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Le prince insensible aux princesses, jusqu’à la 6e

Prinçusse Klura et le dragon, de Tormod Haugen

École des Loisirs (Neuf), 2002, 72 p, 8,2 €

mercredi 8 septembre 2010

Sur un thème, devenu depuis classique, de l’anti-conte de fées anti-sexiste, Tormod Haugen, auteur norvégien, proposait en 2002 ce court récit fort amusant, traduit de main de maître en 2006 par Jean-Baptiste Coursaud. Une princesse vole au secours d’un prince fait prisonnier par un méchant dragon. Or celui-ci, au lieu de se pâmer pour la princesse telle une faible femme se pâmant pour son Zorro, se plaint de n’avoir pas plutôt un chevalier comme sauveur !

Prinçusse Klura est un véritable cancre, elle ne fréquente l’école de son royaume que contrainte et forcée, au grand dam de son précepteur, le « prufesseur Puttersen ». Un jour, ses parents lui apprennent que le prince Rethor, fils du roi Rathur, a été fait prisonnier par un dragon, et que seule une princesse dans son genre, sachant danser la rumba, est en mesure de le délivrer. Elle s’y rend confiante, sachant qu’elle dispose d’une arme secrète redoutable, la « chanson en U ». Quand elle s’adresse au dragon, elle ne mâche pas ses mots : « Les dragons capturent les princesses. Et après, un abruti de prünce ramène sa fraise, dupe ce deux fois plus abruti de dragon, libère cette cinq fois plus abrutie de prinçusse, et ne trouve rien de plus abruti à faire que de se marier avec elle pour empocher la moitié du royaume » (p. 22). Le problème c’est que les neuf princesses du royaume arrivent à la queue leu leu juste après Prinçusse Klura. Il y a notamment Prinçasse Bragitte, Princisse Cicile, etc. et toutes avec leur adorable défaut de prononciation, dont le côté délirant culmine avec la fameuse chanson en U reprise en chœur par les 9 princesses (p. 38), ce qui donne des mots illisibles comme (je cite le plus court) : « puaioouœuaninonr », qui justifient que le traducteur ait obtenu nonuple salaire !
Quand on arrive au vif du sujet, il s’avère qu’effectivement, Prinçusse Klura est la seule, malgré son inculture, à pouvoir pénétrer dans la caverne du dragon, creusée au rythme de la rumba. Malgré leur rivalité, cela rend admirative Prinçasse Bragitte, qui « la dévorait du regard » (p. 44). Arrivée auprès du prisonnier, Prinçusse Klura doit subir ses jérémiades : « C’est pas que tu crois que je suis resté trois semaines à poireauter dans ce trou pour qu’une fille vienne me délivrer ? […] Je veux être délivré par un chevalier. C’est les chevaliers qui sauvent ceux qui ont été capturés par un dragon » (p. 51). Prinçusse Klura laisse tomber le prince, à son grand dam, et le livre en pâture aux princesses, qui rêvent toutes d’obtenir ainsi la moitié de son royaume. Mais le dragon parviendra à sauver son prisonnier – syndrome d’Oslo, ou plutôt de Stockholm ? – de la horde des princesses ? Enfin, Prinçusse Klura et Prinçasse Bragitte se promettent amitié, et la suite au prochain épisode !

Le thème de l’homosexualité est seulement suggéré par deux phrases ambiguës du prince, et peut-être par la séduction sous-jacente à la relation entre les deux princesses. Mais cela n’empêche pas ce petit chef-d’œuvre d’être percutant. Les jeunes élèves sauront parfaitement percevoir les enjeux altersexuels de cette mise à plat du conte traditionnel, et son côté anti-sexiste également, avec l’inversion des rôles traditionnels de la princesse passive et du prince entreprenant. La jouissance textuelle parfaitement rendue par la traduction est un atout majeur du livre, et se prêtera à tous les jeux pédagogiques imaginables, au premier rang desquels la mise en voix, qui permet de donner des rôles à la moitié d’une classe de 6e par exemple, en faisant jouer, bien sûr, les princesses par des garçons ou des filles indifféremment ! On se réjouit d’avance des adaptations que créeront les élèves à partir de ce canevas. Les dialogues des princesses en i, en œ, en an, etc. sont des sources perpétuelles de fous rires. Bref, régalons-nous avec ce chef-d’œuvre iconoclaste !

 Cet ouvrage bénéficie du label « Isidor ».

Label Isidor HomoEdu

 Dans le genre « revisitons les contes de fées », lire les critiques de Titiritesse, de Xerardo Quintia, illustrations de Maurizio A. C. Quarello et de La Princesse qui n’aimait pas les princes, d’Alice Brière-Haquet & Lionel Larchevêque.
 Lire l’article de Malika Person pour Le Matricule des anges.
 Le traducteur Jean-Baptiste Coursaud est également auteur de L’homosexualité, entre préjugés et réalités. Il a traduit du norvégien On est forcément très gentil quand on est très costaud, de Dag Johan Haugerud et Caulfield : sortie interdite, de Harald Rosenlow Eeg. Voir La Fille du squat, de Ragnfrid Trohaug et L’Été où papa est devenu gay, de Endre Lund Eriksen, autres ouvrages traduits du norvégien.

Lionel Labosse


Voir en ligne : Fiche sur l’auteur sur le site de l’éditeur


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