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Dossier « Altersexualité, au delà des LGBT, de nouvelles pistes possibles »
L’homoparentalité, une alterparentalité ?
Pref Mag N° 19 - mars/avril 2007
vendredi 11 avril 2008
Cet article d’Éric Verdier faisait partie du dossier sur l’altersexualité paru dans PREF mag n°19, en mars-avril 2007.
Dans le paysage des familles contemporaines, l’ « homoparentalité » est le nouveau terme à la mode politico-médiatique. Ce terme recouvre, selon les uns, une forme subversive de parentalité. Si cette forme est acceptée, c’est que notre société est donc progressiste, en avance sur les autres – il faut se dépêcher, car nous risquons de n’avoir plus grand monde pour être derrière nous en Europe…
Pour d’autres, elle représente toutes les atteintes faites à LA Famille, en tant qu’institution gardienne des fondements de nos valeurs républicaines… Mais qu’a-t-elle de si subversif pour déclencher autant de haines et de passions ? Le terme d’homoparentalité est censé désigner une famille dans laquelle un des parents au moins vit et assume son homosexualité. Cela inclut donc :
1. Les situations où l’un des parents a un conjoint de même sexe après une séparation conjugale, beaucoup plus proche donc des familles dites recomposées que des autres types de familles dites homoparentales.
2. Le cas d’une personne qui a adopté seule, alors qu’elle est homosexuelle et en couple, comme une personne hétérosexuelle dans la même situation.
3. Un couple de lesbiennes qui a eu recours à l’IAD, avec donneur inconnu dans la plupart des cas, ce qui pose les mêmes questions sur l’accès aux origines notamment qu’un couple homme/femme ayant eu recours à ce type de PMA.
4. Un couple d’hommes qui, clandestinement concernant la France, s’est tourné vers la maternité pour autrui, à l’instar du nombre beaucoup plus important de couples hétéros qui y ont recours sur le plan international.
5. Et enfin le cas d’un enfant conçu entre un homme et une femme, homosexuels tous deux la plupart du temps, et parfois en couple également, les conjoints des parents étant donc dans une place sensiblement différente de celle de la famille dite recomposée puisque préexistante à la conception même de l’enfant.
Contrairement aux quatre formes précédentes, la cinquième aurait tendance à créer une nouvelle norme, les autres renvoyant toutes, dans nos représentations en tout cas, à des formes d’« hétéroparentalité » en écho. On observe d’ailleurs une tendance assez nette sur les sites spécialisés de « rencontres du troisième type » comme les baptise le magazine Têtu – du genre « gay cherche lesbienne pour faire un bébé ». Quelques femmes hétéros, et dans une moindre mesure quelques hommes hétéros, se positionnent sur le « marché » de l’homoparentalité, souvent car ils ont fait le deuil d’un projet associant conjugalité à parentalité. Mais c’est aussi cette nouvelle forme qui semble poser, pour l’instant, le plus de problèmes et où les situations d’aliénation maternelle sont les plus fréquentes. Si on y réfléchit un brin, on comprend facilement pourquoi : la mère est encore plus enclin dans ce cas de figure à s’approprier l’enfant pour l’élever avec sa compagne, que de laisser une place au père. Mais comment expliquer alors que ces situations inquiétantes quant au devenir de l’enfant soient masquées par les associations françaises, les médias et les politiques, au profit d’un seul modèle, omniprésent dans les têtes et très largement relayé dans les médias – le couple lesbien ayant eu recours à l’IAD, le plus souvent en Belgique ?
Revenons au terme : si le vocable d’homoparentalité fédère aussi peu la diversité des compositions familiales que le terme d’hétéroparentalité ne le ferait, il nie au passage l’hétérosexualité – sans parler des bis ! – de l’un des parents, ce qui est très fréquent dans le premier contexte et de plus en plus courant dans le cinquième – sans parler bien entendu de l’orientation sexuelle du donneur ou de la mère porteuse… Une femme, hétéro et en projet avec un couple d’hommes, me disait récemment que sa situation était suffisamment marginale pour être doublement niée par l’utilisation du mot homoparentalité. Elle ajoutait que de surcroît, si on est attentif aux réalités montrées et évoquées par les médias et les politiques, c’est quasi exclusivement de lesboparentalité dont on parle… Le couple d’hommes en question et elle-même ne se sentant pas vraiment lesbiens, elle ne voyait pas pourquoi elle devrait se soumettre à cette appellation enfermante.
Mais il y a pire encore : l’usage du mot homoparentalité fait le jeu des homophobes les plus invertébrés. Quoi de mieux, pour exclure une partie de la population, que de disposer d’un terme prêt-à-porter, et qui isole autant les parents et les enfants désignés ainsi des familles dites « normales ». Certes, il y a quelques années, lorsque l’invisibilité de ces familles était de mise, nommer permettait aussi de dire « oui ça existe ». Mais s’il est clair que nous sommes loin d’avoir tordu le cou à l’homophobie, nous viendrait-il à l’idée de parler de négroparentalité pour combattre les discriminations dont sont victimes les parents noirs et leurs enfants, surtout si ces derniers sont blancs ? C’est ainsi que j’ai pu confronter les députés Christine Boutin et Robert Nehm sur le fait que leur manifeste contre l’homoparentalité, qui a recueilli des centaines de signatures d’élus de la République – très majoritairement UMP – n’a aucun sens puisque cette catégorie n’existe pas. Mais d’un autre côté, ce prêt-à-porter très commode pour les homophobes devient haute-couture pour une partie significative des parents désignés, très majoritairement des lesbiennes, qui échangent dans des lieux privés sur la possibilité imminente de se passer totalement de l’homme en ayant recours à la conception d’un embryon à partir de deux ovules. Ce sont les mêmes personnes qui s’offusquent lorsqu’on ose parler de père biologique, à l’instar de cette jeune américaine conçue par IAD dans les années 80, et qui nomme son père biologique « mon sperme ». Ces mêmes « homomères » sont convaincues qu’elles sont « supérieures » aux parents hétérosexuels qui s’étripent dans les tribunaux, car ils n’ont pas vraiment « réfléchi comme elles à leur projet parental », et qu’elles ne sont pas concernées par les rapports de domination sexistes au sein de ces couples hommes-femmes… A leurs côtés, un grand nombre de celles qui ont choisi de donner un père à leur enfant, n’hésitent pas à répondre au dit père qui ose réclamer une résidence alternée, qu’il devrait être content d’avoir au moins ces fameux deux WE par mois, car elles auraient pu aussi se passer complètement de lui…
Pourtant d’autres lesbiennes ont un discours différent : sans juger pour autant celles qui font le choix d’une IAD, elles affirment haut et fort qu’une mère qui ne vit pas avec le père de son enfant, a décidé en conscience néanmoins que celui-ci joue son rôle, et qu’il est impératif de lui donner une place pleine et entière, sur le mode de l’équité, dès la conception même de l’enfant. Dans le meilleur des cas elles ne sont pas écoutées, dans le pire marginalisées comme des traîtres à la cause homoparentale, et finissent souvent par déserter l’association qui les a accompagnées jusque là… Et malgré la nette tendance au désinvestissement chez les pères gays, nombre d’entre eux se révoltent contre la soi-disant « domination masculine » émanant des pères qui clament l’équité, dans un déni fréquent de leur propre marginalisation en tant que père. Sont-ils dominés par leur domination ?
Alors si les associations qui surfent sur la vague porteuse de l’homoparentalité sont des formidables machines à fabriquer de l’exclusion paternelle, très attrayante de surcroît pour une partie de la classe politique et des sommités scientifiques, comment resituer le débat dans une perspective globale concernant l’ensemble des familles vivant en France ? Il me semble que la véritable alterparentalité est coparentale. Le terme de coparentalité est maintenant assez ancien, et il ne s’applique pas uniquement aux parents homos, mais à tout couple parental. L’ironie du sort est que ce terme a été repris pour désigner les contextes liant un père gay et une mère lesbienne, situation donc où le partage de la parentalité est le plus mis à mal ! Mais on voit aussi émerger de manière inquiétante l’éviction de la mère non biologique dans des contextes d’IAD, suite à une séparation conjugale, en opposition avec les revendications communautaristes qui situent le couple homosexuel au centre du projet parental… Alors quelles sont les valeurs humaines qui doivent être affirmées avec conviction et fermeté face à l’urgence et la gravité de la situation ?
Pour y répondre globalement, revenons à l’enfant, car trois blessures identitaires infléchissent son destin de manière péjorative : beaucoup d’entre eux ne savent pas de qui ils sont issus, ou ont perdu totalement contact avec l’un de leurs parents biologiques (majoritairement du côté des pères) ; des tas d’autres sont confrontés à la violence et la domination d’un de leurs parents sur l’autre, prenant souvent la forme de la dévalorisation et de la disqualification de celui ou de celle qui est aussi essentiel-le à son évolution qu’il-elle est vu-e comme défaillant-e ; un grand nombre d’enfants enfin voient disparaître du jour au lendemain celui ou celle qui s’est comporté comme un parent à son égard sans en avoir eu la reconnaissance, brisant de manière irréversible des liens affectifs tout aussi essentiels que les précédents à sa construction identitaire de futur homme ou femme. Au fond, c’est la confiance qui est menacée : confiance en lui et en sa capacité à devenir parent à son tour, confiance en l’autre et en la société qui ne l’a pas respecté tout en prétendant défendre son intérêt, confiance en la justice qui ne l’a pas protégé en diabolisant celui ou celle qui peut tant lui transmettre…
Les associations qui défendent l’équité en matière de parentalité regroupent des hommes et des femmes, quels que soient leur genre et leur sexualité, et assoient le principe « alterparental » – la coparentalité — sur trois valeurs fondamentales autour de l’enfant, celles précisément qui ne sont actuellement pas protégées par la loi : équité, clarté et respect. Il s’agit en effet de protéger les relations que l’enfant a avec ceux et celles qui l’élèvent, de lui permettre de savoir clairement de qui il est issu et à quelle place est chacun-e, mais aussi de respecter ses besoins propres en fonction de son âge. Il y a donc trois registres dans la parentalité : les deux géniteurs – les parents biologiques - le ou les deux parents – qui peuvent être parents biologiques ou parents de substitution occupant une place « vacante », reconnus ou pas par la loi – et des coparents – des parents additifs qui s’ajoutent donc aux deux parents, le plus souvent leur-s conjoint-s, habituellement appelés « beaux-parents ». Nos lois actuelles, qu’il s’agisse d’« homoparents » ou d’« hétéroparents », ne permettent pas la clarté quant aux géniteurs, n’assurent pas l’équité entre les deux parents, et ne respectent pas la place et le rôle joué par les coparents. Le système n’en sera que plus bancal si les améliorations donnent l’illusion de satisfaire des revendications communautaristes, sans aborder le problème de fond qui est lié à nos conceptions de la maternité et de la paternité, tout en se focalisant par exemple sur une opposition fictive hétéro/homo. Pour l’instant, seule la subjectivité d’un magistrat peut parfois rétablir l’équilibre autour de l’enfant lorsque les adultes en sont incapables, mais en aucun cas la loi. Or ce que redoutent principalement les enfants dont un des parents est vulnérable à un moment de sa vie, c’est qu’une discrimination s’ajoute au manque d’équité, de clarté et de respect déjà en application. La conséquence directe est qu’un parent manipulateur peut utiliser à son profit le flou juridique en vigueur. Les avancées de la réforme de la loi en mars 2002 – sous l’impulsion de Ségolène Royal - ont dans un premier temps indiqué la direction à suivre.
On pourrait donc dire qu’il est prioritaire de permettre à tous les enfants d’avoir accès à leurs origines – lorsque c’est possible et avec le consentement du parent biologique concerné via le CNAOP – et d’abolir l’inégalité qui frappent les hommes dans l’impossibilité d’exercer une action de recherche en paternité sans l’accord de la mère ; il est urgent d’empêcher l’éviction lente d’un parent en rendant obligatoire la mise en place de la résidence alternée surtout en cas de conflit – mais si les parents vivent à proximité - sauf pour des motifs avérés graves, et à défaut de valoriser celui des deux parents qui y est favorable en lui confiant la résidence principale ; il est fondamental pour l’équilibre de l’enfant de reconnaître les coparents en leur accordant des droits et des devoirs, pouvant aller jusqu’à l’adoption plénière s’il est conjoint du seul parent légal.
Et alors nous cesserons d’être fascinés par le miroir de l’homoparentalité. C’est ce même miroir qui nous empêche de penser que l’enjeu véritable est celui de considérer un homme aussi sensible et compétent que le serait paraît-il une mère, en écho à celui qui nous empêche toujours de penser qu’une femme peut être aussi performante et épanouie que le serait paraît-il un homme dans la place qu’elle prend dans la société, jusqu’aux plus hautes instances. Alors pas étonnant que les pères homosexuels soient discriminés deux fois, tout comme les lesbiennes compagnes des mères biologiques (tous deux sont non-hommes et non-mères !)… Pas étonnant non plus que la virilité, sacralisant les valeurs dominantes de la masculinité en tant que loi du plus fort, et la matrilité, sacralisant à l’inverse celle de la maternité et qu’on pourrait définir comme le lien du moins faible, continuent d’envahir nos représentations à l’image des spams sur nos ordinateurs, et nourrissent les plus retords des amalgames misandres – et non féministes comme le prétendent certaines… En d’autres termes la matrivirilté sanctionne sans appel deux catégories d’« alterparents » : les femmes libres et les mères non fusionnelles comme le serait un homme d’un côté, les hommes sensibles et les pères investis comme le serait une mère.
© Éric Verdier / PREF Mag, 2007