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Passion des terres froides & des corps chauds

Vers le monde bleu, de Guy Bordin

Éditions de la Trémie, 2022, 166 p., 15,9 €

samedi 18 février 2023, par Lionel Labosse

J’avais chroniqué L’Amant fantasmatique paru aux éditions Maïa en 2020. L’auteur, qu’on peut voir dans une conférence sur les Inuits donnée en 2014 récidive dans le « roman gay », comme le certifie une grosse pastille rouge sur la couverture « Prix du roman gay 2022 » avec en tout petit « Meilleure maison d’édition », ce qui est pour le moins ambigu [1]. L’information intéressante est qu’un savant renommé estime vendeur, en 2023, de se faire tamponner la couverture d’une telle réclame. En tout cas il a changé de maison d’édition. Franchement, les quelques scènes de sexe m’ont laissé indifférent (je vieillis !) et j’espère qu’on a mieux en magasin en matière de « roman gay » ; le livre ne m’a pas enthousiasmé, mais si je le chronique quand même c’est parce que son décor est rarement traité, et peut susciter des envies de découverte, j’ai nommé l’archipel Saint-Pierre-et-Miquelon, ainsi que l’île canadienne de Terre Neuve, baleine dont notre archipel semble un éjaculat expulsé de son pénis (hum, le « roman gay » est contagieux !) Je vais d’ailleurs commencer par une carte qui manque furieusement à ce petit roman (sans doute pour des questions de droits).

Carte de Terre-Neuve avec Saint-Pierre-et-Miquelon.
© Pinterest

Après une dédicace à Renaud De Putter, auteur du dessin de couverture et complice de l’auteur aux multiples talents, l’incipit est déstabilisant : on a droit à un exposé savant sur les Fuégiens ou autres alacalufs ou Selk’nam, car le narrateur a toujours été attiré par le Grand Sud plutôt que par le Grand Nord. N’étant pas aventurier, il assure la gamelle en devenant professeur par concours, et met six ans à obtenir une mutation ultramarine, mais vers Saint-Pierre-et-Miquelon. Le roman commence réellement p. 23, lorsque le narrateur est abordé par Jacques, un professeur d’EPS au physique avenant, à peine plus âgé. (Et pourquoi ça ne m’est jamais arrivé à moi ?!) Ce dernier a épousé une locale de bonne famille, mais consacre son temps à des recherches sur les autochtones, ce qui a vite fait de les rendre inséparables. Jacques lit un texte sur les aborigènes, ce qui m’a amusé car au moment où je reconnaissais la plume très reconnaissable d’Élisée Reclus, vient la phrase : « J’avais reconnu l’écriture d’Élisée Reclus » (p. 32) ! L’intrigue tourne autour d’un livre mystérieux à exemplaire unique, sur les Béothuks, habitants autochtones de Terre-Neuve lors de l’invasion européenne au XVe siècle, et il est question de Shanawdithit, dernière survivante de ce peuple, au début du XIXe siècle.
Le couple se forme lors d’un week-end sur l’île de Grande Miquelon, où l’épouse délaissée possède une maison de campagne. Cela nous donne l’occasion de découvrir l’archipel, et ses tombolos (mot auquel l’auteur préfère « isthme » (p. 41 ; p. 144). La scène est digne de Brokeback Mountain, mais l’auteur en profite pour nous glisser à l’oreille que « Le 21 octobre 1520, le Portugais João Alvares Fagundes découvrait officiellement les futures Saint-Pierre-et-Miquelon qu’il nomma îles des Onze Mille Vierges, en hommage à la sainte du jour ». On apprendra d’ailleurs plus loin que ce sont aussi les « Lusitaniens » qui découvrirent ces terres du Nord, d’où l’appellation de « Labrador » (p. 120), ce qui a de quoi étonner car le méridien du traité de Tordesillas passe bien à l’est de ces terres, en plein Groenland, moyennant quoi cela devait revenir à la Castille !
Le narrateur et son amant épousent avec application l’habitus du prof réglementairement de gôche, avec la raie bien au milieu, pas une idée qui dépasse, et sans un brin d’ironie : « Nous étions adhérents du même syndicat, professions des idées de gauche, dans une version toutefois plus radicale chez Jacques » (p. 53). Cela nous vaudra de multiples paragraphes de repentance au goût du jour & de wokisme, « zoos humains », etc. Le narrateur en tout cas, pour qualifier l’acte qu’il commet, utilise le mot de « supercherie ou de mascarade ». Je ne suis pas sûr d’avoir tout compris, mais il s’agit d’une sorte de falsification de l’histoire par divulgation de faux. Ben oui, tant qu’à être de gôche, autant y aller à donf ! L’intérêt narratif est que cette quête nécessite de fréquents allers-retours sur Terre-Neuve, à chaque vacances scolaires en fait, prétexte à tourisme.
Le petit contrepoint érotique poursuit sa route en symbiose du récit principal, et l’on a droit à la rétrospection sur les « trois jours » du service national, et un plan à trois, qui sera suivi d’un autre après la péripétie que je ne vous divulgâcherai point. Pour lier les deux pendants du récit, heureusement l’un des amants du narrateur se trouve être d’origine autochtone, et présente sur son joli corps des tatouages en forme de « hiéroglyphes mi’kmaq » (p. 98). Le jeune amant mi’kmaq, soit dit en passant, semble plus à cheval sur l’éthique de l’historien et se refuse à participer à la mascarade. Ça alors, si les sauvages se mettent à être de drouâteuh, alors là comment faire ? Les amateurs de romans gays apprécieront la scène de la piscine, où le jeune mi’kmaq crée son effet : « Des hommes bandaient sans se dissimuler » (p. 149).
Je relève une belle page sur un planisphère onirique réalisé par le mi’kmaq, « emprunté à l’imagerie des cartes anciennes, symbolisant par exemple les massifs montagneux par des séries de monts, chacun dessiné avec simplicité et fourmillant de petits détails morphologiques, les forêts par des densités variables d’arbres distincts, la faune des grandes régions par quelques espèces emblématiques – les dromadaires dans le Sahara, les kangourous en Australie ou les lamas dans les Andes » (p. 126). Notons en passant sur la même page la graphie « iglou », variante rare de « igloo » dont j’ignorais l’existence. Là aussi, on aurait rêvé voir cette carte parce qu’elle reflète bien le souvenir des premières cartes du monde, comme le Planisphère de Cantino (1502) ou encore plus ancien, l’atlas catalan (1375). Ah ! Horreur ! Colonialisme de l’homme blanc ! Delenda !

 L’histoire est censée se passer il y a plusieurs dizaines d’années, mais je ne peux pas terminer cet article sans une allusion aux mesures ubuesques que Justin Trouduc (le macronescu local) a fait supporter aux Miquelonnais & autres Saint-Pierrais sous prétexte de la plandémie. Eh oui, l’idylle gaie n’aurait pas pu avoir lieu car la tyrannie covidiste impliquait d’empêcher le passage du bétail humain entre l’archipel et l’île voisine.
 Site des éditions de la Trémie.

Lionel Labosse


Voir en ligne : Biographie de Guy Bordin


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[1L’auteur m’a confirmé que ce macaron n’est pas de son fait, mais de celui de l’éditeur. Il a demandé à l’éditeur de le supprimer sur les prochains tirages.