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Carnet de voyage : mettre ses pas dans les pas de Musset, Zola, Casanova…

Rome (et Florence), voyage dans le passé

De l’art de voyager ?

samedi 5 juillet 2014

Dans la série des capitales européennes, nous avons déjà en magasin Londres, Amsterdam, Barcelone, sans oublier Munich. Quand j’ai pris pour les vacances de la Toussaint 2013 un billet d’avion pour Rome, et des tickets de train aller-retour Rome-Florence (1h30 de trajet, 2 x 19 € ; pourquoi se priver ?), je ne pensais pas le moins du monde au travail effectué l’an dernier au sujet de Lorenzaccio, pas plus qu’à Pasolini. En gros, pour mes destinations de vacances, c’est un peu Am stram gram, Amsterdam, pom pom pom, Rome ! J’ai mis dans mon sac un peu au hasard un journal de voyage d’Émile Zola à Rome, et la fameuse Histoire de ma vie de Casanova, du moins le 1er volume de la nouvelle édition de la Pléiade, cette collection étant un bon compromis encombrement / durée de lecture pour voyager léger. Un article séparé est consacré principalement à Florence sur les traces de Lorenzaccio, tandis que celui-ci, strictement interdit aux moins de 18 ans, vous plongera dans les bas-fonds altersexuels de Rome et de Florence, damnation assurée aux plus fidèles lecteurs. Vous pouvez visionner mes 300 photos sur Dropbox. Si vous souhaitez une précision, demandez-moi (mais lisez d’abord l’article !), car je ne sais pas comment introduire sur Dropbox les commentaires de mon logiciel photo. Attention, parmi les photos de statues d’hommes nus s’en est peut-être glissée une de votre serviteur en slip de bain rose bonbon sur la plage d’Ostie, en hommage à Pasolini ! En effet, juste avant mon départ s’est ouverte la superbe exposition « Pasolini Roma » à la Cinémathèque de Paris, qui a orienté certaines de mes visites, notamment vers le quartier mussolinien et bourgeois de l’EUR, où le cinéaste altersexuel a vécu ses dernières années, et où je ne serais pas allé sans cette expo. Tant de grands artistes, après Jésus-Christ (photo de vignettes : traces de pas du Christ à l’église Domine Quo Vadis) ; dans quelles traces mettre ses pas ?

Rome ou Florence ? mon cœur balance !

À peine débarqué à Rome avec deux jours de retard pour cause de grève, je consacre le peu de temps qu’il me reste (au lieu des trois nuits initialement prévues pour découvrir Rome) avant mon aller-retour à Florence, à effleurer pedibus les lieux fameux. Comme elle est la plus proche de la gare et de ma pension, je commence par la Basilique Santa Maria Maggiore une des enclaves extraterritoriales vaticanes dans la Ville. Je vous renvoie à cet article. La première impression est celle d’une foule immense de touristes, comme j’en ai rarement vu. La fontaine de Trevi, ainsi que les escaliers de la Piazza di Spagna (vers la Trinité-des-Monts) sont noirs de monde. Certes, Marcello Mastroianni s’y est gelé ses fragiles petons pour Anita Ekberg ; mais est-ce une raison d’y zoner trois plombes ? Tous ces peigne-culs de touristes m’ont empêché de prendre ma photo de moi tout seul les pieds dans l’eau ! Poursuivant mon errance, j’ai découvert au coin d’une place le fameux Pasquino, statue en sale état, à l’origine (controversée) du mot « pasquinade », car on avait coutume d’y attacher des poèmes satiriques.

Platanes de Rome
Aux alentours de l’île Tiberina

On n’est pas dépaysé, car dans tous les lieux phares, outre les milliers de touristes (ces cons !) il y a, comme à Paris, des centaines d’Africains ou autres nationalités à colifichets. Je n’ai pas été importuné par les « pickpockets roms » qu’on m’avait annoncés ; j’ai même trouvé qu’il y avait moins de harceleurs à touristes qu’à Paris. Je n’ai pas eu droit au coup de la bague, et n’ai vu qu’une seule fois des voleuses (apparemment) de l’Est aux prises avec la police. Des Indiens ou Pakistanais se sont fait une spécialité de se percher sur une espèce de tube mince en l’air, comme s’ils étaient en lévitation. J’ai remarqué à chaque fois qu’il y avait un complice devant, et j’ai cru comprendre que c’était plutôt un moulage d’Indien en latex qu’un Indien de chair et d’os ; mais allez savoir où est le trucage ? Ce qui frappe aussi à Rome, c’est l’état de délabrement urbain. Que ce soit ce système de vélos à louer en décomposition, ou la partie moins fréquentée du Pincio, à l’extrémité de la Via Veneto, terrain vague en herbe à vaches, avec des escaliers mécaniques en panne qui mènent à un souterrain dévasté. Les tramways vieillots et brinquebalants ; les lignes de train intramuros qui auraient dû être transformées en métro depuis des lustres, et dont il est impossible de comprendre le réseau, etc. Ce n’est pas ces attrape-touristes et ce délabrement qui me plaisent à Rome, mais la tranquillité du Tibre, souvent bordé de magnifiques platanes. Mon arbre fétiche est vraiment l’arbre de Rome ; il y en a aussi entre autres, le long de la Via Vittorio Veneto, l’avenue chic rendue célèbre par Fellini dans La Dolce vita. La photo ci-dessus est celle d’un quai du Tibre, au nord l’île Tiberina.

Florence by train

Je prends donc pour Florence un train qui part à l’heure et arrive à l’heure, n’en déplaise aux détracteurs du service public ! Florence m’attire depuis longtemps, mais le côté bijou hyper-touristique me faisait peur. Cette période de l’année est un bon choix, car même si cela reste une ville-musée, ce n’est pas un décor de carton-pâte, mais une grande ville universitaire, avec sa vie nocturne, etc. Le climat est idéal (il fait même parfois trop chaud, et j’imagine ce que cela peut donner en août ; j’ai d’ailleurs expérimenté Venise en août ; je sais ce que c’est !) À toute heure de la journée et de la nuit (enfin j’ai dû rentrer au plus tard à 3 h du mat), des flots de voitures circulent dans toutes les rues, même devant l’hôtel un peu excentré que j’avais choisi (rue Masaccio, évidemment, ça attire !). Ils aiment vivre, ces Italiens ! Les cinq jours que j’avais prévus, avec un programme intense, ont permis une découverte du principal, avec même une escapade à Pise (sans grand intérêt, juste pour pouvoir dire « j’y étais »), et j’y reviendrai peut-être pour visiter la Toscane, au départ de la gare (le réseau ferré semble assez dense).
Commençons en fanfare par le Duomo de Santa Maria del Fiore. L’ignare que je suis a pu admirer, en visitant cette cathédrale Sainte-Marie qui restera un must dans ce voyage, la coupole de Filippo Brunelleschi de 1436 (toujours le plus grand dôme du monde avec 45 m de diamètre). Les fresques de la coupole, dues à Giorgio Vasari, terminées après sa mort par Federigo Zuccaro, m’ont exalté. On peut visiter pour un prix unique de 10 € l’ensemble constitué du baptistère, du musée, du campanile et du dôme ! (les prix des visites en Italie n’ont rien à voir avec l’intérêt des œuvres, l’oncle Picsou qui veille en moi vous en reparlera). Je ne sais pas ce que ça donne en juin avec la foule et la chaleur, mais à cette saison, cela restera un souvenir aussi inoubliable que celui de la Sagrada Familia découverte l’an dernier à Barcelone. Gaudi est le digne héritier de ces artisans de génie qui étaient à la fois peintres, sculpteurs, architectes, maîtrisaient tous les arts et étaient capables d’édifier à mains nues des œuvres de géants. On monte à l’aise les escaliers qui mènent au dôme ; on parcourt successivement les deux balcons suspendus, l’un à la base du tambour, l’autre à la base de la coupole, puis comme dans le ventre de sa mère, on s’insinue entre la double paroi du dôme, par l’un des deux escaliers d’accès. Génie de l’architecte qui, édifiant pour la première fois au monde sans échafaudage cet immense aven inversé, avait prévu de tout doubler (escalier pour accéder au sommet, balcon, etc.), pour que les ouvriers pussent travailler à l’aise, et les touristes, plusieurs siècles plus tard, accéder sans angoisse au sommet. Plus d’un siècle après, les peintres Vasari (qui sera aussi le célèbre historiographe de la Renaissance, mais qui en était lui-même un des artistes majeurs) et Zuccaro, réalisent cette fresque suffocante où des diables de plusieurs mètres vous empalent des pécheurs. Vous regarderez mes photos. En voici une qui n’est pas la meilleure, mais qui donne l’impression vertigineuse de ce que devaient voir de leur propre œuvre les artistes au travail ; c’est presque une anamorphose.

Santa Maria del Fiore
Fresques de la coupole, de Giorgio Vasari et Federigo Zuccaro.

Il n’est pas forcément évident d’admirer ces fresques dans les livres vendus à l’intérieur de la cathédrale, car ces ouvrages sont souvent réalisés avec l’aval des instances religieuses, et ces empalements de pécheurs par l’anus ne sont pas forcément l’image d’Épinal que l’épiscopat souhaite mettre en valeur ; on privilégie en général les jolis angelots mollement fessus qui surmontent ces vilains diables…

À la galerie des Offices

Vous trouverez l’essentiel sur Florence dans l’article « sur les traces de Lorenzaccio ». Voici juste quelques notes complémentaires. En passant à la Galerie des Offices, signalons le côté lesbien du Printemps, le chef d’œuvre de Botticelli, avec ses figures féminines en extase, et Mercure, seule présence masculine, qui regarde vers l’extérieur du tableau ; cela dans la même salle, excusez du peu, que la Naissance de Vénus ! Anecdote : en visitant ce musée extraordinaire, je tombe en admiration dans la petite salle qui présente quatre autoportraits de Rembrandt, sur les cent autoportraits (dont 40 en peinture ?) qu’il nous a laissés. Entre un couple de vieux Français, genre aveugle et paralytique. Elle, qui avait dû oublier ses lunettes : « Qu’est-ce qu’il y a dans cette salle ? » Lui, qui avait dû oublier son Sonotone : « Des peintres flamands. — Ah oui, les Flamands, ce sont de très, très grands peintres. Qu’est-ce que c’est que ça ? — Un portrait de Rembrandt. — Ah oui, Rembrandt, c’est un très, très grand peintre. Et là à côté ? » Le vieux Philémon déchiffre difficilement le cartel qu’il traduit sans doute de l’anglais : « Portrait d’un vieil homme, de Rembrandt aussi » ; et ainsi de suite devant les quatre tableaux successifs, dont ils ne perçoivent pas le lien. Ce pauvre vieil Antigone flanqué de son Œdipe n’ont pas compris devant quel généreux quarteron de ritratti ils se trouvaient !

Autres merveilles de Florence

La Basilique San Lorenzo de Florence présente une des rares œuvres contemporaines à thème religieux qui m’ait touché : San Giuseppe falegname con Gesu (St Joseph artisan), de Pietro Annigoni. Le couvent San Marco propose des fresques de Fra Angelico, chaque cellule de moine étant décorée d’une pin-up d’époque sous la forme d’un Christ sanglant en petit slip ! C’est tout ce qui manquait dans ma monacale chambre d’hôtel, quasi-cellule à lit étroit ouvrant sur un jardin gazouillant d’oiseaux, à l’Est de Florence. Ce couvent contient également la cellule de Jérôme Savonarole (voir l’article sur Lorenzaccio à Florence).
Au musée du Bargello, à part le buste de Brutus signalé dans l’article ci-dessus, on trouve une œuvre du peintre flamand Marinus van Reymerswale, Le Changeur et sa femme, remake du célèbre tableau Le Prêteur et sa femme, de son compatriote Quentin Metsys, dont van Reymerswale proposa des brouettées de versions conservées dans tous les musées d’Europe ! Tonton Picsou vous suggère de ne pas rater l’étonnante église d’Orsanmichele et son musée, bâtiment étroit et haut du XIVe siècle, d’où vous aurez en prime une superbe vue, le tout gratis !

Passons aux choses sérieuses : Rome

Contrairement à Zola, je suis pragmatique, et ne rechigne pas à me la jouer Baedeker, pour mes estimables lecteurs s’entend. On trouve facilement des hôtels certes simples, mais à bon rapport qualité-prix, et surtout très bien situés près de la gare Termini, et donc du terminus à la fois des bus et des deux lignes de métro. Le transport est une question épineuse à Rome, sous-équipée sur ce point. Deux lignes de métro A et B, bondées aux heures de pointe (ce n’est pas spécifique à Rome, bien entendu), une ligne C du métro de Rome dont l’ouverture est sans cesse repoussée, mais qui facilitera grandement la vie des touristes en plus des Romains ; un réseau incompréhensible de lignes plus ou moins ferrées qui aurait dû depuis longtemps être intégrées en un réseau cohérent, et des théories de bus polluant le centre historique, et circulant à intervalles imprévisibles. Aux heures de pointe, il faut souvent laisser passer quatre bus bondés avant de se résigner à se coller contre quelque affriolant ragazzo. Si vous allez sur la fameuse Via Appia, ou pire, si vous en revenez, il vous faudra attendre jusqu’à 40 minutes un bus sans que rien ne vous renseigne sur son heure de passage prévisible. S’il ne pleut pas, mieux vaut prendre la vie et la vue du bon côté, et transformer ce calvaire en balade ; mais attention : si vous voulez aller jusqu’à la Villa des Quintili (qui d’ailleurs n’a d’intérêt à mon sens que pour les spécialistes), vos rotules trouveront sans doute leurs limites — et c’est un randonneur chevronné qui vous le dit ! Bref, partez donc à pied du Circus Maximus, longez les Thermes de Caracalla (que vous visiterez un autre jour !), et poursuivez en obliquant sur la via di Porta San Sebastiano. C’est là que commence l’enchantement, car vous passez en quelques mètres du centre-ville bondé à la voie campagnarde bordée de pins, enchantée de gazouillis d’oiseaux. Vous aurez peut-être la malchance que le bus 118 que vous aviez attendu en vain pendant 20 minutes vous passe au nez entre deux arrêts, mais vous vous en ficherez, contemplant les à-côtés. Vous longerez le Tombeau des Scipions, qui ne se visite que sur rendez-vous, puis vous arriverez à la Porta San Sebastiano, que vous prendrez le temps de visiter absolument s’il fait beau, pour bénéficier de la vue imprenable sur le sud de la ville (et le nord aussi), toute l’enfilade de la Via Appia, et constater à quel point, malgré les apparences, la ville est verte. Vous êtes sur la seule portion visitable du fameux mur d’Aurélien, qui est à Rome ce que le filet de hareng est au rollmops. Voyez par exemple dans La notte brava, de Mauro Bolognini (1959), comment les prostituées marinent autour de ce filet. Ou dans Accatone, le premier film de Pasolini réalisateur, comment la naïve Stella (Franca Pasut) doit remonter à pied la via après y avoir été abandonnée par un client indélicat. Vous ne songerez même plus aux bus, et poursuivrez pour découvrir l’église Domine Quo Vadis, où vous photographierez les empreintes véritables du Christ, qui parlait couramment latin avec son pote Saint-Pierre (il s’agirait en fait d’une vision du premier apôtre, dans laquelle le Christ pouvait bien parler n’importe quelle langue !). Là vous choperez peut-être un bus, non que vous fatiguiez, mais les Romains de l’Antiquité n’avaient pas prévu de trottoir, et les Romains modernes n’ont toujours pas eu l’idée d’en créer sur les premiers kilomètres, et cette marche se révèle autant bucolique que dangereuse ; bref, vous arriverez aux catacombes. Je n’ai visité que celles de Saint-Sébastien, et je vous renvoie à votre guide. La Basilique Saint-Sébastien-hors-les-Murs est un lieu obligé pour les membres du fan club de Saint-Sébastien (le petit frère de Sainte-Mylène-Farmer), puisque on y trouve entre autres effigies du saint des gays, un superbe gisant très m’as-tu-vu comme je me contorsionne érotiquement de douleur, en plus du buste du Christ Sauveur, ultime œuvre du Bernin retrouvée en 2001. Si vous avez encore des jambes, des kilomètres de voie vous attendent, mais je préfère vous prévenir que les monuments qui suivent ne valent pas tripette, à l’instar de la tombe de Cæcilia Metella, dont le seul point vaguement intéressant est visible de l’extérieur (inutile de payer l’entrée), ou la villa sus-nommée Quintili. Mais pour revenir en bus, c’est là que vous ferez tintin !

Petrolio
Xavier Bueno, Petrolio, Centrale Montemartini.

Découvrir Rome en oncle Picsou

Où en étais-je. Ah oui : si j’ai commencé par le commencement des voies romaines, c’est parce que je voulais vous conseiller en oncle Picsou. Quand vous débarquez dans la ville ; pardon : dans La Ville, vous tentez d’économiser sur le tarif des musées. Donc vous souscrivez une carte archéologique, qui vous permet, pour 23 €, de visiter 7 sites. Mais c’est un peu à Rome comme à Florence, il ne faut se fier à aucune logique, car ces 7 monuments, pour à peu près le même prix d’entrée individuelle sans ladite carte (6 à 7 € et plus chaque entrée), associent le sublime au monument de troisième zone, comme les deux évoqués ci-dessus, qui font partie du ticket : villa des Quintili et tombe de Cæcilia Metella. Mais quand vous êtes obsessionnel comme votre serviteur et doué d’un esprit logique, vous croyez que ces sites valent le coup puisqu’on les agrège dans le même pack, et perdez un temps fou à vous rendre jusqu’à cette fichue villa de Perpète-les-Oies, pour pas grand-chose ! C’est là que pour revenir, j’ai battu mon record, attendant un bus quarante minutes en compagnie de Romains patients et de touristes résignés. Le mépris des touristes atteint à Rome un niveau égal à celui qu’on trouve en France. Sur la via Appia, je n’ai trouvé que deux panneaux indicatifs des sites de ladite via, lesquels panneaux étaient perchés à 2 mètres du sol, de sorte que seuls les géants pussent profiter des informations perchées en haut ! Est-ce la peine de détailler ? Les transports en commun sont un modèle du genre « débrouillez-vous comme vous pouvez », encore n’a-t-on pas droit, comme à Paris, à un harcèlement de messages sonores traduits en 5 langues contre les pickpockets ou pour vous avertir de tout et de rien. Un truc particulier aux églises, quand l’entrée est soi-disant gratuite : chaque chapelle pourvue de croûtes à voir contient un tronc dans lequel il faut glisser 1 ou 2 € pour éclairer ladite croûte. Vous vous acquittez de la taxe, et c’est ce moment que choisit un enc… de touriste pour se planter devant vous et en prenant bien son temps, viser pour photographier le Caravage ou le Bernin qu’il s’agissait d’éclairer. Quand enfin le type consent à se casser, vous faites vos réglages, et ce p… d’éclairage cesse au moment précis où vous alliez appuyer sur le bouton. Plus de monnaie… Vous vous mettez alors en embuscade 10 minutes jusqu’à ce qu’un autre connard daigne glisser son euro dans l’urne ; alors vous vous précipitez devant lui, vous faites vos réglages et prenez enfin votre photo, tandis que l’autre — quel con ! — fulmine derrière vous !
Parmi le meilleur, commençons par le musée des Thermes de Dioclétien*, avec notamment ses stèles funéraires et sarcophages. Dans le cloître de Michel-Ange, une centauromachie surmontée d’un combat de géants dont un à pieds de serpents et portant une peau de lion, m’a particulièrement intrigué. Cela m’a permis de dégoter une base de données extraordinaire permettant de trouver pour chaque motif, une iconographie dédiée, par exemple ici, « géants à jambes de serpents » ! C’est ensuite le palais Massimo alle Terme***, qui contient nombre de chefs d’œuvre de la collection du Musée national romain. Les fresques du triclinium d’hiver de la Villa Farnesina, avec par exemple une scène où une femme accroupie manipule le sexe d’un homme. Navires de Nemi, avec vestiges superbes du Ier siècle. Le Discobole et autres éphèbes dont on contemple ad lib l’albâtre des fesses, ou le bronze si l’on préfère, avec le fameux pugiliste des Thermes, le prince hellénistique, et tutti quanti.

Le Discobole
Palazzo Massimo

Au risque de paraître nécrophile, le clou du palais est peut-être le sarcophage de Portonaccio. Le fameux hermaphrodite, dont une copie célèbre se trouve aussi au Louvre, m’a valu de recueillir une anecdote amusante. Un couple traîne un gamin de salle en salle au rythme d’exclamations admiratives. Devant (ou plutôt derrière) l’hermaphrodite, la maman s’exclame : « regarde comme elle est belle, la dame ». Je me suis retenu d’attirer le gosse pour lui montrer la bite de la dame !
La carte archéologique inclut aussi les thermes de Caracalla, dont les ruines gigantesques témoignent des fastes dans lesquels on devait prendre du bon temps au 3e siècle. Devant les restes d’une piscine de 50 mètres, on médite sur la décadence de la cité antique. Il ne reste semble-t-il que 2 ou 3 saunas gays dans la Ville (y en a-t-il des hétéros ?), dont un qui semble avoir disparu très récemment. Si les prix sont moins élevés qu’à Paris, la clientèle n’est pas pléthorique. La piscine-spa ne fait que quelques mètres ; à l’accueil, deux types, de 30 ans et 30 cm de tour de taille de différence. Lequel tient la caisse, d’après vous ? Bref, il arrive encore que, passant en trombe dans une ville étrangère, on s’offre le fantasme de passer un bon moment avec le garçon de bain (celui qui est plutôt proche des 30), mais c’est le privilège de la nouveauté ! Profitons-en pour toucher quelques mots des bas-fonds. Ils sont relativement disséminés à Rome, et je n’ai expérimenté que ce qui était accessible à une demi-heure de marche de la gare. Bon, il y a pire ; mais il y a mieux. Une particularité étonnante est les heures d’ouverture : comme à Florence, cela n’ouvre que fort tard, 22h ou 23h, ce qui se comprend en été, mais point en octobre ; et il faut, comme à Venise, montrer patte blanche, avec la fameuse carte de membre, que certains se contentent de regarder, mais dont les autres enregistrent scrupuleusement les données, parfois en utilisant la carte magnétique ! Étonnant comme des commerçants homos peuvent participer au fichage de leur communauté… Puisque j’en suis là, parlons de Florence. Un sauna désert jouxte un bar de nuit, qui appartiennent au même propriétaire, d’où les prix élevés du bar. Il en existerait également un en banlieue, mais difficile d’accès pour les touristes. Rien à dire de plus, sinon que les Italiens se contrefichent — comme les Marseillais ou autres Dijonnais ! — des interdictions de fumer. Ah oui, profitons-en pour vous avertir d’une particularité urbanistique de Florence : les bâtiments y sont numérotés de deux façons : bâtiments privés et commerces, de sorte que vous pouvez avoir une suite de numéros 12 - 24 - 14, où le 24 est une maison privée, et le 26 se trouvera après plusieurs commerces ; et au bout de la rue, ça s’aggrave, avec un 96 qui jouxte un 52 ! Je vous dis ça parce que du coup, j’ai failli croire que ledit sauna était fermé ! À Rome, il semble que le Pincio (au-dessus de la Piazza del Popolo) soit un lieu de rencontres ; mais je n’ai guère expérimenté davantage qu’à la fortune d’un soir…
Je reviens à mon parcours archéologique. La carte contient aussi l’entrée à la crypta Balbi, de moindre importance, et au Palais Altemps**. Vous y croisez aussi des touristes pressés : « Chéri, regarde où sont les statues du Bernin ; ce n’est pas la peine de perdre notre temps ! » Il n’y a évidemment pas la queue d’un Bernin dans ce musée consacré plutôt à l’Antiquité ! On admire le grand sarcophage Ludovisi, qui vaut bien celui du palais Massimo ; le Galate qui se suicide, etc. Dans le quartier, vous pouvez voir la petite « torre della Sciammia », qui présente la même légende d’un singe ayant sauvé un bébé que j’ai lue à propos de la « moune » de Saint-Malo ! Pour le même prix de la fameuse carte archéologique, vous avez encore le Colisée***, le Mont Palatin** et le Forum romain**, ce qui fait bien plus que 7 ! J’ai dû m’emmêler les pédales, à moins que le musée national romain soit considéré comme un seul élément avec ses 4 sites…

Le Vatican et ses musées

Bon, l’oncle Picsou ayant rentabilisé sa carte archéologique, finit par vouloir rentabiliser itou son séjour à Rome. Direction le Vatican, bien sûr. S’il y a un musée à réserver avant de partir, c’est l’ensemble immense des musées du Vatican. Cela vous coûtera quelques euros de plus, mais vous évitera la file d’attente. Je ne vais pas vous faire l’affront de raconter la visite complète. Juste un conseil : commencez par les musts, ne faites pas comme moi, qui ai cru malin de faire ça dans l’ordre et de voir le matin les musées mineurs, en me disant qu’ils n’oseraient pas fermer les salles les plus importantes l’après-midi : au contraire, j’ai dû me passer de la pinacothèque, que j’ai trouvée fermée à 14h ! Vous avez donc de quoi vous amuser, entre le musée Grégorien étrusque et ses vases antiques, les appartements Borgia avec leur martyr de saint Sébastien qui confine au concours de tir à l’arbalète, etc. ! Un autre jour, vous reviendrez visiter la place et la Basilique Saint-Pierre. C’est gratuit, comme presque toutes les églises, sauf les lieux fermés. Pour accéder au dôme et à la terrasse, il ne vous en coûtera que 7 € ; 5 € si vous grimpez à pied, ce qui gagne du temps, par contre ne présente pas le moindre intérêt car tout est carrelé dans le genre cuisine années 70. 7 €, c’est le même tarif que pour accéder à la terrasse du hideux monument à Victor-Emmanuel II, qui a sans doute pour intérêt d’être au centre de Rome, le seul panorama d’où l’on échappe à sa vue ! J’ai été bien déçu par rapport au dôme de Florence, pourtant antérieur. Pour commencer, méfiez-vous si vous avez comme votre serviteur des tendances claustrophobes, car on laisse entrer la foule comme elle va, et vous risquez de vous trouver bloqué dans d’étroits boyaux pendant de longues et angoissantes secondes. Rien à voir avec la géniale architecture pratique de Brunelleschi à Florence. Mais j’ai du mal à faire la part de ce qui relève de l’oppression due à la foule, et ce qui relève de l’architecture. On pense à ce que Denis Diderot en dit au chapitre VII de ses Essais sur la peinture : « Michel-Ange donne au dôme de Saint-Pierre de Rome la plus belle forme possible. Le géomètre de La Hire, frappé de cette forme, en trace l’épure, et trouve que cette épure est la courbe de la plus grande résistance. Qui est-ce qui inspira cette courbe à Michel-Ange, entre une infinité d’autres qu’il pouvait choisir ? L’expérience journalière de la vie. » Eh bien ! non, cher Denis, révérence garder, vous vous plantâtes, car ce n’est pas l’expérience de la vie, mais l’observation du duomo de Brunelleschi ! Bref, vous pouvez vous balader sur la terrasse, avec vue sur Rome, et acheter et poster vos cartes postales et autres bondieuseries chez les marchands du temple, au-dessus de la première église de la chrétienté catholique ! Allez, comme je suis gentil, je vous ai pris — rien que pour vous — la photo de la place Saint-Pierre, vue depuis la lanterne de la coupole, avec le Tibre en enfilade, le pont et le château Saint-Ange. C’est un scoop ; pas plus de 5000 personnes par jour prennent cette vue imprenable !

Le Vatican
Place Saint-Pierre, avec le Tibre en enfilade, le pont et le château Saint-Ange

Autres musées et points d’intérêt

Le musée du Palais Barberini rassemble une tripotée de chefs d’œuvre de la peinture. J’ai été étonné d’y trouver le fameux Portrait d’Henri VIII par Holbein le jeune, que j’étais persuadé d’avoir vu à Londres. Judith décapitant Holopherne (1598) du Caravage nous fait songer au meurtre de Lorenzaccio. Et son Narcisse, ne serait-il pas une allégorie du portrait, impuissant à saisir la réalité ou la beauté de l’homme ? La bluffante sculpture La Velata, ou Tuccia Velata d’Antonio Corradini, représentant une femme nue couverte d’un drap mouillé, semble avoir une copie au Louvre. Vous parlerai-je des musées du Capitole ? Que non point ; allez-y vous-même ! Si, l’oncle Picsou se réveille et signale aux Parisiens que pour une raison X, une gratuité (au prix forfaitaire de 2 € !) leur sera accordée dans ce musée (ce qui n’est pas indiqué sur place, mais en tout petit sur le site !) au titre semble-t-il d’un ancien jumelage entre les deux villes. Gratuité (complète) valable également à la superbe Centrale Montemartini, annexe du musée qui se trouve au sud. On peut la voir par exemple sur le chemin de l’EUR ou de la Basilique Saint-Paul-hors-les-Murs. J’y ai relevé un beau « relievo funerario con tre fratelli » (voir mes photos), et un « ritratto maschile » représentant peut-être Philippe l’Arabe, que je ne puis résister à l’envie de vous présenter. Bel homme, non ? Mais pourquoi se fatiguer, alors que des internautes ont déjà tout dit ? Voir par exemple les explications et photos à propos de la statue Satire et nymphe, sur le site de Thierry Jamard. Depuis peu semble-t-il, une grande toile de Xavier Bueno intitulée Petrolio sert malicieusement de toile de fond à l’exposition des plus belles sculptures de la centrale. Je l’ai mise un peu plus haut dans l’article, vous aviez remarqué j’espère ! Cela me fait songer au roman posthume de Pasolini, Pétrole.

Ritratto maschile
Centrale Montemartini, portrait d’homme représentant peut-être Philippe l’Arabe.

Nos articles consacrés à l’Italie

 On peut lire La Mort à Venise, de Thomas Mann, et un extrait de Le Christ s’est arrêté à Eboli, de Carlo Levi.
 Pour rester en Italie, pourquoi pas un petit tour en Sicile ?
 Rome et le Vatican sont au cœur des Clés de Saint Pierre, de Roger Peyrefitte, et de l’article sur le Voyage à Rome d’Émile Zola, rédigé en parallèle avec celui-ci.
 Et bien sûr Lorenzaccio, d’Alfred de Musset, bien que l’Italie n’en soit qu’une toile de fond.
 En littérature jeunesse, La Vie en noir, de Loredana Frescura, est notre seul ouvrage traduit de l’Italien.
 En bande dessinée, l’Italie est très inspiratrice. En vrac, relevons Le Pape terrible, d’Alejandro Jodorowsky & Théo ; En Italie, il n’y a que des vrais hommes, de Luca de Santis & Sara Colaone ; Pasolini – Pig ! Pig ! Pig !, de Jean Dufaux & Massimo Rotundo ; Murena, de Jean Dufaux et Philippe Delaby (pour la Rome antique). Un peu plus chaud, c’est Mona Street et Casino, de Leone Frollo, ainsi que Histoire d’O, de Guido Crépax. Pour mourir à Venise d’une façon plus altersexuelle que le héros de Thomas Mann, on se délectera de Jours tranquilles à Venise, bande dessinée de Bacilieri ainsi que de Mémoires de Casanova, de Stefano Mazzotti (Delcourt, 2013), sans oublier Giacomo C, de Jean Dufaux & Griffo.
 On trouvera des photos, et des réflexions inspirées par des œuvres vues pendant ce voyage dans les articles suivants :
 « Vols de Vélib & « Vitre cassée » ».
 Ingénieux ingénieurs.

Lionel Labosse


Voir en ligne : 300 photos de voyage


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Sauf indication contraire, les photos sont de © Lionel Labosse. Reproduction interdite.