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Ce sont les préjugés des adultes qui nuisent aux enfants !
Entrevue d’Anne Vaisman
Auteure de L’homosexualité à l’adolescence
jeudi 5 avril 2007
Anne Vaisman est journaliste spécialisée sur les questions de société, en particulier les jeunes, la psycho et les relations familiales. Elle a écrit plusieurs livres aux Éditions La Martinière, tous destinés aux ados : Pas si facile d’aimer, Sexe, amour et sentiments, Premières expériences amoureuses, Premières expériences sexuelles, Quel métier, quel avenir ?, Le livre des garçons et L’homosexualité à l’adolescence. Pour altersexualite.com, elle réagit aux propos d’Edwige Antier.
– Anne Vaisman, merci d’avoir accepté de répondre à notre entrevue. Quelle est votre réaction par rapport aux propos d’Edwige Antier au sujet de l’album Jean a deux mamans ?
– En premier lieu, je ne vois pas en quoi notre société empêche les parents d’être les acteurs de l’éducation de leurs enfants. Je trouve au contraire que les adultes d’aujourd’hui ont beaucoup de liberté dans leur manière d’exercer leur parentalité. Ils ne sont plus soumis à une norme qui assignait autrefois un rôle bien précis au père et à la mère. Ils ont leur mot à dire à la crèche, à l’école et ne s’en privent pas. Certains spécialistes pensent d’ailleurs que les parents se mêlent beaucoup de l’éducation de leurs enfants, s’en soucient trop… Tous les livres qui parlent d’éducation des enfants ne sont pas conçus pour déposséder les parents de leur rôle, mais pour les aider à écouter leurs enfants, à répondre à leurs questions, à les comprendre. Ces ouvrages prouvent bien que l’on reconnaît un rôle important aux parents dans la société actuelle. De la même manière, en publiant des livres visant à expliquer aux enfants le fonctionnement de la famille, les éditeurs ne cherchent pas à faire à la place des parents ; je crois au contraire qu’ils accompagnent la demande des parents et la curiosité des enfants. Ils reconnaissent aussi que les enfants sont intelligents, qu’ils peuvent comprendre certaines choses, et travaillent dans le sens de la tolérance. Les parents qui ne souhaitent pas que leur enfant lise tel ou tel ouvrage peuvent fort bien leur dire : « non » même si le livre en question se trouve dans une bibliothèque et pas en librairie. Et puis un livre pour enfant est toujours l’occasion d’un dialogue. Si un enfant, aussi jeune soit-il, ouvre un livre dont le contenu ne plaît pas aux parents, ils peuvent en discuter avec l’enfant et faire valoir leur point de vue. Ainsi, ils joueront parfaitement leur rôle.
Certes, l’homoparentalité est un fait marginal. Mais cela ne justifie pas qu’aucun livre ne soit publié sur ce sujet. Au contraire ! Les livres permettent à beaucoup de lecteurs de tous âges de découvrir des faits de société nouveaux. En ce sens, ils sont riches d’enseignements, ils ouvrent l’esprit, ils permettent de mieux comprendre le monde. Que des ouvrages tels que Jean a deux mamans soient en bibliothèque me semble intéressant : cela permet au plus grand nombre d’en savoir plus sur les nouvelles formes de familles ; et c’est aussi la preuve que notre société évolue vers plus de tolérance. Car, aussi marginale soit-elle, l’homoparentalité existe bel et bien dans notre société, qu’on le veuille ou non. Et les enfants y seront de plus en plus confrontés, soit parce qu’ils la vivent eux-même, soit parce qu’ils ont des petits copains ou des petites copines qui sont élevés par deux adultes de même sexe. Autant qu’ils en aient entendu parler intelligemment dans un livre ! Selon moi, ce n’est pas en cachant certaines vérités aux enfants qu’on les rend cultivés, tolérants, ouverts et adaptés, mais en leur donnant la chance de penser la diversité (du monde, des cultures, des familles etc.) C’est ce que fait une bibliothèque municipale qui présente un ouvrage tel que Jean a deux mamans.
Je pense que si la présence de cet ouvrage choque certains, c’est parce que l’homoparentalité est réprouvée par beaucoup de personnes, et considérée comme nocive pour les enfants. Mais au-delà, ce qui dérange c’est l’évocation de l’homosexualité qu’elle suppose. Je ne pense pas que les enfants de moins de six ans puissent être bouleversés par l’idée de l’homoparentalité (jusqu’à mal se construire sur le plan psychique). Je pense plutôt que ce sont les préjugés des adultes (à l’égard de l’homosexualité, de l’homoparentalité, comme d’autres sujets) qui peuvent nuire aux enfants en les enfermant dans une pensée étriquée, en leur donnant matière à avoir peur de l’Autre et de ses différences.
– Dans votre ouvrage L’homosexualité à l’adolescence, vous avez pris le parti de vous adresser directement aux jeunes homosexuels, rompant ainsi avec la tradition qui consistait à parler des homos à la troisième personne. Comment ce choix s’est-il imposé à vous, et à votre éditeur ?
– C’est très simple : on parle aujourd’hui de tout ou presque aux jeunes. Il s’écrit beaucoup de livres qui leur sont destinés sur l’amour, la sexualité, les questions d’identité qui se posent à l’adolescence. Je ne vois pas pourquoi on ferait soigneusement abstraction de l’homosexualité. Au contraire : beaucoup d’ados s’interrogent sur leur orientation sexuelle et ont besoin de réponses. Certains se croient homos alors qu’ils ne le sont pas. D’autres se savent homos et ont peur de cette vérité. Ils craignent d’être mal jugés, d’être moins aimés… Ils se sentent souvent seuls dans leur cas et un livre leur prouvant le contraire et accompagnant leurs questionnements, leur fait un bien fou. Il ne faut pas oublier que certains ados qui se sentent homos souffrent tellement avant de pouvoir accepter leur homosexualité, qu’ils font des tentatives de suicide. Je pense que mon livre peut les aider. Même s’il ne servait à aider qu’un seul ado homo à se sentir mieux dans sa peau, il aurait sa raison d’être ! J’ai écrit ce livre aussi avec la certitude que parler d’homosexualité ne rend pas homosexuel. Certaines personnes pensent encore qu’aborder un tel sujet peut donner de « mauvaises » idées aux ados, les influencer, les pousser à tenter des aventures homosexuelles… Mais c’est faux. On ne tombe pas amoureux d’une personne de même sexe parce qu’on a lu sur l’homosexualité. On ne fait pas l’amour avec elle juste par mimétisme. Si j’ai choisi de m’adresser directement à eux et pas d’écrire à la troisième personne, c’est parce que les ados aiment qu’on leur parle directement. Et parce que je tenais à faire un livre simple, direct, sans faux-semblants et épousant le cheminement des jeunes homos. Je ne voulais pas écrire une thèse sur le sujet, mais à faire un livre efficace, proche des jeunes et de leurs préoccupations. Malgré ce que le titre laisse penser, je ne voulais pas parler de l’homosexualité comme sujet d’étude et de curiosité, mais aux jeunes homosexuels qui la vivent au jour le jour.
– Quand on s’adresse à des enfants et à des adolescents, notamment dans le cadre de la littérature jeunesse, si on parle d’amour, peut-on aussi parler de sexualité et de passage à l’acte sexuel (hétéro et homo) selon l’âge auquel on s’adresse ? Evoquer l’homosexualité ou bien mettre en question l’identité de genre est-il susceptible de troubler des enfants en bas âge, ou au contraire cela peut-il les aider à grandir ?
– Oui, on peut parler de sexualité aux enfants et aux adolescents. La sexualité fait partie de la vie, les enfants et les ados s’y intéressent spontanément. Et je ne vois pas pourquoi les auteurs jeunesse devraient soigneusement faire l’impasse sur ce sujet, sauf s’ils sont animés par une morale éducative rétrograde… Maintenant, il y a façon et façon de parler de sexualité. Je ne crois pas que les adultes doivent expliquer aux enfants et aux ados de quelle manière il convient de faire l’amour, leur détailler les gestes, la manière d’obtenir du plaisir… Cela fait partie de l’intime et, de cette intimité-là, les adultes doivent rester à distance. Les parents, comme les éducateurs et les auteurs qui écrivent des livres à visée pédagogique, n’ont pas à se mêler de près de la sexualité des enfants, de façon à respecter leur pudeur, leur corps, leur jardin secret, et à éviter de faire planer un climat vaguement incestueux et donc angoissant.
Quand j’écris des livres destinés aux jeunes, je m’efforce d’accompagner leurs questionnements, de les informer, de les faire réfléchir et de les rassurer, sans tabou mais sans démagogie non plus, et en essayant de rester à ma place d’adulte. Je leur parle du désir, du plaisir, de l’amour, sans entrer dans les détails, mais comme des états émotionnels dont il n’y a aucune raison d’avoir honte, et qui peuvent poser des questions intéressantes sur soi, sur la relation à l’autre… La relation à l’autre, c’est bien de cela qu’il s’agit quand on parle de sexualité ! Et, quoi qu’en pensent certains, c’est cela qui intéresse surtout les jeunes. Quand un ado pose des questions sur la « première fois », il veut en savoir plus sur l’état émotionnel de son éventuel partenaire, et il attend aussi d’être rassuré sur sa capacité à mener à bien ce premier rapport, tant sur le plan sexuel que relationnel (« vais-je être à la hauteur », « et si je ne lui plais pas ? », etc.) Quand un ado interroge sur les relations homosexuelles, il ne cherche pas vraiment à savoir « comment ils font » (en général, il en a une idée d’ailleurs), mais plutôt à réfléchir sur l’intimité entre deux personnes de même sexe, l’existence ou non de sentiments amoureux, la légitimité de cet amour aux yeux de la société…
Ne pas répondre à cette curiosité-là reviendrait à dire qu’elle est déplacée, malsaine, voire dangereuse. Or il n’y a rien de malsain à vouloir en savoir plus sur l’amour, sur le désir. En la matière, le silence me semble plus perturbateur que la parole, parce qu’il est très culpabilisant. Et puis, les jeunes ont besoin d’informations sur les façons de se protéger des maladies sexuellement transmissibles. Pour les informer correctement, il faut bien parler clairement des choses… C’est de notre responsabilité d’adultes !
Enfin, et j’insiste sur ce point, parler d’homosexualité ne trouble pas les jeunes et ne risque pas de les inciter à remettre en cause leur propre orientation sexuelle : je ne crois pas qu’on devienne gay ou lesbienne par « contamination littéraire » (quand un jeune s’interroge sur sa possible homosexualité c’est qu’il sent que quelque chose en lui, tout au fond de lui, va dans ce sens). En revanche, ces sujets abordés dans les livres peuvent permettre aux hétéros de mieux comprendre les homos, et aux homos de se sentir mieux dans leur peau. Bref, cela les aide tous à mieux grandir et à mieux vivre en société.
– Lors de rencontres avec vos jeunes lecteurs (en collège, lycée, bibliothèque, librairie…), quelles sont leurs réactions relativement à ce livre, notamment par rapport à la thématique homosexuelle ? Avez-vous remarqué un changement d’attitude dans les dernières années ?
– Les jeunes m’ont toujours semblé être très intéressés par le thème de l’homosexualité, et donc par mon livre. Certains se montrent d’abord gênés : ils sourient, rigolent entre eux, ou hésitent à parler (les garçons surtout). Mais manifestement ce sujet leur « parle » à tous pour plusieurs raisons : ils connaissent un ou deux garçons (plus rarement des filles) dont ils soupçonnent l’homosexualité, ils sont curieux de savoir pourquoi on est homo (si on l’est, si on le devient, etc.), comment vivent les homos ; et puis ils souhaitent souvent aussi s’exprimer sur le rejet éventuel que subissent les homos, dire leur indignation… Les filles sont souvent plus compréhensives. Mes interventions tournent généralement au débat sur ce sujet. Il y a parfois des paroles négatives, intolérantes, mais elles ne sont pas majoritaires, pour autant que j’ai pu le constater. J’apprécie particulièrement ces rencontres avec les jeunes, qui m’aident à progresser dans mes réflexions. J’ai d’ailleurs fait beaucoup d’interventions dans des établissements scolaires, des bibliothèques, au Salon du livre de jeunesse de Montreuil, pas seulement sur l’homosexualité, mais sur la sexualité et l’amour en général. Si vous connaissez des enseignants, des infirmières, des responsables de CDI qui cherchent des intervenants, je serai ravie de me libérer pour venir les rencontrer. Je trouve cela franchement très intéressant, surtout dans la mesure où dans ma vie professionnelle quotidienne je ne suis pas en prise directe avec les jeunes.
– Propos recueillis par Lionel Labosse en mars 2006. Lire notre article sur L’homosexualité à l’adolescence.
– Lire une « rencontre avec Anne Vaisman » sur le site Gayvox.
– Lire un article paru dans Citrouille en novembre 2003 sous la plume de la psychothérapeute Annie Roland, intitulé Le péril jeune. (Réflexion brillante sur le rapport particulier des adolescents à la littérature).
– Pour contacter directement Anne Vaisman, cliquez ici.
Propos recueillis par Lionel Labosse.
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