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Couloir de la mort et de l’amour, à partir de la 3e

Mon père est américain, de Fred Paronuzzi

Thierry Magnier, 2012, 144 p., 9,1 €.

samedi 1er décembre 2012

À l’âge de la rébellion, Léo se découvre un père que sa mère lui avait caché, et ce père est Américain et croupit dans le couloir de la mort pour un braquage minable qui a mal tourné. Une correspondance est entamée. Léo découvre en même temps que cet amour filial et paternel inespéré, l’amour tout court, avec Esther, que son copain Yannis lui met dans les bras. L’amour de Yannis pour Andreas, son prof de théâtre, semble un peu plaqué dans ce récit, et les deux thèmes à la mode de la peine de mort et de l’homosexualité se mélangent à peine. En milieu scolaire, on fera peut-être bien de se garder de proposer un ouvrage qui présente sous un jour idyllique une liaison entre une « personne ayant autorité » et un mineur d’à peine plus de 15 ans.

Résumé

Léo, 15 ans au début du récit, est furieux contre sa mère. Elle lui avait toujours présenté son père comme une « amourette » (p. 22) de passage lors d’un séjour de jeunesse aux États-Unis, dont elle n’avait gardé aucune trace, à part un fils et une photo unique qu’elle lui avait remise après d’âpres négociations, représentant un groupe d’amis dont ils faisaient partie. À peine lui avait-elle lâché, en plus de la photo, le prénom du père, Benjamin. Or, en fouillant par hasard dans ses affaires, il a découvert la preuve qu’elle a encore un lien régulier avec lui. Donc il a pété un câble, a eu des mots qu’il regrette. Son ami Yannis tente de le raisonner, et quand la colère est passée, le fils et la mère se rendent compte dans une belle scène qu’ils ont tous les deux des remords. Bref, elle lâche le pot aux roses : oui, elle a repris contact avec lui depuis sept ans : « Avant, c’était simple : il n’existait plus. Et il était hors de question qu’il prenne une trop grande place dans nos vies » (p. 28). Mais ce n’est pas tout : le père de Léo est dans le « couloir de la mort », et a besoin de son soutien moral et financier. Prends ça !
Encouragé par sa copine de classe Esther, avec qui, dans ces entrefaites, il entame une liaison amoureuse, Léo décide d’écrire à son père. Ce sont les réponses du père, traduites en un français très littéraire, qui nous apprennent l’histoire de ce petit voyou qui s’est laissé embringuer dans un braquage minable et sanglant. Depuis qu’il est en prison, Benjamin s’est mis à lire en stakhanoviste et à écrire, ceci expliquant cela. Il a la chance d’être aidé par sa sœur et par une avocate, et bénéficie de l’amour de ses très vieux grands-parents. Yannis, de son côté, tombe amoureux et fait une sorte de coming out virulent : à Esther qui lui demande s’il est « amoureux en vrai », il répond : « Ben oui, en vrai, les pédés ont un cœur aussi, tu sais, et ils tombent amoureux » ; il précise : « c’est le prof de théâtre. Il s’appelle Andreas, il est beau comme un dieu, bourré de talent et il m’a fait craquer » (p. 86). On ne sait pas si Léo était au courant de l’orientation sexuelle de son pote, mais le lecteur attentif avait remarqué quelques allusions qui semblent aller dans ce sens : « Je te préviens : si tu t’évanouis, je serai obligé de te faire du bouche-à-bouche » (p. 20), et « Yannis pose la main sur le poignet de son ami » (p. 23), ainsi que sa sensibilité exacerbée. Pour les 16 ans de Léo, Andreas les conduit avec Esther et Yannis dans un hôtel fermé pour vacances, appartenant à son oncle. Ils dînent un repas arrosé de « clairette de Die », se séparent en deux chambres, mais au petit déjeuner, le couple hétéro surprend le couple homo dans le lit, « à poil », et Esther demande « Vous nous faites une petite place ? » (p. 110). Léo trouve un job dans un fast-food, avec derrière la tête l’idée de partir aux États-Unis…

Mon avis

Ce court roman est intéressant et bien écrit, dans un style simple et littéraire consistant à cerner l’état d’esprit des personnages par petites touches sur le vif. Disons d’abord qu’il y a quelque chose de fort gênant dans le thème de l’homosexualité. D’une part il paraît plaqué par effet de mode, et l’on peut s’agacer, côté hétéro comme homo, de ces deux couples qui sont présentés dans le court laps de temps de la narration, comme stables et sérieux, alors qu’ils unissent, à une exception près, des ados de 15 à 16 ans qui sont tout bêtement dans la même classe (même si leurs références culturelles sont en avance sur leur âge si j’en réfère aux élèves de cet âge que je peux avoir dans mes classes). Oui, à la lecture de quelques ouvrages récents, il semble bien qu’on soit dans une période où la nécessité d’imposer le « mariage gay » donne aux auteurs jeunesse l’envie de présenter des ados (ou leurs parents) vivant des idylles monogames, mais en ignorant la rupture qui est le cas de plus de la moitié des couples mariés. Mais où gît le lièvre ? Eh bien dans l’exception du quatuor : au lieu de choisir un camarade, même plus âgé, même majeur, de l’atelier théâtre, l’auteur, pourtant enseignant dans la vie, a choisi pour amoureux si sérieux de son ado gay « mineur âgé de plus de quinze ans », comme dit la loi, le prof de théâtre. Or il s’agit là de ce que la loi (Article 227-25 du Code pénal) punit sévèrement quand il s’agit d’une « personne ayant autorité » (en gros, en théorie dans notre beau pays, la majorité sexuelle est à 15 ans, mais en réalité, si les parents du mineur expriment le moindre désaccord, le majeur va en prison. C’est le thème de la fameuse affaire Gabrielle Russier, et comme on apprend que le père de Yannis accepte mal l’homosexualité de son fils (cf. p. 136), on s’étonne vraiment qu’il laisse faire ce quasi détournement de mineur, et qu’il laisse même son fils partir en Allemagne (p. 136), ce qui suppose d’avoir accordé une autorisation de sortie du territoire…). La situation s’aggrave par la petite sortie anniversaire : consommation d’alcool et à 4 dans le même lit ! C’est jouer avec le feu, et gratuitement, car cet aspect du roman n’apporte rien à l’autre aspect, qui nous intéresse bien davantage. S’agissant d’un livre de littérature jeunesse, et au vu de la Loi du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse, je reste fidèle à la ligne éditoriale définie depuis longtemps déjà (voir le cas similaire de Sweet Homme, et ce qu’en disent les auteurs Didier Jean et Zad, que j’avais interviewés), je ne conseille pas le livre dans les établissements scolaires ; à chacun de prendre ses responsabilités !
J’en viens à l’aspect du livre qui me semble le plus intéressant, qui n’est pas l’aspect compassionnel, rebattu, de la lutte contre la peine de mort (voir Le Photographe, de Mano Gentil, par exemple, ou remonter à l’ancêtre Claude Gueux), mais la question de la parentalité. On a un couple harmonieux, Claire, la mère, et Fred, le beau-père (qui ne joue d’ailleurs aucun rôle parental dans le récit, mais est un compagnon parfait pour la mère), et un père biologique qui, sans le hasard qui l’a remis dans les jambes de Claire, avait été l’objet d’une aliénation parentale. Le récit de Claire est clair : quand elle s’est « retrouvée enceinte », elle a « demandé conseil à des amis […] Et chaque fois les mêmes réponses […] À quoi bon ? Dans quel but ? Benjamin, le monde tourne autour de son nombril. Alors un gosse, en France, à cinq mille kilomètres ! Tu crois vraiment qu’il a envie d’endosser le rôle ? » (p. 34). Ironie du sort, la peine de mort a transformé un voyou en père. Bref, c’est plutôt cet aspect du récit qui donne à réfléchir sur le débat actuel autour du « mariage gay » et de la parentalité : quelle place, dans un couple de personnes de même sexe, pour le père ou la mère biologique exclu du couple ? La réaction violente de Léo me semble très bien observée, et fort instructive. Et l’attitude de Fred, qui ne s’impose jamais comme père, se tient à distance de la relation entre Claire et son fils, et laisse vacante la place du père dans l’arbre de Léo, donne également à réfléchir. Je regrette d’autant plus cette bourde qui m’empêche de recommander l’ouvrage !
Je termine sur un détail typographique éditorial : contrairement à l’habitude typographique de mettre une majuscule au premier mot du titre, l’éditeur n’en met sur la couverture, ni à « père », ni à « américain », qui est donc adjectif. On peut comparer à La Civilisation, ma Mère !…, de Driss Chraïbi.

 On pense à L’amour en chaussettes, de Gudule, publié en 1999 par le même éditeur. À l’époque il y avait la même volonté d’aller au bout de ce qui était possible en littérature jeunesse, mais la tentation d’amour pour le prof était clairement refusée…
 Lire l’article de Jean-Yves Alt sur ce livre.
 Du même auteur, lire Là où je vais.

Lionel Labosse


Voir en ligne : Fred Paronuzzi sur Wikipédia


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