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Comment l’esprit vient aux filles, pour les 3e

L’Amour en chaussettes, de Gudule

Éditions Thierry Magnier, 1999, 113 p., 6,55 €.

dimanche 22 avril 2007

Voilà enfin une histoire d’amour qui met la sexualité au premier plan de la relation, avec tact et humour. Vous saurez tout de la rencontre au sommet du « truc » d’Arthur avec le « minou » de Delphine. Voilà enfin un éditeur qui a le courage de publier un livre pour des élèves de 3e dont on sait qu’ils ont quasiment tous vu des films porno plus ou moins en cachette.

Résumé

Delphine ne s’embarrasse pas de considérations poétiques dans son journal intime : elle rêve de M. Letellier, son prof d’arts plastiques de 3e. Ça a commencé depuis cette séance particulière où il a eu l’idée de parler du préservatif à ses élèves, comme ça sans prévenir. Ils étaient un peu gênés, mais il s’est employé à les décoincer en déroulant un préservatif sur un pied de chaise, ou en transformant une plaisanterie en slogan : « Pour prendre votre pied, prenez une chaussette ! » (p. 13). « Mais dans [son] rêve, ce n’était pas sur le pied de la chaise qu’il le déroulait … » Elle ne sait pas comment lui faire comprendre qu’elle l’aime. Elle se représente avec lui sur l’illustration d’un poème, elle se sert sans aucune honte d’un camarade, Arthur, garçon solitaire parce que bègue, pour le rendre jaloux. M. Letellier se rend compte du manège et la remet en place, mais sa copine Gaëlle la pousse à s’entêter, car il a sans doute seulement peur d’être accusé de détournement de mineure. M. Letellier aura donc recours à l’arme ultime : inviter Delphine chez lui, et lui présenter son « mari ». Delphine est écœurée et part en courant, révoltée contre « Ce fumier de pédé ». Heureusement Arthur est toujours là, et grâce à lui, Delphine reviendra à une vision un peu plus sereine de la situation.

Mon avis

Gudule met les pieds dans le paf avec L’Amour en chaussettes. On a dix fois envie de balancer ce livre au début, tant la parodie du style de journal intime de minette de collège à tête de linotte est réussie. On se demande quel est l’intérêt de faire lire à nos élèves le genre d’âneries qu’ils écrivent. D’un autre côté, on ne veut pas ressembler à Mme Éloy, la « vieille vache » de prof de français qui fait étudier Madame Bovary en 3e ! Nous on n’a rien fait, on fait même lire Gudule à tire-larigot ! Pitié pour les profs ! Et puis cette manie d’écrire « La grenouille qui veut se faire… » (p. 24) : on se demande bien qui elle veut « se faire », cette grenouille ! Non, Gudule, c’est « se veut faire » qu’il a écrit, La Fontaine ! [1] Donc, on est agacé par cette Delphine, parce qu’on s’en tape à longueur de journée, des Delphine, on n’a pas en plus envie de lire leur prose ! Et puis voilà, on se laisse prendre petit à petit à l’histoire d’amour, pas celle impossible avec le prof homo, non, le plan B avec Arthur, beau personnage qui mouche notre cruche, laquelle s’exclamait au début dans son journal : « on préfère sortir avec des secondes, ou même des terminales ». Et puis comme dirait Brassens, branlant du chef on opine quand Delphine pousse ce cri du cœur qui la réhabilite à nos yeux : « Je suis une conne ! » (p. 76). C’est Arthur qui la pousse enfin à réfléchir à la situation, à comprendre pourquoi Letellier a agi ainsi. Peut-être son statut de bègue lui donne-t-il plus de capacité à comprendre ceux qui sont mis à l’écart ? Évidemment, les féministes n’aimeront pas le personnage, mais finalement il est rare en littérature jeunesse qu’on montre, surtout de la part d’une auteure, un personnage féminin plus bête que les garçons (à comparer avec H.S. par exemple).

Il était osé en 1999 d’écrire une histoire d’amour qui place la sexualité au premier plan de la relation. On s’amusera avec les élèves, du rôle du chat Bébert, qui fait si je puis dire le tampon entre les tourtereaux, avant qu’un autre « minou » ne les occupe. Le récit culmine avec une scène de dépucelage d’anthologie. Delphine trouve enfin le souffle littéraire qui manquait à son journal, et la scène est moins grossière que tout ce qui la précédait. Vous saurez tout de la rencontre au sommet du « truc » d’Arthur avec le « minou » de Delphine. Un chef-d’œuvre d’humour et de pédagogie, qui fait de L’amour en chaussettes le complément indispensable des cours ou des manuels d’éducation sexuelle. Un extrait de cette longue scène : « Brusquement, j’ai réalisé qu’il ne bégayait plus. Et ça m’a donné un tel choc que mon bassin a foncé vers l’avant sans que je puisse l’en empêcher. Et crac ! son « truc » est entré d’un coup jusqu’au fond de moi. J’ai senti quelque chose se déchirer dans mon ventre, et j’ai crié.
Arthur n’osait plus bouger. Il me serrait contre lui à m’écraser.
— Delphine... Delphine... Delphine… il haletait.
La douleur s’est calmée très vite, remplacée par une sensation mouillée, un peu comme des règles. Quand il a senti que je me décrispais, Arthur s’est lentement retiré, puis est re-rentré. Ce n’était plus douloureux, ça glissait bien. Au bout de deux ou trois mouvements, il a eu comme un grand frisson et s’est laissé tomber de tout son poids sur moi. Il grelottait. J’ai compris que c’était fini. »

Voilà enfin un éditeur qui a le courage de publier un livre pour des élèves de 3e dont on sait qu’ils ont quasiment tous vu des films porno plus ou moins en cachette. Alors ça fait scandale pour l’instant, sans doute, et il est évident qu’on ne va pas le faire lire en classe, mais peut-être le glisser discrètement dans une liste de conseils de lecture, en précisant que les élèves chastes feraient bien de choisir autre chose [2]. À mettre dans la même liste que Ne m’appelez plus Julien de Jimmy Sueur (dans le livre de J. Sueur, il n’y a que deux scènes de sexe, mais elles vont beaucoup moins loin que celle-ci.) On opposera également ce livre à Sweet homme de Didier Jean et Zad, car ici, Gudule a pris soin de noter que s’il avait cédé, Letellier risquait gros (p. 26). Lisez La vie en rose de la même auteure, pour savoir ce qu’il en coûte de fréquenter les vieux hétéros pour les jeunes filles innocentes ! En comparant ces deux romans, on peut se demander quelle est la part autobiographique dans le personnage de Delphine.

Ce que l’on peut reprocher cependant, c’est que le prof aurait pu dire les choses avec plus de tact, d’ailleurs il prend tout de même des risques en invitant Delphine chez lui. Disons que le thème de l’homosexualité n’est qu’effleuré avec un personnage secondaire. Le thème principal, soyons clair, c’est le dépucelage, c’est ce qui retiendra les jeunes lecteurs. Alors attendez-vous à des réactions vives de la part de certains parents ! L’autre remarque ne concerne pas seulement ce livre. Il s’agit d’une remarque d’ordre statistique sur les récits que nous avons lus jusque-là. Il faut remarquer que dans quasiment tous les cas, même si l’homosexualité est évoquée en thème principal ou secondaire, l’auteur fait passer la pilule avec une scène de drague ou de sexualité entre un garçon et une fille. J’avais déjà remarqué que dans la plupart des films ou téléfilms destinés au grand public et évoquant l’homosexualité, la seule scène de sexe qu’on se tapait était souvent très hétérosexuelle. La question est : à quand un livre français de littérature jeunesse racontant une scène de dépucelage aussi torride que celle de L’amour en chaussettes, entre deux filles ou deux garçons ? Et quand je dis « deux », je ne parle pas de ce que je surprends parfois les élèves se raconter…

 Cet ouvrage bénéficie du label « Isidor ».

Label Isidor HomoEdu

 On comparera avec la superbe scène d’amour entre garçons dans Frère, de Ted Van Lieshout, auteur néerlandophone. Voir aussi la scène de première fois dans Karim & Julien.

 Lire l’entrevue de Gudule et ses autres romans : Le bouc émissaire (L’Instit), Aimer par cœur (L’Instit), L’envers du décor, Étrangère au paradis, La vie à reculons, Le chant des Lunes, Le bal des ombres, et la série autobiographique de La vie en Rose, Soleil Rose et La Rose et l’Olivier. Pour les adultes avertis et potaches, voir aussi La Ménopause des Fées. Gudule a également écrit la préface de mon roman Karim & Julien paru en mars 2007.

Lionel Labosse


Voir en ligne : Le site officiel de Gudule.


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[1La même coquille relevée dans l’édition de Philippe Berthier de Splendeurs et misères des courtisanes, d’Honoré de Balzac, en note p. 593 (Garnier-Flammarion), excuse à moitié Gudule de ce crime de lèse-fabuliste !

[2Article écrit en 2005 ; la situation a dû évoluer depuis dans le bon sens.

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