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Un Instit contre les préjugés, pour les CM1/CM2.

Aimer par cœur (L’Instit), de Gudule

Livre de Poche Jeunesse, 157 p, 2000, 4,5 €.

jeudi 26 avril 2007, par Lionel Labosse

Aimer par cœur est la « novélisation » d’un épisode de la série télévisée L’Instit, de Pierre Grimblat, dirigée par Didier Cohen, d’après un scénario de Didier Cohen, Pierre Pauquet, Pierre Lary et Christophe Martet. Un roman qui garde son intérêt spécifique pour les lecteurs de CM1 /CM2.

Résumé

Alain, le jeune fils d’un hôtelier-restaurateur, accueille lui-même l’Instit, Victor Novak, qui doit loger à l’hôtel pour la durée de son remplacement. Ses parents sont divorcés, mais il s’entend bien avec Marie, la nouvelle épouse de son père Pierre. Victor, « à qui rien n’échappe », remarque certains signes de « détresse partagée » (p. 25) entre les deux époux. Alain surprend une conversation au cours de laquelle son père parle avec Marie de son sida. Il ne dit rien, mais il est bouleversé, et le lendemain l’Instit sera son confident. Pierre tente de rattraper le coup par un gros mensonge, mais dans ces entrefaites, une coïncidence met sous les yeux de Danièle, mère de Marc, le copain d’Alain, le dossier médical de Pierre (elle travaille à l’hôpital). Celle-ci, traumatisée par la mort de son mari terrassé par un virus foudroyant quelques années auparavant, fait jurer à son fils de ne plus s’approcher d’Alain, tout en lui demandant de ne pas dire pourquoi. Ce secret est trop lourd à porter pour un enfant, et au bout de quelques jours, la nouvelle se répand comme une traînée de poudre, d’autant plus que Pierre est le président du Comité d’intérêt local. Ses amis commerçants, notamment les hommes, s’emportent : « J’ai toujours pensé que ce type-là n’était pas net… Pédé, ou drogué, enfin un truc comme ça… » (p. 101). On apprend que « Marie connaissait sa maladie, paraît-il, quand elle l’a épousé » (p. 110). Face au festival d’idées reçues, l’Instit convainc la directrice, qui était d’abord réticente, de consacrer une séance du cours d’éducation sexuelle au sida. L’intervenante « répond de manière limpide aux questions qui commencent à les tracasser, et que leurs parents éludent bien souvent » (p. 121). Elle utilise notamment le jeu « Si Da, No Da », qui, à partir d’un jeu de mots en espagnol (dar = donner), clarifie les doutes sur ce qui transmet ou non le V.I.H. Les enfants une fois rassurés, reste à convaincre les parents, et tout ça se fera dans un grand mélo final que nous vous laissons découvrir.

Mon avis

Il n’y a pas à dire, on a beau entendre les violons lachrymaux à mille mètres, l’Instit fonctionne bien. Les scénaristes et Gudule s’y sont mis à cinq pour faire œuvre pédagogique, et ce serait un comble qu’ils aient raté leur coup ! Ce texte ne s’adresse pas à la même classe d’âge que La vie à reculons, et il me semble conserver son intérêt, même si Gudule elle-même aurait plutôt tendance à renier cette série gagne-pain. Le récit est fort bien construit, avec un spectacle médiéval en fil rouge, au sein duquel l’évocation du sort jadis réservé aux lépreux remet les pendules à l’heure. Cependant, comme dans La vie à reculons, ne craignez aucune évocation complaisante de maladies spectaculaires. Les symptômes sont décrits simplement, sans chercher à effrayer, conformément aux progrès des traitements en 2000. Derrière le thème du sida, des idées sont affirmées sans en avoir l’air, par exemple que les adultes, spécialement les parents, peuvent se tromper, même collectivement. « Si elle m’oblige à lui jeter des pierres, qu’est-ce que je fais ? », se demande Marc (p. 73). Au sujet du sida, le thème de ce mariage en connaissance de cause doit être relevé, car il balaie certains arguments moralisateurs selon lesquels la fidélité serait la seule prophylaxie valable. Lors de la séance d’information, Alain n’a pas peur de poser la question qui fait mouche : « Et s’il est positif pour un des deux ? » (p. 127). On relèvera quelques phrases qui peuvent faire objet de débat : « une pucelle, c’est une jeune fille qui n’a pas encore fait l’amour avec un garçon » (p. 53), répond l’Instit sans se démonter à une question d’un garçon. On aurait rêvé qu’une fillette rétorque : « Et si elle fait l’amour avec une fille, est-elle toujours pucelle ? ». De même quand un garçon dit : « À la télé, ils disent tout le temps que quand on va avec une fille, on doit mettre […] un préservatif » (p. 126), on rêve que l’intervenante précise que si on est un garçon, oui, mais si on est une fille, non ; et que si on est un garçon qui va avec un garçon, oui aussi ! Blague à part : puisqu’il s’agit là d’un texte destiné en priorité aux élèves qui ont l’âge des personnages, on retombe dans la polémique lancée dans le Figaro, à savoir à partir de quel âge doit-on commencer à ne pas évoquer uniquement l’orthosexualité lors des séances d’éducation sexuelle ?

 Cet ouvrage bénéficie du label « Isidor ».

Label Isidor HomoEdu

 Suite à notre critique, Gudule nous a révélé (en exclusivité mondiale !) les secrets de fabrication de ce roman :
 En ce qui concerne Aimer par cœur (dont je n’ai jamais compris le titre) j’ai dû le refondre en profondeur tant le scénario initial me semblait inepte. C’est, je crois, de tous les Instits, celui auquel j’ai apporté le plus de modifications. Je ne pouvais pas me permettre d’écrire, même dans un Instit, l’inverse de ce que je prônais dans La vie à reculons : cela m’aurait retiré toute crédibilité. J’ai donc commencé, à la lecture du scénario, par refuser de l’adapter, puis, devant l’insistance de la directrice de collection catastrophée, j’ai signalé que je changerais tout ce qui n’allait pas dans le sens de mon propre discours. Elle a accepté... et j’ai foncé. Voilà.

 Lire l’entrevue de Gudule et ses autres romans : Le bouc émissaire (L’Instit), Aimer par cœur (L’Instit), L’envers du décor, Étrangère au paradis, L’amour en chaussettes, La vie à reculons, Le chant des Lunes, Le bal des ombres, et la série autobiographique de La vie en Rose, Soleil Rose et La Rose et l’Olivier. Pour les adultes avertis et potaches, voir aussi La Ménopause des Fées. Gudule a également écrit la préface de mon roman Karim & Julien paru en mars 2007.

Lionel Labosse


Voir en ligne : Site officiel de Gudule


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