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Notes de voyage en Corée du Sud (2017)

La Corée du Sud ne perd pas le Nord (5/9)

Chapitre 5 : les amoureux qui s’bécotent dans les bains publics…

mercredi 8 novembre 2017

Après 4 épisodes consacrés à présenter mes lectures coréennes, puis à la question de la Corée du Nord, à des conseils pratiques pour les touristes, puis la rubrique « parlons prix », les transports et le métro, les services publics, la géographie et la géomancie, l’agriculture coréenne & les grands immeubles ; au physique et au moral des Coréens & Coréennes, à leurs costumes et chapeaux, à la femme coréenne ; nous nous intéresserons dans cet article aux bains publics, aux papas coréens, au record du monde coréen de miniaturisation du vous-savez-quoi, aux garçons & au patriarcat, avant les 4 derniers articles consacrés aux artistes, à l’architecture & à la musique ; à l’histoire, aux religions & superstitions, au chamanisme, à l’esprit de compétition, et à la langue coréenne ; à la flore, à quelques exemples de palimpsestes, à quelques faits culturels de l’ancienne Corée, à l’origine de l’expression « Pays du matin calme » & ses variantes, ainsi que d’autres noms de lieux comme « Quelpaert », à l’épopée des missionnaires & au colonialisme japonais ; enfin à nos amis les Séoulites, la prostitution, la concurrence entre bouddhisme & confucianisme, les coutumes, & l’ouverture d’esprit des anciens voyageurs en Corée.


Bains publics
Je suppose qu’il en va de la Corée comme du Japon (qui a sans doute apporté cette pratique) : les bains publics, qu’on appelle couramment et simplement « spa » si l’on est rétif au coréen, mais qui ont tout plein de noms comme « oncheon » ou – respirez fort – « jjimjilbang ». Voyez sur ce sympathique blog de voyage, mais comme d’hab sur le site de l’office de tourisme de Corée vous trouverez aussi tout ce qu’il faut savoir. J’ai expérimente ces bains dans l’établissement signalé par Lonely Planet à Daejon, après la plus sportive randonnée de mon circuit. Comme la journée avait été (et était encore) torride, j’étais dubitatif sur les bienfaits de bains chauds, eh bien l’expérience fut tellement agréable que j’y suis retourné plusieurs fois, à Busan, à Daegu, à Sokcho, enfin à Séoul, où le « Dragon Hill spa » conseillé par Lonely Planet s’est révélé dans sa partie bains publics bien inférieur aux autres ; n’y allez que pour le divertissement, en famille. Ce qui vous surprendra c’est que dès l’entrée, la tenue de rigueur, c’est Adam, point barre, et sans tongs ! Mais n’est-ce « spa » le moment de faire le point sur le rite compliqué des chaussures et des tongs ? Il est d’usage dans les hôtels, surtout les hanoks, mais aussi les spas, les temples et certains lieux publics, d’ôter ses chaussures avant d’entrer dans la pièce principale (le « maru »). Mais il n’est pas question de porter, comme j’en ai l’habitude dans les saunas européens, des tongs réservées à cet usage (que je n’utilise jamais dans la rue) : non, tout le monde se balade pieds nus, ce qui en été si vous avez marché toute la journée en sandales sur un sentier de randonnée boueux avant de rentrer à l’hôtel, a un côté énervant puisque vous salissez le plancher avant de parvenir à la salle d’eau, où vous trouverez des tongs format coréen (dans lesquelles vous glissez tant bien que mal 3 ou 4 orteils), qui ne servent qu’à l’intérieur de la salle d’eau, surtout pour éviter de glisser sur le carrelage. Dans l’hôtel et partout, on vous fournit aussi des tongs ou pantoufles, dans lesquelles ont sué les cent mille clients qui vous ont précédé, qui font juste cinq pointures en-dessous de la vôtre, et ne servent que dans les parties communes, surtout pas dans les chambres. Si vous oubliez de retirer les tongs de toilettes dans un spa, ne vous inquiétez pas, dans la demi-seconde un employé vous signalera ce solécisme de lèse-civilité ! Richard Katz rapporte une anecdote où, invité dans un restaurant et ignorant cette coutume, il eut la honte d’exposer au monde un trou à sa chaussette. Plutôt que d’ôter les chaussettes, il tenta de cacher ses pieds derrière divers objets, qu’on lui réclama tour à tour, jusqu’à ce que l’hôte compatissant, s’exclamât qu’il faisait froid et réclamât « Qu’on nous mette donc des couvertures sur les pieds », ce à quoi l’étranger répondit : « Vous êtes vraiment un diplomate » (Omnibus, op. cit., p. 800).

Publicité non-identifiée dans le métro de Séoul.
Pudeur or not pudeur ?
© Lionel Labosse

Vous voilà donc en tenue d’Adam, au milieu d’une dizaine ou d’une centaine de Coréens mâles exhibant, sans la plus infinitésimale idée de pudeur, leur corps souvent agréable à regarder, et leur zizitésimal. Pas question de se mettre la main ou la serviette devant le point d’exclamation ! Même dans l’espace public, la pudeur judéo-islamo-chrétienne est ignorée : j’ai photographié dans le métro cette publicité pour je ne sais quoi, peut-être une pommade contre les hémorroïdes, avec un joli petit cul qu’on n’oserait jamais afficher en Europe ! Et ces Coréennes du temps passé avec leurs roploplos à l’air : faut-il des Coréens pour nous rappeler que Dieu s’il existe a modelé les nibards avec le même doigté que le nez, les oreilles ou l’anus ? Pourquoi cacher cette partie de la création divine, puisqu’on en a besoin tous les quarts d’heure pour allaiter les petits ? Les maisons traditionnelles ayant des parois de papier, la pudeur est une notion relative, et la coutume est de percer d’un coup de doigt ces murs de papier pour épier ce qu’on a envie de voir. Durant mon séjour il m’est arrivé deux ou trois fois de percer la porte des toilettes ou de la chambre en cherchant la poignée à tâtons ! La nudité se pratiquait aussi chez les pêcheurs, comme le révèle Angus Hamilton : « Dans les bas-fonds, le long du rivage, des hommes bruns et nus pêchaient au filet des harengs et des éperlans, pendant que leurs enfants poursuivaient des crabes et, avec des cris de joie, plongeaient dans l’eau profonde à la recherche de leur proie. » (Omnibus, op. cit., p. 261). Sur ce point précis, il en allait de même en France au XIXe siècle pour des raisons terre à terre, comme le révèle le tableau de Bazille Le Pêcheur à l’épervier (cf. dans cet article.) Cependant, la pudeur n’est pas forcément partagée, comme le révèle cet extrait de Les Boîtes de ma femme, nouvelles de Eun Hee-Kyung : « Le médecin de service était jeune, beau et gentil. Lorsqu’il a su que mon mal se situait au niveau de la poitrine, il m’a demandé si je désirais être examinée par un médecin femme » (p. 196). Je n’ai trouvé qu’une seule brève mention des bains dans les relations de voyage du volume Omnibus, sous la plume de Jacques-Édouard Chable (1903-1965) : « je me rendis au bain. Dans une chambre, accroupis sur des nattes, toute une compagnie d’hommes, en robes blanches, fumaient leur longue pipe. C’était le vestiaire et la salle commune. Je descendis par une échelle dans une piscine alimentée par une source d’eau chaude, et me baignai avec quelques Coréens barbus. Hostiles au début, ils daignèrent rire quand je les aspergeai d’eau. » (Omnibus, op. cit., p. 777). Réflexions à poursuivre dans un article sur la nudité.

Du papa coréen
Le papa coréen avec son petit garçon au spa, c’est vraiment l’une des plus belles images de ce voyage (évidemment pas de photo !) Avoir un garçon est le plus grand désir d’un Coréen, alors quand il l’a, ce garçon, il s’en occupe, et la sortie au bain public est un moment d’intimité partagée. Il faut voir comment ils te vous les bichonnent, les lavent à grande eau & mousse, puis leur font faire la tournée des différents bains, où les bambins se plongent sans lambiner, froid ou très chaud. Et que je te fais des mamours, des risettes, que je te serre contre mon cœur, etc. Le roi du monde, c’est le Coréen qui n’a pas un, mais deux garçons, alors là, c’est Al Capone ! Comme je me posais la question de savoir ce qu’il advient des fillettes dans le cas où la mère est absente, j’ai vu (une seule fois) une petite fille dans un bain d’hommes. Ce sont des moments privilégiés, et de même qu’en ce qui concerne l’absence de parano anti-terroriste, cette absence de parano anti-pédophile est réjouissante. Voilà un peuple qui n’a pas sacrifié le plaisir d’aimer ses enfants sur l’autel de la sainte « lutte contre la pédophilie ». Cela contribue je crois à voir des enfants et des adolescents souriants, épanouis, bien dans leur peau, qui ne passent pas leur temps à chouiner pour un rien. Combien d’agressivité et d’étalage vain de testostérone chez l’adolescent mâle éviterait-on en Occident, si l’on adoptait ce type de pratique sociale… Cela n’est d’ailleurs pas du tout ancien, mais à mettre au crédit du changement d’attitude des « nouveaux pères » un peu partout dans le monde civilisé, si l’on en croit « Le Feu d’artifice », nouvelle de Oh Jung-hi : « Il n’a jamais vu le corps nu de son père. Depuis qu’il a atteint l’âge où il ne pouvait plus accompagner sa mère au bain public, elle demande à son mari de prendre Yôngjo avec lui quand il s’y rend, mais il ne répond pas et y va toujours seul. Tu as honte devant ton fils ? ironise-t-elle. Mais son père se contente de lui opposer des coq-à-l’âne du genre : Quand j’avais son âge, j’ai hérité du titre de chef de famille. » (p. 198). À mon retour à Paris, ne vois-je point l’ami Gonzalo - un brave gonze - à l’eau avec son fils de trois ans dans ma piscine, se livrant aux mêmes jeux parentaux, sauf que pas à poil ? Bien, alors nous voilà nus, et que fait-on ? Un vieux monsieur, me voyant désorienté, m’expliqua la procédure (et partout, ces Coréens, qui sont vraiment plus accueillants que nous, dès qu’ils vous voient éplucher un plan de métro ou tenter de vous y retrouver dans des informations rédigées tout en Coréen avec des petites touches d’anglais, s’efforcent de vous aider). On se plonge d’abord quelques minutes dans un bain chaud ma non troppo. Les températures sont souvent affichées en diodes au-dessus des bains, sinon vous trempez votre orteil. Donc va pour le 37°, puis on change pour un bain froid (25°), puis on peut aller dans un bain plus chaud (40 à 44°). Il y a aussi, selon les établissements, des bains extérieurs, et des bains avec des remous ou différents dispositifs massants pour les pieds, le dos, les épaules, etc. Effectivement, après être passé par le chaud, je me surpris à rester sans problème dans le froid, et à me faire assommer le sinciput par une colonne verticale, véritable Niagara qui s’abattait du plafond. Il y a aussi un hammam et des saunas secs à différentes températures, selon les établissements.
Ça, c’est le bain public, mais dans certains établissements, il y a en plus une partie « jjimjilbang » (à vos souhaits !), plus spécifiquement coréenne. Il faut revêtir un short et un polo qui vous est fourni, parce que cette partie est mixte, alors que les bains sont séparés pour les deux sexes. Il y a, selon les endroits, une grande plate-forme où l’on s’assied ou s’allonge, en couple hétéro ou en famille ou entre copains, et on se divertit avec des écrans, ou en regardant un spectacle de magie (spa de Séoul) ; il y a une salle de jeux vidéos, des snacks ou un restaurant, et parfois une salle réfrigérée, et diverses salles de repos, dont certaines salles de sauna coréen au charbon de bois, à température tiède ou plus chaude. On s’allonge sur sa serviette ou sur des futons, la tête sur un « oreiller » en bois, et dans certains établissements il est possible d’y passer la nuit si l’on arrive à dormir dans la promiscuité je suppose (je n’ai pas expérimenté). C’est là que les amoureux se bécotent tendrement enlacés. Selon Horace Newton Allen, médecin missionnaire américain, « l’usage de matériaux durs en guise d’oreillers a pour but de maintenir la chevelure en place. […] au début de la mise en service du tramway de Séoul, certaines nuits d’été particulièrement chaudes, des Coréens utilisèrent l’acier frais et poli des rails pour y reposer leur nuque […] » (Omnibus, op. cit., p. 424). Quand vous sortez, on vous fournit serviette et de quoi vous pomponner corps et cheveux ; vous récupérez vos chaussures, qui sont dans un casier séparé, et au revoir tout le monde. Je suis aussi allé nager dans une belle piscine, au complexe sportif de Jeju city. Contrairement à ce que j’avais vu à Pékin, esprit de compétition oblige, les Coréens savent nager et les piscines publiques ne servent pas qu’à barboter. C’est la même règle que dans les bains publics : tout le monde à poil dans les vestiaires, et on peut se récurer en profondeur sur des tabourets individuels avec miroirs et tout le nécessaire ; il y a même un petit sauna. Seule étrangeté, le niveau d’eau du bassin avait été baissé de façon à ce que les nageurs aient pied, ce qui neutralise la différence entre petit et grand bain. Cela interdit aussi de plonger, donc de pratiquer une nage sportive. On ne peut pas tout avoir… Côté femmes, il semble qu’il en aille de même, selon Juliette Morillot, qui a expérimenté la chose en 1995 : « Des bains populaires de quartier, aujourd’hui délaissés par les jeunes qui les trouvent ringards par rapport à saunas et autres health clubs. Détente absolue. Intimité totale. Sans aucune pudeur. Cuisses ouvertes. […] Échanges de plaisanteries grasses. Commentaires crus sur les hommes, leur sexualité, leurs manies » (op. cit., p. 167). Sauf que depuis cette époque, les bains sont redevenus à la mode, sans doute parce qu’ils ont été modernisés et agrandis.

Le garçon roi. Fresque murale, Andong.
Où sont les filles ?
© Lionel Labosse


Record du monde
Voilà le moment délicat. Toutes les études sur la taille du pénis chez l’homme révèlent que les premiers de la classe sur toute la planète en matière de miniaturisation seraient les… Coréens, avec les Népalais et les Cambodgiens. Un site en lien sur l’article de Wikipédia, précise même que les Nord-Coréens sont encore meilleurs que leurs voisins dans ce domaine, ce qui est logique car il y aurait une relative corrélation avec la taille du corps, qui est en phase d’augmentation en Corée du Sud, comme expliqué supra. Serait-il sérieux ou non de rapprocher une information sur le micro-pénis d’Adolf Hitler, celui de Napoléon (je vous laisse chercher), et ceux de responsables nord-coréens, voire d’une nation entière ? Cette volonté effrénée d’avoir les plus gros missiles qui pissent le plus loin relèverait-elle d’un complexe d’infériorité ? Après ces séances de spa, je suis en mesure de confirmer cette réputation non-usurpée. Je n’avais jamais vu tant de pénis-carte-sim dans toute ma vie, mais bien sûr il y en a aussi de toutes tailles (jusqu’à un certain point médian, disons). Pourtant, les statues d’hommes nus que l’on peut voir dans les rues, mentent délibérément sur cette fierté nationale (photos). Dans les contes du recueil La Porte des secrets, chaque fois qu’il est mention de la dimension de cet objet, les personnages ont la modestie de taire ce record de petitesse, et de laisser croire qu’ils en ont de vulgairement grosses : « elle ne pouvait détacher ses regards de l’énorme tige de jade et de cette porte des secrets qui ruisselait de ses sucs ». Même côté femme : « elle avait une particularité qui inquiétait sa mère : sa fleur était exagérément grosse, si large et si profonde, qu’il était presque impossible de se l’imaginer ». Or pour combler cet abysse, la donzelle épuise tous les prétendants du pays, jusqu’à ce que se présente un nain, et là je vous vois venir, mais non, pas du tout : ledit nain profite de l’obscurité pour utiliser un subterfuge : « il fixa à son genou un kakjot » (p. 139). Cet objet, écrit aussi « gakjot » dans le glossaire, est « une aiguille tendre ; cet objet que bien des concubines des palais royaux utilisaient quand elles n’avaient pas l’occasion de croiser leur prince » […] « pour se satisfaire, elles n’avaient d’autres solutions que ces dards de jade, d’ivoire ou de bois de plaqueminier ». Or la mère qui écoute à côté (parois de papier oblige), l’entendant protester, s’exclame : « c’est bien mieux quand tout entre. Pourquoi donc demandes-tu à ce qu’il se retire déjà ? » Sagesse des nations ! Il est étonnant que les Coréens ne semblent pas souffrir ni se plaindre de cette réputation, quand certains noirs font tout un fromage d’une réputation inverse qu’ils estiment raciste.

Jeju-do, musée du sexe et de la santé.
Les promesses n’engagent que ceux qui y croient !
© Lionel Labosse

Les Coréens étant plutôt imberbes, leur sexe se remarque d’autant plus qu’ils ne se rasent pas le pubis et que la seule pilosité de leur corps – pilosité buissonnante d’un noir de jais – recouvre cette modeste virilité et la signale comme une vigie dans un désert pileux. Mais ils n’en ont cure et ils ont bien raison. Leur attitude vis-à-vis de la nudité me fait penser à ce conte de Jean-Claude Carrière intitulé « La femme au bord du fleuve » (Le Cercle des menteurs, Pocket, 1998, p. 195) , dans lequel un jeune moine reproche à un vieux moine d’avoir porté une belle femme qui voulait traverser une rivière, en dépit de leur vœu de chasteté. Alors le vieux moine répond au jeune : « Tu y penses encore ? » En effet on dirait que les Coréens nus ne songent pas même à la nudité. Ce qui fait plaisir à voir dans ces spa, c’est la joie de vivre, et notamment des vieux, des jeunes qui y vont entre copains et passent de longs moments à se rendre le service de se laver le dos (imagine-t-on nos « jeunes des cités » en faire autant, nus comme des vers ?), et des papas.

Et les garçons dans tout ça ?
Maintenant le devoir d’informer – et lui seul ! - m’a incité à prolonger mes investigations du côté des établissements spécifiquement pour garçons, en fait un seul. Pour l’info des voyageurs les plus intrépides, le samedi soir il y avait un monde fou, mais le dimanche, très peu, allez savoir pourquoi ? Il faut dire que je n’étais pas très motivé, le Coréen n’étant pas ma tasse de thé, mais j’ai quand même consulté le site de référence Utopia Asia (un site sérieux de ressources gay en Asie), et j’ai choisi un jjimjilbang à Busan qu’ils signalent comme « se passant des choses discrètement », tu parles Charles ! Mais c’était un des meilleurs, avec un jjimjilbang des plus mixtes et familial, où on se demande bien ce qui pourrait se passer de pas catholique (ou alors peut-être au milieu de la nuit ?). Bref, ils signalent aussi un bain dans un hôtel à Itaewon, le quartier à la fois branché, djeune, cosmopolite, musulman (la seule mosquée de Séoul si ce n’est du pays) et gay, mais j’ai préféré le grand spa signalé ci-dessus, ce qui n’était pas un bon choix. Seconde tentative : j’ai sélectionné un des établissements gays appelé jjimjilbang, mais ils précisent bien que ce ne sont pas de vrais bains ou jjimjilbang, mais des « espaces de rencontre ». Celui où je suis allé à Itaewon était ma foi très agréable, et effectivement, les deux baignoires de spa étaient hors d’usage, seul un sauna sec justifiait le titre de « sauna ». Par contre, l’espace de rencontre de cet établissement mérite bien l’appellation jjimjilbang, car il est tout à fait possible d’y dormir dans de vrais lits (où l’on peut aussi faire autre chose, genre s’bécoter dans les bains publics, comme dirait l’autre). Le site Utopia le présente comme un grand guesthouse dont toutes les chambres seraient ouvertes ! La pénombre permet à la fois de s’bécoter – puisque s’bécoter y a – , mais aussi de dormir tranquille sur un vrai lit. Il y a même, détail charmant, des brosses à dents jetables en libre-service… Je ne vais pas m’étendre sur le sujet car ce n’est pas le genre de la maison, mais disons que j’ai trouvé l’attitude des garçons beaucoup plus agréable et sympathique que dans la plupart des lieux de ce type que j’ai eu l’occasion de visiter, même en Asie (la fameuse foire au concombre, peut-être devenue inutile pour la raison expliquée ci-dessus), et alors que je m’attendais à ne trouver que de vieux schnocks de mon âge ou pire, car je me disais que les Coréens étant le peuple le plus connecté du monde, les jeunes devaient se rencontrer uniquement par des applis de drague comme en Occident, eh bien pas du tout, le public était incroyablement jeune (et agréable à voir), et l’office de tourisme ayant eu vent de mes réticences avait dû envoyer ces deux ou trois charmants garçons amateurs d’antiquités occidentales (en fait j’y suis retourné le lendemain !) qui ont partiellement levé mon a priori sur le Coréen… mais tirons un chaste rideau sur cette scène.

Sauna gay en Corée du Sud
Comme un calmar dans l’eau.
© Lionel Labosse

Pour rester dans le registre altersexuel, la Corée ignore nos hypocrisies. J’ai parfois logé dans des motels, qui ont pignon sur Booking, faisant à la fois hôtel normal, et motel à durée limitée. On peut louer une chambre pour quatre heures, avec tout le confort et des préservatifs. Ils ressemblent à des hôtels normaux, sauf que dans le hall, tout est fait pour la discrétion. Réservation de chambre par automate ; absence de sièges pour éviter les indiscrétions, et minuscule ouverture pour communiquer avec le réceptionniste qui n’est pas censé vous voir ! Il existe donc plusieurs possibilités pour strausskahniser après le boulot avant de retrouver bobonne, spécialité coréenne… Ah avant de quitter ce chapitre, évoquons la gay pride de Séoul en 2017. Un reportage photo du Monde fait état d’un défilé de 10 000 personnes à partir de l’hôtel de ville, avec des contre-manifestants chrétiens, mais sans préciser si ces emmerdeurs étaient 5 ou 100. Or les Séoulites adorent manifester, que cela soit seul avec une pancarte autour du cou, à deux, à trois ou à cent, avec pléthore de flics pour les encadrer, quel que soit leur nombre. Donc ce n’est pas très sérieux journalistiquement parlant d’oublier de préciser le nombre de contre-manifestants.
L’un des contes de La Porte des secrets suggère que l’homosexualité était une pratique courante parmi les moines voués au célibat. Une belle jeune fille s’étant travestie en ravissant éphèbe pour être hébergée dans un couvent, les moines rivalisent à qui l’aura dans sa chambre ; elle choisit le plus âgé, croyant être tranquille, mais elle vérifie « la grande habitude du bonze à jouer dans le jardin de derrière », et finit par lui offrir « un écrin de velours qui n’avait rien à voir avec ces portes étroites qui faisaient l’ordinaire du vieil homme » ! Qu’avec délicatesse ces choses-là sont dites… Jean-Jacques Matignon (1866-1928) parle ainsi des portefaix : « On prétend que leurs mœurs sont très corrompues et que presque tous s’adonnent à des vices contre nature. Néanmoins, leurs femmes sont généralement respectées, et celui qui toucherait à la femme d’un confrère serait immédiatement mis à mort ». (Omnibus, op. cit., p. 181). La Corée du Nord, heureusement, est autant préservée de ce fléau social que l’Arabie saoudite : « De nombreux réfugiés gays n’ont découvert la nature réelle de leur sexualité qu’à leur arrivée à Séoul. Car, en Corée du Nord, l’homosexualité « n’existe pas » ! » (Morillot-Malovic, op. cit., p. 317). La pornographie également serait absente, mais la prostitution hétérosexuelle subsisterait avec discrétion.

Patriarcat or not patriarcat ?
La domination masculine en Corée est ancienne, et il en reste des traces. Une tradition qui a la vie dure impose d’avoir un descendant mâle pour souscrire au respect des ancêtres. Les femmes comptent souvent pour du beurre : « Les filles de la campagne, mal loties, n’avaient bien souvent pas de nom du tout, traversant la vie comme des ombres anonymes. À tel point que certaines vieilles en ont totalement oublié comment elles s’appelaient dans leur jeunesse. Enfants, elles furent « la petite », puis « petite crevette », adolescentes elles devinrent « la fille de Park », jeunes mariées « la femme de Kim », […] pour devenir, à la naissance du premier fils, « la mère de jong-ho » et, enfin, au crépuscule de leur vie, « grand-mère »… Une vie par procuration, somme toute, écho de celles des hommes qui les ont entourées… » (Juliette Morillot, op. cit., pp. 126). La Corée du Nord, sur ce point particulier, fut en avance sur son voisin du Sud : « En 1947, le hojeok, le registre familial traditionnel dans lequel la femme n’apparaît pas, est supprimé, ce qui lui ouvre les droits à l’héritage. Un pas capital que la Corée du Sud n’accomplira qu’en 2008. » (Morillot-Malovic, op. cit., p. 313). Le contrôle social des femmes atteint des records de précision : « Les femmes mariées ne peuvent parler qu’à leurs parents, et le degré de consanguinité auquel s’arrête cette tolérance varie un peu, selon qu’elles sont de la haute société ou de la bourgeoisie. Ces dernières peuvent recevoir les visites de parents mâles jusqu’au sixième cousinage, tandis que les dames de l’aristocratie sont limitées au quatrième. » (Omnibus, op. cit., p. 446).
Dans Le Quartier chinois de Oh Jung-hi, la nouvelle « La Cour de l’enfance » évoque une famille désunie par la guerre, au sein de laquelle le garçon use de ses poings pour dominer ses sœurs, mère et grand-mère, qui ne correspondent pas du tout à l’image qu’il se fait de femmes respectables : « Les coups de mon frère étaient terribles. C’était un jeune tyran. Depuis le départ de notre père, il avait insidieusement pris sa place et comme notre mère travaillait dans un restaurant du bourg, nous donnant l’impression, en découchant pour des raisons suspectes, qu’elle s’éloignait de nous, les coups qu’il distribuait fréquemment étaient sa façon de nous faire savoir qu’il assumait cette place de chef de famille. » (p. 91).
Une coutume permettait de distinguer l’homme marié. Une note de La Porte des secrets nous l’expose : « Autrefois, les hommes ne coupaient jamais leurs cheveux, car cet élément du corps était rattaché à celui de leurs parents et de leurs ancêtres. […] Les garçons et les hommes non mariés tressaient leurs cheveux en deux nattes de part et d’autres du visage. Ce n’est qu’après leur mariage, qu’ils pouvaient se faire un chignon porté au sommet du crâne. Ainsi coiffé, tout le monde savait que l’homme était marié. » (p. 93). Claude de Pimodan précise : « Les hommes mariés ramènent leurs cheveux sur la tête en une grande houppe, ornée plutôt que maintenue par un clou imitant le corail. Les célibataires se coiffent de trois nattes réunies en arrière, mais, à l’encontre des Chinois, ne se rasent pas le devant de la tête. Ils sont peu nombreux et paraissent généralement de pauvres hères, car tous les gens aisés prennent femme. Parfois même on rencontre des enfants riches coiffés comme les hommes mariés, mais un manteau de couleur ou quelque autre détail de toilette montre qu’ils sont fiancés seulement. Toujours vêtus avec soin, ils forment, à coup sûr, la plus jolie partie de la population, justifiant le proverbe coréen : « Beau comme un jeune marié ». (Omnibus, op. cit., p. 206). Si l’on ajoute aux cheveux longs la peau lisse, rien ne ressemble plus à un Coréen qu’une Coréenne, surtout un éphèbe, et les contes sont pleins de travestis dans les deux sens, servant à tromper l’autre sexe, pour s’introduire dans un temple ou dans la chambre de la fille de la maison.
« Dans la Corée moderne, la pression pour avoir un enfant mâle demeure énorme », nous apprend Juliette Morillot. Malgré l’interdiction dans les années 1980 et 90 des méthodes de détection du sexe de l’embryon et des avortements, le ratio était en 1993 de 115 garçons pour 100 filles, et on prévoyait pour 2010 un ratio de 128/100, qui n’a pas été atteint, heureusement. L’article de Wikipédia sex-ratio nous apprend que des taux délirants sont atteints dans certaines régions d’Inde et de Chine, mais que la situation est redevenue normale en Corée du Sud. « Parfois, hélas, l’enfant tant attendu ne vient pas. Un drame terrible, autrefois […] car la stérilité pouvait être punie de mort. […] Sept « vices » sous la dynastie des Yi autorisaient le mari tout-puissant à la répudier, la médisance, le vol, la stérilité (ou toute maladie héréditaire) et l’impossibilité de mettre au monde un enfant mâle… […] la paysanne stérile avait un sort clément et était simplement chassée de chez elle, tandis que la femme noble se voyait octroyer le triste privilège de pouvoir mettre fin à ses jours en se pendant à un arbre : commettre le chanyômok était une mort respectable ». En cas d’infertilité de la femme, une autre tradition, « ssibat’i » (recevoir la semence) consistait à choisir une femme qui n’était pas une concubine mais portait l’enfant, d’où le film de Im Kwon-taek qui porte ce titre, traduit en français par La Mère porteuse (1987). En cas d’infertilité du mari, le « ssinaeri » (dépôt de semence) consistait à inviter un étranger au village, à l’attirer dans le lit de l’épouse, mais il risquait la mort en quittant le village, et la femme, une fois l’enfant né, « n’avait d’autre solution, pour sauver son honneur déjà bien entaché par cet adultère programmé, que de se donner la mort » (op. cit., p. 119-120).
Dans « La graine empruntée », l’un des plus beaux contes de La Porte des secrets, deux amis d’enfance ont un destin opposé. L’un se marie et a des enfants, d’abord un garçon : « il accrocha un gros piment rouge à sa porte, pour montrer au voisinage que le ciel lui avait donné un garçon » […] « Pendant ce temps, la femme de monsieur Oh donna naissance à une fille. Alors le papa accrocha cette fois un morceau de charbon de bois de chêne ». Monsieur Yi a moins de chance, et ne parvient pas à enfanter, de sorte qu’il demande, sous le sceau du secret, à son prolifique ami, de féconder sa femme en profitant de son sommeil, ce qui semble une édulcoration de la tradition. L’enfant qui en naît se révèle très doué, et les années passant, Monsieur Oh, dont les propres enfants n’obtiennent pas les mêmes succès à l’école, en prend ombrage, et réclame au gouverneur du village, qu’on lui rende son fils. Or le juge a l’intelligence de demander son avis à l’intéressé, et le garçon de donner cette réponse, un des plus émouvants textes sur l’alterparentalité que j’aie jamais lu : « Au printemps quand on repique le riz, il arrive qu’un paysan n’ait pas assez de plants pour finir son champ. Alors il demande à ses voisins s’ils peuvent lui céder les quelques semis qui lui manquent. Généralement, les voisins donnent de bon cœur les pousses qu’ils ont en surnombre. Et puis à l’automne, lorsque le temps des récoltes arrive, jamais personne ne vient réclamer le riz des semis offerts » (p. 50). Cette allégorie en dit bien plus que le sens du conte : la sexualité considérée comme une activité humaine aussi banale que de cultiver un champ, de même que les métaphores courantes pour dire « faire l’amour » : « le sentiment de printemps » (p. 37) ; « dénouer les rubans du hanbok » (p. 60) ; « le souffle des nuages et de la pluie » (p. 72). Le mariage était traditionnellement un lien social, pas amoureux, et la langue coréenne distingue deux termes, « sarang », amour romantique et « chong, désignant le lien unissant le couple : une sorte de mélange naturel d’affection, de respect mais aussi de partage chaleureux des contraintes et des responsabilités familiales » (Juliette Morillot, op. cit., pp. 154).

 Le Réseau des études sur la Corée de l’université Paris-Diderot est une ressource savante incontournable, que l’on peut investir par le trou de souris de son blog.
 La MGT, médiathèque du grand Troyes, a réalisé un dossier illustré complet sur la Corée ancienne.

 La photo de vignette de l’article représente l’intérieur d’un jjimjilbang (caméra cachée !).

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Lionel Labosse


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