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Un livre bien ordinaire, niveau collège / lycée.

Ces intolérances « ordinaires », de Philippe Godard

De La Martinière Jeunesse, 2005, 108 p., 11 €.

jeudi 5 avril 2007

Un documentaire comme on en subissait il y a vingt ans, qui combat contre-toutes-les-intolérances-sans-exception, mais ne tolère pas la plus infime allusion à l’altersexualité. Il est incroyable qu’un éditeur qu’on croyait sérieux ait laissé passer une omission aussi ÉNORME, aussi révélatrice, il faut le dire, d’homophobie passive (oubli volontaire de l’homosexualité, mépris de la question) [1].

« Être intolérant, ce n’est pas forcément annoncer qu’on est raciste ou macho. Ce sont aussi des petits gestes quotidiens, des phrases sans importance particulière, des remarques faites en passant, qui vont dans le sens du rejet d’autrui » (p. 8). Fort de ce constat, Philippe Godard énonce une idée à laquelle nous souscrivons : « il est possible [de] […] combattre une idée ou un comportement choquant en exprimant son désaccord et en donnant ses arguments. Pas en imposant le silence » (p. 9). Nous allons donc, au lieu de passer sous silence ce livre qui nous semble choquant, exprimer notre désaccord noir sur blanc.

Cela commence bien, avec plusieurs chapitres remarquables de pondération sur le racisme, l’antisémitisme et l’intolérance religieuse, le sexisme, puis l’exclusion par l’argent : « il semble normal que les immigrés veuillent maintenir certaines traditions » (p. 14) ; « Ne dramatisez pourtant pas : entre la remarque idiote que vous n’entendrez plus jamais et la ritournelle qui revient toujours, il y a une marge » (p. 22) ; « En mettant le doigt dans l’engrenage — être intolérant avec les intolérants —, on ne change rien au problème » (p. 30). Le chapitre sur le sexisme nous apprend beaucoup, par exemple l’existence d’Anne de Beaujeu (p. 45), régente de Charles VIII. Les réflexions sur l’argent sont revigorantes et pertinentes : « Essayez de dépasser la réticence à exprimer vos problèmes d’argent » (p. 57).

Et puis cela commence à partir dans tous les sens, avec des affirmations non vérifiées ou révélatrices du type réduit de lecteurs auxquels on s’adresse : « De nouveau, les femmes nues sont légion dans la publicité » (p. 47) ; « Pensez plutôt à ceux qui vivent dans les banlieues éloignées des centres-villes » (p. 56) ; « Ce qui est nouveau ; c’est le clivage entre les goûts, qui amène les individus à se réunir selon ce qu’ils aiment et à exclure les personnes non conformes ! » (p. 70) ; « Près de 450000 personnes sont mortes de faim entre 1990 et 2003 en Argentine » (p. 89). Les derniers chapitres sont carrément hors-sujet. Ils développent les idées, au demeurant respectables, de l’auteur, sur l’anti-américanisme, et sur l’écologie, avec des développements d’une technicité avancée sur la « salinisation des sols » (p. 90) par exemple ! Cela ferait l’objet d’un autre livre, et on a l’impression qu’ayant épuisé son sujet, l’auteur fait du remplissage ; or c’est là que nous sommes choqués. De l’aveu d’un grand nombre d’enseignants, l’intolérance homophobe est de loin la première au palmarès des injures et des phénomènes de boucs émissaires parmi les jeunes. Eh bien ! Philippe Godard a très soigneusement éliminé de son ouvrage tous les mots appartenant au champ lexical de la diversité sexuelle. Il n’en a toléré aucun dans son index final, riche d’une centaine de mots, parmi lesquels antisémitisme, Juifs, shoah, pogrom, racisme, mais aussi Ben Laden, Hijab, Gandhi, Marilyn Manson. On ne trouvera rien non plus sur les intolérances à l’encontre des handicapés. Voir à ce Babel, film d’Alejandro Gonzalez Inarritu (2005), qui traite de façon exemplaire des retentissements de cette intolérance sur la sexualité à travers le personnage d’une adolescente sourde-muette.

Notre conclusion sera sans appel : un livre intolérable en 2005 ! En effet, il faut savoir comment cela se passe dans les établissements scolaires. Dans le collège où je travaillais, quand le représentant de l’éditeur était passé, la documentaliste avait coché parmi les ouvrages proposés, ce qu’elle retenait. Il est bien évident que l’excellent ouvrage d’Anne Vaisman, L’homosexualité à l’adolescence n’avait pas été coché. Les mentalités ne pourront évoluer que si l’homophobie est « tolérée » dans le club prestigieux des intolérances dont on peut causer aux élèves. Autant dire que ce bouquin a dix ans de retard !

 Signalons que Philippe Godard est par ailleurs directeur de la collection J’accuse de Syros, et qu’il a publié à ce titre Le Droit d’aimer (Combattre l’homophobie), de Julien Picquart.

 Voir chez le même éditeur Parler d’homosexualité, d’Emmanuel Ménard.

Lionel Labosse


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Messages

  • Bonjour,

    Je ne sais pas si votre critique est parue il y a longtemps, je viens seulement de la découvrir. Je suis l’auteur de ce livre Ces intolérances ordinaires, et je me permets de répondre car je trouve votre méthode assez affligeante, avec des citations tronquées qui ne signifient forcément rien vu l’absence totale de contexte. Je retiens deux choses fondamentales dans votre critique : j’ai fait du remplissage, surtout avec les derniers chapitres, et je n’ai pas parlé de l’homophobie.

    L’explication est simple : ce n’est pas du remplissage, je pense très sincèrement que les intolérances que j’ai voulu expliquer dans les derniers chapitres en sont réellement, sur d’autres thèmes que ceux dont on parle le plus souvent, et j’avais ainsi aussi envie de parler de l’intolérance à l’égard des « intellos » (qui est un désastre du point de vue des études, de l’intégration sociale et de l’ambition des jeunes à entrer dans ce monde ou à le changer), ainsi que, comme vous le signalez à juste titre, de l’homophobie. (Pour les handicapés, je pense que l’intolérance est surtout du fait de l’administration, et pas des élèves.) Mais voilà, je n’avais qu’un certain nombre de pages, et j’ai donc éliminé certaines de ces intolérances pour parler mieux de celles que j’ai finalement traitées (on peut là encore me reprocher d’avoir fait ce livre si je trouvais son volume trop étroit). Vous pouvez à juste droit me reprocher mes choix, mais conclure que cet ouvrage est "intolérable" comme vous le faites relève de l’incompréhension totale du mot "intolérable". Ou alors peut-être préférez-vous que les jeunes regardent Koh-Lanta ou Prison Break ? Ce qui est intolérable en ce monde, c’est bien autre chose, et surtout pas qu’un activiste qui publie des livres reconnus comme étant des outils de lutte (la collection J’accuse ! chez Syros, pour ne prendre que cela) écrive un ouvrage certes imparfait, mais en tout cas qui commençait à combler un vide éditorial, sur le thème des intolérances. Car je vous signale qu’il y a peu de livres sur ce thème en réalité, et sous cette forme de la collection Hydrogène, à savoir en impliquant directement le lecteur dans une situation, un peu comme au théâtre forum, c’est plutôt rare. Quant à votre dénonciation de ma mollesse ou de mon inconséquence dans les exemples pris, je ne crois pas du tout que ça fonctionne bien d’être immédiatement dans l’affrontement. Il est vrai que c’est l’extrémisme dans le langage que vous avez vous-même choisi en écrivant que mon livre était « intolérable ». Merci, mais j’ai horreur de la censure !