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Le premier classique homo sur les ados, pour les lycées

Les Amitiés particulières, de Roger Peyrefitte

Éditions T.G. (Textes Gais), 1944, 390 p, 16 €

samedi 16 juin 2007

Malgré les pesanteurs de style vieille France et les longueurs des considérations théologiques érudites à réserver aux passionnés de la chose, lire ou relire ce roman qui a marqué plusieurs générations d’« homophiles » arcadiens nous renvoie à l’évolution que nous avons connue pendant le dernier demi-siècle. Les Amitiés particulières met le doigt sur la pédérastie refoulée qui se cache derrière le discours moralisateur des prédicateurs. Le lien entre homophobie et suicide, problématique actuelle, est présent dans ce premier classique moderne.

Résumé

Georges de Sarre, imbu de sa particule et de son apparence, entre en 4e dans un collège jésuite du Languedoc. La moitié de l’énergie des Pères est consacrée à instruire, l’autre moitié à faire une chasse implacable aux « amitiés particulières ». L’obsession des Pères pour la pédérastie va de pair, bien entendu, avec celle des enfants, dont une bonne partie sont fascinés par l’interdit, au point qu’ils ne peuvent pas vivre une amitié innocemment, et que toute amitié a priori « innocente » est inexorablement poussée sur le registre homoérotique, par la suspicion pathologique des Pères ! Georges s’attache bien vite à Lucien Rouvère, son voisin de chambrée (« Sa piété était gaie », p. 23) ce qui entraîne une jalousie pour André Ferron, ami de sang de Lucien, comme le lui révèle, croyant bien faire, Marc de Blajan, ado aristo hétéro, qui utilise le mot « prosélytisme » (p. 28). Plus ou moins de sang-froid, Georges dénonce et fait exclure André, mais sans bénéfice, puisque Lucien tombe dans une crise mystique, et que de son côté, Georges s’amourache d’Alexandre, son cadet de la division des 5e. La folie des Pères offre aux ados l’occasion de tester leur ferveur, puisque ceux-ci font tout pour empêcher les relations inter-divisions. Georges lie un commerce fort chaste avec Alexandre. Les deux garçons font le pacte du sang et s’entraînent vers l’excellence scolaire. Un nouveau surveillant, le Père de Trennes, se révèle pédéraste, et fait peser de trop près un désir pollué par son pouvoir sur Georges et Lucien, dont il a deviné les secrets. Malgré tous leurs soins à se dissimuler, Georges et Alexandre finissent par se faire pincer par le Père Lauzon, confesseur de Georges, qui, par son implacable acharnement à empêcher cette passion adolescente, engendrera un drame.

Mon avis

Les Éditions Textes Gais (à qui l’on pourra reprocher l’utilisation d’un acronyme honteux pour la réédition de ce texte courageux) ont eu une bonne idée de rééditer ce premier classique de la pédérastie du XXe siècle. Ce texte a fait scandale en tant que roman, a fait scandale comme film 20 ans plus tard, a fait scandale lors de la télédiffusion du film ; mais à partir des années 80 et de l’émancipation gaie, il a pris un sacré coup de vieux. En effet, il ne s’agissait pas de parler de sexualité à l’époque, et tout ce que font ces ados, ainsi que les prêtres consciemment ou inconsciemment pédérastes, ne dépasse pas un poil du slip. Tout au plus a-t-on quelques « chastes baisers ». C’est pourquoi le mot qui convient est « pédérastie », à la fois pour la composante éducative, l’émulation scolaire qui va de pair avec cette passion, l’âge des garçons, et le contexte grécophile symbolisé par la culture du Père de Trennes. Celui-ci, pédéraste (et non pédophile), réveille les gamins pour leur offrir des cigarettes, les faire picoler et leur causer de la Grèce, mais abuse également de son pouvoir de prêtre en les forçant à se confesser. Malgré les pesanteurs de style vieille France et les longueurs des considérations théologiques érudites à réserver aux passionnés de la chose, la relecture des Amitiés particulières est intéressante pour comprendre qu’en l’espace de 60 ans, on est passés d’un excès à l’autre.

Roger Peyrefitte a choisi de montrer des prêtres pédérastes, qui touchent à peine un cheveu des garçons, et dont les garçons savent se défier quand leur approche est physique (le Père de Trennes), mais pas quand leur désir refoulé se mue en violence psychologique. Le père Lauzon, avec la photo d’Alexandre qu’il aura prise en cachette, se révélera bien plus pervers, nuisible et assassin que le Père de Trennes, qui agit franchement. Ce qui est mortifère, c’est la schizophrénie inhérente à cette éducation, qui crée de toutes pièces les conditions de l’amour entre les garçons, tout en le réprimant dès qu’il apparaît. Elle l’engendre par la promiscuité d’une part, et par la lecture de textes de la culture humaniste dans lesquels la censure ne parvient pas à éradiquer toute référence pédérastique, ou de textes religieux plus ou moins ambigus (on dirait du soufisme) qui évoquent à tout moment tel imberbe « Bien –Aimé ». « À votre âge, c’est-à-dire à quatorze ans, saint Nicolas de Tolentino ne se gardait chaste qu’en usant de chaînes, de ceintures de fer et de cilices, jeûnant quatre fois par semaine et ne couchant qu’à même le sol » (p. 192). La citation de l’article « Collégien » du Grand Larousse est éloquente : « ceux qui ont été collégiens nous comprennent » (p. 36). Mais les garçons répriment leurs penchants à cause du bourrage de crâne qu’ils ne peuvent filtrer qu’à moitié : « Sa pieuse amitié l’emporterait sur l’amitié coupable » (p. 43) ; « Georges, sais-tu les choses qu’il ne faut pas savoir ? » (p. 135). Alexandre demande à Georges d’échanger leurs maillots (p. 254), puis rougit de ce fétichisme inconscient. À défaut de livres impies, « le volume le plus demandé à la veille des vacances est le Manuel de l’index ! (p. 72).

Il est bon de comparer ce roman avec le témoignage de Robert Dôle, Comment réussir sa schizophrénie, où l’on voit comment en s’y prenant autrement, dans un autre pays, des prêtres sont parvenus au même résultat, pousser des adolescents soit au suicide, soit à la folie. Pour conclure, en s’attaquant uniquement aux cas de pédophilie avérés, on se concentre sur la partie émergée de l’iceberg. L’autre enseignement de la lecture différée de ce texte, c’est de se rappeler qu’il y a soixante ans en France — ou plutôt 80 ans, époque à laquelle l’auteur a vécu ce qu’il racontera plus tard (voir les annexes de l’ouvrage) — des enfants pouvaient revêtir tous les signes extérieurs de la bigoterie, et à l’intérieur brûler d’amour charnel. Quant aux religieux sexophobes qui les enseignaient, ils recevaient la plus grande respectabilité sociale, parce que leurs résultats pédagogiques étaient par ailleurs remarquables. Cette constatation devrait nous permettre — à condition que nous quittions nos préjugés — de prendre du recul par rapport à la question du voile et des prédicateurs musulmans d’aujourd’hui. C’est en cela que la lecture de ce roman peut être riche d’enseignements pour nos élèves actuels. On n’oubliera pas le contexte. En effet, Les Amitiés particulières est l’exact contemporain d’Antigone de Jean Anouilh (1944), dans lequel une adolescente en révolte préfère mourir plutôt que d’accepter les compromissions du monde des adultes. Le système de contrôle installé par les prêtres, et le système de défense des enfants, ne peuvent pas ne pas faire allusion en filigrane au système de contrôle de l’armée d’Occupation et aux possibilités de Résistance. Une phrase de Georges fait écho à la révolte d’Antigone contre la « tête de cuisinier » de Créon : « Leurs visages avaient été remplacés par ces visages d’hommes, sur lesquels la vie, la laideur, l’uniformité, le rasoir étaient passés » (p. 293).

 On retrouvera le personnage du père de Trennes en pieux pédéraste chenu dans Les clés de Saint Pierre, publié en 1955.

 Pour des œuvres plus modernes sur la même problématique, voir Les feluettes, pièce de l’auteur canadien Michel-Marc Bouchard, ou Drôle de garçon, de Shyam Selvadurai, dont l’action est au Sri-Lanka. Lire un article de Christine Hudon et Louise Bienvenue, de l’Université de Sherbrooke (Québec) : « Entre franche camaraderie et amours socratiques. L’espace trouble et ténu des amitiés masculines dans les collèges classiques (1870-1960) ».

 Pour des œuvres moins modernes, vous pouvez lire en ligne un roman d’Achille Essebac, L’Élu, œuvre oubliée du début du XXe siècle, sur une relation pédérastique collégienne, après Dédé, du même auteur. On nous signale également Les pervertis, roman d’un potache, de Ferri-Pisani, Librairie Universelle, 1905. Merci à Jean-Yves, dont vous pouvez également lire la critique du film de Jean Delannoy, et l’analyse sur Les Amitiés particulières.

Lionel Labosse


Voir en ligne : Site et liens sur Roger Peyrefitte


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Messages

  • Je me penche là dessus car, l’impression de fraterniser fortement avec un garçon un peu plus jeune donne immédiatement l’impression d’être gay, ou pédophile...

    On passe d’un extrême à un autre pour moi... Ne peut on pas laisser faire tout simplement ? Je parle bien sur d’enfants ou adolescents ayant à peu près le même âge. Un adulte ayant la trentaine, inconnu, ayant des contacts fraternels intenses voir plus avec un enfant ou adolescent est tout de même à prendre avec plus de pincettes.

    Mais je veux dire : deux adolescents ou enfants qui vont par exemple se livrer à des choses sexuelles entre eux ne sont pas forcément dangereux, ce n’est pas anormal. C’est ainsi depuis la nuit des temps. Mis à part que la société actuelle a comme je l’ai dis basculer d’un extrême à un autre...

    • Après avoir regarder ce film, je peux dire que c’est tout d’abord triste la mort de cet enfant. Mais d’un autre côté, l’autre, lui adolescent recherché plus qu’une complicité intense avec lui. Peut être un rapport plus "physique". C’est cela qui est mal saint. Dommage car semblait être un bon film, plein de tendresses. Or pour moi cela me rebute un peu... Un ado pervers attiré par un tio de 12 ans voilà ce que l’on voit pour résumé. Et non pas une relation grand frère/petit frère comme je l’espérais...
      Quelqu’un aurai t’il une réaction ? Même pas un responsable du site pour donner son avis ?
      Thomas.

  • l amour êst transendant il se fout completement de l ages du milieu social des quandira t on il frappe quand il veux ou il veux et qui il veux l amour d alexandre etais pur il le dèfendi envers et contre tout c est professeurs inquisiteurs ne pur lui faire avouer que voulais t ils de lui eux qui pronais l amour du prochain n avais meme pas un èchantillon sur eux comme l aurai dit coluche de cette amour merveilleux quel qu il sois et qui rejoind peut etre celui de dieu