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Carnet de voyage en Italie du Nord.

Venise, Vérone, Milan, Bologne, Turin…

À qui appartiennent ces fesses ?

samedi 7 septembre 2019, par Lionel Labosse

En février 2019 j’ai parcouru l’Italie du Nord, de Venise (rejointe en avion) à Turin (retour en avion avec quatre heures de retard pour un vol d’une heure et demie), en passant par Vérone et Milan. Un séjour d’une grande richesse culturelle, dont j’ai déjà quasiment tout oublié, n’ayant pas eu le temps de rédiger ces notes avant le mois de juillet, avec un autre voyage en Albanie entretemps ! J’ignore combien de villes en Italie méritent un séjour de plusieurs jours ; rapport sans doute à la partition en différents royaumes avant l’unification. J’en suis je crois à mon sixième séjour en Italie, et loin d’avoir épuisé le sujet. J’avais partiellement légendé mes photos, et je croyais au moins en avoir fini avec cette tâche ; grossier oubli (à moins que les légendes se soient évaporées suite à une fausse manœuvre ?), et vous savez combien il est difficile de se souvenir des lieux pris en photo plusieurs mois après… Je fournirai donc dans cet article quelques aperçus illustrés de ce voyage, augmentés des souvenirs d’un premier séjour en 2015 à Milan et Bologne. Pour la logistique, j’ai transité en train, et il m’a suffi d’acheter mon billet soit à des distributeurs soit à des guichets, quelques jours avant ou juste la veille du départ, sans la moindre attente, sans la moindre carte Week-end (l’escroquerie de notre SNCF), et à des tarifs très bon marché, deux fois moins cher au km qu’en France. En gros pour des distances de 100 à 120 km, j’ai payé entre 9 et 13 € ces billets. Certes j’ai pris les trains omnibus, et j’ai donc mis parfois deux heures d’une ville à l’autre, mais à ce tarif, et dans des trains pas bondés et confortables, que demande le peuple ? Attention, entre Venise et Mestre, par contre, que ce soit bus ou train, c’est hyper bondé. Mais commençons par Venise.

Plan de l’article
 Venise
 Vérone
 Milan
 Bologne
 Turin

Venise

J’avais déjà été à Venise pendant deux jours (pour les puristes, « j’avais été » est le plus-que-parfait du verbe « être à Venise »), et j’en ai rendu compte dans l’article sur La Mort à Venise de Thomas Mann. Je n’avais rien visité à l’époque question musées ou églises, à cause de l’extrême chaleur et du peu de temps dont je disposais. Je m’étais contenté de m’éventer en vaporetto d’île en île, et de me perdre dans les ruelles excentrées. J’ai donc écumé la ville cette année 2019, à la période du carnaval de Venise, regrettant que soit révolue l’ambiance altersexuelle de l’époque de mon cher Casanova (j’ai consacré plusieurs dizaines d’heures à lire ce 2e tome et à rédiger ce long article, ce qui a retardé le présent article touristique). On déambule sagement en masques surannés dans les ruelles labyrinthiques ; on peut acheter un masque de qualité sur les marchés ou dans les boutiques Ca’Macana, et se promener incognito ; les beaux masques posent gracieusement autant que vous voulez, comme ces deux beaux diables au campo della pescheria. Les costumes ne sont guère variés. Vous avez le costume du médecin de peste avec son masque au long bec, et la « bauta », que Casanova appelait « baute », qui favorise l’anonymat, avec la cape noire, « tabarro ».

Masques, Venise, février 2019, campo della pescheria.
© Lionel Labosse

J’ai raté le traditionnel « vol de l’ange » (une jeune fille lauréate de l’année précédente s’élance sur un filin depuis le campanile de Saint-Marc), parce que pour rejoindre le centre de Venise avant 11h ce jour-là il aurait fallu se lever à l’heure où je me couche ! Dans Le Casanova de Fellini (1976), cet ange atterrit dans le canal, mais je crois que Fellini avait une vision fantasmée de Venise (reconstituée à Cinecittà), et de Casanova ! Je n’ai pas du tout pris le vaporetto lors de ce séjour, car il fallait choisir entre les musées et le farniente. Par contre les bus pour Mestre, où j’avais sélectionné mon hôtel, étaient bondés même à 23 h, il fallait faire le trajet debout serré ! Venise est congestionnée par le contraste entre le prix délirant des logements et l’affluence touristique, croisés avec l’absence de circulation automobile. Tous les employés et beaucoup de touristes viennent de Mestre en bus ou en train, et la logistique ne suit pas, donc tout est bondé. Je ne crois pas que ce soit spécifique à la période de carnaval, car en fait les musées étaient facilement accessibles sans attente, notamment le palais des Doges, alors que plusieurs témoignages de mes proches me faisaient redouter des files d’attente dissuasives. Mestre ne présente finalement guère d’intérêt propre, et le quartier de la gare où j’avais choisi un hôtel, est particulièrement sinistre. Il vaut seulement par la proximité du seul sauna de la région, et d’un club gay pitoyable (et très éloigné de la gare finalement, sans aucun transport public) où j’ai passé une terne soirée. Pour ces lieux il vous faudra vous procurer la carte annuelle valable dans les meilleurs endroits, et bien sûr quand il y a deux saunas dans une ville (Bologne, Turin), l’un fonctionne avec ce réseau, l’autre avec une autre carte d’abonnement. Mon conseil est d’éviter cette 2e carte. Le fichage est si bien fait que le sauna de Mestre a retrouvé mon nom… Espérons que des personnes mal intentionnées ne mettent jamais la main sur ce fichier dont les tenanciers n’ont même pas la prudence d’effacer des données vieilles de plusieurs années… Il y a des coups de pied au cul qui se perdent !
À part le fait que j’ai raté le saut de l’ange parce qu’on piétinait dans les ruelles pour rejoindre la place Saint-Marc, j’ai pu accéder sans attente à tous les lieux culturels. J’ai réservé à mon arrivée une place pour un opéra à la Fenice, fantasme onéreux (mais moins qu’à l’opéra de Paris). Je suis tombé sur L’Italienne à Alger (1813) de Gioachino Rossini (1792-1868). Oui, vous avez bien lu : cet opéra mondialement connu et fréquemment représenté, est l’œuvre d’un compositeur de 21 ans ! Rossini prendra sa retraite de l’opéra en 1830, âgé de 38 ans, jusqu’à sa mort en 1868, n’écrivant plus que de la musique religieuse et instrumentale. La mise en scène ni l’intrigue ne m’ont passionné, car la pièce est une bluette inconsistante. J’ai par contre apprécié sur Youtube le reportage sur le beau ténor Maxim Mironov interprétant ce rôle à Toulouse. La Fenice est un véritable bijou, reconstruit à neuf après l’incendie de 1996, rouvert en 2003, après donc 7 ans, record pour un simple théâtre, ce qui donne une indication d’un délai de reconstruction après incendie pour une cathédrale du XIIIe siècle, n’en déplaise à Macron. Je me suis amusé de l’attitude des spectateurs, conforme à l’appréciation de Casanova il y a 250 ans : on vient là pour se montrer, on discute bruyamment et malgré de nombreuses annonces sonores, les ouvreuses doivent faire des descentes dans les loges pour faire éteindre les smartphones repérables à leur halo. Tous les balcons ne sont constitués que de loges fermées, ce qui oblige les individuels soit à compléter une loge, soit à prendre des places au parterre ; mais vous imaginez ce que des chaudassons de la trempe de Casanova pouvaient faire dans ces loges fermées ! Dans Guêpier pour trois abeilles de Joseph L. Mankiewicz (1967), le pré-générique montre le richissime Cecil Fox se faisant représenter pour lui seul à la Fenice la pièce Volpone (Le Renard) (1606) de Ben Jonson, qui va lui inspirer une intrigue avec ses anciennes amantes. Le film entier se déroule à Venise, avec quelques rares scènes en extérieur où l’on se déplace en gondole. Si vous vous déplacez en fauteuil roulant, inutile de rêver, Venise n’est pas pour vous ! On se demande ce que font les institutions européennes. Près de la gare, le moderne pont de la Constitution a essuyé de nombreuses critiques, notamment du fait qu’il était tout aussi inaccessible aux handicapés que les ponts séculaires, sans en respecter le style. Une espèce de cabine rouge a été greffée comme un furoncle sur la rampe, mais elle avait l’air en panne depuis des lustres quand je l’ai photographiée !
Dans les églises & musées que j’ai visités, je me suis surtout intéressé à deux thèmes, les crucifixions, dont j’ai fait une récolte digne de la manne providentielle, et les scènes de martyrs, pour constituer des supports de cours en BTS sur le thème Seuls avec tous, notamment la notion de bouc émissaire. Le plus riche musée est la Gallerie dell’Accademia de Venise. J’y ai repéré entre autres, un Martyre de Saint-Barthélemy de Valentin de Boulogne, (v. 1610). Vittore Carpaccio a placé la barre très haut avec sa Crucifixion et apothéose des Dix Mille Martyrs du mont Ararat (1515). Un tableau aux dimensions étonnantes de Giovanni Bellini & Vittore Belliniano représentant le Martyre de Saint Marc (1515). Une porte a sans doute poussé à évider la partie centrale de ce tableau, ce qui fait que le martyre du saint, sur le côté droit, semble laisser indifférents les personnages qui le voient du côté gauche. Ils considèrent ça comme un spectacle, ainsi que ceux qui sont penchés aux fenêtres. Pendant ce temps-là, groupe sculpté au plafond, un horrible aigle aux serres acérées enlève un ravissant Ganymède, que cela n’effraie guère (voyez mes photos). Ce Ganymède appartient en fait à une exposition temporaire du Palazzo Grimani, partiellement en travaux. La superbe Crucifixion du Tintoret de 1558, que je préfère à l’immense de la Scuola grande di San Rocco, son Caïn et Abel qui selon moi a inspiré le David & Goliath (1555), de Daniele da Volterra. Une fois sorti, on longe le quai vers l’Est, pour rejoindre la Basilique Santa Maria della Salute, avec son superbe pavement de marbres polychromes, et des peintures, dont en théorie les Noces de Cana de Tintoret, que je n’ai vues qu’en carte postale ! Au versant sud de la prostate que constitue le sestieri Dorsoduro (Venise me fait penser à un ventre, et le Grand Canal à son intestin), l’un des canaux longe une église San Sebastiano, à la porte de laquelle j’ai photographié l’un des plus émouvants Saint-Sébastien, un petit bas-relief dont le personnage s’effondre, touché d’une flèche en plein cœur, ligoté par les quatre membres à deux troncs d’arbres, ce qui lui donne un aspect dynamique rare dans l’iconographie. Le voici.

Saint-Sébastien, église San Sebastiano, Venise, Dorsoduro.
© Lionel Labosse

Que dire de la place Saint-Marc, occupée en ce carnaval d’un bruyant podium d’animations polyglottes (le français à l’honneur) faisant défiler tous les jours des masques ? On visite la basilique, on voit les chevaux sur la terrasse, puis le campanile, pour bénéficier de la vue. Là aussi, je n’ai pas fait la queue. Le palais des Doges est un incontournable, avec des détails émouvants pour qui a lu Casanova, par exemple les « bouches de lion » permettant la délation anonyme, qui ornent l’article « délation » de Wikipédia. Une innovation à proposer à nos chers politiciens pour dénoncer les harceleurs sexuels ou autres auteurs de propos homophobes, sexistes ou conspirationnistes, encore mieux que Twitter ou Facebook (car anonyme) pour notre époque que la délation fait encore plus jouir que sous Pétain. On parcourt, en passant par le pont des soupirs, les horribles prisons des puits, où les détenus souffraient de l’humidité et de la promiscuité, mais qui ne sont pas celles des plombs, situées en haut du palais, où Casanova souffrit de la chaleur avant son évasion le 1er novembre 1756. La salle la plus époustouflante est la salle du Maggior Consiglio, avec la toile immense du Tintoret consacrée au Paradis, dont vous trouverez une analyse dans cet article. Dans le bâtiment autour de la place Saint-Marc s’étend le musée Correr, fort riche. On y retient les sculptures de Canova (Orphée & Eurydice ; Dédale & Icare…), une célèbre peinture de Carpaccio, Deux Dames vénitiennes (1490), etc. Mon église préférée, où j’ai passé un long moment, est la Basilique Santa Maria Gloriosa dei Frari, qui ne paie pas de mine à l’extérieur, mais qui est un musée lapidaire à l’intérieur. Le tombeau de Canova reprend le modèle du maître qu’on peut apprécier à Vienne dans l’Augustinerkirche, le tombeau de Marie-Christine d’Autriche. À sa droite, le très baroque tombeau du doge Giovanni Pesaro avec ses atlantes noirs. La tombe de Monteverdi est surmontée d’un buste du musicien dont l’expression très sobre m’a ému. L’Assomption, du Titien, se voit de trop loin pour l’apprécier. J’ai été saisi par les trois bas-reliefs en marbre du sculpteur Francesco Cabianca, La Crucifixion, La Déposition, La Mise au tombeau. De la dentelle de marbre, et une expression de la douleur qui ne laisse pas de marbre. Voyez par exemple sa Crucifixion. Au musée Ca’ d’Oro, le 3e Saint-Sébastien de Mantegna fait un peu rire avec la pelote de flèches dont il s’hérisse. J’ai bien aimé la tendresse qui émane du Centaure Chiron enseignant à Achille à jouer de la harpe (1817), de Rinaldo Rinaldi. Le Palazzo Grimani di Santa Maria Formosa, partiellement en travaux, a ses chefs-d’œuvre exposés à la Gallerie dell’Accademia, mais lui reste un superbe buste d’Antinoüs, que vous pourrez voir sur cet article, avec le Ganymède évoqué ci-dessus, mais aussi ici, avant de poursuivre… Ce buste dont je suis tombé aussitôt amoureux me rappelle le propos de Buffon sur la supériorité de la sculpture sur la nature : « Il a donc fallu des observations répétées pendant longtemps pour trouver un milieu entre ces différences, afin d’établir au juste les dimensions des parties du corps humain, et de donner une idée des proportions qui font ce que l’on appelle la belle nature : ce n’est pas par la comparaison du corps d’un homme avec celui d’un autre homme, ou par des mesures actuellement prises sur un grand nombre de sujets, qu’on a pu acquérir cette connaissance, c’est par les efforts qu’on a faits pour imiter et copier exactement la Nature, c’est à l’art du dessein (sic) que l’on doit tout ce que l’on peut savoir en ce genre, le sentiment et le goût ont fait ce que la mécanique ne pouvait faire : on a quitté la règle et le compas pour s’en tenir au coup d’œil, on a réalisé sur le marbre toutes les formes, tous les contours de toutes les parties du corps humain, et on a mieux connu la Nature par la représentation que par la Nature même ; dès qu’il y a eu des statues, on a mieux jugé de leur perfection en les voyant, qu’en les mesurant. C’est par un grand exercice de l’art du dessein et par un sentiment exquis, que les grands statuaires sont parvenus à faire sentir aux autres hommes les justes proportions des ouvrages de la Nature ; les Anciens ont fait de si belles statues, que, d’un commun accord, on les a regardées comme la représentation exacte du corps humain le plus parfait. Ces statues qui n’étaient que des copies de l’homme, sont devenues des originaux, parce que ces copies n’étaient pas faites d’après un seul individu, mais d’après l’espèce humaine entière bien observée, et si bien vue qu’on n’a pu trouver aucun homme dont le corps fût aussi bien proportionné que ces statues ; c’est donc sur ces modèles que l’on a pris les mesures du corps humain, nous les rapporterons ici comme les dessinateurs les ont données » (éd. Pléiade, p. 255). Bel Antinoüs, voulez-vous m’épouser ?

Antinoüs, Palazzo Grimani, Venise.
© Lionel Labosse

Le quartier de l’Arsenal avec ses lions vous fera penser à l’incontournable Fable de Venise, 25e aventure de Corto Maltese d’Hugo Pratt, qui pour tout dire m’a paru fort contournable. De là, vous longerez au soleil couchant le quai sud du Castello jusqu’à la place Saint-Marc, en tenant la main de votre amoureux de la main gauche, et de la dextre votre smartphone pour les selfies super-originaux du coucher de soleil sur San Giorgio Maggiore. Le lendemain, une autre promenade m’a mené à nouveau dans le Dorsoduro, mais en commençant au sud de la gare routière. Je me suis amusé d’un graffiti « Siamo tutti antifacisti », alors que lors de ma soirée à la Fenice, j’avais bien noté que pas un seul chanteur, pas un seul musicien, pas un seul pompier, pas un seul employé, du balayeur au barman, n’était non-blanc. Les poseurs et les « matrones agitant leurs colliers de perles » comme le dit Bret Easton Ellis, ne sont pas une exclusivité étasunienne. Je cite cet auteur étasunien : « la gauche était en train de se métamorphoser, de devenir quelque chose qu’elle n’avait jamais été au cours de ma vie : un parti autoritaire, intolérant, moralement supérieur, déphasé, privé d’une idéologie cohérente ». Quand je suis rentré de ce voyage, la seule question que m’a posée une vague connaissance gauchiste, était de savoir si ça n’était pas trop dur. Elle voulait dire si l’« extrême droite » n’était pas trop dure. J’ai eu envie de lui répondre que bien sûr, on assistait à des massacres de noirs et d’Arabes, que le sang coulait à flots dans les rues, etc. Je ne parviens pas à comprendre comment ces gens qui se prétendent de gauche sont incapables de comprendre (ou plutôt de s’informer) que le trafic de « migrants » est devenu l’activité la plus rentable des mafias italiennes, et que les Italiens en ont tout simplement marre… Que s’il y a une vraie extrême droite, ce sont ces mafias, qui assassinent et torturent ces migrants pour du fric. Lisez cet article de RFI, ou celui-ci sur les 39 Chinois morts dans un container en octobre 2019. J’imagine comment ces mafieux appâtent leurs proies en Afrique, avec des vidéos de navires affrétés par les ONG qui repêchent ceux qui savent nager plusieurs heures en eau glacée : « Sois sans crainte, camarade : juste avant la limite des eaux internationales, nous prétexterons l’arrivée de garde-côtes ou de pirates pour vous précipiter à l’eau, mais ceux d’entre vous qui sont jeunes et sportifs auront une chance sur deux d’être repêchés par des humanitaires européens ». Les autres se noieront, mais après tout, on a le droit de jouer à la roulette russe… Quant aux mafieux Bulgares qui enferment des êtres humains dans des containers, ne vous rappellent-ils pas les nazis qui enfermaient les juifs dans les chambres à gaz ? Ce ne sont pas les gouvernements italien ou bulgare ou français qui assassinent ces migrants : ce sont les mafieux. Leur séduction envers les jeunes gens est de même nature que celle qu’ils ont pratiquée avec les drogues : « Tu as une chance sur trente d’en crever, mais quel paradis artificiel cela te permet d’atteindre si tu fais partie des élus ! » Le Traître de Marco Bellochio, sorti fin octobre 2019, est un bon film sur le Maxi-Procès de Palerme en 1986, qui montre quel marigot de salauds était la mafia de Sicile. À quand un film sur les mafias d’aujourd’hui qui montrerait la façon dont elles traitent les « migrants » comme une vulgaire marchandise pour laquelle un pourcentage de perte de 2 ou 3 % n’est qu’un chiffre ? La question des chances de survie pour un « migrant » en Méditerranée est traitée dans cet article et dans celui-là, ce qui nous donne un total de 2,3 à 2,7 % de morts. Mais cet article de La Croix précise : « sans compter les victimes des naufrages sans témoins, qui n’ont laissé aucun survivant et donc aucun décompte ». Ce qui sous-entend que la question n’intéresse personne.
Revenons à nos moutons. Cette balade m’a mené à la collection Peggy Guggenheim, où l’on admire des chefs-d’œuvre du XXe siècle, ce qui change dans cette ville du passé. Je cite, dans l’ordre chronologique les peintures : Au vélodrome (1912), de Jean Metzinger (typique du futurisme), La Toilette de la mariée (1940), de Max Ernst, La Pasteure des sphinges (1941) de Leonor Fini, œuvre féministe. Mais le must n’est-il pas la sculpture provocatrice de Marino Marini, L’angelo della citta (1948), avec son cavalier priapique, bel hommage à Casanova, le démon de cette cité ! J’ai ensuite visité la fondation Querini Stampalia, où l’on peut admirer des scènes populaires peintes, la version de Bellini de la Présentation au Temple, copiée de celle de Mantegna son beau-frère, et un superbe lustre de Murano. Ah en parlant de Murano, je me suis fait avoir en achetant dans une boutique des verres soi-disant de Murano avec certificat d’authenticité à la noix (je n’en demandais pas tant, je voulais juste boire mon whisky du soir dans de la couleur !) Les couleurs se sont perdues au lavage en quelques semaines… Ma dernière visite fut pour la Scuola Grande de San Rocco, dans laquelle Le Tintoret a fait dans le grandiose, avec notamment sa Crucifixion de 1565, mais aussi des truellées d’autres scènes de la vie du Christ. Il faut noter le rôle social dans cette plus ancienne république d’Europe, des « scuole », destinées à lutter contre les épidémies et aider la population pauvre.

Vérone

Une heure et quelque de train à 10 €, et hop, nous voilà à Vérone ! J’avais pris un hôtel dans le centre, mais j’ai eu du mal à me dépêtrer de la gare, car comme partout en Europe désormais, si vous n’avez pas un smartphone connecté, il est impossible de dénicher un plan de ville à la sortie d’une gare. Le premier plan de ville ne se présente en général qu’au bout de dix minutes de marche quand on a pris au jugé la direction qui nous semblait la plus logique. Il est souvent délavé, illisible, ou juché à deux mètres de haut ! Bref, j’ai eu droit dans cet hôtel à un délicieux spritz offert, qui m’a appris qu’avec le Campari c’est vachement plus viril qu’à l’Apérol, mais passons cette page de pub (il faudrait que je les contacte pour me faire payer). Ah non, encore une pub : parmi toutes les extraordinaires glaces que j’ai dégustées en Italie (mais pourquoi est-ce qu’ils sont encore si peu à s’installer en France ?), un glacier indépendant de Vérone, Savoia (via Roma, tout près des Arènes) était au top, et son sorbet à la grappa nique vraiment sa mère ! J’anticipe sur Milan et Turin en étalant ma préférence pour Grom, qui fait dans le bio et limite sa palette de couleurs artificielles, et Amorino, qui y va à fond la caisse dans la couleur, mais c’est quand même quelque chose ! Et tout ça servi souvent par de beaux garçons ! (aïe ça y est, Lionel Labosse est un harceleur sexuel) ! Allez, finissons-en avec la page de pubs, Vérone a un bon autant que disproportionné sauna gay, qui jouxte une boîte de nuit, un peu en dehors du centre à l’Est ; vous trouverez ça facilement.
Passons donc au culturel. Les Arènes sont incontournables, d’autant qu’elles se posent en plein milieu. On a du mal à les imaginer bondées pour le festival d’opéra, et la ville pleine à craquer de mélomanes en goguette. M’est avis qu’à cette période, le sauna doit enfin justifier ses dimensions ! Le musée de Castelvecchio a contenté mon appétit de crucifixions, et l’on peut y jouir du panorama sur l’Adige et le vieux pont de Castelvecchio aux arches inégales. Une peinture de Girolamo Dai Libri intitulée Nativité du lapin ou Nativité avec saints m’a poussé à m’interroger sur ce symbole des deux lapins, que j’avais déjà remarqué sans noter le peintre, et que je retrouverai ici ou là. J’ai appris sur un site que ces lapins « représenteraient les seigneurs de Vérone qui auraient vendu la cité aux Vénitiens ». Ah bon ! Rassurez-vous, je n’ai pas l’intention de consacrer un nouvel article de fond à ce thème ! En novembre 2019, visitant l’exposition consacrée au Greco au Grand Palais à Paris, je tombe sur la première version – la seule version de la période italienne – du Christ chassant les marchands du Temple, et je remarque avec stupeur la présence de ces deux petits lapins en plein milieu, au 1er plan, alors même que les lapins sont on ne peut plus incongrus dans un temple juif. La seule explication que j’ai trouvée est que justement, s’il les chassait du temple c’est qu’ils y avaient amenés des animaux interdits. Cela me paraît un peu court, car de lapins, il y en a deux, et ils sont absents de toutes les versions postérieures, c’est-à-dire espagnoles. Les critiques d’art seraient ils aveugles ?
J’ai relevé aussi un étonnant Portrait d’un enfant montrant un dessin (1523) de Giovanni Francesco Caroto, mise en abyme censée illustrer le syndrome d’Angelman. Le coup de cœur à Vérone je l’ai reçu sans m’y attendre, à la Basilique San Zeno. Le retable de Mantegna dont je connaissais la Crucifixion du Louvre, à la base de ma monographie crucifixophile, était là, et je l’avais oublié, car l’expression « San Zeno » que j’avais lue mécaniquement ne représentait pour moi qu’une abstraction ! Une copie de la crucifixion qui n’occupe que la partie centrale de la prédelle, remplace l’original chouré par Bonaparte. Incroyable de penser qu’un tel chef-d’œuvre ne constitue qu’un détail d’un ensemble comme celui-ci :

Basilique San Zeno, Vérone. Le retable de Mantegna.
© Lionel Labosse

La vieille porte en bronze préservée présente une crucifixion mais sans le motif des soldats. Il existe à Vérone (légèrement au sud-est du centre) un prétendu tombeau de Juliette (qui est en fait un personnage de fiction !), mais le Musée des fresques, qui l’héberge propose quelques œuvres intéressantes. Plus au centre ville, les Japonais et autres ados boutonneux pourront se livrer à une orgie de selfies dans une prétendue Maison de Juliette, qui constitue l’une des plus belles escroqueries touristiques du monde, une fake place et une pompe à fric, un cran au-dessous de la Maison des Esclaves de l’île de Gorée, qui reste le summum en la matière. Le seul intérêt est de visiter une maison du XVIe siècle, et de profiter de la vue au dernier étage (l’entrée étant comprise dans le forfait touristique, pourquoi se priver ?) L’église San Fermo Maggiore présente un impressionnant plafond en bois, avec des centaines de médaillons de saints qu’il faut voir à la jumelle. Dans le centre, on peut monter à la Tour des Lamberti, pour bénéficier d’une vue à 360° sur la ville. L’Église Sant’Anastasia de Vérone est la plus belle église, bien qu’elle ne soit ni cathédrale, ni basilique. Le sol est de marbre blanc, noir et rouge, avec une rosace aux armes des dominicains. Deux remarquables bossus de marbre supportent des bénitiers près de l’entrée, à droite et à gauche. Les murs de la chapelle Pellegrini sont décorés de 24 bas-reliefs de terre cuite représentant des scènes de la vie du Christ, réalisées par Michele da Firenze en 1435. La Crucifixion qui est tout en haut, semble présenter le thème des soldats jouant aux dés la tunique du Christ, mais je n’en mettrais pas ma main à clouer. Sur l’arche externe de la même chapelle, là aussi trop haut pour bien voir, est une fresque représentant Saint Georges et la Princesse, de Pisanello. La Cathédrale Santa Maria Matricolare de Vérone vaut surtout pour son baptistère, l’Église San Giovanni in Fonte, qui abrite un grand bassin octogonal de fonts baptismaux avec différentes scènes de la Bible. Dans la cathédrale, j’ai remarqué, dans la Chapelle Calcasoli, une Adoration des Mages de Liberale da Verona, avec à nouveau ce thème des deux lapins. Au nord, de l’autre côté de l’Adige, on visite un théâtre romain avec son petit musée. Je n’ai pas eu le courage de grimper plus haut, aux jardins Giusti ni au musée africain, mais j’ai quand même atteint une terrasse, sur laquelle malheureusement [ces enc… de Ritals] nos amis transalpins ont planté des [p… de] conifères qui [nous cachent la vue] purifient notre oxygène. J’ai admiré les chars kitsch du défilé de carnaval, travestis mal rasés inclus.

Milan

Encore une ou deux heures de train, et nous voilà à Milan. J’y étais déjà allé en 2015, ainsi qu’à Bologne, avec escapades à Bergame, aux Îles Borromées, au Lac de Côme… J’avais admiré la Galleria Vittorio Emanuele II, le Dôme de Milan (troisième plus grande église du monde), sa terrasse Rocco et ses frères, la statue de Saint Barthélemy écorché (1562), de Marco d’Agrate, où le saint montre sa peau jetée sur ses épaules (à comparer avec la fresque de Michel-Ange à la Chapelle Sixtine).

Statue de Saint Barthélemy écorché (1562), Marco d’Agrate, Duomo de Milan.
© Lionel Labosse

Je m’étais indigné de la promotion de la Turquie affichée sur la cathédrale de Milan juste au moment du centenaire du génocide arménien, et j’en avais fait un billet d’humeur. Les travaux sont terminés, et l’on peut désormais admirer un Duomo non pollué par la pub (mais vous verrez dans ce billet d’humeur une photo prise cette année où une pub de ragazzo en slip jouxte coquinement l’église !) Les sculptures de la façade et des portes sont admirables. Toutefois il faut raquer pour entrer, alors qu’on entre gratuitement à Saint-Pierre de Rome ! J’avais visité le château des Sforza et son musée, le cimetière monumental de Milan et ses sculptures funéraires. J’avais grandement apprécié le réseau de transports publics, bus, tramways (parfois vintage) et métros, le système d’affichage des prochains bus, dont on rêve que s’inspirent les nullards de la RATP. J’avais visité la pinacothèque de Brera, admiré les fesses rebondies de Napoléon en Mars désarmé et pacificateur (1908) d’Antonio Canova qui en ornent le jardin dans la réplique en bronze (version d’origine en plâtre à l’intérieur) ; les rares lecteurs qui auront eu le courage de lire cet article jusqu’à ce point ont enfin la réponse à la question cruciale posée en entrée ! Napoléon aurait préféré être représenté vêtu de riches étoffes, mais on lui a fait comprendre qu’il fallait montrer son cul pour séduire [ces enc… de Ritals] nos chers amis Italiens. C’est ce qui m’a fait réaliser ce paradoxe de la nudité antique croisée avec la pudicité latine. Quand on oppose la prétendue pudeur latine à l’absence de pudeur dans les pays nordiques et protestants, on oublie la particularité italienne, due à l’influence de l’Antiquité. Cette statue fait pendant à l’écorché du Duomo, car Napoléon vous porte sa toge sur l’épaule avec la même décontraction que Saint-Barthélemy sa peau ! J’ai aussi visité le musée Poldi Pezzoli, ravissant musée privé dans un appartement. J’avais en outre repéré de sympathiques lieux pleins de charmants Milanais, que j’ai eu plaisir à retrouver. Signalons un sauna un peu excentré dont l’architecture vaut le détour, le Royal hammam.
En 2019 lors de ce 2e séjour milanais, j’ai tâché de voir ce que j’avais raté. L’Église San Maurizio al Monastero Maggiore est riche d’un formidable parcours de fresques, dont une Montée vers l’Arche (1556) d’Aurelio Luini, et un Martyr de Saint Stéphane (v. 1550) attribué à un méconnu Evangelista Luini, que j’ai choisi pour illustrer l’article sur Psychologie des foules de Gustave Le Bon. Je me suis offert une soirée au théâtre de La Scala, pas un opéra, mais un concert Mahler. Ambiance totalement différente de la Fenice de Venise ; c’est plus chic et bourgeois, plus cher aussi je crois, et avant d’acheter un billet il faut compléter un fichier usine à gaz. Comme à Venise et à Berlin, on peut commander une collation avant le spectacle qui vous attend à une table prévue d’avance à l’entracte. Belle idée qui n’a toujours pas atteint l’opéra de Paris ! J’ai découvert la magnifique Pinacothèque Ambrosienne, qui recèle plusieurs chefs-d’œuvre. De Bartolomeo Suardi dit Bramantino, la Vierge aux tours (1520) avec ces deux cadavres allongés au 1er plan des deux côtés, un homme et un crapaud ! Un Daniel dans la fosse aux Lions de Jan Brueghel l’ancien : la foule encercle la fosse où Daniel est seul avec les fauves. Un Yaël et Siséra de Giuseppe Vermiglio (1585-1635) montrant Yaël qui enfonce un énorme clou de tente dans la tempe de Siséra selon cet épisode de la Bible. Corbeille de fruits est un chef-d’œuvre du Caravage représentant une corbeille de fruits de la façon la plus réaliste, avec le ravage du temps et des insectes, ce qui en fait une vanité. La basilique Saint-Ambroise de Milan expose dans sa crypte les dépouilles de Saint Ambroise, Saint Gervais et Protais, squelettes somptueusement vêtus qui constitueraient aussi des vanités.
J’ai revisité de fond en comble la Pinacothèque de Brera. Je vous dois un petit conseil pratique : ayant appris que le dimanche elle se visite gratuitement, je m’y étais cassé le nez sur une file d’attente décourageante. J’y retourne le mardi, et non seulement il n’y a pas de file, mais en plus l’entrée est aussi gratuite ! En plus des Crucifixions, notamment celle superbe de Michele da Verona, voici ce que j’ai repéré : une Flagellation (1482) très lascive de Luca Signorelli, dont les fouetteurs se tordent les hanches et le popotin à faire bander un inquisiteur ! Le fond du tableau est constitué par un trompe-l’œil de bas-reliefs. À quelques semaines de là, j’ai admiré un tableau du même style du même Signorelli à Londres dans une expo « Renaissance Nude ». Le Mépris de Cham (XVIe) de Bernardino Luini est dynamique et les couleurs vives font ressortir la faute de celui qui vit son père nu, avec l’arche de Noé en arrière-plan. La série de scènes de marché de Vincenzo Campi (1536-1591), par exemple La Pollivendola ou La Fruttivendola, sont très proches des œuvres de son contemporain Joachim Bueckelaer (1533-1574) (cf. cet article). Le Martyre de Sainte Catherine (1540) de Gaudenzio Ferrari a été récemment restauré. Encore un bel exemple de bouc émissaire ou de foule déchaînée. Dans le même genre, une Décollation de Saint Jean Baptiste (1556) de Pellegrino Tibaldi et le Martyr des frères franciscains à Nagasaki (1627) de Tanzio da Varallo, une illustration de l’histoire des Vingt-six martyrs du Japon. Le Dernier repas (1629-30) de Daniele Crespi montre dans une position originale les apôtres et le Christ regardant chacun dans une direction différente, ce qui semble illustrer les propos de René Girard : « Le fait que les disciples eux-mêmes ne puissent pas résister à l’effet de bouc émissaire révèle la toute-puissance sur l’homme de la représentation persécutrice ». Voyez ma photo dans l’article en question. Juste à côté la même scène est représentée dans une version de Pierre-Paul Rubens, Le Dernier repas, 1631, dans laquelle un seul apôtre regarde fixement le spectateur et se détache de la scène. Le Portrait de Napoléon en empereur et roi d’Italie (1805) d’Andrea Appiani efface l’affront de Canova en rhabillant l’empereur nu ! Gants blancs, velours vert, pompons dorés, soie, dentelles au jabot : s’il n’est pas chou ! Une remarque pratique : ce musée est un des seuls que j’aie visité de ma vie qui permette même aux visiteurs presbytes de savoir ce qu’ils voient. Contrairement à la quasi-totalité des musées du monde, ce ou cette conservatrice a le sens pratique. Les cartels de présentation des œuvres sont imprimés sur des étiquettes fixées à une vingtaine de centimètres du mur, en caractères assez gros pour que les visiteurs de plus de 45 ans puissent les lire !

Bologne

J’avais rapidement visité Bologne en 2015. J’avais apprécié ses belles arcades harmonisées aux façades et aux carrelages rouge et ocre. Les églises massives : basilique San Francesco, cathédrale et Basilique San Petronio, plus grande église gothique de brique du monde, qui recèle la fameuse fresque de Giovanni di Pietro Falloppi représentant Mahomet qui grille en enfer d’après la Divine comédie — Le Charlie Hebdo local. J’avais dûment escaladé la tour Asinelli et sa voisine Garisenda, et admiré quelques sculptures modernes dans les rues, de Leonardo Lucchi notamment. Et j’avais apprécié les beaux Bolognais !

Turin

Encore un trajet en train, avec vue sur la plaine piémontaise dominée par les Alpes, et voici l’ultime étape, Turin. Le premier jour, je me suis senti oppressé par l’architecture massive & m’as-tu-vu, qui commence par une gare démesurée ; les sombres arcades du centre qui empêchent de voir le ciel. J’ai fini par apprécier en dehors de l’hypercentre, des voies plus dégagées, des places, comme celle du nom de Charles-Emmanuel II, avec ses lampadaires multicolores. J’avais choisi un hôtel proche de la gare, et ma chambre en hauteur donnait sur la cour intérieur d’un immeuble, derrière lequel on devinait un bâtiment oriental qui s’avéra être la synagogue de Turin. Je commençai cependant la visite dare-dare, furieux de l’accueil fort léger de l’office de tourisme, où un employé me dissuada d’acheter le forfait touristique sous prétexte que beaucoup de musées étaient gratuits. Or quand je fus parvenu au premier de ces musées, je m’aperçus non seulement que c’était loin d’être gratuit, mais que le forfait ne s’achetait qu’à l’office de tourisme, contrairement à Vérone, où il s’achète à n’importe quel musée ! Une demi-journée perdue ! Bref, je ne peux que vous conseiller ce forfait, achat très rentable si vous restez trois ou quatre jours à Turin. L’unique ligne de métro fonctionne pas mal, mais il faudra attendre la 2e ligne pour un service plus dense. Le réseau de bus et tramways est fort étendu, et permet de rejoindre, avec de la patience, les nombreux édifices disséminés dans la banlieue.

Mole Antonelliana, Turin.
© Lionel Labosse

Commençons par les édifices religieux. L’Église Saint-Laurent de Turin, qui donne sur la place royale, présente une coupole typique de l’architecture baroque à ogives entrecroisées de Camillo-Guarino Guarini, dont la lanterne forme comme une mise en abyme redoublant la structure. Il est aussi l’auteur de la sublime Chapelle du Saint-Suaire, qui fait partie de la Cathédrale Saint-Jean-Baptiste de Turin ou Duomo. Celle-ci, en dehors du campanile de 1470 préservé à côté, date de la fin du XVe, mais la chapelle Guarini fut ajoutée sur les plans de ce dernier, entre 1668 et 1694, soit après sa mort. Elle fut victime d’un incendie en avril 1997, et après 20 ans de travaux, la chapelle a rouvert au public en septembre 2018, même s’il reste encore les ferronneries à restaurer. Nouvelle indication pour Notre-Dame de Paris, qui relativise le vœu pieu de notre Jupiter-Président sur une reconstruction en 5 ans. Bref, cette chapelle, et surtout sa partie haute, qui se visite en fait depuis le Palais royal de Turin, est un chef-d’œuvre de l’architecture baroque, à comparer à la coupole de l’église Saint-Laurent. Une succession mathématique d’ouvertures en forme d’arcs qui allient le courbe et le rectiligne à l’intérieur, donne à l’extérieur l’impression d’une pagode si l’on regarde d’en bas, avec une coupole en forme de vagues culminant sur un lanternon. Je suppose qu’il y a 33 fenêtres (les petites vagues, qui permettent sur 5 ou 6 niveaux, de passer d’un plan hexagonal à la base de la coupole, à une douzaine d’arcs dans la partie haute, qui mène à une colombe du Saint-Esprit, au sommet de l’édifice. Une reproduction de la Cène de Vinci orne l’intérieur de la façade de la cathédrale, depuis le XIXe.
Côté musées, je me suis précipité à la Galerie civique d’art moderne et contemporain de Turin, dite GAM. Peu d’œuvres m’ont enthousiasmé. Je note un surréaliste Autoportrait en hibou (1936), d’Andrea De Chirico (le frère de Giorgio), et à l’extérieur une sculpture de Giuseppe Penone, In Limine (2011) de la même série que l’Arbre des voyelles des Tuileries. Idem à la Pinacothèque Giovanni et Marella Agnelli, au sein de l’ancienne usine Fiat de Turin, reconvertie en centre commercial. Elle ne réunit qu’une poignée de toiles de maîtres, collection de m’as-tu-vu, dont un Nu couché (1917) de Modigliani. De là vous avez vue sur l’anneau d’essais automobiles de Fiat, vous pouvez même en parcourir quelques mètres, voire y faire votre jogging. Méfiez-vous, car la station Lingotto, terminus de la ligne 1 (et unique pour l’instant) du Métro de Turin, est trompeuse : il existe une autre station Lingotto, terminal de bus, de l’autre côté du no man’s land qui sépare le centre commercial de cette usine Fiat. J’ai eu la mauvaise idée de m’y rendre à partir du Pavillon de chasse de Stupinigi, mais j’ai dû crapahuter à travers ce no man’s land digne de la banlieue la plus mal famée de Paris, pour rejoindre le centre commercial et la civilisation, le métro du même nom. Je ne regrette pourtant pas cette errance, parce qu’elle m’a donné un aperçu sur l’envers du décor, espace désertique datant des Jeux olympiques d’hiver de 2006, avec une longue passerelle suspendue pour faire chic, dont l’accès vous oblige à faire un immense détour, les immeubles mal famés étant ceinturés d’un haut mur, sans doute pour parquer les pauvres. Mais ne croyez pas que ce soit le seul endroit mal famé de Turin. La mal nommée Place de la République abrite un grand marché, qui clôt le centre au nord, à proximité du Palais royal, à la façon de la Goutte-d’Or à Paris, sauf qu’à Turin il y a des halles XIXe. Elle constitue une enclave africaine en Europe. Cela grouille de partout, se bouscule et vous bouscule pour faire ses affaires, qui semblent totalement étrangères à ce qu’offre le centre de Turin. Une fois qu’on a dépassé cette verrue, on rejoint au terme d’un long trajet en bus, une banlieue résidentielle, vers la Venaria Reale.
J’ai donc vu ce Pavillon de chasse de Stupinigi, l’une des Résidences de la famille royale de Savoie qui s’élèvent à intervalles régulier dans la banlieue de Turin. Le trajet en bus est fort long, mais cela vaut le coup ; enfin c’est un palais baroque dont le pavillon central, immense, est surmonté d’un cerf. À l’exact opposé, au nord-ouest, je suis allé visiter le Palais royal de Venaria. Si vous n’en visitez qu’un choisissez plutôt celui-ci, car déjà il est situé dans une banlieue résidentielle (accessible par un long trajet en bus, voire par le petit train qui mène à l’aéroport, et dont le terminus se situe au nord-est du centre). La visite est fort longue, c’est une sorte de Versailles, et encore j’ai renoncé aux jardins. Vous pourrez admirer entre autres un Endymion de Canova, et le Bucentaure des Savoie (1714) dans l’écurie
J’ai visité dans le centre le Musée égyptologique de Turin, l’un des plus riches du monde, et fort bien agencé, mais bon, l’égyptologie et moi… Je me suis rendu, en empruntant le chemin de fer à crémaillère (j’ai eu la chance d’arriver au bon moment car hors saison il y en a fort peu, et il est quasiment impossible d’y grimper sans) à la Basilique de Superga, le Montmartre local, qui abrite la crypte où sont enterrés les membres de la famille de Savoie. Derrière le bâtiment, on commémore l’équipe de foot locale victime d’un accident d’avion en 1949. Entre les arbres, panorama sur Turin et le Pô. Le must de ce séjour a été la visite du complexe muséal du Palais royal de Turin. J’ignore si j’ai réussi à tout voir car il y en a partout. J’ai commencé par une petite expo Van Dyck, où j’ai remarqué un plâtre du Bernin enfermé dans une cassette représentant Charles Ier d’Angleterre, que Van Dyck portraitura un nombre incroyable de fois. Un Saint Sébastien et l’ange (1630) renouvelle le motif. Ma récolte de crucifixions s’est limitée à un tableau de Hans Memling. Le chef-d’œuvre du musée à mon humble avis, c’est une Décollation de Saint Jean Baptiste (1551), de Daniele da Volterra. Elle se trouve en face de ce que le musée présente comme un chef-d’œuvre parce que le peintre est simplement plus réputé — j’ai carrément oublié de quoi il s’agissait. Après le musée, on visite les appartements royaux, somptueux comme il se doit, avec des tas de choses habituelles dans ce genre d’endroit, armures, bibliothèque, etc. Comme vous n’êtes pas encore épuisé, vous poursuivrez par le Palais Madame, qui contient un autre complexe muséal labyrinthique.

Le Jugement de Salomon (1741), Simon Troger, devant Le Jugement de Salomon (1738), Agostino Masucci, Palais Madame, Turin.
© Lionel Labosse

J’en ai retenu une amusante superposition : Le Jugement de Salomon (1741), sculpture en ivoire de Simon Troger devant le même motif en peinture par Agostino Masucci (1738). J’ai visité aussi la pinacothèque des beaux-arts, où il y avait une expo de bande dessinée, mais le musée ne contient rien de mémorable ; on était d’ailleurs fort surpris de voir s’y pointer un touriste. Je ne suis pas allé au Teatro Regio, qui d’ailleurs ne peut pas se contempler de l’extérieur. Il est inclus dans un bâtiment et on manque de recul pour le voir. J’ai visité le Palais Carignan, palais baroque tout en courbes avec des petites briques qui sont utilisées pour l’ornementation des fenêtres, c’est très original. Ce palais abrite le Musée du Risorgimento, depuis qu’il a quitté le Mole Antonelliana au profit du musée du cinéma. Les francophones y trouveront les traces multiples du passage de Bonaparte et de l’enthousiasme révolutionnaire qu’il suscita. Le palais contient des salles aux dimensions colossales, surtout en hauteur ; il faut dire que ce palais fut le tout premier siège du Parlement italien entre 1861 et 1865. Les Turinois ne se sentaient plus pisser ! Ma dernière visite fut consacrée au fameux Mole Antonelliana, bâtiment emblématique de la ville, qui porte le nom de son architecte. Le projet initial était une synagogue, mais il fut assez vite abandonné au profit du bâtiment situé plus au sud de la ville à l’est de la gare (que je voyais de mon hôtel), et l’architecte suréleva progressivement son projet, jusqu’à l’état actuel. La ville eut du mal à trouver une destination à ce lieu atypique, dont le dôme disproportionné était difficile à utiliser. Finalement on en a fait un musée du cinéma, dans lequel les expositions colimaçonnent sur la paroi, avec une vue vertigineuse sur les sièges du plancher où l’on peut s’allonger pour visionner un film, et sur l’ascenseur panoramique qui s’élève au centre évidé du dôme, sans conduit, juste avec des câbles ! Je n’ai malheureusement pas pu essayer car ignorant tout de ce bâtiment avant mon voyage, je l’avais réservé pour la fin de ma dernière journée, sans me douter que c’était le point d’attraction n°1 à Turin, et que la file d’attente serait démentielle, surtout hors saison, où ça ferme plus tôt. Donc mon dernier conseil : allez-y au début du séjour, et plutôt le matin !
Adieu l’Italie, à bientôt !

 Lisez mon article Rome (et Florence), voyage dans le passé, et Jours tranquilles à Venise, de Bacilieri (Mosquito, 2006). Et bien sûr, suivez Casanova en Europe et en Italie ; c’est une lecture que j’ai entamée lors de ce voyage.

Lionel Labosse


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