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La « première fois » à travers les âges et les continents, pour les 3e et lycéens

La Première fois, anthologie de nouvelles anglaises contemporaines

Gallimard Scripto, 2010, 256 p., 9,5 €

lundi 10 octobre 2011

Ces 8 nouvelles inédites d’auteurs britanniques différents ont été réunies par l’un d’entre eux, Keith Gray, sur un thème simple mais original en littérature jeunesse. Le choix est varié, selon les centres d’intérêt des différents auteurs, d’un très bon niveau, et comme on dit, ça décoiffe ! N’y voyez aucun parti pris, mais ma nouvelle préférée est la seule qui aborde la « première fois » entre deux garçons. L’homosexualité est aussi évoquée dans une autre nouvelle, mais sans en être le centre. Saluons en tout cas cette réussite parfaite, et souhaitons qu’elle soit imitée, pour pouvoir comparer la vision de la sexualité dans différentes cultures, pas seulement dans le monde anglo-saxon et le monde hexagonal… Les nouvelles, publiées en 2010 en anglais, ont été traduites pour Scripto Gallimard en 2011, par Lætitia Devaux & Emmanuelle Casse-Castric.

Keith Gray dans « But » nous propose une entrée en matière assez traditionnelle dans le genre complicité masculine 100 % hétéro. Un entraîneur de football conseille à des ados à la veille d’un grand match, de ne pas avoir de sexualité, solitaire ou non. Dans l’ambiance des vestiaires, cela nous vaut des remarques d’une grande finesse comme : « le bruit court que seuls les pédophiles et les puceaux gardent leur calbute sur eux » (p. 12). On passe donc à la suivante.

Jenny Valentine dans « La majorité sexuelle », propose une nouvelle bien plus originale et moins macho. Une septuagénaire, Dora, se met à parler sans tabou de sexe pendant la fête des 16 ans de sa petite fille, ou presque (c’est la belle-mère de la mère). Les adultes sont très gênés, et on se demande où la vieille dame veut en venir en évoquant ce garçon « bien monté » (sic !) qui l’a rendue heureuse. Puis on comprend qu’elle tient à éviter que la jeune fille dont on fête l’anniversaire soit aussi ignorante qu’elle le fut à son âge. On peut ne pas être d’accord avec la conclusion de la dame, mais la leçon importante est qu’il vaut mieux que la sexualité soit un sujet de discussion libre dans les foyers. Cette nouvelle se prête particulièrement à un débat sur la sexualité.

Melvin Burgess ne nous surprend guère dans « Entrée en matière », écrit avec me même tact que ses ouvrages précédents. Passons.

Patrick Ness nous offre avec « Ça se passe autrement pour les garçons » un chef-d’œuvre de 48 pages. Un groupe d’ados se retrouve en 4e. Ils se connaissent depuis plusieurs années. L’un d’eux a la réputation d’être gay, car il en a les signes extérieurs. Ils parlent beaucoup de sexualité, et dans la nouvelle, des mots sont remplacés par une épaisse couche d’encre noire : « On peut pas se passer de certains mots parce que c’est la vraie vie, mais on ne peut pas les imprimer parce qu’on est trop jeunes pour lire ce qu’on fait » (p. 93). Le narrateur remarque incidemment que « Pédé, c’est pas caché derrière un trait noir » (p. 96). On sent les personnages en quête d’auteur. Parmi les garçons, l’ami le plus proche du narrateur a une réaction très homophobe en retrouvant le garçon censé être homo. Mais le narrateur nous apprend que depuis quelques mois, cet ami et lui ont pris l’habitude de [long trait noir] et de [autre trait noir] ensemble. Mais ce garçon le vit mal, et refuse d’embrasser le narrateur. C’est censé se faire en attendant de pouvoir le faire vraiment avec des filles. Du coup, la survenue d’un garçon censé être gay le remet en question, et cette remise en question se traduit par une homophobie virulente. L’auteur se sort de cette intrigue simple en 40 pages magistrales qui donnent l’impression de découvrir des personnages fort variés dans toute leur profondeur. Pour un groupement de textes, un roman (pas jeunesse) de Shahriar Mandanipour intitulé En censurant un roman d’amour iranien (2008) pratique presque la même originalité typographique pour évoquer la censure : de nombreuses phrases sont non pas recouvertes d’encres, mais rayées comme ceci [impossible à faire sur SPIP], ce qui permet quand même de lire le texte. Livre évoqué dans cet article.

Mary Hopper propose une nouvelle historique, « Charlotte », qui nous renvoie dans un XIXe siècle miséreux. Une jeune fille de 15 ans se retrouve orpheline, avec deux petits frères à sa charge. Elle reprend le travail de couturière de sa mère, et pense à son fiancé, qui est censé revenir vers elle. Mais il ne vient pas, et le patron de la couture possède aussi un lupanar, et lui propose de l’intégrer, car elle est peu douée pour la couture, et si mignonne. Elle refuse tant qu’elle peut, mais le syndrome Dickens ne va pas tarder à l’acculer à une « première fois » peu enviable…

Sophie McKenzie dans « C’est comme ça » nous propose en diptyque d’accéder à la vision successive d’un garçon et d’une fille sur une première fois envisagée, avec le traditionnel décalage entre le garçon pragmatique et pressé, et la fille hésitante et romantique. Cela donne des contrastes amusants, qu’on aurait pu pousser davantage : quand la fille évoque son père mort, le garçon la serre dans ses bras. Pour elle, « il était vraiment compatissant » (p. 182), alors que pour lui, c’était « une bonne excuse pour la serrer dans mes bras et sentir ses nichons » (p. 179). Du coup, la « première fois » a du plomb dans l’aile…

Pour Bali Rai dans « La serviette blanche », le décalage n’est pas dans la chronologie, mais dans la géographie. Une jeune fille d’origine indienne et sikh raconte à sa copine qui rigole avec l’idée de virginité, une histoire tragique que sa tante lui a apprise à propos d’une autre tante tragiquement décédée à cause d’une serviette blanche le soir de la consommation de son mariage arrangé. L’histoire est d’autant plus tragique que contrairement aux traditions méditerranéennes auxquelles nous sommes habitués, la jeune fille autant que son mari dans cette histoire, ne semblent pas au courant de la nécessité de saigner, et n’ont pas vu venir l’issue fatale.

Enfin Anne Fine dans « Faire l’amour ou le trouver » invente une séance d’éducation à la sexualité dans un collège, et en profite pour souligner, par les confidences de la vieille enseignante chargée de montrer comment on protège une banane des MST, l’évolution des mœurs entre sa propre jeunesse et l’époque actuelle. On apprécie Anne Fine, bien sûr, mais la conception de l’éducation à la sexualité qui ressort de cette nouvelle, si elle est conforme à ce qui se pratique au Royaume-Uni, nous désespère : c’est l’enseignant qui dispense aux élèves un discours univoque, sans la moindre médiation. Celui de cette enseignante est particulièrement daté, même si son expérience lui permet d’évoquer l’homosexualité par le biais de son premier amant, qui se trouve, depuis, avoir assumé son « orientation ». Mais bizarrement, de cette expérience, l’enseignante ne tire rien qu’elle puisse transmettre aux élèves, et tout le discours qu’elle fait passer est entièrement « hétérocentré », c’est-à-dire que sa séance d’éducation à la sexualité présente aux adolescents qu’elle croit surinformés (« Je pense qu’ils doivent être très doués au lit, même à leur âge »), un monde uniformément hétérosexuel, ce en quoi cette enseignante fictive me semble se mettre un sacré doigt dans l’œil…

 Melvin Burgess est l’auteur de Nicholas Dane, de Le Visage de Sara, Une Idée fixe, et Billy Elliot. Anne Fine est l’auteure de Quand papa était femme de ménage (Madame Doubtfire) et de La Nouvelle robe de Bill. La culture sikh est abordée dans Le Jour où je me suis déguisé en fille, de David Walliams.

 Cet ouvrage bénéficie du label « Isidor ».

Label Isidor HomoEdu

 En 2017, comme je propose ce recueil (dont j’ai fait acheter une petite série par l’établissement) en première lecture cursive pour une classe de Seconde, je reçois par l’intermédiaire du carnet de correspondance, ce mot d’un parent d’élève :
« Monsieur,
Durant les vacances de la Toussaint, j’ai vu que [ma fille] lisait un livre dont le thème ne l’a pas paru, d’abord, pertinent pour une préparation au bac et ensuite, toujours à mon avis personnel, un peu déplacé. J’ai même pensé que [ma fille] me mentait et que ce n’était pas un devoir de l’école mais elle qui avait emprunté cela à une médiathèque. Nos enfants souffrent de carence au niveau de la culture, des arts et bien sûr au niveau scolaire. Internet y est aussi pour beaucoup. Donc je ne vous suis pas sur l’intérêt de ce thème, et par conséquent j’ai demandé à [ma fille] de cesser immédiatement de le lire et de vous demander autre chose.
Je suis désolée d’être intrusive et sachez-le, je suis même gênée d’en arriver là.
Nous assumerons également la note de zéro si c’est nécessaire. J’espère que vous saurez faire preuve de compréhension.
Cordialement. »

Cette pauvre dame savait pourtant, car j’annonce mon programme en début d’année, que ce livre proposé en transition 3e-2de sera suivi de La Maison Tellier, de Maupassant, dont le thème est aussi fortement lié à la sexualité, et dont elle ne pourra pas contester la pertinence car c’est à 100 % dans le programme de Seconde ! Quant à l’éducation à la sexualité, beaucoup de parents ignorent encore qu’elle fait également partie des programmes scolaires de toutes les matières. Qu’on en soit encore là en 2017, c’est révélateur des œillères que se mettent encore beaucoup de familles. Enfin rassurez-vous, depuis 3 ou 4 ans que je donne ce livre, les retours des élèves sont en général très positifs, et la littérature jeunesse joue pleinement son rôle de faire aimer la lecture et de permettre de passer à une littérature plus classique.

Lionel Labosse


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