, qui ne se visite qu’à pied, d’où ma relative frustration, qui peut s’appeler « revenez-y ». Cette folle dernière journée buta au crépuscule sur le phare d’Eckmühl, gardien des récifs de la pointe de Saint-Pierre à Penmarc’h, extrémité sud-ouest de la Bretagne.
Au retour, nous filâmes jusqu’à Rennes, mais comme c’est une ville de gôche, il nous fut impossible de nous y garer pour visiter le musée. Alors nous fîmes halte dans la ville photogénique de drouâteuh, de Vitré. Nous vîmes dare-dare le château et l’Église Notre-Dame de Vitré avec sa rare chaire extérieure, dont je photographiai une sculpture tricéphale symbolisant la Trinité.

 Voir l’article sur Par les champs et par les grèves, le voyage en Bretagne de Gustave Flaubert & Maxime Du Camp, et retournez en Côtes-d’Armor.

Lionel Labosse


Voir en ligne : Mes photographies de Finistère sur Comboost


© altersexualite.com 2022.


[1Une question reste à résoudre : Le curé de Camaret a-t-il les couilles (de Chibritte) qui pendent ?