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Middle West side story, pour les 3e et le lycée
Will & Will, de John Green & David Levithan
Gallimard, Scripto, 2010, 384 p., 13 €
lundi 25 juillet 2011
Comme les romans précédents de John Green, celui-ci, écrit en collaboration avec David Levithan, est un peu formaté, on a l’impression d’entendre entre les lignes les rires enregistrés de la future adaptation télé. Cependant, le finale est brillant, et emportera l’adhésion des plus exigeants. Il s’agit d’une des premières tentatives dans la littérature jeunesse étasunienne, d’aborder clairement l’homosexualité, sans que cela soit placé sous les auspices d’une tragédie, et l’on se réjouit que Gallimard jeunesse, un tant soit peu frileux en la matière, l’ait intégré à son catalogue.
Résumé
Comme le titre l’indique, il y a deux Will Grayson dans ce roman. Le premier, avec des majuscules dans l’édition étasunienne, est hétéro bon teint, autant qu’on puisse l’être à cet âge, et a pour ami Tiny Cooper, qui comme son surnom ne l’indique pas, n’est pas « tiny » (minuscule), mais d’une corpulence imposante, autant que son homosexualité clamée haut et fort. La grande affaire de Tiny, cette année, est de monter une comédie musicale autobiographique, avec l’aide du foyer du lycée. L’homophobie sur le campus est plutôt limitée, car à part quelques remarques, l’accueil fait à cette comédie musicale 100 % gay est positif, depuis le début du projet jusqu’à la création ; les auteurs privilégient les réactions favorables, et n’hypertrophient pas les rares bémols, mais donnent à leurs lecteurs les clés pour les relativiser ou les contrer. De même, les parents réagissent très favorablement à l’homosexualité annoncée, autant qu’à l’hétérosexualité en tout cas. Voir la belle scène de coming out p. 210, extrait à utiliser en classe : « écoute, m’man, je suis gay, et j’apprécierais que tu me fasses ta crise de nerfs ici maintenant une bonne fois pour toutes » [1]. Le Will Grayson n°1 est poussé par Tiny à conclure avec Jane, qui fait partie de son « Amicale Gay & Hétéro » (p. 56), patronnée par un prof du lycée qui n’hésitera pas à s’afficher avec son ami. Tout ce beau monde est préoccupé par des blagues de potaches, des préoccupations amoureuses d’ados qui jouent à singer les passions des adultes, et par les divers moyens pour forcer, grâce à des faux papiers, l’entrée des soirées interdites aux mineurs. Will, refoulé à un concert, se réfugie dans un sex-shop, et c’est là qu’il fait la connaissance de l’autre will grayson (écrit en minuscules), un addict d’Internet incapable d’utiliser une majuscule dans une phrase. Ce garçon est un homo virtuel et coincé, qui tchatche depuis un an avec un certain Isaac, pardon, « isaac », lequel lui a enfin fixé rendez-vous dans ce qu’il ignorait être un sex-shop. Il craignait d’ailleurs que cet ami virtuel soit « un vieux pervers de quarante-six ans » (p. 129), remarque appréciée à juste titre par le signataire de cet article qui vient de fêter son 45e anniversaire ! Isaac se révèle n’exister pas, mais les deux Will font connaissance, et le hasard fait bien les choses, puisque Will présente will à Tiny, de même que Tiny lui avait présenté Jane, et ça colle entre eux. On se déchire, on se rabiboche, et tout se termine en apothéose par la représentation triomphale et euphorisante de la comédie musicale de Tiny.
Mon avis
Sur les 380 pages du roman, on en rayerait volontiers 100 voire plus, dont l’intérêt stylistique est nul, et narratif à démontrer. Les vannes potaches, les exagérations infantiles pullulent comme les boutons d’acné sur les joues d’adolescents, et on attend patiemment que les auteurs aient épuisé leur stock pour aboutir poussivement à une information intéressante qui fasse avancer l’action. Cette impression est aggravée par le choix de faire s’exprimer – longuement – très – longuement – certains personnages en style djeune, par exemple en séparant tous les mots par des points : « Tiny. Cooper. Déteste. Over. The. Rainbow. » (p. 202). Cependant, les préoccupations des personnages n’atteignent pas le niveau de futilité d’un récent ouvrage du même format, et le spectacle final nous émeut autant que nous laissait froid celui de All together. La vision de l’homosexualité est plutôt euphorisante, sans passer sous silence les difficultés de s’accepter à l’adolescence, et le roman se présente davantage comme une fable utopique à happy end que comme œuvre réaliste. Le personnage de will grayson est intéressant dans sa haine de soi : « j’aime pas les gays » (p. 183), déclare-t-il tout en se disant gay, puis il se laisse attirer par cet étrange Tiny gay et obèse, tout le contraire du cover-boy pour adolescent(e)s (réflexions sur la grossophobie, p. 300). Dans les passages où les personnages éprouvent le besoin de manifester leur homosexualité devant tout le lycée, on se rend bien compte qu’on est dans le registre utopique, et qu’il s’agit de s’interroger sur l’acceptabilité de l’équivalent chez les hétéros. Cela n’empêche pas de garder le sens de la mesure : « Être gay n’est pas une excuse pour se comporter comme un porc » (p. 317). Le langage est parfois leste, mais pas plus que celui de 95 % des lecteurs potentiels : « me taper une bonne petite branlette, ça me prend à peu près dix minutes » (p. 38), et après tout, si cela peut contribuer à décoincer l’Étasunien moyen… « Tout le monde n’arrête pas de répéter que la jeunesse américaine n’est qu’une génération d’obsédés sexuels décadents qui taillent des pipes à droite à gauche comme on s’achète des sucettes, et tu n’es même pas capable d’embrasser une fille qui est attirée par toi ? » (p. 103). En fait d’obsédés sexuels, on en restera sagement à une promotion de la monogamie, et la sexualité génitale relatée dans le roman en reste à la limite des bisous ; pour le reste, ce ne sont que des mots… mais il faut bien commencer par quelque chose ! La réalité socio-économique donne lieu à quelques réflexions : « je ne fais pas partie de ces imbéciles qui considèrent que dès l’âge de 17 ans, avoir une Chevrolet flambant neuve dans son garage est un droit inaliénable garanti par la constitution américaine » (p. 45). À part ça, les personnages sont très américains, par exemple le jeune Will se bourre d’antidépresseurs (p. 260). La plus belle scène est résolument la première de la comédie musicale de Tiny, longuement préparée. On apprécie les réactions de Will face à la vision qu’a de lui son meilleur ami quand il le représente sur scène, jolie mise en abyme. Cette scène est aussi l’occasion de diverses considérations philosophiques mises à la portée des ados, parmi lesquelles on reconnaît une allusion à l’allégorie de la pierre de Spinoza (p. 370).
– Cet ouvrage bénéficie du label « Isidor ».
– De John Green dans la même collection Scripto, lire Qui es-tu Alaska ?.
– Lire, sur « Culture et Débats », le point de vue de Jean-Yves
Voir en ligne : Le site de David Levithan
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[1] De même, un autre passage où will rétorque à un camarade qui sort l’habituel argument du dégoût : « tu réalises que quand un mec est avec une nana, il met son truc là où elle urine et où elle a ses règles ? » (p. 220).