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Notes de voyage en Corée du Sud (2017)

La Corée du Sud ne perd pas le Nord (2/9)

Chapitre 2 : conseils pratiques, prix, transports, services publics.

mercredi 4 octobre 2017

Après un 1er épisode consacré à présenter mes lectures coréennes, puis à la question de la Corée du Nord, nous nous intéresserons dans cet article à des conseils pratiques pour les touristes, puis vous trouverez la rubrique « parlons prix », des réflexions sur transports et métro, sur les services publics, avant les 7 derniers articles consacrés à la géographie et la géomancie, l’agriculture coréenne & les grands immeubles ; au physique et au moral des Coréens & Coréennes, à leurs costumes et chapeaux, à la femme coréenne ; aux bains publics, aux papas coréens, au record du monde coréen de miniaturisation du vous-savez-quoi, aux garçons & au patriarcat ; aux artistes, à l’architecture & à la musique ; à l’histoire, aux religions & superstitions, au chamanisme, à l’esprit de compétition, et à la langue coréenne ; à la flore, à quelques exemples de palimpsestes, à quelques faits culturels de l’ancienne Corée, à l’origine de l’expression « Pays du matin calme » & ses variantes, ainsi que d’autres noms de lieux comme « Quelpaert », à l’épopée des missionnaires & au colonialisme japonais ; enfin à nos amis les Séoulites, la prostitution, la concurrence entre bouddhisme & confucianisme, les coutumes, & l’ouverture d’esprit des anciens voyageurs en Corée.


Conseils pratiques
Si j’ai choisi le mois d’août (2017) pour ce voyage, c’est parce que je voulais « rentabiliser » un vol long-courrier, et voir le plus possible du pays en dehors de la capitale, et tant que je suis un prof pas en retraite, un voyage de plus de deux semaines se case forcément pendant les grandes vacances, pas vraiment la meilleure saison pour la Corée. Chaleur torride et 100 % d’humidité, vous baignez dans votre sueur dès que vous mettez le nez dehors, quand vous n’êtes pas trempé jusqu’aux os par des pluies de vaches diurétiques. À l’instar du Japon, la meilleure saison pour le tourisme serait le printemps (cerisiers en fleurs) ou l’automne (feuillages roussis) ; mais voilà un pays qui peut quand même se visiter en toute saison, et je ne regrette pas ce choix, même s’il est vrai que j’ai l’impression d’avoir empilé temples bouddhistes et villes au schéma urbain identique. Vous trouverez la liste exhaustive des temples bouddhistes coréens sur le site de l’office de tourisme. Vous verrez mes photos, mais la journée au cours de ce voyage dont je garde le meilleur souvenir, est celle où j’ai visité sous une pluie battante le temple Bulguksa et la grotte de Seokguram. Chacun ses goûts ! Nos amis coréens semblaient vouloir fournir les couleurs indispensables aux photos avec leurs capes de pluies et autres parapluies, alors qu’en ce qui concerne les voitures, leur goût les porte exclusivement sur le blanc, le noir et le gris !

Jour de gaie pluie à la grotte de Seokguram
Vive la pluie !
© Lionel Labosse

Si vous craignez la chaleur, ne vous inquiétez pas trop : la Corée est un pays on ne peut plus moderne et pragmatique où en dehors de quelques faits étonnants dont nous parlerons, le souci du bien-être du public est constant. Non seulement toutes les chambres d’hôtel sont climatisées (avec des télécommandes en coréen sur lesquelles vous essayez tous les boutons tel un geek épileptique), mais la climatisation est présente, sans excès comme en Thaïlande, dans le métro, dans les magasins, les épiceries, etc. Un article du Monde diplomatique d’août 2017 : « L’air conditionné à l’assaut de la planète », démontre comment cette innovation, dès les années 1920, a permis le développement économique déjà dans le sud des États-Unis, puis dans tous les pays où les températures excessives empêchaient la rentabilité. Il serait intéressant de mener une étude sur les effets de l’air conditionné dans les deux Corées. La Corée du Sud est en outre un des pays les mieux pourvus du monde en toilettes gratuites, vastes, propres et souvent climatisées elles-aussi, notamment dans les lieux touristiques, mais vraiment partout, même là où vous en avez besoin ! Sans parler des fontaines d’eau fraîche (et bouillante pour le thé et les nouilles), à disposition presque partout. Ainsi dès que vous tirez la langue, pas de panique, direction les toilettes les plus proches, un gobelet d’eau fraîche et un peu d’air frais, et vous voilà requinqué ! Ces toilettes proposent aussi des urinoirs adaptés et parfois décorés pour les petits, et des tables à langer (photos) dans les toilettes hommes (c’est les féministes qui vont être contents). Les urinoirs sont tous du modèle le plus dispendieux en céramique, comme si des éléphants devaient s’ébrouer dedans ! Toilettes handicapés partout, avec parfois des excès, comme cette énorme barre devant un lavabo (photos) qui à mon humble avis doit empêcher les usagers d’approcher plutôt que leur permettre de s’agripper !
Autre solution, vous ne pouvez pas marcher cent-cinquante mètres sans tomber sur une des innombrables épiceries des 4 ou 5 chaînes concurrentes, CU, GS 25, 7-Eleven (société texane à l’origine, désormais japonaise, et installée dans de nombreux pays), Mini-Stop, With me, etc. Vous vous prenez un truc à boire et à manger que vous dégustez à l’intérieur de la boutique (donc climatisé) dans le coin repas, souvent des tables sinon une tablette, avec four micro-ondes pour les excellents plateaux-repas ou salades tout prêts et peu chers. De la sorte, votre journée touristique est rentabilisée ; vous ne perdez pas trois plombes à attendre l’addition et mangez bien pour pas cher. Autre tuyau si vous êtes en ville, déjeunez dans les sous-sols des centres commerciaux Lotte, Shinsegae, etc. Des stands achalandés vous proposent toutes sortes de repas délicieux & bon marché, avec souvent la photo, ou mieux, le moulage du plat, ce qui évite les soucis de langage. Il n’est pas du tout mal vu de pointer le plat que vous guignez sur la table d’un client et de faire comprendre que vous voulez la même chose. Ou délectez-vous d’un calamar farci sur le marché de Sokcho, ou de tout ce que vous voulez sur les appétissants stands de cuisine de rue (photos), etc. Les villes en bord de mer proposent d’immenses marchés au poisson où tout ce qui nage ou flotte se vend & se cuisine à l’étage du dessus. Les magasins ou plutôt galeries commerciales Shinsegae détiennent le record mondial du plus grand centre commercial avec le Centum City à Busan, qui contient un spa, une très kitsch fausse fontaine de Trevi (photos), et se trouve à proximité du Busan Cinema Center. Mais à Deagu aussi et ailleurs, ce centre, ainsi que les Lotte, fait dans la démesure. À noter que malgré la cote de la France, si nos grandes marques de luxe ou de sport ont ouvert des magasins en grand nombre, les marques de grande distribution françaises sont absentes, tant les Coréens sont leaders dans ce secteur.

Parlons prix
La Corée n’est pas une destination si chère que cela. Côté bouffe, la solution épicerie vous conviendra la plupart du temps, et quand il fait très chaud, vous pouvez même rapporter votre repas à l’hôtel et le déguster à l’aise, car la plupart des chambres (ou bien c’est disponible à l’étage) sont équipées de fours, de fontaines à eau fraîche et bouillante, etc. En hiver au contraire, c’est le chauffage qui vous séduira je suppose, le fameux ondol, chauffage traditionnel au sol (en fait j’ai eu l’occasion malencontreuse de l’expérimenter, n’ayant pas compris en quoi consistait un interrupteur marqué en coréen qui se révéla être le chauffage au plancher !) Les Coréens adorent les gadgets, et les chambres d’hôtels sont truffées de trucs qui vous font tourner en bourrique, les hôteliers coréens n’ayant pas plus compris que les hôteliers du monde entier que les gadgets qui nécessitent un quart d’heure de réflexion pour allumer les toilettes, on se les garde pour chez soi, mais on ne les met pas dans une chambre d’hôtel dont le locataire change tous les soirs et a autre chose à faire que de se prendre la tête avec des interrupteurs concours Lépine ! Le bon vieil interrupteur et le bon vieux mitigeur, de même que le bon vieux tire-bouchon sont des inventions indépassables, messieurs-dames les ingénieux ingénieurs ! Puisque nous voilà sur ce chapitre ondol, finissons-en. La version traditionnelle n’est visible que dans les monuments (cf. photos, dans le biwon du palais de Changdeokgung), et vous aurez peut-être l’occasion de loger dans un hôtel situé dans une hanok pourvue d’une forme modernisée de ce type de chauffage ; quant aux hôtels en immeubles, je suppose qu’il s’agit d’un simple chauffage au plancher comme on en trouve partout dans le monde.
Les restaurants ne sont pas chers. Par exemple un excellent et copieux bibimbap au poulpe (photos) ou à ce que vous voulez vous rassasiera pour 10000 ₩ (8 €), ou un excellent barbecue de poissons (photos) avec une bière de 50 cl vous coûtera 18000 ₩. Je ne dirai rien de plus sur la cuisine coréenne, alors mentionnons pour terminer le fameux kimchi, constitué pour la version de base, de 4 ingrédients, saumure de poisson, chou, piment et ail, et dont la préparation à l’automne est une tradition incontournable en dépit du changement de civilisation : « Il se prépare avec des choux, des navets, découpés finement, salés et mis dans de grands vases en compagnie de piment, d’oignons, d’ail, de gingembre et même de poires. On laisse mariner cette mixture tout l’hiver ; mais on a soin d’ajouter dans le courant de la saison de la saumure de deux sortes de poissons » (Émile Bourdaret (1874-1947), En Corée (1904), Omnibus, op. cit., p. 464). Le won (que je n’avais pratiqué jusque-là qu’au Scrabble !) varie pas mal, entre 1250 et 1300 ₩ pour 1 € pendant mon séjour, mais les prix sont incroyablement stables : la quasi-totalité des prix indiqués dans le Lonely Planet édition 2016 (donc infos remontant à 2014-2015) étaient inchangés en 2017 ! Au passage, cette édition est truffée d’erreurs de toutes sortes, ce qui n’empêche pas qu’elle soit très utile, mais la prochaine édition sera meilleure !) Les fruits et légumes sont un des rares produits dont les prix sont supérieurs aux prix européens. Une pastèque, 16 €. Une banane se vend dans des étuis à bananes dans les distributeurs du métro, et coûte 1500 ₩ pièce ainsi conditionnée (j’ai oublié de prendre la photo !). Les énormes pêches au goût de betterave (photos) coûtent 5000 ₩ le petit plateau, et sur une photo du marché Yangdong de Gwangju, vous pouvez constater que 3 énormes carottes de terre coûtent 2000 ₩, le même prix que 4 carottes industrielles. Dans un article de Roads & Kingdoms publié dans Courrier international n°1395 du 27 juillet au 16 août 2017 (p. 36), on apprend qu’au Japon, un « melon cantaloup » se vend 125 dollars, et qu’aux enchères il a valu jusqu’à 14 000 dollars ! (cf. article Yubari King sur Wikipédia).
Les transports publics sont bon marché, et il existe une carte de paiement universelle valable dans les transports de tout le territoire (renseignements exhaustifs en français s’il vous plaît sur l’excellent site de l’office de tourisme visit Korea). Les taxis sont incroyablement bon marché. Si vous voyagez à 4, un taxi vous reviendra moins cher que le bus ! La plupart des musées publics sont gratuits (et climatisés !), et les grands temples ou palais coûtent des cacahuètes. Curieusement, ce sont souvent les sites naturels et autres temples qui sont payants (pas la ruine, 1000 à 5000 ₩), ce qui a de quoi étonner un Français ! Ce qui est rare est cher, et la nature est rare en Corée ! Les spas sont bon marché (de 6000 à 18 000 ₩ maximum pour les spas de luxe le week-end), etc. Les timbres sont beaux (photos) et peu onéreux : 430 ₩ pour une carte postale, un des tarifs les plus bas de la planète : c’est tante Ursule qui sera contente de recevoir des nouvelles de son neveu préféré ! Ne soyez pas pressé cependant : trois semaines de délai (et même davantage pour l’ami Jean-Yves qui m’a aidé à relire ces petits articles presque avant de recevoir la sienne !) Les services publics sont d’ailleurs au top en Corée. La poste propose de nombreux bureaux, avec des employés qui parlent anglais et, chose extraordinaire, des lunettes de vue en libre-service (photos), et même des enveloppes, avec une tirelire où vous glissez en toute confiance les sapèques correspondant au prix de l’enveloppe. On croit rêver ! À quand un voyage de l’ensemble du staff de La Poste dans ce pays pour constater qu’un autre monde y est possible !
Et pour les déplacements interurbains, là aussi c’est le nirvana : le réseau de bus est parfait, la ponctualité démentielle. Pour mon circuit Séoul - Songni-San - Daejon - Gongju - Buyeo - Gwangju - Mokpo - Jeju - Busan - Gyeongju - Daegu - Haeinsa - Andong - Sokcho - Séoul, ce qui vous permet de suivre mes photos, aucun bus n’est parti avec une seule seconde de retard, et les tarifs sont vraiment corrects. Inutile de réserver, la desserte est au-delà de la demande, et vous pouvez en général vous étaler dans des bus super-confortables, avec de la place pour les genoux (photos) je ne vous dis que ça. Souvent, il n’y a que trois fauteuils par rangée. Le « manspreading » est quasi-impossible en Corée car ce peuple de gens plus petits que nous a tout simplement conceptualisé le rapport confort / rentabilité impossible même à envisager en Europe ! Quant aux bus urbains, ils sont nombreux et pratiques. Ayant raté le dernier métro, j’ai même pu prendre un bus de nuit qui allait tout droit, et c’est à cette occasion que j’ai dû m’efforcer de déchiffrer le coréen de façon empirique pour repérer le nom de la rue que je guignais.

Feuille de lotus, temple de Jogye-sa, Séoul.
© Lionel Labosse

J’ai oublié de parler du transport aérien. J’ai été surpris de constater qu’il y a trois vols directs par jour entre Paris et Séoul, deux par Air France / Korean Air, un par Asiana, sans compter les nombreuses possibilités de vols avec escale (Londres, Moscou, etc.). Et ces vols ne sont pas si chers que cela ; vous pouvez guetter les promotions et vous taper une semaine à Séoul pour pas cher, la mégapole étant devenue une de ces capitales où l’on peut passer une semaine ou un week-end pour s’éclater façon cosmopolite, sans rien connaître de la culture locale. Le vol dure 10 h à l’aller, 11 h en sens est-ouest. Air France vous fournit moins de place pour les genoux (photos) que Korean (pas de photo), preuve que la commission européenne a encore du boulot pour être vraiment au service du peuple européen. Le service sur la Korean, par contre, m’a semblé un cran au-dessous d’Air France (les repas vous sont servis à la kalachnikov, alors que sur un vol de 11 h en pleine journée, il conviendrait au contraire de faire durer les repas !) Sur ces vols, j’ai été stupéfait de constater que les Coréens constituaient 90 % de la clientèle. Pendant la première partie de mon tour, sur l’est de la Corée, à part Séoul, entre Songni-San et Mokpo inclus, je n’ai croisé aucun occidental, ce qui donne une drôle d’impression.
Les Coréens sont 300 000 par an à visiter la France, alors que les touristes français en Corée seraient aux alentours de 90 000, mais avec tendance à l’augmentation. Il faut dire que les pauvres Coréens bénéficient d’un comité d’accueil parfait en France, où ils se font couramment dévaliser par des bandes de titis parisiens portant béret et baguette de pain. Rien de tel en Corée, où vous voyagerez en parfaite sécurité, que vous soyez homme ou femme seul. Et dès l’aéroport, on y est bien traité : quasiment pas d’attente pour les formalités, et ligne de politesse invitant à ne pas pousser les chariots dans les chevilles des autres passagers devant le carrousel à bagages ! (photos). Jusqu’à présent je croyais que tous les Asiatiques non-chinois en France étaient des Japonais, mais non : un tiers de ceux que je prenais pour des Japonais étaient coréens ! Les pauvres gens doivent se résigner à se faire saluer de « konnichiwa » et de « harigato » au lieu de « anyanghaseyo » et de « kamsahamnida ».
Le livre de Juliette Morillot paru en 1998 connaît ici son premier désaveu, mais tellement révélateur, d’autant que je l’avais lu dans l’avion du départ : « arrivé à Séoul, le miracle tant attendu ne se produit toujours pas. Dès l’aéroport, la foule bouscule, s’irrite, éructe, ne respecte pas les files d’attente. […] Comment se repérer dans cette capitale tentaculaire dont les habitants semblent mus par une machine interne infernale qui les fait courir dans tous les sens sans jamais se soucier du voisin ? […] ont-ils seulement le temps ou l’envie de s’arrêter ? De répondre aux questions embarrassées de ces « visages pâles à longs nez et yeux ronds ? » Vingt ans après, j’ai eu une impression diamétralement opposée, peut-être parce qu’il semble y avoir dans ce pays – fait si rare en ce monde – une hiérarchie non soumise au Principe de Peter, qui se préoccupe du confort des gens ; et lorsque les gens ont moins à se préoccuper de leur confort, la nature humaine est ainsi faite qu’ils sont plus réceptifs à autrui. J’avais fait la remarque inverse à Moscou lors de mon voyage en 2006, et j’espère pouvoir constater la même évolution positive lors d’un prochain voyage, pourvu que le niveau de vie s’améliore. Il est vrai que certains peuples sont comme naturellement accueillants et disponibles même en l’absence de niveau de vie au top, comme les Iraniens par exemple.

Métro
J’ai eu l’occasion de fréquenter les réseaux de métro existant dans les cinq grandes villes de Corée du Sud, Séoul, Busan, Daegu, Daejon, Gwangju, sans compter Suwon, 7e ville du pays, incluse dans le réseau du métro de Séoul bien qu’elle soit située à 30 km. Le premier métro de Séoul date des années 1970, et bénéficie d’une infrastructure moderne bien supérieure à la plupart des métros européens. Les Coréens ont vu grand dès le début, et les rames séoulites sont plus larges et plus hautes que le métro parisien (bien que le Coréen moyen soit plus petit que l’Européen moyen, voir infra), avec des banquettes parallèles le long des parois (modèle anglo-saxon) dégageant le plus de place possible pour les voyageurs debout, ce qui est nécessaire pour cette métropole qui compte désormais la moitié des habitants de la péninsule. Certaines gares de métro sont immenses, et regroupent plusieurs lignes avec des correspondances de quai à quai, comme la gare de Suwon ou la gare de Yongsan. Il faut être attentif : j’ai eu la surprise, à Yongsan justement, de voir un train de grande ligne stationner sur le quai où devait passer le métro et déverser son flux de voyageurs avec armes et bagages, sans que rien ne l’annonce. Un distrait serait monté !

Un métro moderne et spacieux.
Jeu concours : dénoncez le dissident politique, espion nord-coréen caché parmi ce groupe de voyageurs.
© Lionel Labosse

Les quais du métro proposent des services inconnus en France, à commencer bien sûr par des toilettes ! Distributeurs de boissons chaudes et froides pas chères et de friandises, alors qu’en France les friandises sont dans le même distributeur que les boissons, ce qui m’a fait, en pleine canicule, acheter des boissons tiédasses et chères. De plus, vous avez des boissons en conditionnement de 20 cl à 50 cl à prix bas, ce qui vous permet d’étancher juste votre soif et non l’appât du gain des distributeurs et l’appât de graisse de votre corps. Et une variété de goûts infiniment supérieure à ce qui est proposé en Europe. Je vous conseille par exemple les boissons aux raisins, poires, mangues, ananas, avec de vrais morceaux de fruits à l’intérieur ! Cafés & thés sont proposés en général par les mêmes machines en version « iced » (avec de vrais glaçons !) et « hot », pour une somme dérisoire (300 à 500 ₩). Bref, on a l’impression d’être dans un pays où on ne vous prend pas pour des vaches à lait. Et j’ai aussi noté sur les quais des métros (photos) : des présentoirs de revues et de livres pour enfants, prêtées pour patienter entre deux trains, et personne ne les vole ! Des casiers pour mettre les bagages, très pratique pour sortir après le boulot sans rentrer à la maison, ou pour ne pas se ruiner aux vestiaires des discothèques.
La Corée a la chance de ne pas être encore la cible du terrorisme islamiste, et on peut circuler sans se faire palper une seule fois dans la journée. Pourtant le pays se prépare à toute éventualité et sait très bien qu’il n’est à l’abri de rien. Le souvenir de l’attentat au gaz sarin dans le métro de Tokyo (1995), ainsi que la menace nord-coréenne grandissante, ont poussé le gouvernement à concevoir les stations de métro comme des abris munis de masques à gaz (photos). Toutes les rames sont sécurisées par des portes palières sur le quai, ce qui n’existe pour l’instant que sur deux ou trois lignes à Paris. Et le Coréen muni d’un, et souvent de deux smartphones (un pour jouer, l’autre pour communiquer je pense), a développé une capacité spéciale pour tenir debout dans le train en marche, les deux mains occupées au clavier. J’ai bien vérifié mon impression en rentrant à Paris, eh bien effectivement, même dans la ligne 14 qui ne date que de la fin des années 1990, non seulement la largeur et la hauteur sont riquiqui, identiques à celles des lignes anciennes, mais aussi, il est impossible de se tenir debout sans agripper une barre, tant on est ballotté comme un banc de sardines dans la mer (aux heures de pointe, les sardines sont en boîtes et le problème de tenir debout se pose moins). On pourrait penser que les Coréens ont bénéficié de la particularité de leur urbanisme, et ont creusé sans problème de larges tranchées dans les vastes avenues rectilignes, tandis qu’à Paris la structure du sous-sol limiterait la largeur des galeries, et l’étroitesse des rues obligerait à un chemin tortu, mais le métro séoulite est profond, comme la ligne 14 parisienne, et a dû être fait au tunnelier, alors pourquoi n’a-t-on pas vu plus large à Paris en cette fin du 2e millénaire ? C’est quand même connu depuis longtemps que les humains sont de plus en plus grands ! La RATP a des raisons que la raison ne connaît pas ! Un fait étonnant est que des places sont réservées à certains usagers, de façon pas très pratique je dois dire. D’une part, en bout de rame, vous avez des emplacements pour les vélos, ce qui est justifié par l’ampleur du réseau qui court sur des dizaines de kilomètres, équivalent plutôt de notre RER. D’autre part, les personnes âgées ont souvent des places réservées, deux suites de 3 places en vis-à-vis aux deux extrémités de chaque wagon. Ces places sont souvent vides, et les gens non concernés semblent ne pas oser s’y asseoir et restent debout. Cela est assez symbolique d’un statut compliqué des personnes âgées, que le confucianisme congénital impose de respecter, mais qu’on a tendance à mettre de côté. Avec ces places réservées, que fais-je de mes parents si je veux voyager avec eux ? Je reste debout pendant qu’ils s’assoient, ou bien on s’assoit ensemble aux places normales, quitte à priver les gens de ces places alors que les places réservées au 3e âge restent vacantes ? Il en va de même pour les femmes enceintes, alors qu’on n’en voit quasiment jamais : d’horribles sièges rose bonbon leur sont réservés (photo) en bout de rang, ce qui doit satisfaire l’égo des responsables com des compagnies privées de métro (« voyez ce qu’on est cool, on pense aux femmes enceintes ! ») plutôt que satisfaire les femmes enceintes qui osent sortir de chez elles dans cette société qui reste patriarcale, car celles-ci ont peut-être envie de s’asseoir où bon leur semble avec leur fiancé ou avec leurs copines sans être pointées par cette énorme flèche !
Comme je venais de publier avant ce voyage un article sur le « manspreading », mon attention a été focalisée sur le savoir-vivre dans les transports. J’ai photographié quelques pictogrammes courants du métro, qui ne servent à rien mais sont révélateurs. Il y en a contre les téléphoneurs pathologiquement bruyants, et il est vrai que le Coréen parle fort et estime sa conversation passionnante pour les humains qui vivent dans un rayon de 15 mètres, mais en fait les conversations ont plus souvent lieu par textos ; il y en a contre les vendeurs à la sauvette, ce qui ne les empêche pas, surtout dans les interminables trajets banlieusards. J’en ai aussi dégoté un fort particulier, interdisant aux hommes de mettre la main au cul ou de photographier sous les jupes des femmes !

Pictogramme contre-productif
© Lionel Labosse

Exemple parfait du gadget contre-productif qui va plutôt donner cette idée farfelue à des tas de mecs qui n’y auraient jamais songé ! (La Rochefoucauld, maxime 136 : « Il y a des gens qui n’auraient jamais été amoureux s’ils n’avaient jamais entendu parler de l’amour »). J’ai déjà fait la remarque dans mon article sur les « Violences faites aux femmes » : représenter ces violences dans l’espace public sous prétexte de lutter contre, c’est paradoxalement les reconnaître comme courantes, habituelles, donc créer une incitation tacite. Il est plus efficace de ne rien dire, mais de verbaliser les coupables pris sur le fait, et de le faire savoir. Quant au « manspreading », il est peu envisageable avec des gens en moyenne plus petits que nous, et avec ces banquettes longitudinales où l’on est bien obligé de se carrer entre deux personnes en cas d’affluence. J’ai noté que les jeunes s’assoient sans ambages quand les places sont comptées, et du moment que ces fameuses places pour le 3e âge existent en bout de wagon, se fichent pas mal de laisser la priorité aux gens d’âge intermédiaire moins lestes qu’eux.

Services et sévices publics
L’un des rares défauts de service que j’aie constaté dans les villes est lié à la largeur des rues, de véritables autoroutes urbaines. Les deux fois trois voies sont le modèle de base ; on trouve rarement moins large, et très souvent deux fois quatre, voire deux fois cinq ou pire. Charles Joubert, sous le pseudonyme Jean de la Jaline, publie en 1906 un récit de voyage, Sous la griffe du dragon. Il remarquait déjà : « Deux grand boulevards de France seraient à l’aise dans l’avenue du Palais-des-Mûriers. Pas un arbre d’ailleurs ; et, pour bordure, des constructions basses qui sont, paraît-il, des ministères et que gardent des soldats dépenaillés. » (Omnibus, op. cit., p. 347). Et ces autoroutes doivent se traverser d’une coulée à pas vif pour respecter le compte à rebours inexorable des feux. La notion de refuge pour piétons mise en place dans les dernières décennies partout en Europe est inconnue en Corée, et le pékin doit s’armer de patience pour traverser un carrefour, car non seulement les rues sont immenses, mais le système de circulation prévoit une succession de feux pour les véhicules qui vont tout droit, puis ceux qui vont à gauche, puis à droite, pour les conducteurs qui se grattent le nez, etc. Il est fortement déconseillé de traverser les rues à la française, et j’ai failli provoquer une crise cardiaque collective en agissant de la sorte : les braves Coréens qui ont assisté à ce happening ont cru que j’étais candidat au suicide ! Un jour j’ai chronométré à 2 minutes 15 secondes la durée du cycle entre deux signaux verts pour les piétons !
Si vous avez la chance de vous trouver à un carrefour desservi par le métro ou autres passages souterrains, vous vous heurtez à un 2e inconvénient de la Corée, la rareté des escaliers mécaniques, alors que le métro est en général très profond. Si c’est en été, pour éviter l’attente en plein soleil, vous devez donc vous épuiser à descendre puis remonter 4 volées d’escaliers au moins (photos). Même pour accéder aux gares routières ou ferroviaires, on trouve rarement des escalators, et si l’on trouve un ascenseur, bien souvent il ne vous mène qu’à l’endroit où l’on achète les billets, et le reste se fait en escalier. C’est un des rares défauts de ce pays dans les services aux personnes, et je ne comprends pas la raison de cette lacune. À côté de ça, on trouve à chaque coin de rue des idées originales pour nous faciliter la vie, comme le fait de customiser les branches d’arbres basses sur les sentiers, pour éviter qu’on se cogne dedans (photos) ! Faut-il inscrire dans la catégorie défauts les interdictions de fumer qu’on trouve assez fréquemment dans les rues, avec des espaces fumeurs, de sorte que les fumeurs étrangers ne savent jamais trop s’il est autorisé ou non de fumer. Moi qui suis non-fumeur mais partisan de la liberté des autres autant que de la mienne, je ne comprends pas trop ce harcèlement anti-fumeurs, surtout dans un pays où les automobilistes et leurs pots d’échappements sont à ce point prioritaires.
Puisqu’on en est à ce chapitre, venons-en à l’autre (et dernier) défaut que j’ai constaté : la pénurie organisée de poubelles. Vous devez vous coltiner vos détritus à la main pendant des kilomètres, et ne pouvez vous en débarrasser la plupart du temps que dans les stations de métro, épiceries, toilettes, etc. D’où un certain incivisme dans l’irrespect des catégories de tri des déchets. Même les Coréens ne respectent pas les étiquettes. J’ai vu un reportage à la télévision montrant les femmes chargées des poubelles (des Asiatiques semble-t-il, peut-être Coréennes du Sud ou du Nord, car ce pays riche et sans chômage ne semble pas attirer les immigrés d’Afrique ou du Moyen-Orient, qui préfèrent s’empiler en Europe où il n’y a plus d’emploi…), qui les vident sur les quais de métro, et effectuent le tri (il vaudrait donc mieux ne proposer qu’une seule poubelle !) D’après ce que j’ai compris de ce reportage, le problème n°1 vient d’une spécialité locale, les boissons glacées avec de vrais glaçons, qui s’achètent soit au distributeur, soit dans des échoppes, soit en épiceries (on achète un verre avec des glaçons conservé dans un congélateur, et un sachet contenant la boisson, qu’on verse dedans). Quand la soif est étanchée, il reste un verre en plastique, son couvercle, une paille, et une quantité importante de glaçons, et tout cela finit en général tel quel à la poubelle. Dans ce reportage, on voyait ces dames vider les résidus de glaçons et d’eau dans un grand réservoir qui atteignait vite trois litres ! Sans parler du reste, bien sûr. Et sur les trottoirs s’empilent des sacs poubelles en plastique, mais pas de containers ; cela semble un important retard de ce pays (ou une avance du nôtre ?)
Dans un chapitre connexe, les Coréens ont réglé un petit problème pratique lié à leur climat : que faire des parapluies lorsqu’il pleut à verse et qu’on veut rentrer dans un magasin ou un musée sans que le sol se transforme en gadoue par le ruissellement des pépins ? Eh bien, quand il n’y a pas de pot à parapluies, soit vous utilisez le distributeur de sachets en plastique à parapluies qui se trouve à l’entrée (moyennant quoi le trottoir se trouve jonché de ces sacs à cause de l’incivisme susdit), soit vous utilisez un râtelier à parapluies avec des clés (photos). Pour revenir au problème plus important de l’immigration, il faut dire que l’accueil des réfugiés du Nord coûte cher à la Corée du Sud, puisque tous ces transfuges bénéficient d’avantages, à commencer par une formation complète, débriefing, interrogatoire, aide médicale, cours d’anglais et d’informatique, plus confortable pécule d’intégration pour démarrer une nouvelle vie (Morillot-Malovic, op. cit., p. 233).

 Le Réseau des études sur la Corée de l’université Paris-Diderot est une ressource savante incontournable, que l’on peut investir par le trou de souris de son blog.
 La MGT, médiathèque du grand Troyes, a réalisé un dossier illustré complet sur la Corée ancienne.

 La photo de vignette de l’article représente deux timbres coréens.

 Lire le chapitre 1, le chapitre 3, le chapitre 4, le chapitre 5, le chapitre 6, le chapitre 7, le chapitre 8, le chapitre 9.

Lionel Labosse


Voir en ligne : Photos de Corée du Sud sur Dropbox


© altersexualite. com, 2017. Photos © Lionel Labosse. Reproduction interdite.