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Un classique altersexuel méconnu

L’Autre monde, de Savinien Cyrano de Bergerac

Gallimard, la Pléiade, « Libertins du XVIIe siècle », T. 1, 1730 p., 62,5 €.

mercredi 28 avril 2010

Savinien Cyrano de Bergerac (1619-1655), l’écrivain du XVIIe siècle, n’a pas grand-chose à voir, sinon par l’anecdote, avec le héros de la pièce célèbre d’Edmond Rostand. Cet auteur mort trop jeune, fut un ami de jeunesse de Molière, avec qui il bénéficia des cours de Pierre Gassendi chez Claude-Emmanuel Lhuillier dit La Chapelle, dont le père hébergea le savant. Cyrano est un exemple de ces auteurs libertins au sens du XVIIe siècle, altersexuel aussi, dont la postérité a tenté de gommer l’aura sulfureuse, mais qui survit plus ou moins dans notre patrimoine culturel. L’Autre monde contient une suite de deux voyages extraordinaires : « Les États et Empires de la Lune » et « Les États et Empires du Soleil ». Ces romans très argumentatifs, dont la part fictive est réduite à la portion congrue, dissertent de façon plaisante de sciences surtout, de religion et de mœurs aussi, tout en exhibant incidemment une altersexualité jamais militante, mais d’autant plus frappante compte tenu du contexte. Si les propos satiriques sur le pouvoir, la science et la religion expliquent le sort réservé au livre, cette altersexualité sans problème n’explique-t-elle pas également que le roman ait eu peu de défenseurs jusqu’à nos jours ? Cyrano n’est pas un scientifique, mais un vulgarisateur caustique des thèses de Gassendi et de Galilée ; et quand ce vulgarisateur est vulgarisé par Rostand, il n’en reste plus grand chose, sauf peut-être d’avoir conféré à Cyrano une célébrité posthume inattendue. Une lecture assez difficile qu’on réservera à des lycéens particulièrement motivés, même dans les récentes éditions de poche existantes. Jacques Prévot a raison de statuer que « L’Autre monde est à lui-même sa propre catégorie » (p. 1554) : c’est un roman qui transcende tous les genres.

L’édition de Jacques Prévot

Le responsable de cette anthologie en deux volumes est un érudit. On pourra lui reprocher un excès de notes, surtout qu’elles sont reportées en fin de volume, et que la lecture s’en trouve hachée menu. La plupart sont fort instructives, mais pourquoi alourdir cet apparat critique de quantité de notes superfétatoires sur les particularités de la langue du XVIIe siècle ? Elles seraient sans doute plus utiles dans une édition de poche destinée à l’enseignement. À côté de ça, sauf oubli (mais je fais partie de ce type de lecteur pathologique qui ne néglige aucune note, de peur que ne s’y cache quelque os médullaire !) je n’ai trouvé aucune explication sur un phénomène rare : la présence de quelques courtes portées musicales dans le texte (ex. p. 948 ou p. 971). Heureusement, ce site nous apprend qu’il s’agissait des noms des personnages, et que Cyrano avait puisé cette idée dans le roman posthume de Francis Godwin, The Man in the Moone, qui d’ailleurs l’aurait beaucoup inspiré. Voir une gravure de la traduction française de ce livre, dans laquelle on reconnaîtra l’inspiration de Cyrano pour l’un des moyens d’atteindre la Lune.
La préface de ce Tome 1 est passionnante ; Jacques Prévot y fait le point sur la notion souvent comprise à tort et à travers de « libertinage ». Au XVIIe siècle, ce mot n’a pas le sens du XVIIIe : « Pour définir avec méthode le libertinage du XVIIe siècle, faut-il commencer par s’enfermer dans une réflexion qui repose sur des oppositions violentes comme religion / irréligion, moralité / immoralité ? Si, dans l’opinion commune, le libertinage a fini par se confondre avec la licence sexuelle, c’est sans doute à cause de ce qu’il est devenu au XVIIIe siècle ; c’est peut-être aussi parce que, selon un procédé éprouvé depuis l’Antiquité, il est plus facile d’accuser un adversaire idéologique d’avoir des mœurs déréglées et de transgresser les conventions sociales que de le vaincre sur le plan de l’argumentation. » (p. XIII ; cf. aussi p. 1554). La question sexuelle est d’ailleurs sulfureuse : « Mais il faut la hardiesse de Saint-Pavin pour évoquer des activités moins permises : l’onanisme, la sodomie ou l’inceste. Le plus dangereux des aveux se fait en tapinois : parler de l’homosexualité, c’est jouer avec le feu. S’il reste quelque grâce à Lesbos chez Saint-Pavin, la pédérastie tombe sous le coup de l’épigramme chez Régnier, tandis que les amours entre hommes se disent sous forme d’énigme, on le verra chez Dassoucy. » (p. XVI). Jacques Prévot commence ce tome par tout un dossier consacré au procès de Théophile de Viau. Il n’insiste malheureusement pas sur l’accusation de « sodomie » qui était au cœur du procès, mais il semble bien qu’elle est une preuve de ce qui est dit plus haut, à savoir que cette accusation n’était qu’un prétexte commode. Théophile aurait été un bouc émissaire pour effrayer l’ensemble des libertins. Cette accusation semble avoir reposé sur l’équivoque d’un seul vers de Théophile, et celui-ci consacre fort peu de son encre à s’en défendre : « Les paroles sont paroles qui chez les casuistes, ne sont pas plus, en cas d’offense, que les simples pensées : parler de la douceur de la vengeance, n’est pas assassiner son ennemi ; faire des vers de sodomie ne rend pas un homme coupable du fait ; poète et pédérastre (sic) sont deux qualités différentes. » (p. 69).
Ces considérations ne font qu’honorer davantage Cyrano, qui n’a pas peur de se présenter en amateur de garçons. Cyrano affirme son indépendance intellectuelle : « Je ne défère à l’autorité de personne, si elle n’est accompagnée de raison, ou si elle ne vient de Dieu, Dieu qui tout seul doit être cru de ce qu’il dit à cause qu’il le dit. Ni le nom d’Aristote, plus savant que moi, ni celui de Platon, ni celui de Socrate ne me persuadent point si mon jugement n’est convaincu par raison de ce qu’ils disent ; la raison seule est ma reine à qui je donne volontairement les mains. » (p. XXX). Les supplices de Giordano Bruno à Rome en 1600, de Lucilio Vanini à Toulouse en 1619 et d’Urbain Grandier en 1634 à Loudun (affaire des possédées de Loudun) sont rappelés. Un document fort intéressant est livré in extenso : les aveux de sorcellerie du curé Gaufridy qui « souffle » les femmes (p. XXXV). En vertu de ces rappels, Jacques Prévot conclut que « le Dom Juan de Molière n’est pas un vrai libertin » (p. XLIII). On apprend que dans l’édition de 1694 du Dictionnaire de L’Académie française, le mot « philosophe » se voit affublé de connotations négatives : « Il se dit aussi quelquefois absolument, d’un homme, qui par libertinage d’esprit se met au dessus des devoirs, & des obligations ordinaires de la vie civile. C’est un homme qui ne se refuse rien, qui ne se contraint sur rien, & qui mène une vie de philosophe ».
Le texte des deux voyages avait été publié par Henry Le Bret, l’ami, peut-être intime, de Cyrano, comme l’explique Suzanne Rossat-Mignod, auteure d’une instructive préface d’une anthologie parue en 1972 aux Éditions rationalistes. Elle nous y apprend que le texte fut largement expurgé par Le Bret, et qu’on retrouva miraculeusement deux manuscrits, mais seulement des « États et Empires du Soleil », à Munich et à Paris au XIXe siècle, publiés seulement en 1910 et en 1922 (moyennant quoi Rostand ne pouvait pas connaître la version non expurgée des œuvres). Le Bret avait vraiment caviardé le texte, mais c’était cela ou rien : « Enfin Lebret a supprimé ailleurs, ce qui est plus grave, de longs développements très hardis sur la religion, la création du monde, l’immortalité de l’âme, l’existence de Dieu, c’est-à-dire des pages d’une importance capitale, si nous voulons connaître la pensée véritable de Cyrano. Mais pouvons-nous dire que le prudent éditeur de 1656 a trahi un ami qu’il admirait sincèrement ? Il a peut-être été timoré, mais enfin il était impossible de publier l’œuvre complète ; au XVIIe siècle, il fallait ou la mutiler ou renoncer à l’impression ». Il faut supposer que des passages altersexuels et autres allusions à l’homosexualité ont fait partie aussi de la ration de dame Anastasie… mais Suzanne Rossat-Mignod censure elle-même totalement cet aspect ! Pourtant l’extrait des États de la Lune que je propose ci-dessous n’a pas du tout été censuré si l’on en croit son édition de 1972. Il y a de nombreuses variantes stylistiques, qui font penser qu’un manuscrit aurait pu être retrouvé entre 1972 et 1998, date de parution du volume de la Pléiade, mais rien sur le fond. Il faut dire que d’après Suzanne Rossat-Mignod, Lebret aurait largement insisté dans sa préface sur l’aspect comique et divertissant de l’ouvrage, pour faire passer le maximum de fantaisies. Mais il s’agirait peut-être d’une coquille dans l’édition de Rossat-Mignod, car dans l’édition Pléiade du Tome II du Théâtre du XVIIe siècle, on apprend que c’est le contraire : « De la première partie il existe des manuscrits, qui ont permis de rétablir le texte ; mais pour la seconde il faut se contenter du texte de 1662 ».

Questions scientifiques

Les questions scientifiques sont évidemment les plus importantes, et c’est pour elles avant tout qu’on lira ce roman (pourquoi pas imaginer un TPE en classe de 1re S ?). On relève de jolies pages. La démonstration de l’héliocentrisme, p. 907. L’argumentation hilarante sur le désavantage de ces pauvres animaux humains bipèdes : « Aussitôt les nouvelles coururent par tout le royaume qu’on avait trouvé deux hommes sauvages, plus petits que les autres, à cause des mauvaises nourritures que la solitude nous avait fournies, et qui, par un défaut de la semence de leurs pères, n’avaient pas eu les jambes de devant assez fortes pour s’appuyer dessus. […] Les oiseaux mêmes, disaient-ils, n’ont pas été si maltraités qu’elles, car au moins ils ont reçu des plumes pour subvenir à la faiblesse de leurs pieds, et se jeter en l’air quand nous les éconduirions de chez nous ; au lieu que la Nature en ôtant les deux pieds à ces monstres les a mis en état de ne pouvoir échapper à notre justice. » (p. 946). Cyrano a repris de Charles Sorel l’argumentation sur les deux infinis qu’il transmettra à Blaise Pascal, avec l’argument du ciron : « Représentez-vous donc l’univers comme un grand animal, les étoiles qui sont des mondes comme d’autres animaux dedans lui qui servent réciproquement de mondes à d’autres peuples, tels qu’à nous, qu’aux chevaux et qu’aux éléphants ; et nous, à notre tour, sommes aussi les mondes de certaines gens encore plus petits, comme des chancres, des poux, des vers, des cirons […] » (p. 965). On trouve la prescience du lecteur MP3 : « À l’ouverture de la boîte, je trouvai dedans un je ne sais quoi de métal quasi tout semblable à nos horloges, plein d’un nombre infini de petits ressorts et de machines imperceptibles. C’est un livre à la vérité, mais c’est un livre miraculeux qui n’a ni feuillets ni caractères ; enfin c’est un livre où, pour apprendre, les yeux sont inutiles ; on n’a besoin que d’oreilles. Quand quelqu’un donc souhaite lire, il bande avec une grande quantité de toutes sortes de clefs, cette machine, puis il tourne l’aiguille sur le chapitre qu’il désire écouter, et au même temps il sort de cette noix comme de la bouche d’un homme, ou d’un instrument de musique, tous les dons distincts et différents qui servent, entre les grands lunaires, à l’expression du langage. » (p. 976).
Pour la petite histoire, la légende du nez de Cyrano a sans doute été extrapolée par Rostand de ce passage bouffon sur les habitants de la Lune : « alors qu’ils veulent instruire quelqu’un de l’heure, ils desserrent les lèvres, et l’ombre de ce nez qui vient tomber dessus leurs dents, marque comme un cadran celle dont le curieux est en peine. Maintenant, afin que vous sachiez pourquoi tout le monde en ce pays a le nez grand, apprenez qu’aussitôt qu’une femme est accouchée, la matrone porte l’enfant au prieur du séminaire ; […] si son nez est trouvé plus court qu’une certaine mesure que tient le syndic, il est censé camus, et mis entre les mains des prêtres qui le châtrent. Vous me demanderez possible la cause de cette barbarie, comment se peut-il faire que nous, chez qui la virginité est un crime, établissions des continences par force ? Sachez que nous le faisons après avoir observé depuis trente siècles qu’un grand nez est à la porte de chez nous une enseigne qui dit : « Céans loge un homme spirituel, prudent, courtois, affable, généreux et libéral [1], et qu’un petit est le bouchon des vices opposés. C’est pourquoi des camus on bâtit les eunuques, parce que la République aime mieux n’avoir point d’enfants d’eux, que d’en avoir de semblables à eux. » (p. 980). On a parfois des perles incongrues : « Pour commencer donc, je suppose que vous mangiez un mahométan ; vous le convertissez, par conséquent, en votre substance, n’est-il pas vrai ? Ce mahométan, digéré, se change partie en chair, partie en sang, partie en sperme ? […] » (p. 986).

Cyrano altersexuel…

L’ouvrage n’est pas tant libertin que professant une certaine provocation que je qualifierai d’altersexuelle. Le narrateur apprend une version modifiée de la Genèse : « après qu’Ève et son mari eurent mangé de la pomme défendue, Dieu, pour punir le serpent qui les en avait tentés, le relégua dans le corps de l’homme. […] Vous le nommez les boyaux et vous les croyez nécessaires aux fonctions de la vie ; mais apprenez que ce ne sont autre chose que des serpents pliés sur eux-mêmes en plusieurs doubles. » Il répond par ces « fariboles » : « En effet, lui dis-je en l’interrompant, j’ai remarqué que comme ce serpent essaie toujours de s’échapper du corps de l’homme, on lui voit la tête et le col sortir au bas de nos ventres. Mais aussi Dieu n’a pas permis que l’homme seul en fût tourmenté, il a voulu qu’il se bandât contre la femme pour lui jeter son venin, et que l’enflure durât neuf mois après l’avoir piquée. Et pour vous montrer que je parle suivant la parole du Seigneur, c’est qu’il dit au serpent pour le maudire qu’il aurait beau faire trébucher la femme en se raidissant contre elle, qu’elle lui ferait enfin baisser la tête. » (p. 922). Cyrano a la sagesse de faire maudire son narrateur imprudent : « Abominable, dit-il, en se reculant, tu as l’impudence de railler sur les choses saintes […]. Va, impie, hors d’ici, va publier dans ce petit monde et dans l’autre, car tu es prédestiné à y retourner, la haine irréconciliable que Dieu porte aux athées. » (p. 925). S’il est libertin, ce n’est pas pour pratiquer, mais pour répandre des idées libertines : « Ce n’est pas qu’en ce pays l’impudicité soit un crime ; au contraire, hors les coupables convaincus, tout homme a pouvoir sur toute femme, et une femme tout de même pourrait appeler un homme en justice qui l’aurait refusée. Mais elle ne m’osait pas fréquenter publiquement à ce qu’elle me dit, à cause que les prêtres avaient prêché au dernier sacrifice que c’étaient les femmes principalement qui publiaient que j’étais homme, afin de couvrir sous ce prétexte le désir exécrable qui les brûlait de se mêler aux bêtes, et de commettre avec moi sans vergogne des péchés contre nature. Cela fut cause que je demeurai longtemps sans la voir, ni pas une du sexe. » (p. 951). Ce thème est repris malicieusement lorsqu’il s’agit de défendre l’infanticide : « Pourquoi je m’étonne fort, vu que la continence au monde d’où vous venez est tenue si préférable à la propagation charnelle, pourquoi Dieu ne vous a pas fait naître à la rosée du mois de mai comme les champignons, ou, tout au moins, comme les crocodiles du limon gras de la terre échauffé par le soleil. Cependant il n’envoie point chez vous d’eunuques que par accident, il n’arrache point les génitoires à vos moines, à vos prêtres, ni à vos cardinaux. Vous me direz que la Nature les leur a données ; oui, mais il est le maître de la Nature ; et s’il avait reconnu que ce morceau fût nuisible à leur salut, il aurait commandé de le couper, aussi bien que le prépuce aux Juifs dans l’ancienne loi » (p. 959). Plus loin, il revient à la charge, en montrant qu’il est plus honorable d’exhiber ses génitoires qu’une épée : « Il parlait encore lorsque je vis entrer un homme tout nu. Je m’assis aussitôt, et me couvris pour lui faire honneur, car ce sont les marques du plus grand respect qu’on puisse en ce pays-là témoigner à quelqu’un. […] Malheureuse contrée, où les marques de génération sont ignominieuses, et où celles d’anéantissement sont honorables ! » (p. 981).

…voire carrément amateur de garçons

Voici l’aspect le moins connu, mais fort troublant : sans aucune volonté de choquer, mais au contraire de façon fort naturelle, Cyrano met en avant son goût des garçons. C’est une rencontre fortuite, qui nous renvoie dans une Arcadie lunaire : « J’avais cheminé une demi-lieue à travers la forêt de jasmins et de myrtes, quand j’aperçus couché à l’ombre je ne sais quoi qui remuait : c’était un jeune adolescent, dont la majestueuse beauté me força presque à l’adoration. Il se leva pour m’en empêcher » (p. 915). Le narrateur est servi, en fait d’adolescents : au moment du repas, il a la surprise que « trois ou quatre jeunes garçons, enfants de l’hôte, s’approchèrent de moi dans cet instant, et avec beaucoup de civilité me dépouillèrent jusques à la chemise » (p. 934). Et au coucher il retrouve « ces trois ou quatre jeunes garçons qui m’avaient déshabillé à souper, dont l’un se mit à me chatouiller les pieds, l’autre les cuisses, l’autre les flancs, l’autre les bras, et tous avec tant de mignoteries et de délicatesse, qu’en moins d’un moment je me sentis assoupir. » (p. 935). Les rites de la mort sont proprement étonnants, et disons bisexuels : « [le mourant] avertit ses plus chers et du jour et du lieu : ceux-ci se purgent et s’abstiennent de manger pendant vingt-quatre heures ; puis arrivés qu’ils sont au logis du sage, après avoir sacrifié au Soleil, ils entrent dans la chambre où le généreux les attend appuyé sur un lit de parade. Chacun vole à son rang aux embrassements et quand ce vient à celui qu’il aime le mieux, après l’avoir baisé tendrement, il l’appuie sur son estomac et joignant sa bouche à sa bouche, de la main droite, qu’il a libre, il se baigne un poignard dans le cœur. L’amant ne détache point ses lèvres de celles de son amant qu’il ne le sente expirer ; alors il retire le fer de son sein, et fermant de sa bouche la plaie, il avale son sang et suce toujours jusques à ce qu’il n’en puisse boire davantage. Aussitôt, un autre lui succède et l’on porte cettui-ci au lit. Le second rassasié, on le mène coucher pour faire place au troisième. Enfin, toute la troupe repue, on introduit à chacun au bout de quatre ou cinq heures une fille de seize ou dix-sept ans et, pendant trois ou quatre jours qu’ils sont à goûter les délices de l’amour, ils ne sont nourris que de la chair du mort qu’on leur fait manger toute crue, afin que, si de ces embrassements il peut naître quelque chose, ils soient comme assurés que c’est leur ami qui revit. » (p. 979).

La femelle du petit animal de la reine

L’un des passages les plus troublants est celui où le narrateur est pris pour « la femelle du petit animal de la reine » (p. 927). Il comprend cette expression quand on le met en présence de cet « animal » : « au milieu d’une troupe de singes qui portaient la fraise et le haut-de-chausse, un petit homme bâti presque tout comme moi, car il marchait à deux pieds » (p. 937). Aussitôt, « le roi commanda aux gardeurs des singes de nous ramener, avec ordre exprès de nous faire coucher ensemble, l’Espagnol et moi, pour faire en son royaume multiplier notre espèce ». Cela n’a pas l’air de le gêner : « On exécuta de point en point la volonté du prince, de quoi je fus très aise pour le plaisir que je recevais d’avoir quelqu’un qui m’entretînt pendant la solitude de ma brutification. Un jour, mon mâle (car on me prenait pour sa femelle) […] » (p. 938). On s’amusera d’ailleurs de la note de Jacques Prévot : « Y a-t-il un aveu indirect de l’homosexualité de Cyrano, que j’ai d’ailleurs démontrée ? » Ben, dame ! Voir ci-dessous l’extrait utilisable en classe.

Gravure ancienne illustrant "L’autre monde"

Les États et Empires du Soleil

Cette deuxième partie mérite peu son titre. Le narrateur, étant redescendu sur terre, est vite pris pour un sorcier. Une course-poursuite l’accule à s’échapper par les airs d’une prison, et on le retrouve aux alentours du soleil. Des rencontres successives donneront lieu à des discussions scientifiques et philosophiques. Il y a d’abord « un petit homme tout nu assis sur une pierre » qu’il rencontre sur une « macule », « une de ces petites terres qui voltigent à l’entour du soleil » (p. 1022). Leur discussion est interrompue par le bourgeonnement de la terre qui s’apprête à accoucher d’un homme semblable. Quelques pages plus loin, c’est une page encore plus féerique de la naissance d’un homme, que je reproduis ici pour que vous constatiez à quel point une telle apothéose transpire d’amours masculines :
« comme j’occupais toute ma pensée à contempler entre les autres fruits une pomme de grenade extraordinairement belle, dont la chair était un essaim de plusieurs gros rubis en masse, j’aperçus remuer cette petite couronne qui lui tient lieu de tête, laquelle s’allongea autant qu’il le fallait pour former un col. Je vis ensuite bouillonner au-dessus je ne sais quoi de blanc, qui, à force de s’épaissir, de croître, d’avancer et de reculer la matière en certains endroits, parut enfin le visage d’un petit buste de chair. Ce petit buste se terminait en rond vers la ceinture, c’est-à-dire qu’il gardait encore par en bas sa figure de pomme. Il s’étendit pourtant peu à peu, et sa queue s’étant convertie en deux jambes, chacune de ses jambes se partagea en cinq orteils. Humanisée que fut la grenade, elle se détacha de sa tige ; et d’une légère culbute tomba justement à mes pieds. » (p. 1033).
Deux pages plus loin, on a encore mieux :
« À mesure que la danse se serra, les danseurs se brouillèrent d’un trépignement beaucoup plus prompt et plus imperceptible : il semblait que le dessein du ballet fût de représenter un énorme géant, car, à force de s’approcher et de redoubler la vitesse de leurs mouvements, ils se mêlèrent de si près, que je ne discernai plus qu’un grand colosse à jour et quasi transparent ; mes yeux toutefois les virent entrer l’un dans l’autre. Ce fut en ce temps-là que je commençai à ne pouvoir davantage distinguer la diversité des mouvements de chacun, à cause de leur extrême volubilité, et parce aussi que cette volubilité s’étrécissant toujours à mesure qu’elle s’approchait du centre, chaque vortice occupa enfin si peu d’espace, qu’il échappait à ma vue. Je crois pourtant que les parties s’approchèrent encore ; car cette masse humaine auparavant démesurée, se réduisit peu à peu à former un jeune homme de taille médiocre, dont tous les membres étaient proportionnés avec une symétrie où la perfection, dans sa plus forte idée n’a jamais pu voler. Il était beau au-delà de ce que les peintres ont élevé leur fantaisie ; mais ce que je trouvai de bien merveilleux, c’est que la liaison de toutes les parties qui achevèrent ce parfait microcosme se fit en un clin d’œil. Tels d’entre les plus agiles de nos petits danseurs s’élancèrent par une capriole à la hauteur et dans la posture essentielle à former une tète ; tels, plus chauds et moins déliés, formèrent le cœur ; et tels beaucoup plus pesants, ne fournirent que les os, la chair et l’embonpoint.
Quand ce beau grand jeune homme fut entièrement fini, quoique sa prompte construction ne m’eût quasi pas laissé de temps pour remarquer aucun intervalle dans son progrès, je vis entrer, par la bouche, le roi de tous les peuples dont il était le chaos. […] Il demeura quelque temps à me considérer ; et, s’étant comme apprivoisé par ses regards, il s’approcha de moi, me caressa, et, me donnant la main […] »

Ce jeune roi se met à raconter un duo amoureux avec un rossignol, qui se conclut ainsi : « Je lui répondais encore à mon tour avec tous les transports, toutes les tendresses et toutes les mignardises d’une passion si touchante, que je l’aperçus deux ou trois fois sur la branche prêt à mourir d’amour » (p. 1037). Cette jolie trille nous vaut une note à nouveau fort naïve : « s’agit-il d’amours masculines ? » (p. 1644). Cette impression est aussitôt dissipée par le fait que le narrateur, désormais appelé Dyrcona (anagramme de « Cyrano d’ »), est secouru lors du procès où il est accusé d’humanité, par une « charitable pie » (p. 1045). Il n’est pas le seul : on juge aussi un « chardonneret », accusé « de n’avoir pas encore depuis six ans mérité d’avoir un ami » (p. 1048). C’est dire le renversement moral qu’il y a de la terre au soleil ! L’acte de prière est décrit de façon mécanique, pré-voltairienne : « [l’homme] lève en haut tous les matins ses yeux, son nez et son large bec, colle ses mains ouvertes la pointe au ciel plat contre plat, et n’en fait qu’une attachée, comme s’il s’ennuyait d’en avoir deux libres, se casse les jambes par la moitié, en sorte qu’il tombe sur ses gigots, puis avec des paroles magiques qu’il bourdonne, j’ai pris garde que ses jambes rompues se rattachent, et qu’il se relève après aussi gai qu’auparavant. » (p. 1053). Notre pauvre Dyrcona est condamné comme homme à « être mangé des mouches » (p. 1055) ; mais son histoire ne s’arrête pas là, car il va être sauvé in extremis, ce qui lui donne l’occasion de fréquenter messieurs les chênes, arrivés en ces contrées par des glands vomis par des aigles : préfiguration des observations de Darwin.

Panthéisme sexuel

Dans les États et Empires du Soleil, règne un panthéisme sexuel, à partir de cette rencontre des arbres : « au printemps, quand le Soleil a réjoui notre écorce d’une sève féconde, nous allongeons nos rameaux, et les étendons chargés de fruits sur le sein de la Terre dont nous sommes amoureux ? La Terre, de son côté, s’entrouvre et s’échauffe d’une même ardeur ; et comme si chacun de nos rameaux était un…, elle s’en approche pour s’y joindre ; et nos rameaux, transportés de plaisir, se déchargent, dans son giron, de la semence qu’elle brûle de concevoir. » (p. 1063). Les arbres racontent et brodent longuement sur un mythe d’Oreste et Pylade revisité en idylle gay, grâce à un mélange avec le mythe d’Euryale et Nisus : « Enfin Pylade tomba sans vie ; et l’amoureux Oreste, qui sentait pareillement la sienne sur le bord de ses lèvres, la retint toujours, jusqu’à ce que d’une vue égarée ayant cherché parmi les morts et retrouvé Pylade, il sembla, collant sa bouche, vouloir jeter son âme dedans le corps de son ami. » (p. 1065). À la manière d’Ovide, il y a métamorphose : « Enfin ces amants [2] bienheureux produisirent des pommes, mais des pommes miraculeuses qui firent encore plus de miracles que leurs pères. On n’avait pas sitôt mangé des pommes de l’un, qu’on devenait éperdument passionné pour quiconque avait mangé du fruit de l’autre. » (p. 1065). Suit une série très altersexuelle de métamorphoses de victimes de ces pommes : Narcisse, Pygmalion, Hermaphrodite… jusqu’à un certain Artaxerce qui « expira d’amour dans les embrassements de son cher platane ». Mais on revient encore à Oreste et Pylade, avec une histoire de fer et d’aimants : « il n’est pas difficile après cela de comprendre pourquoi le fer frotté d’aimant, ou l’aimant frotté de fer, se tourne vers le pôle ; car étant un extrait du corps de Pylade et d’Oreste et ayant toujours conservé les inclinations des deux arbres, comme les deux arbres celles des deux amants, ils doivent aspirer de se rejoindre à leur âme ; c’est pourquoi ils se guindent vers le pôle, par où il sent qu’elle est montée, avec cette retenue pourtant que le fer ne s’y tourne point, s’il n’est frotté d’aimant, ni l’aimant, s’il n’est frotté de fer, à cause que le fer ne veut point abandonner un monde, privé de son ami l’aimant ; ni l’aimant, privé de son ami le fer ; et qu’ils ne peuvent se résoudre à faire ce voyage l’un sans l’autre » (p. 1073).
Après la rencontre de Tommaso Campanella, auteur de La Cité du Soleil, intervient une femme venue se plaindre de ce que son mari « laissa perdre un homme », périphrase qui désigne le fait d’éjaculer en dehors, comme diraient les cathos, « du vase naturel » ! Or en ces contrées, selon le principe d’inversion, ce crime est pire qu’un assassinat, puisqu’on prive un être de la possibilité même d’être (p. 1092). On apprend à l’occasion « qu’en notre pays il y a parmi les autres statuts d’amour une loi qui règle le nombre des baisers auxquels un mari est obligé à sa femme ». Encore mieux, « Au pays d’où je viens, à l’âge de seize ans, on met les garçons au Noviciat d’amour ; c’est un palais fort somptueux, qui contient presque le quart de la cité. Pour les filles, elles n’y entrent qu’à treize. Ils font là les uns et les autres leur année de probation, pendant laquelle les garçons ne s’occupent qu’à mériter l’affection des filles, et les filles à se rendre dignes de l’amitié des garçons. Les douze mois expirés, la Faculté de médecine va visiter en corps ce séminaire d’amants. Elle [3] les tâte tous l’un après l’autre, jusqu’aux parties de leurs personnes les plus secrètes, les fait coupler (sic) à ses yeux, et puis selon que le mâle se rencontre à l’épreuve vigoureux et bien conformé, on lui donne pour femmes dix, vingt, trente ou quarante filles de celles qui le chérissaient, pourvu qu’ils s’aiment réciproquement […] » (p. 1094). Cette femme enfin, livre une page fort plaisante sur les mœurs de « cette nation des Amants » où elle vécut, qui ressemble fort à une parodie ironique sur le langage précieux, excellent extrait à utiliser en cours pour étudier ce mouvement littéraire. Vous trouverez cet extrait dans cet article sur la préciosité. Quant au manuscrit, il s’interrompt brusquement sur la rencontre de Descartes…

Lecture analytique en classe de 1re

Voici l’extrait sur « La femelle du petit animal de la reine », utilisable en lecture analytique en classe de 1re (objet d’étude « La question de l’homme », thème : l’homme et la science). Je l’ai proposé jadis à des élèves de 1re technologique avec le questionnaire subséquent, ce qui n’est pas conseillé par l’inspection ; je l’ai repris récemment avec une méthode plus orthodoxe, avec une classe de 1re S. Le texte est vérifié sur celui de l’édition de la Pléiade, avec quelques modernisations orthographiques. On pourra vérifier l’édition caviardée de 1657 sur le site Gallica, et on trouve facilement sur Google livres une édition de 1709 à Amsterdam, qui propose déjà la version non censurée.

« Cet entretien n’empêchait pas que nous ne continuassions de marcher, c’est-à-dire mon porteur à quatre pattes sous moi et moi à califourchon sur lui. Je ne particulariserai point davantage les aventures qui nous arrêtèrent sur le chemin, tant y a que nous arrivâmes enfin où le roi fait sa résidence. Je fus mené droit au palais. Les grands me reçurent avec des admirations plus modérées que n’avait fait le peuple quand j’étais passé dans les rues. Leur conclusion néanmoins fut semblable, à savoir que j’étais sans doute la femelle du petit animal de la reine. Mon guide me l’interprétait ainsi ; et cependant lui-même n’entendait point cette énigme, et ne savait qui était ce petit animal de la reine ; mais nous en fûmes bientôt éclaircis, car le roi, quelque temps après, commanda qu’on l’amenât. À une demi-heure de là je vis entrer, au milieu d’une troupe de singes qui portaient la fraise et le haut-de-chausses, un petit homme bâti presque tout comme moi, car il marchait à deux pieds ; sitôt qu’il m’aperçut, il m’aborda par un criado de vuestra mercede [4]. Je lui ripostai sa révérence à peu près en mêmes termes. Mais, hélas ! ils ne nous eurent pas plus tôt vus parler ensemble qu’ils crurent tous le préjugé véritable ; et cette conjecture [5] n’avait garde de produire un autre succès, car celui de tous les assistants qui opinait pour nous avec plus de faveur protestait que notre entretien était un grognement que la joie d’être rejoints par un instinct naturel nous faisait bourdonner.
Ce petit homme me conta qu’il était européen, natif de la Vieille Castille [6], qu’il avait trouvé moyen avec des oiseaux de se faire porter jusques au monde de la Lune où nous étions à présent ; qu’étant tombé entre les mains de la reine, elle l’avait pris pour un singe, à cause qu’ils habillent, par hasard, en ce pays-là, les singes à l’espagnole, et que, l’ayant à son arrivée trouvé vêtu de cette façon, elle n’avait point douté qu’il ne fût de l’espèce.
« Il faut bien dire, lui répliquai-je, qu’après leur avoir essayé toutes sortes d’habits, ils n’en aient point rencontré de plus ridicule et que c’était pour cela qu’ils les équipent de la sorte, n’entretenant ces animaux que pour se donner du plaisir.
— Ce n’est pas connaître, dit-il, la dignité de notre nation en faveur de qui l’Univers ne produit des hommes que pour nous donner des esclaves, et pour qui la Nature ne saurait engendrer que des matières de rire. »
Il me supplia ensuite de lui apprendre comment je m’étais osé hasarder de gravir à la Lune avec la machine dont je lui avais parlé ; je lui répondis que c’était à cause qu’il avait emmené les oiseaux sur lesquels j’y pensais aller. Il sourit de cette raillerie, et environ un quart d’heure après le roi commanda aux gardeurs des singes de nous ramener, avec ordre exprès de nous faire coucher ensemble, l’Espagnol et moi, pour faire en son royaume multiplier notre espèce.
On exécuta de point en point la volonté du prince, de quoi je fus très aise pour le plaisir que je recevais d’avoir quelqu’un qui m’entretînt pendant la solitude de ma brutification [7]. Un jour, mon mâle (car on me tenait pour la femelle) me conta que ce qui l’avait véritablement obligé de courir toute la Terre, et enfin de l’abandonner pour la Lune, était qu’il n’avait pu trouver un seul pays où l’imagination même fût en liberté.
« Voyez-vous, me dit-il, à moins de porter un bonnet carré, un chaperon ou une soutane, quoi que vous puissiez dire de beau, s’il est contre les principes de ces docteurs de drap, vous êtes un idiot, un fol, ou un athée. On m’a voulu mettre en mon pays à l’Inquisition pour ce qu’à la barbe des pédants aheurtés [8] j’avais soutenu qu’il y avait du vide dans la Nature et que je ne connaissais point de matière au monde plus pesante l’une que l’autre. »

Questionnaire de lecture analytique
1. Vocabulaire : expliquez le sens dans le texte de « préjugé », « conjecture », « opinait » et « raillerie ».
2. Recherche documentaire. Qu’est-ce que l’Inquisition ? Après avoir recherché le sens ancien du mot « libertin » (il ne figure pas dans le texte, mais dans le titre de l’anthologie dont il est tiré), dites en quoi ce texte peut être qualifié de « libertin ».
3. À la lecture de cet extrait et de son paratexte, qu’est-ce qu’Edmond Rostand a utilisé dans sa pièce Cyrano de Bergerac ? Évoquez au moins trois faits différents, et citez le texte de Rostand.
4. Relevez et expliquez tout ce qui concerne les habits dans le texte. Montrez que ce thème est traité surtout dans le but de faire rire, mais que dans le dernier paragraphe, la question des habits prend une tournure plus satirique.
5. Qu’est-ce qui explique l’erreur scientifique des habitants de la Lune ?
6. Montrez que Cyrano fait une allusion discrète mais plutôt favorable à l’homosexualité, à une époque où ce sujet était tabou. Quel sens donner au pronom « on » dans « On exécuta de point en point la volonté du prince » ?
7. Relevez deux groupes ternaires dans la première phrase du dernier paragraphe. Quel effet de sens apportent ces groupes ternaires ?
8. Montrez que l’auteur glisse de façon subtile d’un conte plaisant à des considérations sérieuses sur la liberté de pensée. Étudiez la façon dont se fait le passage de l’un à l’autre.

Les deux pièces de Cyrano

Pour compléter ma connaissance de Cyrano, j’ai lu les extraits disponibles de La Mort d’Agrippine, tragédie en prose, ainsi que Le Pédant joué, comédie en vers. Ce n’est guère convaincant. La tragédie semble poussive, le style alambiqué. Ressortent deux extraits souvent publiés en note, où l’athéisme de Cyrano se donne libre cours, et qui lui valurent la censure : « Ces dieux que l’homme a faits, et qui n’ont point fait l’homme » (Acte II, scène IV ; voir aussi Acte V, scène VI). Voir le texte intégral. La comédie est illisible et injouable, tissu d’interminables tirades sans queue ni tête, galimatias informe dont le génie de Molière a su tirer quelques bons mots et la trame de la scène des paysans de Dom Juan, voire de celle de M. Dimanche, et de plusieurs scènes des Fourberies de Scapin. C’est dans l’une de celles-ci que Rostand a aussi puisé un de ses vers : « Pour son nez, il mérite bien une égratignure particulière. Cet authentique nez arrive partout un quart d’heure devant son maître : dix savetiers, de raisonnable rondeur, vont travailler dessous à couvert de la pluie » (Acte III, scène 2 ; voir le texte intégral. À noter que la pièce commence (Acte I, scène 1) par une indigeste moquerie qu’on dirait homophobe aujourd’hui, mais qui se veut surtout truculente, sur « le sexe femelle » du personnage de Châteaufort, sorte de Matamore. Reste que d’après Jacques Truchet, auteur de l’édition en Pléiade de cette pièce, « Rostand avait lu de très près toutes les œuvres de Cyrano ».

 Lire un article de Jean-Pierre Cavaillé : « Les libertins. L’envers du grand siècle ».
 Lire un article de Filippo D’Angelo, « Libertinage, hermaphrodisme et masculinité ».
 Si vous aimez les romans d’aventures scientifiques, lisez Le Corps du monde, de Patrick Drevet.
 Retrouvez ce texte dans notre article sur les fake news.

Lionel Labosse


Voir en ligne : Œuvres de Savinien Cyrano de Bergerac sur Wikisource


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[1Voilà la source des vers célèbres de Rostand : « un grand nez est proprement l’indice / D’un homme affable, bon, courtois, spirituel, / Libéral, courageux, tel que je suis, et tel / Qu’il vous est interdit à jamais de vous croire, / Déplorable maraud ! »

[2C’est la leçon de l’édition de la Pléiade, mais les versions disponibles sur Internet donnent « amis » pour « amants » ; exemple parmi d’autres de la censure pudibonde qui a toujours menacé ce texte… et de l’intérêt qu’il y a à le lire dans une édition sérieuse.

[3Les manuscrits donnent « elles », coquille conservée dans l’édition de la Pléiade, parmi d’autres oublis…

[4Formule de civilité équivalant à « Votre humble serviteur ».

[5La Pléiade, et par la suite d’autres éditeurs donne « conjoncture ». La majorité des éditions antérieures vérifiées sur Gallica et Google books semble opter pour « conjecture », plus logique dans l’extrait ; je rectifie donc la Pléiade sur ce point.

[6Référence à Domingo Gonzalès, héros espagnol d’un roman de Francis Godwin (1562 - 1633), L’Homme sur la Lune.

[7État de la bête brute où le réduisait l’opinion générale des gens du pays.

[8(Mot vieilli). Attaché opiniâtrement à une idée ; buté, entêté, obstiné.