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« Du porno avec un peu d’émotions », pour les lycéens.

Une idée fixe, de Melvin Burgess

Gallimard jeunesse, 2003, 302 p., 11,5 €.

lundi 30 avril 2007

Les zobs et les foufounes sont de sortie dans ce roman hors catégorie de Melvin Burgess. « Du porno avec un peu d’émotions » (p. 195), voilà l’impression mi-figue mi-raisin que nous laisse cet ouvrage faussement provocateur, en réalité empreint de conformisme orthosexuel. Jalousie, hétérosexualité pathologique, homophobie larvée, possessivité retiennent le roman sur la pente de la pochade adolescente acnéique au lieu de le propulser vers une morale sexuelle novatrice digne du XXIe siècle. Un roman américain bien plus que britan-nique, si vous m’autorisez le jeu de mots !

Résumé

Jonathon, Ben et Dino, trois ados de 16, 17 ans, sont obnubilés par le sexe, dont ils plaisantent couramment sans pudeur. Dino, très bogosse, rêve de sortir avec Jackie, laquelle le méprise et sort avec un vieux d’au moins 25 ans. Sans y penser il trouve les mots qui la flattent, et parvient à se la faire grâce à sa gentillesse, enfin c’est beaucoup dire, car entre son désir et la foufoune de Jackie, se dresse une culotte qu’on dirait barbelée par la sous-philosophie sexuelle du « respect » qui sévit de nos jours (p. 55). Ben entretient une liaison secrète avec sa prof de théâtre, nymphomane et dépressive. Celle-ci, consciente du risque qu’elle prend en baisant avec son élève au sein même du lycée dans les endroits et aux moments les plus insolites, semble vouloir se faire renvoyer pour changer de vie (« je passerais pour une pédophile, en plus », p. 195). Loyal, Ben ne se vante pas de cette relation, et préfère passer pour puceau ou gay. Jonathon, lui, a du mal à assumer son goût pour Deborah, car elle est grosse, et il comprend que, au-delà des plaisanteries habituelles, « certains trouvent les grosses moralement condamnables » (p. 135). Voir aussi un bon dialogue sur ce sujet p. 145. Jonathon est aussi fanatique de masturbation, et il entretient des relations privilégiées avec son pénis, qu’il surnomme « Mr Zob Zobut ». Las, au moment de passer à l’acte décisif, il fait une fixation sur un renflement qu’il a sur la tige, ce qui nous vaut cette phrase à inscrire dans les annales : « la bosse gonfle quand je bande » (p. 205). On ne rit pas ! Dino découvre que sa mère se tape un prof du lycée, et il ne le supporte pas. Il met les pieds dans le plat et provoque un psychodrame familial. Il se fait jeter par Jackie parce qu’il a couché avec une fille de 14 ans qui en prétend 17, laquelle, apprenant qu’elle lui sert de roue de secours, se vengera cruellement de lui.

Mon avis

Autant le signaler tout de suite, certains aspects du roman sont totalement immoraux en France, et j’ignore si les lois de répression sexuelle sont identiques au Royaume-Uni. Il faudra donc dûment prévenir les lycéens auxquels on proposera ce livre qu’il ne s’agit que d’une fiction, et que le sujet est clairement et nettement la sexualité. Le livre est pourtant bien paru chez Gallimard jeunesse, même s’il n’est pas fait mention de la loi du 16 juillet 1949. Mon avis est partagé sur ce texte. Disons pour commencer que j’admire l’auteur pour Junk, son magistral roman sur la toxicomanie, ou pour sa belle adaptation de Billy Elliot. On retrouve ici sa technique particulière, consistant à alterner les points de vue à la première personne. D’un côté, on ne va pas bouder son plaisir. Il convient de saluer un roman qui ose parler de sexualité avec naturel et sans pudeur, d’une façon qui intéressera les jeunes, qui les renverra à leurs problèmes quotidiens dont ils n’osent sans doute guère parler même avec leurs amis. Saluons aussi une bonne traduction, qui s’efforce de rendre les jeux de mots, par exemple ce lapsus, p. 102, qui fait dire à Dino qu’il est « Cinq queues » pour « cinq heures » ! (Bon exercice pédagogique : reconstituez la version originale…) D’un autre côté, ce texte ressemble trop à ces films pour teen-agers que l’industrie du cinéma américaine nous propose en masse tous les étés. Il est fréquent, au détour d’un chapitre, de chercher où se cache la caméra, ou bien d’entendre les rires enregistrés. La morale y est finalement assez conventionnelle (orthosexualité, possessivité, jalousie, milieu petit-bourgeois…) On dirait que l’auteur a eu davantage peur de son sujet que lorsqu’il a abordé les drogues, et qu’il a voulu rattraper la débauche de consommation sexuelle par ce conformisme de pensée. C’est dommage, car il existe depuis 20 ans au Royaume-Uni un cinéma largement plus en pointe sur la question sexuelle.

La place laissée à l’altersexualité est en effet édifiante. Une remarque de Jonathan est significative, quand il évoque les photos qu’il charge sur Internet. À propos d’images zoophiles, il se plaint : « je suis étonné que ça soit visible par des types comme moi qui cherchent juste des filles normales pour baver devant » (p. 200). L’homosexualité y est à plusieurs reprises utilisée comme repoussoir. Dans le jeu initial, le pire des gages imaginés par les garçons consiste en ceci : « tu te fais enculer une fois par an pendant vingt minutes à la radio » (p. 11). On se traite d’« espèce de pédés », ou bien d’« homosexuel refoulé » (p. 12). Pour se défiler devant Déborah, Jonathan envisage de « lui raconter qu’en fait je suis pédé » (p. 238). Lors de la belle scène de confidences avec Ben (p. 270), Jonathan « ne savait pas s’il devait passer un bras autour de ses épaules ». Certes, cela correspond bien à l’orthosexualité pathologique de ces adolescents, mais que diable, on eût souhaité que cet auteur ouvert sur quantité de questions sociales décoinçât tant soit peu ses personnages, histoire de montrer la voie à ses jeunes lecteurs, qui sans doute dans la réalité sont moins inhibés qu’il ne semble le croire. Lors de la visite chez le médecin, Jonathon se livre à un sous-entendu homophobe : « J’espérais juste que le médecin accepte que je lui montre ma bite sans pour autant aimer ça, si vous voyez ce que je veux dire » (p. 277). Enfin, songeant à son pote Ben, Dino a cette dernière réflexion édifiante : « Des fois, je me demande s’il n’est pas gay. Et alors ? Si c’est votre pote, ça n’a pas d’importance » (p. 294). Bref, chaque réflexion prise à part est anodine, mais l’ensemble constitue un faisceau concordant de préjugés et de réticences qui ôtent une grande partie du plaisir que ce roman aurait dû nous fournir… Dans le même genre, on préférera la veine nordique présentée par les éditions Gaïa, par exemple Un ovni entre en scène, de Jonas Gardell.

 Voir aussi Le visage de Sara, Billy Elliot et Nicholas Dane, du même auteur, ainsi qu’une nouvelle dans l’anthologie La première fois. Pour la place de la sexualité dans la littérature pour les jeunes, voir Je reviens de mourir, d’Antoine Dole, paru en 2007.

Lionel Labosse


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