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Dinet, Lazerges, Guillaumet, Vuillard, Girodet, Delaunay, Jongkind

Chefs-d’Œuvre des Musées des Beaux-Arts d’Alger & d’Oran (Algérie 2/4).

Despiau, Poisson, Gargallo, Blachette, Caujan, Belmondo

samedi 10 juin 2023, par Lionel Labosse

J’écris cet article à part de l’article principal, à la suite d’un voyage en Algérie en avril-mai 2023. En effet, quand on confronte nos idées reçues sur l’Algérie contemporaine, embrumées par ce doux parfum de terrorisme & d’obscurantisme épandu depuis trois décennies par le brumisateur des officines de propagande mondialistes, on est tout ébaubi en visitant ces musées – héritage de notre horrible colonisation que « condamne » le wokisme en vogue dans le monde de repentance où veulent nous ravaler les gorets qui dirigent la France et le monde otanien – de la qualité des œuvres qui n’ont été ni détruites ni remplacées. De plus, le fonds du musée d’Alger comprend des œuvres de qualité évoquant Paris, que je mets de côté ici dans la perspective du thème de BTS 2023-2025 « Paris, ville capitale ? ». Le musée d’Oran est moins intéressant pour son contenu que pour le contenant.

Voici une présentation du musée d’Alger inspirée de Wikipédia : « le Musée national des Beaux-Arts d’Alger est l’un des plus grands musées d’art d’Afrique. Inauguré le 5 mai 1930, mais ouvert au public en avril 1931, il est situé au sud du Jardin d’essai du Hamma, en contrebas du biennommé Mémorial du Martyr. À l’origine c’est dans les locaux délabrés de la Société des beaux-arts fondée par Hippolyte Lazerges en 1875 que la municipalité d’Alger conservait ses œuvres d’art.

Jardin d’essai vu depuis le Musée des Beaux-Arts d’Alger, statue de Georges Béguet.
© Lionel Labosse / Musée des Beaux-Arts d’Alger

Le musée ayant été plastiqué par l’OAS à la veille de l’indépendance, quelque trois cents de ses œuvres sont transférées en avril 1962 à Paris et déposées au musée du Louvre. Jean de Maisonseul (1912-1999), nommé en novembre 1962 conservateur du musée (qui devient musée national des Beaux-Arts d’Alger) au titre de la coopération, à la demande du ministère algérien de l’Éducation nationale, en assure la réouverture en juillet 1963 et mène de longues négociations qui aboutissent en décembre 1968 à la restitution des 157 peintures et 136 dessins – « bien que dès le début André Malraux, alors ministre de la Culture, ait reconnu que ces œuvres appartenaient à l’Algérie », précisera-t-il. Maisonseul, conservateur jusqu’en 1970, entreprend simultanément par sa politique d’acquisition de remédier à la pauvreté du fonds d’art algérien, introduisant notamment au musée des œuvres de Baya, Benanteur, Guermaz, Khadda, Martinez et Bettina Heinen-Ayech. Un important ensemble d’œuvres d’art contemporain offertes par les États lors de l’accession de l’Algérie à l’indépendance va s’y ajouter. »

C’est une des nombreuses preuves que les autorités de l’Algérie indépendante ont été loin de faire « du passé table rase » ! De plus, la sculpture anonyme installée (entre autres) sur le balcon face au jardin d’Essai et qui montre ses jolies fesses à toute la ville est le témoin d’un islam pas très regardant, enfin je veux dire qui n’a rien contre regarder la nudité féminine ! D’ailleurs dans mes photos de voyage vous pourrez apprécier parmi les statues du Jardin d’Essai, une ravissante statue couchée représentant une femme nue anadyomène, œuvre de Georges Béguet, sculpteur français né à Alger (1884-1952), professeur de Paul Belmondo. Notre guide nous a appris que pendant la décennie noire, ladite statue avait disparu, et on avait fini par la retrouver dans le jardin d’un ministre (ou d’un député je ne sais plus) !
Voici donc quelques œuvres que j’ai appréciées.

Peintures et arts graphiques

Nasreddine-Étienne Dinet (1862-1929), L’Oiseau bleu.
© Lionel Labosse / Musée des Beaux-Arts d’Alger

J’ai découvert un peintre à la biographie édifiante, Nasreddine-Étienne Dinet (1862-1929). Né à Paris, il voyage régulièrement en Algérie à partir de 22 ans, apprend l’arabe, achète une maison, se convertit à l’islam. « Durant la Première Guerre mondiale, la famille Dinet transforme le château familial d’Héricy en hôpital pour accueillir les blessés de guerre. Il s’inquiète du moral des troupes musulmanes et esquisse des projets de stèles mortuaires pour les combattants musulmans tombés au combat ». Les horreurs de la colonisation ! J’ai particulièrement apprécié L’Oiseau bleu, intitulé L’Aveugle sur l’article de Wikipédia mais « L’Oiseau bleu » sur le cartel. Parmi mes photos vous trouverez aussi Les Guetteurs, avec la tronche de Jean-Paul Belmondo au milieu (!) et La Cueillette des abricots.
Dans la veine orientaliste, Jean-Raymond-Hippolyte Lazerges (1817-1887), a réalisé un magistral Porteur d’eau (1878). Une vidéo en arabe est consacrée à ce tableau.
Gustave Guillaumet (1840-1887) est un orientaliste majeur, très présent au musée d’Orsay avec notamment Prière du soir dans le Sahara, un tableau de 3 mètres qui fait l’objet d’un article en anglais sur Wikipédia ! « Cet artiste visionnaire a su porter un regard lucide et franc sur les débuts de la colonisation, les épidémies et la famine qui ont sévi brutalement entre 1866 et 1869, en réalisant des œuvres bien loin des clichés de nombreux peintres orientalistes ». Sa tombe ornée d’un bronze magnifique se trouve au cimetière Montmartre à Paris. Au musée d’Alger on peut admirer le délicat Fileuse à Biskra et Un marché arabe en Algérie, qui retranscrit le « beau désordre » oriental, effectivement loin des clichés orientalistes.

Marc-Alfred Château (1833-1908), Patio.
© Lionel Labosse / Musée des Beaux-Arts d’Alger

Marc-Alfred Château (1833-1908) a suivi un itinéraire en partie semblable à celui d’Étienne Dinet, se rapprochant progressivement de l’Algérie. Son tableau intitulé Patio est étonnant pour être exposé librement dans un pays musulman, car il coche toutes les cases du politiquement incorrect !
Le musée recèle aussi une collection qui n’a pas le moindre rapport avec l’Algérie, sans doute des dépôts ou legs. Du célèbre Anne-Louis Girodet (1767-1824), Brutus envoyant ses fils au supplice, un néoclassique très pompier avant la lettre !
D’Édouard Vuillard (1868-1940), désormais hôte du Cimetière des Batignolles, j’ai photographié un Intérieur intimiste qui est aussi un beau portrait de femme.
En ce qui concerne les arts graphiques, d’un certain Ludovicus Tesco Taurinensis j’ai photographié une des Planches pour les loges du Vatican représentant une couple de satyres jouant à la balançoire. On dirait macron et son trav ! Un détail d’une « Carte des costes de l’Afrique sur la mer Méditerranée et le détroit de Gibraltar, les Isles de Madère… », chez Pierre Mortier (À Amsterdam), 1711, à retrouver sur Gallica. J’ai mal photographié une gravure du XVIIIe ou XIXe je pense, intitulée « Vue d’Alger », que je n’ai pas retrouvée sur Internet. On trouve en revanche un grand nombre de sites consacrés à l’histoire d’Alger avec une iconographie attrayante, comme « Alger, principal nid de pirates barbaresques » ou l’article de Wikipédia Régence d’Alger (1516-1830). Dans la Bibliothèque du musée nous avons pu voir des gouaches de Baya.

Le Panthéon (ou Vue du quai du Louvre), Robert Delaunay (1885-1941)
© Lionel Labosse / Musée des Beaux-Arts d’Alger

Pour finir avec cette catégorie, deux peintures là aussi très déplacées à Alger, peut-être issues de collections de nostalgiques de Paris, Le Panthéon de Robert Delaunay (1885-1941), que j’ai difficilement retrouvé sur Internet sous le titre Vue du quai du Louvre, étonnamment daté de 1928, qui témoigne d’une maîtrise sans rapport avec ses œuvres de jeunesse ni avec le simultanéisme, peut-être un chouia de cubisme, et Paris se voit traité comme un village français avec son église qui domine un quartier à taille humaine, de même pour La Barrière de Vanves de Johann Barthold Jongkind (1818-1891), un tableau qui témoigne d’un Paris du passé. Du coup j’ai découvert sur Internet plusieurs vues par le même peintre de ce Paris en chantier qui ressemble à un douar, Paris de Balzac ou de Hugo, Paris des barrières ou de la Seine d’antan.

La Barrière de Vanves, Johann Barthold Jongkind (1818-1891).
© Lionel Labosse / Musée des Beaux-Arts d’Alger

Sculptures

Le musée est aussi fort riche en sculptures et œuvres en 3D. Sur le balcon en dehors du bronze ci-dessus, on peut admirer de François-Étienne Captier (1840-1902), le buste du Dr Rouby, qui n’a a priori rien à voir avec l’Algérie. Charles Despiau (1874-1946) semble ne rien avoir à voir non plus avec l’Algérie ; j’ai photographié son Athlète assis, fort impudique, sorte de radiographie du jeune Arabe assis (variante du hittiste cher à Fellag [1]), à travers culotte & djellaba !
Bas-relief de Pierre-Marie Poisson (1876-1953) La fête chez les Ouled-Naïl pour le Paquebot France (1912). Attention, c’est très colonialiste !
De mon vieil ami Pablo Gargallo (1881-1934), les Porteuses de cruches ou Porteuses d’eau que j’inclus ici parce que j’ai eu du mal à en trouver une sur Internet, mais aucune photo de ce groupe exceptionnel, et tellement différent du style de Gargallo tel qu’on peut l’admirer à Barcelone ou à Paris. L’œuvre serait a priori datée de 1925, soit postérieure à des œuvres plus stylisées.

Pablo Gargallo (1881-1934), Les Porteuses de cruches.
© Lionel Labosse / Musée des Beaux-Arts d’Alger

De Lucienne Blachette, j’ai photographié Le Pâtre. On ne trouve aucune information sur cette artiste à part des gazettes de salles de vente. De François Caujan (1902-1945), une Tête d’Africain qui devrait déclencher les foudres wokistes, tant cet Africain a l’air… africain !
De Mohamed Bouzid (1929-2014), est exposée la « maquette du sceau de la République algérienne démocratique et populaire » que j’ai photographiée. Il y avait une exposition de magnifiques vases en verre soufflé des frères Adda et Ahmed Loumani, qui incluent pour certains d’entre eux, des représentations de peintures célèbres. J’ai photographié un vase consacré à Guernica de Picasso et un autre intitulé Danse des animaux jaunes. Une petite salle est consacrée à Paul Belmondo (1898-1982), sculpteur né près d’Alger, dont on admire les sculptures disséminées dans la ville, par exemple l’ancien Foyer civique du Champ-de-Manœuvre, avec ses bas-reliefs réalisés par Paul Belmondo et Georges Béguet, devenu la Maison du peuple et le siège de l’UGTA (Union générale des travailleurs algériens). Là encore, des poitrines féminines qui n’ont pas l’air de choquer plus que cela.

Musée national d’Oran

Le Musée national Zabana d’Oran porte le nom de la rue où il est situé, en hommage à Ahmed Zabana (1926-1956), combattant de la révolution algérienne (lisez « martyr » pour les Algériens). Il offre une pinacothèque modeste en nombre mais prestigieuse en qualité, et une riche & poussiéreuse collection de préhistoire & de zoologie.
J’ai volé cette photo de Gabriel-Charles Deneux (1856-1943), Femme de Tlemcen au puits sacré de Sidi Boumédiene. Deneux fut l’élève d’Alexandre Cabanel (haï de Zola) et du grand peintre académique haut-patatois Jean-Léon Gérôme (cf. mon roman M&mnoux), c’est vous dire la qualité du gars. Dans cette peinture quasi photographique nous reconnûmes parfaitement le sujet, que nous avions visité l’avant-veille à Tlemcen et qui n’avait pas changé en un siècle ! Vous pourrez comparer les photos.

Gabriel-Charles Deneux (1856-1943), Femme de Tlemcen au puits sacré de Sidi Boumédiene.
© Lionel Labosse / Musée national Zabana d’Oran

J’ai volé aussi une photo de Femme au repos d’André Sureda (1872-1930), orientaliste prolifique.
J’ai ajouté une photo d’une autre peinture de Nasreddine-Étienne Dinet, Hommes en observation. Je n’ai pas vu le tableau de Jean-François Millet La Becquée, phare du musée volé en 2014, puis retrouvé en France et restitué.
La plus grande originalité de ce musée réside en fait dans les mosaïques qui ornent sa façade. J’ai mis en vignette de l’article une mosaïque évoquant l’instruction avec le petit macron tout nu qui écrit sous la férule de son maître pédophile Jean-Brichèle : « S’instruire est le devoir de tout Français… », à remplacer désormais par « Porter une muselière est le devoir de tout écolier… ». Il y a peu de traces de ces mosaïques sur Internet, alors voici quelques extraits d’un article intitulé « La mosaïque en représentation : la Maison Tossut à Alger » de Boussad Aïche :
« Couramment utilisée à Paris ou à Casablanca à la même période, l’iconographie Art déco se révèle aussi au musée des Beaux-Arts d’Oran (anciennement musée Demaëght) construit par l’architecte Georges Wolff (1873-1970). À un moment où l’art mural tient une place importante dans le décor des bâtiments publics, l’occasion est donnée aux artistes de réaliser des œuvres artistiques pour la décoration de pans entiers de murs afin de recevoir des fresques, des bas-reliefs ou encore de grandes peintures murales à l’occasion de la célébration du Centenaire [de l’Algérie française].
L’artiste Fernand Belmonte (1897-1981), natif des environs d’Oran et enseignant à l’École des beaux-arts, réalise les cartons de l’imposante fresque en mosaïque qui se déploie sur une longueur de 75 m et une hauteur de deux mètres. Sous forme de frise, encadrée par des bas-reliefs évoquant des scènes de la mythologie, elle participe à la mise en scène de la puissance novatrice du projet tout en s’intégrant à l’esthétique sévère et rythmée de l’architecture du bâtiment. La fresque se prolonge derrière l’imposant péristyle de la façade formé par quatre colonnes encadrant les portes d’entrée.
Dans le même esprit, et faisant référence au même langage, les Tossut collaborent une nouvelle fois avec Belmonte pour exécuter les mosaïques de la Maison du Colon d’Oran, aujourd’hui Palais de la culture, place Zeddour Ibrahim (anciennement place Kargentah), conçu par les architectes Georges Wolff et Ernest J. Brunier (1888-1979) ».

Mosaïques du musée Demaëght et de la Maison du Colon d’Oran (actuels Palais de la culture & Musée national Zabana), par les Frères Tossut (1930).
© Lionel Labosse / Musée national Zabana d’Oran

Vous trouverez aussi des photos de ces fresques sur ce site consacré à Fernand Belmonte. Voyez ci-dessus mes photos (des fresques du musée & de celles de la maison du Colon) que j’ai toutes retouchées & recadrées comme vous l’avez remarqué j’espère pour toutes ces modestes photos de voyage & votre plaisir. Inutile de me remercier pour ces milliers d’heures de travail ; adressez-moi seulement vos critiques les plus acerbes ; c’est l’intention qui compte !

Lionel Labosse

 Lire aussi « Jean-Michel Trogneux ou L’Arlésienne à Alger » (Algérie 1/4), Voyage en Algérie (3/4) : aspects politiques et Voyage en Algérie (4/4) : Aspects touristiques.
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[1En réécoutant ce sketch de Fellag qui date de 1998, je me rends compte comme le temps a passé. Fellag raconte que les dictionnaires étaient expurgés à la douane de toutes les images de corps humain, jusqu’aux squelettes anatomiques. La question est : est-ce qu’à cette époque troublée les œuvres d’art actuellement visibles partout en Algérie représentant le corps humain étaient recouvertes ?