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L’angoisse du futur est-elle soluble dans l’éros ? pour adultes

69, anthologie SFQ

Actu SF, collection Les Trois Souhaits, 2009, 166 p., 10 €.

mercredi 21 avril 2010

69, « anthologie SFQ », propose 12 nouvelles érotiques, par douze auteurs (les auteurs érotiques se comptent toujours par douze). Le nombre « 69 » se veut référence à l’année 1969 où le premier pied humain se posa sur la lune. Quant à la spécialité érotique évoquée par le même nombre, elle est peu illustrée. Il y en a pour tous les goûts dans le style comme dans le degré de « futurité ». Les lecteurs peu habitués à la SF auront parfois du mal à saisir toutes les particularités des mondes proposés par certains auteurs. On remarquera que dans ce monde futur, l’imaginaire érotique reste souvent très orienté sexuellement : on est soit hétéro, soit homo ; et ce qui ressort le plus, à quelques exceptions près, c’est un monde étouffant, à la Huxley. Dans la mesure où la relation à la sexualité est un domaine qui progresse à vitesse grand V, on peut se demander si « SF érotique » n’est pas un pléonasme. Malgré le titre, certaines de ces nouvelles n’ont rien à voir avec la SF, et sont simplement fantastiques, ce qui n’enlève rien à leur intérêt, mais nuit seulement à la cohérence du projet. Notre esprit insatiable regrette que l’éditeur n’ait pas prévu deux recueils séparés, pour combler les aficionados des deux spécialités, et en prime un troisième recueil qui aille un peu plus loin dans l’« érotisme », puisque malheureusement nous restons entre gens de bonne compagnie. Il est à craindre que la bonne vieille fracture hypocrite entre érotisme et porno n’ait encore de beaux jours devant elle !

Un futur pas très euphorique

Stéphane Beauverger propose une entrée en matière qui fait le lien avec l’année 1969, et sa mythologie : Eddy Merckx, Vérone, tout en proposant un portrait de couple macho / femme battue, comme pour nous rappeler certains aspects du passé avec lesquels il conviendrait de rompre. Les solutions proposées pour notre futur, si elles sont technologiquement inventives, ne sont pas toujours des plus euphoriques, mais n’est-ce pas la loi du genre ? Dans cette lignée Le Meilleur des mondes, nous avons donc « Saturnales », dans laquelle Maïa Mazaurette joue sur les différents sens du titre pour pointer les contradictions de l’utopie, qui échoue à retrouver l’innocence de l’âge d’or érotique évoqué par le mot « saturnales ». Dès le début de la nouvelle, un « son épouse » vient barrer les possibilités de transgression de ce futur inquiétant où l’on doit se marier avec certificat dès onze ans (p. 22). Dans le récit de ces premiers rapports de couples modèles assistés par la science, on peut voir une allégorie des dérives où nous entraîne le délire prophylactique actuel, notamment l’instrumentalisation de la peur du sida : « Les partisans du sexe libre se faisaient rare » (p. 21). Les financiers et politiciens du futur, si l’on en croit l’auteure, n’auront de cesse de nous inventer de nouvelles craintes, et des théories de risques contre lesquels on paiera des tas de commissions et de procédures pour nous protéger… Dans le même registre, « Misvirginity » de Daylon (qu’on peut télécharger sur le site Moonmotel), donne la parole à une « synth » (ou « sainte », ça dépend du point de vue), prostituée disons synthétique, appelée à subir les fantasmes de ses clients humains. Cette nouvelle m’a paru difficile à suivre, étant donné l’abus de vocabulaire inventé dans l’optique de créer une atmosphère futuriste particulière, difficulté qui s’ajoute à l’inévitable bouleversement chronologique inhérent à la SF (récit rétrospectif pour informer le lecteur de l’état du monde). Dans le cadre d’une nouvelle il est toujours délicat de créer un univers particulier de SF. Disons que j’ai eu du mal à rentrer dans celui-ci, de même que dans la nouvelle de Sylvie Lainé et ses pilules érotiques. La palme revient à « Louise Ionisée », de Norbert Merjagnan : « Farandoles de formes où elle bruit, chevrota, née oïrate ou Ombeline, rendue orque, ménade, diva ; pluie de sabbat, rauquante fauve, forêt primaire ; délaçante rivière, serve » (p. 95) ! Cet amphigouri gâche le plaisir qu’on aurait à lire une nouvelle qui, si elle avait osé le franc porno, serait fort intéressante (belle idée de l’« exorgane », qui rappelle vaguement, en version pour adultes, le « dæmon » de Philip Pullman). « Miroir de porcelaine » de Mélanie Fazi ne présente pas les mêmes difficultés, et explore avec une simplicité bienvenue le même thème de créatures humanoïdes créées pour le plaisir, qui sèment le trouble parmi les humains.

Et la jouissance, bordel !

La SF est fort légère dans « Descente » de Virginie Bétruger. Une catastrophe planétaire a eu lieu en 2023, et une quarantaine d’années après, on interviewe à la radio (qu’on a réussi à ré-inventer) le survivant d’une mission spatiale qui avait réussi à revenir sur terre. L’érotisme de cette nouvelle ne relève pas du tout de la SF, puisque son rôle était uniquement de fournir un sujet de conversation au héros pour lui éviter de perdre connaissance. Or celui-ci, à ce moment crucial, a tout simplement la nostalgie de ses premiers rapports sexuels. On comprend la volonté de l’auteure, de montrer que face à l’angoisse de l’avenir, l’érotisme — et un érotisme brut de décoffrage — demeurera notre meilleur anti-dépresseur !

Charlotte Bousquet s’écarte de la science-fiction pour se cantonner dans le fantastique nécrophile. Elle nous offre en passant le plus torride « 69 » du recueil (p. 107), dans « Les métamorphoses d’une martyre », hommage à Charles Baudelaire. Jean-Marc Ligny propose aussi une nouvelle fantastique avec « Vestiges de l’amour ». Le contexte est réaliste et actuel, le personnage écoute NRJ, mais le doute est maintenu entre explication rationnelle et surnaturelle, entre fantasme et réalité. Il s’agit d’un couple hétérosexuel en désunion. L’homme a des fantasmes libidineux, mais cette mystérieuse jeune femme qu’il imagine à tout instant semble lui pomper son énergie en plus d’autre chose. Serait-ce un succube ?

Parmi les nouvelles plus euphoriques, du moins celles qui ne présentent pas un futur terrifiant, déshumanisé, figure « LXIX », la nouvelle de Francis Berthelot. Il s’agit d’une réjouissante et très gaie séance de cinéma interactif (et pourquoi pas « interpassif », vu l’idiosyncrasie du héros ?). Un spectateur amateur qui préfère les pectoraux aux seins, s’évertue à modifier le scénario d’un péplum dont l’action se situe en 69, la fameuse « Année des quatre empereurs ». Le côté « seul contre tous » de ce spectateur opposé au reste de la salle à 100 % hétéro a de quoi étonner pour de la science-fiction, mais la chute ravira les plus fantasmeurs de nos lecteurs. Cette nouvelle nous fait regretter qu’on en soit resté dans ce recueil en deça de la trop sage et hypocrite frontière érotique/porno. Les amateurs de péplum / porno n’auront qu’à se venger sur l’excellent roman La mémoire des pierres, d’Alain Meyer. Pour la bonne bouche, si je puis dire, on notera que le hasard a fait que « LXIX », la bien nommée, couvre la page 69 du recueil, et qu’il faut attendre la toute dernière ligne de ladite page pour trouver les mots « orgie » et « copulations » ! Tant qu’à être interactif, on aurait aimé demander à l’auteur de rajouter quelque 69 à cette page cruciale !
Dans cette lignée euphorisante, Gudule nous propose un court fantasme gay de « Sabbat » avec un Satan qui vous surprendra dans la chute. Enfin, la dernière nouvelle, « Camélions » de Joëlle Wintrebert, me semble la plus conforme au projet. On est bien dans la science-fiction, et l’érotisme est une composante essentielle du récit. L’équilibre entre invention et cohérence du texte est idéal, les néologismes n’atteignent pas une dose létale ! Suite à une insurrection, un groupe d’humains migre sur une planète, Agapé. Les conditions de survie mettent en péril l’existence de la colonie, par une stérilité générale. L’héroïne parvient à établir le contact avec les « camélions », et s’adonne à une libre sexualité avec plusieurs d’entre eux, que ses amis humains qualifieront de « bestialité » (p. 159). Elle tombe enceinte, et comprend que « la survie de la colonie dépend d’une allégeance sexuelle à la race dominante » (p. 157). C’est une bonne idée de terminer sur cette nouvelle, qui brosse un futur radicalement différent, mais dont l’aspect anxiogène est aboli par la promesse d’une altersexualité conciliant les impératifs de la reproduction et l’espoir du plaisir.

 De façon incidente, puisqu’il est question de 69 (rien à vous avec le livre), vous saurez tout sur le cunnilingus sur ce site.

Lionel Labosse


Voir en ligne : Le site de l’éditeur


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