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Haro sur les homos, euh, sur les pédophiles, pour les lycées

Nicholas Dane, de Melvin Burgess

Gallimard, 2009, 400 p., 14 €

dimanche 10 juillet 2011

S’il avait écrit il y a cinquante ans, Melvin Burgess aurait fait de son méchant un homosexuel vaguement pédophile, et aurait appelé à son lynchage, mais comme il écrit à notre époque, il est obligé de lui choisir uniquement des victimes mineures tout en distillant avec parcimonie de claires indications pour que son jeune lecteur sache où diriger sa haine. Non, décidément, plus il vieillit, plus Melvin Burgess perd à la fois son don pour une narration novatrice et laisse libre cours à une homophobie larvée, dûment masquée en anti-pédophilie.

Résumé

Nicholas Dane, 14 ans, perd sa mère d’une overdose. Une amie de celle-ci, Jenny, tente de l’accueillir dans sa famille, mais l’assistante sociale s’y oppose, vu le peu de garanties qu’offre son foyer pour l’épanouissement d’un adolescent. Cela donne lieu une scène comique, car Jenny recrute un de ses ex pour jouer le rôle d’un homme à la maison, mais le jeune homme, terrorisé par la présence d’un adolescent, s’enivre. Pour lui, un ado, c’est « comme une femme qui aurait ses règles pendant trois ans de suite » (p. 54). Comme il n’a plus aucune famille connue qui accepte de s’occuper de lui, Dane est confié à un foyer, Meadow Hill. Nous sommes en 1984, mais ce foyer pratique encore les châtiments corporels à l’ancienne, avec une violence sans limites (torture de la baignoire, coups de « queue de billard » sur les poignets, etc.), sans autoriser aucune visite aux ados, qui sont comme en prison. Nicholas devient l’une des victimes d’un monstre violeur pédophile, le sous-directeur Tony Creal, qui amadoue ses proies en leur offrant des soirées télé et des sucreries ou cigarettes. Il parvient à s’évader une première fois, est repris, violé par Creal et ses amis dont un policier. Il s’évade une seconde fois, emportant des photos compromettantes de Creal que malheureusement il perd dans la course, et entame une autre existence, devient voleur, hébergé par un dealer, mollement recherché par la police et les services sociaux. Il retourne épisodiquement voir Jenny, laquelle a pris contact avec un oncle riche, frère de son grand-père qui avait abandonné la mère de sa mère. Cet oncle est disposé à l’aider, mais Nicholas n’est pas disposé à se laisser aider. Jones, un malfrat hyper-violent notamment avec sa compagne, l’engage pour un vol à main armée. En fêtant ce vol, Nick et lui tombent sur Tony Creal dans un pub, accompagné d’une nouvelle victime. Nick se rend compte que Jones, comme beaucoup de mauvais garçons de Manchester, a également été victime de Creal. Il envisage d’éliminer le monstre en le brûlant vif, et recrute d’autres anciennes victimes dans la pègre locale. Mais la vengeance tournera court, et Creal s’en sortira indemne. Et Dane ?

Mon avis

Ce roman qui suit une progression chronologique traditionnelle, contrairement à l’ancienne manière de l’auteur, ne laisse percevoir les pensées du méchant Creal que par le biais du style indirect libre. Cela permet une ironie qui fait mine de justifier les pires horreurs en les mettant sur la conscience non pas du narrateur, mais d’une opinion délirante qui sortirait des voies du bon sens : « Dans un futur plus éclairé, les hommes comme eux seraient compris, peut-être même félicités, pour donner du plaisir à ces enfants » (p. 212). La violence est extrême, et tous ceux qui devraient assister le malheureux Nick, défaillants et naïfs. Burgess abuse du fait qu’il est dans le rayon jeunesse pour se soucier comme d’une guigne de la vraisemblance, ce qui lui permet de situer en 1984 une prison pour enfants digne de Dickens, et encore, comme si l’existence de Summerhill entre-temps n’avait eu qu’une influence négative sur ce genre d’établissement. Le monstre est désigné la plupart du temps comme un « abuseur », un mot qui sonne étrangement à la traduction. Mais ce violeur pédophile est doué d’une psychologie orfévrée au marteau-piqueur. Nul sentiment ne vient jamais se mêler à sa perversion criminelle. Il détruit les ados, et c’est tout.
Par un faisceau convergent d’indices, l’auteur manipule ses jeunes lecteurs pour les amener à faire l’amalgame entre violeur pédophile et homosexuel. Premièrement, Tony Creal choisit ses victimes parmi des adolescents qui ont entre 12 et 14 ans, mais les autres garçons du foyer sont souvent plus âgés, ce qui entretient l’ambiguïté. Les victimes sont constamment traitées de « tapettes » ou de « pédale » par les autres (cf. p. 119) ; l’une des victimes envisage de « faire le trottoir avec les homos » (p. 142) à la sortie du foyer. Lorsqu’il revoit Creal dans le pub ; l’insulte qui vient à la bouche de Nick est « pédale » (p. 334), qui sera aussitôt relayée par le mot « abuseur », mais c’est sans doute le cri de la victime qui sera retenu par le lecteur. Deuxièmement, parmi les très nombreux pensionnaires du foyer, présents et passés, victimes ou non de Creal, pas un seul a ou aura le moindre penchant homosexuel. Ce sont tous sans exception de parfaits hétérosexuels victimes d’un méchant abuseur. Il est bien connu que les écoles britanniques comptent toutes 0 % de garçons homos. À vrai dire, un seul paragraphe expose un bémol, quand il est dit que « ses violeurs étaient des homophobes », qui excusent leur viol en arguant que « à coup sûr ça deviendra un homo » (p. 170), mais l’auteur choisit de faire de toutes les victimes des hétéros… Troisièmement, Burgess distille quelques remarques calibrées pour que le lecteur comprenne bien dans quel vivier sont les méchants. Tous les éducateurs sans exception, ainsi que les policiers sont soit des pédophiles, soit les protègent parce qu’ils ont les mêmes goûts (cf. p. 238) ; les viols pédophiles se multiplient comme des petits pains sur la route des enfants innocents, à 3 ans (p. 169), à 8 ans (p. 237) ou à 14 ans, sans que personne ne songe à les aider. Les bandits qui veulent éliminer Creal, eux qui pratiquent le vol à main armée, le trafic d’héroïne, et sont capables de massacrer une femme à coups de batte de base-ball, condamnent Creal à mort avec des arguments très moraux, et choisissent significativement le supplice jadis infligé aux homosexuels, le bûcher. Mais celui-ci sera sauvé bien des années plus tard par son grand âge lors de son procès, de façon à appuyer la thèse de l’impunité accordée par une société laxiste à ce genre d’individus. Mieux, au lieu de se faire oublier, il va militer dans « une association dédiée à la défense des éducateurs innocents et dévoués injustement accusés par d’anciens pensionnaires ayant mal tourné, qui proféraient ce genre d’allégations uniquement pour obtenir des réductions de peine » (p. 394). Assurément, Burgess doit croire dur comme faire à la culpabilité de tous les inculpés de l’Affaire d’Outreau [1]. Bref, un roman à faire lire à des adolescents si l’on tient absolument à leur faire assimiler violeur pédophile et homosexuel.

 Du même auteur, lire Le visage de Sara, Une idée fixe, et Billy Elliot, ainsi qu’une nouvelle dans l’anthologie La première fois.
 Sur le même thème mais avec plus de tact, on préférera Pourquoi j’ai tué Pierre, d’Olivier Ka & Alfred, Bloody Mary’s Baby, dans le recueil Les filles mortes se ramassent au scalpel, de Gudule, et quant aux « éducateurs innocents », Sexy, de Joyce Carol Oates. Voir aussi la critique de Irréparable, de Karin Slaughter (Grasset, 2008), sorti en même temps.

Lionel Labosse


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[1On lira avec profit l’enquête de Marie-Monique Robin L’école du soupçon, les dérives de la lutte contre la pédophilie, pour faire pièce à ce genre d’élucubration.