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Lulibérine et liberté amoureuse, pour adultes

La Vie, l’Amour, le Sexe, d’Arthur Vernon

Tabou, 2012, 168 p., 13 €.

samedi 19 juillet 2014

Arthur Vernon utilise différents genres artistiques ou littéraires pour exalter la liberté sexuelle. Il a publié un roman, a écrit et mis en scène une pièce de théâtre : Rêveries d’une jeune fille amoureuse, qui a inspiré un film documentaire. Son point de vue est plutôt hétéro, mais il prend en compte la bisexualité ou l’homosexualité, et son positionnement radical pour la liberté sexuelle, contre le mariage, en font un véritable altersexuel, espèce rare en notre époque où ce sont les homosexuels qui ont repêché dans les latrines de l’histoire le bon vieux mariage et son hideux compagnon le divorce. La Vie, l’Amour, le Sexe est un essai paru en 2012, reparu dans une version corrigée en 2013. Si le propos n’est pas nouveau, le recours au détour de la biologie permettra peut-être de convaincre les esprits moins littéraires que scientifiques.

L’avant-propos pose l’auteur en gourou proposant non seulement un livre, mais une « philosophie de vie » permettant l’accès à un « bonheur largement plus important que celui que vous éprouvez globalement » (p. 13). Avant de plonger au vif de la question sexuelle, on a droit à des théories originales, agrémentées de schémas, qui exposent une conception athéiste de la vie. Une « allégorie de la plaine et de la montagne » (p. 17) se situe au croisement de l’allégorie de la caverne de Platon et de la métaphore des nains sur des épaules de géants de Bernard de Chartres. La philosophie, la biologie, et même les mathématiques, les probabilités, sont mises à contribution. La forme essai et l’absence de notes et de référence sont justifiées par une volonté d’efficacité (p. 23), ce qui n’empêche pas que certaines références absentes nous gênent.

La Vie

La philosophie exposée se veut radicalement matérialiste : le « corps humain […] n’est que matière » (p. 28). En bon Darwinien, l’auteur fait remarquer que, de même que l’homme de Néandertal, l’hominidé qui infeste la terre actuellement n’est qu’un « avatar de l’univers » (p. 31). Cela amène des considérations laïcardes : les « religions […] rendent la vie triste, austère, pénible » (p. 47). Ces considérations ne convaincront que les convaincus. Il est toujours difficile se comprendre que des gens n’ont pas les mêmes conceptions que nous. J’ai beau être athée itou, cela ne m’empêche pas de constater qu’il existe de nombreuses personnes pour qui la religion rend la vie gaie, et de nombreux athées que l’athéisme ne parvient pas à guérir de la tristesse, et qui se suicident. Si certaines personnes jouissent de l’amour de dieu, qu’est-ce que cela peut bien nous faire, du moment qu’elles ne cherchent pas à nous imposer leur vision [1] ?

L’Amour

La seconde partie de l’ouvrage introduit le thème important de la lulibérine : « Une fois secrétée par l’hypothalamus, la lulibérine va « inonder » notre cerveau de façon à ce que celui-ci se consacre quasi-exclusivement à la conquête d’un corps désiré » (p. 73). Or cette lulibérine peut être à nouveau secrétée à chaque rencontre, et « chacun a donc une vocation biologique à éprouver plusieurs passions dans sa vie » (p. 76). L’amour-passion n’est donc qu’une illusion. Une seconde hormone, l’ocytocine, « crée un fort attachement entre les individus », de sorte que « Les membres d’une même famille, parents et enfants, vont donc ressentir l’un pour l’autre un sentiment d’attachement qui provient de la même source biologique ». Or ces deux hormones sont incompatibles, et plus l’ocytocine se développe, plus la lulibérine est contrée, d’où l’idée très originale selon laquelle « au-delà d’un certain seuil de vie commune, la relation sexuelle entre parents relève de l’inceste » (p. 95). Selon l’auteur, « le drame de l’humanité [serait d’]avoir créé des règles sociales inadaptées aux règles biologiques » (p. 97). Cela me fait penser à ce qu’André Gide appelait « décristallisation » dans Les Faux-Monnayeurs.

Le Sexe

Le point de vue de cette partie culminante de l’essai est également biologique. Le rôle de la dopamine dans la recherche des plaisirs, entre autres sexuels, est souligné (p. 105). Darwin est à nouveau convoqué pour justifier l’exubérance des actes érotiques « qui n’ont aucune efficacité reproductrice » permettant néanmoins globalement d’assurer la reproduction. C’est parmi ceux-ci que l’auteur classe l’homosexualité, avant d’ajouter prudemment : « les recherches scientifiques récentes tendent à montrer qu’il existerait peut-être un terrain génétique propice au développement d’une plus grande réceptivité à l’homosexualité » (p. 108). Ah bon ? Cela confirmerait donc échelle de Kinsey ! Malgré les gants rhétoriques, on aimerait bien connaître les références de ces recherches. Ne sont-elles pas les mêmes que celles qui sont condamnées dans cet article ? Mais le parti pris de l’auteur est de ne jamais citer ses sources… L’addiction sexuelle, apprend-on, n’existe pas en tant que telle, même si certains individus ont un comportement addictif (p. 111). En parlant d’addiction, l’effet Coolidge donne lieu à un développement intéressant. Les analyses biologiques rejoignent la psychologie dans ce développement qui s’applique parfaitement à l’érotique de Casanova, distincte de celle de Don Juan : « le plaisir sexuel ressenti dans une phase d’excitation amoureuse est plus intense que celui ressenti autrement. Les purs hédonistes peuvent donc avoir tendance à privilégier un état amoureux aux fins de ressentir un plaisir sexuel plus fort » (p. 118).
Le mariage – et nous nous en réjouissons – n’est pas la tasse de thé d’Arthur Vernon : « acte social extraordinaire […] pour célébrer […] la mort du plaisir » (p. 123). Vernon condamne autant le mariage que la pression sociale parallèle qui dans certains milieux valorise la drogue et une certaine sexualité délétère (p. 127). Du côté des femmes, il voit dans le fait que 25 % des femmes soient incapables d’éprouver du plaisir sexuel un « crime contre l’humanité », qui englobe l’excision (p. 130). Vernon rejoint donc le camp des féministes pro-sexe, dans un appel au respect en matière de sexualité qui ne recouperait pas une suspicion d’abus sexuel dès qu’on tente de séduire une personne : « respect (et reconnaissance) de l’invitation au plaisir, qui ne doit pas être perçue comme une agression » (p. 131). Pour en revenir au mariage, ou plutôt au couple, une « vision apocalyptique » évoque trois options lorsque la lulibérine disparaît : la rupture, la résistance (la sexualité forcée confinant à l’inceste selon sa redéfinition du terme), ou la trahison. Pour sortir de cette spirale d’échec, Arthur Vernon propose de considérer la sexualité comme un « divertissement » (p. 136). Toutes les personnalités ayant accès aux médias devraient selon lui prôner de « nouvelles normes » sexuelles (p. 143).

Les risques de l’utopie

Ces nouvelles normes sont inventoriées dans une utopie finale permettant de conjurer l’angoisse de la rupture ; cela va du libertinage au « ménage à trois », en passant par l’officialisation de la fin de la sexualité, transformant le couple en famille (p. 146), etc. Le dernier chapitre « aller plus loin » révèle la faille fréquente de bien des utopistes (voir Charles Fourier par exemple). Vernon propose que l’État distribue un « fascicule qui serait remis gratuitement à tous ceux pratiquant une religion » (p. 155). Ledit fascicule résumerait Darwin et révélerait à ces égarés qu’après la mort il n’y a plus rien. Malgré la sympathie que m’inspire l’ensemble de l’ouvrage, ces propositions me font frémir, comme celle (ci-dessus) consistant à prôner un bourrage de crâne par l’élite médiatique. Remplacer un esclavage par un autre n’est pas la solution (et si je voulais jouer sur les mots, je rappellerais l’étymologie fâcheuse de « fascicule » ; bref, pas plus de « petit livre rose » que rouge !) Contentons-nous de briser les chaînes, sans en imposer d’autres. D’autres propositions farfelues amusent : « les jeunes filles doivent être initiées le plus tôt possible à la masturbation […]. Cette initiation, à entreprendre dès l’âge de la maternelle, relèvera de la responsabilité de l’Éducation nationale » (p. 158) [2]. On incline davantage à croire Vernon quand il prévoit « qu’un contexte plus libéré aboutira à une généralisation naturelle de la bisexualité » (p. 159). Ajoutons que c’est conforme à l’état des choses constaté par les historiens avant ou en dehors de l’invention des religions monothéistes. Dans les dernières pages, Vernon rejoint l’idée de contrat universel de votre serviteur : « le mariage pourrait subsister mais uniquement s’il retrouvait son rôle économique originel » avec « un contrat dont les termes seraient très libres […] silencieux sur la sexualité des parents » (p. 160). N’est-ce pas la meilleure révolution que cette évolution ? L’évolution, comme disait l’autre, est une révolution sans en avoir l’R !

 Lire sur le site Ragemag, une entrevue d’Arthur Vernon, avec des commentaires virulents, qui me rappellent que j’ai eu bien raison de supprimer la possibilité de commentaires sur mon site : quand on accouche d’un article qui nous a coûté plusieurs heures de travail gratuit, comment peut-on éprouver le besoin que des excités du clavier viennent faire les leurs au-dessous de notre article ?
 La hasard m’a fait voir à la cinémathèque pendant la lecture de ce livre, La Maman et la putain, le film-culte de Jean Eustache, lequel se suicidait 8 ans après le film. Un film désespéré sur l’amour, qu’on peut considérer comme réactionnaire si on veut, ou lucide si on préfère, et qui, avec la fin tragique de son auteur, nous invite à nous méfier des tentatives d’imposer de « nouvelles normes » qui pourraient s’avérer aussi impuissantes que celles qu’elles remplacent, à nous faire accéder au bonheur.

Lionel Labosse


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[1Lire à ce propos l’entrevue de Vernon (voir ci-dessous), qui rappelle la différence entre hédonisme et eudémonisme.

[2Quand on voit ce que la diffusion non pas en maternelle, mais en primaire, d’un film aussi innocent que Tomboy provoque chez certains esprits rétrogrades, on n’imagine pas ce que les propositions de Vernon pourraient engendrer !