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Au pays daga d’Aragon & degue de Castille

Au pays de la tauromachie et des barbus ibères

Corrida, Goya, Cervantes & Cie

mardi 1er novembre 2016

À la Toussaint 2015, j’ai prolongé un revenez-y barcelonais par une plongée dans Madrid, une capitale européenne que je n’avais pas eu encore l’occasion de visiter. Aux vacances de printemps, je suis retourné en Espagne, d’abord pour randonner en Andalousie, apprenant à mes dépends que c’est la région la plus haute et pluvieuse d’Espagne continentale, puis pour approfondir ma connaissance de Madrid, reliée par le train à grande vitesse depuis Malaga. Cet article ne révolutionnera pas le journal de voyage ; je ne vous y proposerai que quelques notes d’un voyageur pressé, quelques suggestions de lecture en passant, nostalgie de l’Ibère, etc. Et à l’instar de Boby Lapointe, on y fera du coq-à-l’âne pour ricocher sur la tauromachie, étude de cas d’un complexe de haine de soi propre à l’homo occidentalis.

Plan de l’article
Un peu de littérature d’abord
Arturo Perez-Reverte
Musées de peinture
Architecture & urbanisme
Statuaire
Piscine
Le goût de l’Andalousie
Tauromachie

Un peu de littérature d’abord

Je me suis trouvé par hasard en Espagne le jour du quadricentenaire de la mort de Miguel de Cervantes, c’est-à-dire le 22 avril. J’en ai profité pour excursionner du côté de sa charmante ville natale Alcalá de Henares, à une heure à l’est de Madrid, puis dans la même journée, direction Aranjuez, non moins charmant, une heure au sud. Mais ce fut aussi l’occasion de découvrir un autre texte de l’auteur de Don Quichotte, la première de ses Nouvelles exemplaires, (1613) « La petite gitane ». Dès l’incipit, on est servi : « Il semble que gitans et gitanes ne soient venus au monde que pour être voleurs : nés de parents voleurs, élevés parmi des voleurs, ils mettent leur étude à devenir voleurs et, en définitive, finissent par être voleurs tout le temps, comme on respire : avoir envie de voler et voler sont chez eux comme des accidents inséparables dont on ne se défait qu’avec la mort ». La traduction est de Claude Allaigre, qui dans sa préface note que Cervantes meurt le 23 avril 1616, alors que selon Wikipédia ce serait la date de son enterrement. Il y a aussi depuis des lustres, une discussion sur la non-concomitance de la mort de Shakespeare et de Cervantes, qui intéressera les spécialistes ; voyez les articles de Wikipédia. Cette citation ci-dessus est souvent rappelée comme archétype des préjugés racistes contre les roms. Voir par exemple cet article de la LDH. Il faut bien évidemment rappeler qu’on est au tournant du XVIIe siècle, c’est-à-dire après une série de guerres de religion qui ont décimé l’Europe, ce qui relativise ce qu’on pourrait à l’aune des conceptions actuelles prendre comme des discriminations anti-roms, et que d’autre part, le récit de Cervantes, comme le dit l’article de la LDH, oscille entre fascination et répulsion pour les gitans, en tout cas montre de la part de l’aristocratie espagnole un respect sans faille pour cette catégorie de la population, à comparer avec la façon dont à la même époque le peuple est traité dans les différents avatars du mythe de Don Juan.
En parlant de Don Juan, il se trouve que dans le Teatro Español, le plus ancien théâtre de Madrid, se jouait El burlador de Sevilla de Tirso de Molina. Comme je croyais bien connaître la pièce, je m’y suis risqué. La mise en scène de Dario Facal, dont vous aurez un aperçu ici tenait plutôt du happening (micros, projections vidéo, etc.), et j’ai pu constater que je présumais de mes capacités hispanophones. Je n’ai pas pu suivre le texte, et n’ai plus rien compris à cette version première, édifiante, du mythe. C’était nonobstant un régal pour les yeux car huit barbus ibères & bruns, dont un nain, dévoilaient tous leurs attraits sur scène, jusqu’à une quasi partouze finale, en complète contradiction avec le souvenir que j’avais de la pièce. De cet orgasme de bruns barbus j’ai quand même tiré ce quatrain de mirlitons, sans commentaire ! Ah si peut-être, comme je ne sais pas où placer le traditionnel paragraphe désabusé sur le ou plutôt les quartiers gays, disons que les bars où j’ai mis les pieds rivalisent de petitesse, et vous imposent un forfait de deux consommation, ce qui favorise l’alcoolisme, alors qu’à peine entrée vous n’avez qu’une envie, c’est de fuir ; il vaut mieux fréquenter les saunas, en essayant de trouver les plus vastes, avec l’ambiance internationale habituelle.
Madrid, Chueca, fleuve où défile tout ours
Brun, obèse ou barbu, dont l’œil de braise obsède
Mon œil de borgne avide ; hélas ils ne l’ont raide
Que pour la fraîche arbouse à peine issue des sources

Arturo Perez-Reverte

Pour continuer à parler littérature, j’ai découvert lors de ce voyage, grâce à une collègue hispaniste, l’œuvre d’un écrivain actuel, Arturo Perez-Reverte. C’est un ancien photographe de guerre, qui a bâti son œuvre notamment sur des réflexions sur l’art et sur l’histoire. Voici par exemple un extrait de Le Peintre de batailles (2006), Seuil, 2007, une des dernières traductions de François Maspero : « – Tout à l’heure, nous parlions d’horreur et d’appareil déréglé. Et savez-vous ce que je crois ?… Que vous étiez un bon photographe parce que photographier, c’est cadrer, et cadrer, c’est choisir et exclure. Sauver des choses et en condamner d’autres… Ce n’est pas donné à tout le monde de savoir faire ça : s’ériger en juge de tout ce qui se passe autour de soi. Vous comprenez de quoi je parle, en disant cela ?… Personne, s’il aime vraiment, ne peut rendre ce genre de sentences. Si j’avais eu à choisir entre sauver ma femme ou mon fils, je n’aurais pas pu… Non. Je crois que non. – Et qu’auriez-vous fait, si vous aviez eu à choisir entre sauver votre femme ou votre fils, ou vous sauver vous-même ? ». Il s’agit d’un règlement de compte entre un reporter de guerre devenu peintre et un ancien soldat dont la vie a été bouleversée par la publication d’une photo qui le représentait. J’ai lu aussi La Patience du franc-tireur (2013), roman passionnant sur un artiste de rue pratiquant le graffiti sauvage, et qui là aussi se trouve confronté à sa responsabilité pour avoir encouragé des jeunes gens à prendre des risques parfois mortels pour relever les défis qu’il lançait. Évidemment avec ce genre de livres, on n’est pas confronté à une Espagne de carte postale ! C’est peut-être plus le cas du Maître d’escrime, 2e roman du même auteur (1988), qui situe son action à Madrid vers 1868. Politique, histoire & escrime, un peu trop pointu pour moi… J’y relève cependant une belle citation, qui corrobore mes propos tauromachiques : « Une civilisation qui renonce à la violence en pensée et en action se détruit elle-même. Elle se transforme en un troupeau d’agneaux qui se fera égorger par le premier venu. Il en va de même pour les individus » (p. 138, édition Points).

Musées de peinture

Entre le Prado, Reina Sofia, Thyssen-Bornemisza, Lazaro Galdiano, sans compter les expos temporaires, il y a de quoi prendre une overdose. Je ne parlerai pas des Goya, sauf que j’ai retrouvé avec surprise un tableau que j’ignorais être du maître, et qui a toujours été pour moi associé à l’Espagne parce que pendant mon enfance, nous avions très peu de disques, et parmi eux, une série du type « les chefs-d’œuvre du classique » comprenant un numéro consacré à Édouard Lalo et sa symphonie espagnole, pochette illustrée par El quitasol, un des cartons pour tapisserie de Francisco de Goya exposés dans les combles du Prado. Au musée Thyssen-Bornemisza, découverte de John Frederick Peto et ses natures mortes et trompe-l’œil (Tom’s River) ; Femme avec cigarette de Kees van Dongen, portrait de Kiki, La Clé des champs de Magritte. À la Toussaint, j’ai eu la chance de pouvoir visiter en même temps trois expositions de peinture du début du XXe siècle, Kandinsky, Munch (« Archétypes ») et Bonnard. Je ne vais pas vous raconter ces expos. Juste dire mon admiration de deux versions parmi les innombrables de Vampire de Munch, le Vampire dans la forêt de 1916 notamment, et sa version très naturaliste d’Adam et Ève (1909).

San Diego de Alcala (1651-1653), par Francisco de Zurbarán
Musée Lázaro Galdiano, Madrid
© Lionel Labosse

Au musée Lázaro Galdiano, tombé en arrêt devant un tableau de Francisco de Zurbarán, San Diego de Alcala (1651-1653). Ecclésiastique avec un petit air de gouape. Aussi un portrait d’homme, attribué à Alexis Grimon (1678-1733). Au Prado, sublime Viol de Ganymède de Rubens, dont vous verrez une illustration dans l’article sur Les Faux-Monnayeurs.

Architecture & urbanisme

Madrid est moins impressionnante que Barcelone, même si l’Eixample de Barcelone dû à Ildefons Cerdà en 1859 correspond à l’« ensanche » madrilène, dû à l’ingénieur Carlos María de Castro (1810-1893).

Plan de l’Ensanche de Madrid.
Carlos María de Castro (1810-1893)
© Wikicommons

Depuis l’an 2000, de grands travaux d’urbanisme ont rapproché Madrid des standards mondiaux, comme les gratte-ciels du nord de la ville, sur le Paseo de la Castellana, les Tours Kio penchées de la Porte de l’Europe, l’obélisque de la Caisse de Madrid, etc. Mais il faut mentionner aussi le design unique au monde du métro de Madrid, bas de plafond mais riche de couleurs enthousiasmantes qui donnent une autre ambiance que le métro de Paris, son envahissement par la pub et les annonces sonores inutiles et incessantes répétées en plusieurs langues. Cela n’empêche pas que la station centrale de Madrid, Puerta del Sol, a été rebaptisée « vodafone Sol », du nom de l’entreprise de téléphonie britannique n°2 d’Espagne, pour une durée de 3 ans depuis juin 2013, ce qui devrait avoir mis fin au contrat à l’heure où j’écris ces lignes. Au même moment, le parti socialiste (sic) parisien vendait l’ancien Palais omnisport de Paris-Bercy à une marque commerciale pour une durée de dix ans, comme quoi c’est une mode européenne de vendre les bijoux de famille. Cela a même un nom : le « naming », sous-catégorie du « branding ».

Métro de Madrid
© Lionel Labosse

La Caixa Forum de Madrid, due à Herzog & de Meuron, présente un escalier intéressant et d’autres espaces. Les toilettes, en symphonie de vert, sont un modèle à imiter pour faire ses besoins en harmonie. Il est agréable, pour une fois, de trouver un bâtiment dans lequel les architectes semblent avoir pensé que les utilisateurs avaient un corps. Frank Gehry, lorsqu’il a dessiné l’American center devenu la cinémathèque de Paris, n’a point eu de pensée aussi vulgaire que de songer à des toilettes qui soient autre chose qu’un cloaque perpétuellement en panne.

Toilettes de la Caixa Madrid.
Architectes Herzog & de Meuron.
© Lionel Labosse

L’ensemble urbain Parque Madrid Río réalisé entre 2006 et 2011, avec notamment la Passerelle Arganzuela due à Dominique Perrault, fait partie aussi des innovations qui contribuent à un nouveau visage de Madrid. J’aimerais cependant expérimenter cette passerelle au mois d’août pour vérifier si elle est prévue tout temps !

Statuaire

La statuaire madrilène est certes moins impressionnante que celle de Barcelone, mais certaines œuvres retiennent l’attention, comme la fameuse sculpture héraldique statue de l’Ours et de l’Arbousier (« El oso y el madroño »), sur la Puerta del sol depuis 1967, qui reprend le motif héraldique de Madrid depuis le XIIIe siècle. On note aussi un exemple intéressant de mélange public / privé, avec la statue « La rana de la suerte » (grenouille de la chance) sur le paseo de Recoletos, métro Colon, financée par un casino. Attention cependant à ne pas rester le nez en l’air : voulant traverser le paseo del Prado, je fus surpris que les voitures veuillent me toréer. Le vert clignotait pour les piétons, en même temps que l’orange pour les voitures (à moins que je n’aie abusé de la sangria !). L’égalité pour tous version automobile ! Au coin des rues, on a parfois la surprise de croiser des passants de bronze, qui sont autant d’occasions d’étreindre des sculptures comme des amis inconnus.
À l’Alhambra de Grenade, au musée des beaux-arts du palais de Charles Quint, j’ai été saisi par deux sculptures d’Alonso Cano (1601-1667), le Michel-Ange de l’Espagne. On peut admirer deux statues de bois polychromes, Saint-Antoine de Padoue et Saint-José, les deux portant un enfant, des années 1650. Belle expression de la paternité dont devraient se saisir les associations de papas actuelles.
Le chapitre sur la statuaire serait dans doute incomplet si l’on ne parlait des illusionnistes de rue qui se muent en sculptures vivantes. Certains d’entre eux s’exhibent en « lévitation », comme sur la Piazza del Popolo ou la Piazza Navona à Rome. Les esprits scientifiques auront sur cette page quelques éléments d’explication du secret de ces bateleurs, mais il m’a été impossible de trouver une démonstration filmée complète

Piscine

Comme dans beaucoup de capitales, il s’avère difficile de trouver des piscines municipales faciles d’accès (on est vernis à Paris). Alléché par un article d’ABC, je me suis rué sur la piscine du parc Casa de Campo (métro Lago), qui est aussi tout simplement la plus proche du centre ville d’après mes investigations (les auteurs de guides touristiques n’ont pas tous compris que les piscines publiques font partie des endroits à visiter en priorité si l’on veut vraiment connaître une ville, et très souvent on vous conseille des piscines d’hôtel ou de luxe parce que vous êtes un touriste, d’où crise de nerfs et perte de temps en recherches Internet…). Bref, arrivé sur place, au lieu d’une collection d’athlètes à lécher leurs carreaux de chocolat, je me retrouve mêlé à des bambins obèses, des vieux amorphes, pas la queue d’un nageur sportif, dans une piscine minuscule et sans intérêt. Il fallait comprendre que la piscine de débauchés dont il était question dans l’article, c’était en été. Bref, je fais mes longueurs dans le bassin entouré de figures biomorphes telles que je me crois nageant dans un tableau de Kandinsky, je reprends mes affaires dans le vestiaire vieillot, et je rentre à l’hôtel. Les numérologues constateront peut-être un lien ésotérique entre les sept huit qui se trouvent du côté gauche de ce tableau, et le fait qu’ils lisent l’article n° 888 de leur site préféré…

Le goût de l’Andalousie

D’un bref séjour en Andalousie, je retiendrai quelques extraits du petit livre de cette excellente collection découverte pour Prague, Le Goût de Séville, Mercure de France, 2003, textes réunis par Jean-Noël Mouret. J’y trouve par exemple un étonnant jugement du marquis Astolphe de Custine, extrait de L’Espagne sous Ferdinand VII, 1838, tome 2, lettre XXVIII, à propos de l’Alcazar de Séville (qui est donc plutôt une œuvre d’Architecture mudéjare) : « Ce n’est plus de la pierre, du marbre, du jaspe, du bois, c’est de l’étoffe, c’est un palais de draperies ouvragées, un temple de mousseline brochée, une prison de brocart ; enfin c’est le chef-d’œuvre d’une société où les architectes seraient choisis parmi les marchandes de modes : malgré tout son éclat, toute son originalité, toute sa perfection de détails, l’architecture arabe est l’art d’un peuple efféminé. » Cela dit, ma visite de l’Alhambra de Grenade m’a laissé dubitatif, et relativement d’accord avec ce jugement, puisque le bâtiment qui m’a le plus impressionné dans cet ensemble, est le Palais de Charles Quint, un incroyable patio circulaire à deux étages de colonnes inscrit dans un carré de 63 mètres de côté, tout sauf mudéjar. J’ai été étonné voire agacé par la volonté affichée des Espagnols de nommer « mosquée-cathédrale » le monument principal de Cordoue, qui se trouve en être actuellement la cathédrale, d’autant plus que les guides que j’ai entendus avaient la déplorable habitude d’abréger en « mosquée », comme si la guerre que mènent les nazis de l’Islam à l’Europe avait abouti. Dans Commentaires royaux sur le Pérou des Incas, Inca Garcilaso de la Vega évoque « la sainte église cathédrale de Cordoue », et non une « mosquée-cathédrale ». Je n’en demande pas tant, mais qu’on la nomme Cathédrale, puisque c’est son statut actuel, voire « Mosquée-cathédrale de Cordoue », son nom officiel si l’on tient absolument à gagner la paix sociale, mais en aucun cas « mosquée » tout court ! D’autant que si on peut se tromper et l’appeler ainsi, c’est grâce à l’intelligence de Ferdinand III de Castille puis de Charles Quint, mais surtout des ecclésiastiques qui ont empêché sa destruction lors de la Reconquista, mais ont préféré que la cathédrale fût inscrite dans la mosquée ancienne, quitte à en détruire une partie, de même qu’à Grenade, Charles Quint a fait inscrire un rond dans un carré, eux-mêmes inscrits dans l’ancienne Alhambra. Il ne faut pas oublier que cette cathédrale, avant d’être une mosquée, était un ancien temple romain qui devint une église, et que les Arabes n’ont pas laissé debout une pierre de cette église quand ils en firent leur mosquée ; ils ont remployé la moindre colonne ! Côté littérature, Séville, c’est aussi l’excellent roman La Femme et le pantin, de Pierre Louÿs (1990), et ses adaptations filmiques.

Tauromachie

Terminons avec le sujet qui fâche, j’ai nommé la tauromachie. Je me rappelle m’être brouillé jadis avec un ami à l’issue d’un spectacle de Philippe Caubère intitulé Recouvre-le de lumière. J’avais été bouleversé, et cet ami, qui avait pour manie, détestable en amitié, d’argumenter non point par conviction, mais juste pour se livrer à de gratuites passes d’armes avec son interlocuteur, ne tenant aucun compte de mon émotion, s’en était allé d’un blabla auquel il ne croyait pas lui-même, sur la cruauté de la tauromachie, etc. Et la sortie du théâtre était encombrée des inévitables militants anti-corridas, comme si en sortant du Cid, on devait se fader des militants pacifistes ! On a envie de leur dire : « ceci n’est pas une pipe ! » Et pourtant cet ami n’était pas végétarien, et au contraire aucun des végétariens que j’ai pu fréquenter ne m’a jamais fait part d’opinions anti-corrida. C’est un des rares sujets qu’il faut manier avec des pincettes, de peur de vous fâcher avec la moitié de vos relations. Précisons bien sûr que mon émotion n’avait rien à voir avec la corrida en elle-même, à laquelle je ne connaissais rien, mais avec la dramaturgie du spectacle, de même que je puis être ému par la représentation cinématographique d’un match de football sans aimer ni connaître le football (À nous la victoire de John Huston par exemple). Bref, par où commencer ?

La Minotauromachie, Pablo Picasso, 1935.
Eau-forte, grattoir et burin sur cuivre VIIe état. Épreuve tirée par Lacourière.
Musée Picasso, Paris. Photo © Lionel Labosse.

À défaut de se rappeler la tauromachie inscrite au cœur de la première épopée, Gilgamesh, ou les nombreuses représentations de ce thème chez Picasso (ses illustrations pour le livre La Tauromaquia ou cette gravure de 1935 intitulée La Minotauromachie, qui figure parmi les premières sources picassiennes de ce qui deviendra Guernica deux ans plus tard, et que j’ai photographiée en 2017 au musée Picasso de Paris), on peut commencer peut-être par écouter cette émission Cultures monde de Florian Delorme « Animaux : plaidoyer pour un rugissement. Des corridas aux combats de coqs : faites vos jeux », diffusée le 28 avril 2016 (durée 50 minutes). On nous alerte souvent excessivement sur certains sujets médiatiques, comme la tauromachie ou le nucléaire, alors qu’on traite avec fatalité des dangers beaucoup plus graves mais moins médiatiques, comme le cancer du sein. Cela dépend de la force de frappe de certaines associations para-gouvernementales parfois excessivement dotées par rapport à leur nombre réel de militants, et cela dans tous les domaines. Georges Charpak et Henri Broch ont dénoncé par exemple dans Devenez sorciers, devenez savants (Odile Jacob poche, 2002) les croyances en l’irrationnel qui règnent sur certains cerveaux, y compris parmi les scientifiques, et ils expliquent que dès qu’on ignore un domaine, on peut se faire manipuler par ceux qui crient le plus fort, par exemple dans le domaine nucléaire ou des OGM. Si on est un peu honnête, on doit reconnaître qu’on enfourche parfois sans connaissance de cause des bidets écolos, juste parce que l’on suit les autoroutes de pensée majoritaires. C’est aussi la responsabilité des médias de sélectionner des spécialistes valables en vérifiant les conflits d’intérêts, or quand on constate que dans le domaine politique ou économique, ce sont souvent des spécialistes univoques qui sont sélectionnés, il est légitime d’éprouver une certains suspicion dans les domaines plus spécifiques où notre ignorance nous empêche d’être bon juge. Pour en revenir à Charpak et Broch, si j’ai tendance à leur faire confiance, le problème est qu’ils ne disent pas un mot dans leur essai des croyances religieuses. Or quand ils disent d’un côté, graphique à l’appui, (p. 191) que les savants sont en moyenne 30 % à croire à l’astrologie, et 50 % au paranormal, et de l’autre côté que 40 % des scientifiques étasuniens croient en un dieu (p. 218), ils n’ont pas le courage de rapprocher les deux chiffres, et de préciser que lorsqu’on croit qu’un type a multiplié des pains ou a marché sur l’eau, ceci constitue une croyance au paranormal assez peu compatible avec l’objectivité scientifique. Bref, il est assez difficile de comprendre que certaines associations soient subventionnées avec pour but l’interdiction d’activités appréciées de certains contribuables. Je ne conteste pas qu’elles puissent s’exprimer, mais pas avec de l’argent public. Cela éviterait l’effet de grossissement artificiel de certaines associations. Personne n’oblige personne à apprécier la chasse ou la corrida, mais au nom de quoi vouloir interdire ce qui ne vous plaît pas à vous ? Frédéric Saumade, invité à l’émission précitée, relève avec raison le chiffre de 30 % d’Espagnols qui apprécieraient la corrida, ce qui est un chiffre extraordinaire. Mais comment expliquer que les 70 % d’autres leur interdiraient ce plaisir ? Je fais partie de nombreuses minorités, par exemple celle des gens bizarres qui apprécient la lecture de livres en papier. Combien d’années s’écouleront avant que des extrémistes écolos arguent du fait que 20 % seulement de la population apprécierait ce plaisir, pour le leur interdire ? (cf. Fahrenheit 451). À ce titre, à chacun de faire la liste de ce qui lui plaît à lui et que certains fachos de l’écologie ou autres doctrines pourraient vouloir interdire. De l’interdiction du poppers dans la plupart des pays d’Europe à celle du cannabis, qui recommence à être autorisé ici ou là, la question plus large que soulève la corrida, est celle des libertés individuelles, mais aussi celle de la conscience que nous avons de faire partie d’une civilisation, sans oublier l’aspect économique et social.
Les militants anti-corrida pourraient aussi bien militer dans les musées et demander la destruction des œuvres tauromachiques de Goya, comme La tauromaquia ou La novillada, ou de Picasso, ce criminel de guerre nazi qui s’est tant intéressé à la tauromachie. Sans parler des écrivains, Montherlant ou Hemingway. Bref, pardon pour cet argument d’autorité, mais de « grands hommes » ont apprécié la corrida, et je n’en connais guère qui aient milité pour son interdiction. C’est sans doute l’apanage des frustrés que de consacrer leur existence à vouloir interdire ce qui rend heureux leurs concitoyens. Je comprends que l’on cherche à interdite des activités directement dangereuses pour autrui ou pour la société, comme les pots de vins, l’usage de la cigarette dans les lieux publics, les chiens dangereux non muselés, le retour de la publicité sur les radios publiques et l’invasion publicitaire en général, etc. ; mais la chasse ou la corrida, si l’on n’aime pas, autant attendre que ces activités meurent de leur belle mort, faute de participants.
Le corrida n’est pas forcément un spectacle romantique insipide où amener sa petite copine ou son petit copain pour la ou le peloter dans les coins. Non, la corrida a un grand défaut, nous rappeler que nous sommes des animaux, mammifères, et mortels. Par exemple, le 9 juillet 2016, un jeune torero, Víctor Barrio, est mort des suites d’un coup de corne, ce qui ne s’était pas produit depuis plus de 30 ans. N’en tirez aucun argument comme ceux qui veulent profiter de l’occasion pour faire tourner leur moulin prohibitif : en 30 ans on a sans doute compté mille fois plus de morts autour de matchs de foot ou de spectacles musicaux, raves ou non, qu’autour de corridas. D’ailleurs je ne sache pas qu’il existe de hooligans de corridas comme il en existe de football. C’est là qu’il conviendrait de parler, peut-être, de catharsis et de fonction symbolique. Comment se fait-il qu’une corrida où l’on assiste à la mort de 6 taureaux relâche dans les rues des gens apaisés, tandis que deux heures de passes d’un ballon rond entre gentlemen déverse des tombereaux de tarés boostés à la testostérone prêts à s’entretuer et à tout casser ? Comme si dans la corrida c’était la testostérone bovine qui était symboliquement tuée. Je ne crois pas que les terroristo-fascistes, musulmans ou non, s’adonnent à la chasse ou à la corrida. Un article du Figaro fait le point sur la mortalité due aux animaux. Cela va de deux millions de morts par an dues aux moustiques, à 400 pour les abeilles, etc. Mais si l’on suivait les arguments des khmers verts, selon lesquels un animal vaut une personne, alors ne faudrait-il pas mettre en place des tribunaux spéciaux pour les moustiques et les serpents ? Et les fameux fugus, dont la tétrodotoxine tue, selon ces deux articles contradictoires de Wikipédia, entre une et cent personnes par an : faut-il pour cela interdire leur consommation ?

Novillada con picadores, à la Plaza de toros monumental de las Ventas, Madrid.
Le 24 avril 2016.
© Lionel Labosse

Si j’ai assisté à une corrida en ce printemps 2016, c’est un crime sans préméditation, et je plaide non-coupable. J’avais vu de loin en Andalousie les arènes de Ronda, de Malaga ou de Séville, et je me rappelais avoir vu en passant lors de ma première visite de Madrid, la plaza de toros monumental de las Ventas. Lors de ce second séjour madrilène, j’ai vu qu’était donnée une « Novillada con picadores », et qu’il y avait des places bon marché, donc j’y suis allé « pour ne pas mourir idiot ». L’arène était à moitié pleine, l’ambiance molle, et passé le premier taureau, j’avoue m’être un peu ennuyé. Une « novillada » est une corrida opposant de jeunes taureaux de moins de 4 ans (qui n’ont pas les qualités pour faire de vrais taureaux de combat), à de jeunes toreros n’ayant pas encore pris l’alternative (novilleros). Il en existe avec ou sans picadors, c’est-à-dire chevaux caparaçonnés montés par des picadors qui blessent le taureau lors du premier tercio (passes et piques), avec une pique de 2,6 m de long. Lors du 2e tercio, les banderilles sont plantées par des messieurs qui courent vite, sur le cou du taureau, et lors du 3e tercio, le novillero fait ses passes en défiant le taureau, et cela se termine en principe par l’estocade. Si celle-ci est bien appliquée, le novillero reçoit une ou deux oreilles voire la queue de la bête, et effectue un tour de piste sous les acclamations de la foule. Cela n’est arrivé qu’une fois pour les 7 taureaux combattus lors de ce spectacle (l’un d’eux a été gracié, et remplacé par un autre). Le public avait eu droit à un programme où figuraient les noms des trois héros de la soirée, les novilleros Javier Marin (celui qui obtint une oreille, en photo ci-dessus), Alejandro Fermin et Jesus Alvarez, ravissants dans leur obsolète mais sexy habit de lumière. J’espère avoir l’occasion de voir une vraie corrida, avec des taureaux de 4 ans, des arènes pleines à craquer, etc. ; l’idéal, paraît-il, est d’être accompagné d’une personne qui connaît la corrida et peut tout vous exmpliquer…
Si l’argument des anticorridas est la cruauté du traitement infligé aux bêtes, il faut un premier argumentaire pour leur répliquer. Premièrement, comme l’explique Frédéric Saumade, les spectacles tauromachiques actuels sont beaucoup moins cruels que ceux d’il y a un siècle, notamment grâce à la protection des chevaux, qui ne sont plus étripés comme avant. Deuxièmement, il faudrait alors comparer les conditions de vie des toros bravos (taureau de combat) à celle des autres bovins. Un taureau de combat vit jusqu’à l’âge de quatre ans (à moins qu’il ne soit choisi pour une novillada), alors qu’un bœuf est en général abattu à trois ans, et une vache laitière à cinq ans. Mais à supposer que vous soyez réincarné en bovin, quelle vie préféreriez-vous, à l’image du « Loup et du Chien » de La Fontaine ? Celle d’un toro bravo élevé dans des propriétés vastes et magnifiques, et qui ne voit jamais un homme durant toute son existence sauvage autrement que monté à cheval, ou celle d’un bœuf de ferme, enfermé derrière des clôtures la journée, dans une étable la nuit ? Ou au mieux l’été en estive, pour les plus vernis. Il en va de même pour les fameux cochons qui donnent le jambon ibérique et son caviar, le « pata negra bellota 100 % ibérique » qui fond sous la langue, issu de cochons élevés en semi-liberté dans la dehesa, écosystème qui occupe le centre ouest de l’Espagne (province de Salamanque, région d’Extrémadure et nord de l’Andalousie), et nourris de « bellotas » (glands), expérience assez enviable par rapport au cochon élevé en usines en Bretagne ou ailleurs. On peut comparer un élevage intensif de poulets aux conditions disons propres, et un élevage intensif aux conditions intolérables, et comparer les deux à un élevage familial artisanal, y compris lorsque l’animal est gavé pour en faire du foie gras. C’est un cas où l’on ne peut que se féliciter du travail des associations dénonçant l’incurie des gouvernements, qui ont renoncé à faire appliquer les lois sanitaires en supprimant tous les postes de contrôle. Et c’est aux associations locales et aux consommateurs à privilégier les producteurs artisanaux. On aimerait que d’autres associations se préoccupent de faire appliquer le droit du travail au bénéfice des êtres humains aussi maltraités que les animaux. Mais je ne sache pas que les institutions européennes accordent autant de subsides à ces associations qui empêchent d’exploiter les travailleurs en rond. Là aussi, les gentils militants qui s’opposent aux combats de coqs et ont obtenu leur interdiction dans de nombreux pays, oublient que ces coqs, avant de connaître une fin triste qui n’est guère plus triste que celle des millions de poulets fabriqués dans ces usines qui n’auront jamais vu la lumière avant de terminer en nuggets, ces coqs auront eu une belle vie avant de mourir. Les combats de coqs sont évoqués sur ce site dans le cadre d’un voyage en Indonésie. Il est facile, quand on dresse les ergots de sa morale sur les échasses de l’indignation, de hurler à la souffrance animale ; mais demandez aux khmers de la défense des animaux, s’ils étaient réincarnés en un poulet, et que le grand Sachem leur proposât l’alternative de naître poulet de batterie ou coq de combat, laquelle choisirait-il des deux ?
Finalement, les seuls militants anti-corridas honnêtes sont ceux qui vont jusqu’au bout de leur logique, les végans, qui sont des végétariens intégristes et fanatiques, opposés non seulement à la consommation d’animaux, mais aussi de tout produit d’origine animale, et désireux de passer leur temps à harceler les gens qui ne pensent pas comme eux. Autant j’ai toujours trouvé les végétariens que j’ai fréquentés sympathiques et ouverts (ils cuisinaient même avec plaisir d’excellents plats carnivores en mon honneur, alors que je n’ai rien contre la cuisine végétarienne et consomme peu de viande), autant je n’ai pas plus envie d’avoir pour ami un militant végan qu’un militant islamiste du genre qui refuse de serrer la main à une femme. Je ne sais pas si ces militants butés sont conscients que ce qu’ils prônent, derrière la fin du commerce des produits animaux, c’est la fin de la civilisation humaine basée sur l’élevage — et en passant le génocide des races animales d’élevage. Caïn et Abel sont nos ancêtres, et il faudrait rayer Abel le pasteur de la carte, ne conserver que Caïn le cultivateur ; c’est marcher sur un pied. Si l’on ne consomme plus de produits animaux, alors c’est la fin des animaux domestiques, et vu les progrès de l’urbanisation en Europe, la fin programmée de la présence de bovins. Les chevaux pourraient survivre grâce à quelques utilisations résiduelles de cet animal pour la monte, mais si on ne les mangeait plus, si on ne consommait plus leur laine et leur cuir, les bovins, ovins, caprins et porcins, sans parler des animaux de basse-cour, disparaîtraient rapidement de la surface de la terre, et les éleveurs vendraient leurs terrains pour en faire des centres commerciaux ou des complexes de loisirs, des golfs et des circuits automobiles. Même pour cultiver des légumes, chers amis végans, une agriculture naturelle a besoin de fumier, de déjections bovines, alternative aux engrais chimiques. Ceci n’est possible que dans une agriculture d’élevage et de labourage. Même les viticulteurs soucieux d’écologie, se remettent à utiliser des chevaux pour cultiver. Cette agriculture soucieuse d’environnement va de pair avec une utilisation raisonnée de l’animal d’élevage, que l’on fait travailler et que l’on consomme, ce que les végans extrémistes ne veulent pas prendre en compte. Cette fin des espèces domestiques s’ajouterait à celle des espèces sauvages dénoncée par le WWF en 2016. Et le statut de la vache sacrée en Inde ne constitue pas un argument : en effet, ces vaches qui errent dans les rues et empêchent l’émergence d’une économie moderne, ne sont pas livrées à elles-mêmes : elles ont toutes un propriétaires, qui bien sûr les trait et en tire profit. Une phrase célèbre d’Albert Camus : « Himmler, qui a fait de la torture une science et un métier, rentrait pourtant chez lui par la porte de derrière, la nuit, pour ne pas réveiller son canari favori. » (« Le temps du mépris », éditorial, Combat, 30 août 1944) nous rappelle qu’on peut être un grand ami des animaux sans être précisément un grand humaniste.
Le sens symbolique caché derrière la corrida, c’est tout simplement l’origine néolithique de l’élevage de bovins et de chevaux, constitutif de notre société humaine du moins occidentale. C’est pourquoi le Nouveau Monde, après l’arrivée des bovins et chevaux apportés par la colonisation européenne et élevés en masse dans les vastes plaines d’Amérique du Nord ou du Sud, crée les spectacles de corrida calqués sur l’Espagne, de charrería ou de rodéo (le « bull riding », cette parodie violente et dangereuse pour l’homme, de la tauromachie). Les Désaxés de John Huston est une démonstration, déjà en 1961, du fait que ces spectacles ainsi que tous les métiers de cow-boys qui tournent autour sont le dernier cercle qui rattachent l’homme à ses racines paysannes antérieures à l’urbanisation. Guido, Gay et Perce (Eli Wallach, Clark Gable et Montgomery Clift) sont ces fameux désaxés, qui tournent autour de Roslyn (Marilyn Monroe), une sorte d’écolo infantile et paumée, incapable de comprendre ce qui meut ces trois hommes, et que son combat dérisoire pour ces pauvres chevaux c’est aussi la mise à mort d’une tradition rurale, la fin d’un monde et la course en avant vers un autre monde qui a sa propre sauvagerie. Quand j’étais petit, j’étais terrifié par la cérémonie sauvage de ma grand-mère qui nous tuait un lapin ou un poulet le samedi. Elle aussi était une criminelle de guerre qui jouissait de la souffrance animale ; mais cette cérémonie barbare me fascinait plus qu’elle m’horrifiait, car contrairement à Marilyn dans ce film, je devais obscurément comprendre que j’avais des racines, et que la table en formica n’était pas la fin de toute civilisation, mais peut-être de continuer à déchirer de bon cœur sur ladite table, une cuisse de lapin ou de poulet, en activant molaires et incisives léguées au fil des générations par les ancêtres de ma sanguinaire grand-mère. Il semble que sourds aux avertissements, nous nous précipitions vers une société de frêles Éloïs, offerts en pâture aux barbares Morlocks. La fière Catalogne, qui a si courageusement aboli l’horrible corrida est un bon exemple du progrès considérable proposé par ce type de civilisation : Las Arenas, anciennes arènes de Barcelone, sont devenues un magnifique centre commercial où le chaland peut donner de la corne dans les capes des soldes et autres promotions de Desigual, Zara et autres sociétés taurines. Quant à La Monumental, dernière place taurine en activité à Barcelone, depuis que la tauromachie a été abolie en Catalogne en 2010 [1], elles accueillent désormais des événements musicaux et des spectacles de cirque (sans animaux bien sûr, car c’est halal de faire souffrir des animaux pour le divertissement des humains), et il existe actuellement d’après l’article de Wikipédia, un projet du Qatar pour en faire une mosquée. Et vive le progrès ! Et vivent les associations payées par nos impôts, citoyens européens, pour abolir les traditions européennes au profit de centres commerciaux et autres mosquées… Je ne dis pas qu’il ne faut pas construire de mosquées, puisque cela correspond à un besoin d’une certaine catégorie de contribuables, ni de centres commerciaux, mais il faudrait être attentif à ces signes de changement de civilisation. Cela me fait penser à une réplique de Rendez-vous sur le lac, de Cathy Ytak : « un jour, au lycée, un petit malin m’a lancé que je sentais la vache. Je lui ai répondu que c’était mieux que de sentir la game-boy ». C’est vrai que c’est pas beau, ces gens qui se réjouissent de voir mettre à mort des bovins ; mais est-ce plus réjouissant de voir des troupeaux de bœufs humains avachis sur la contemplation de l’écran de leur téléphone portable ?
La Suisse est un pays intéressant, qui ne fait pas partie de l’Union Européenne et conserve ses traditions à sa façon. Depuis quelques années, une chanson traditionnelle du Canton de Fribourg, Le ranz des vaches, est en passe de devenir une sorte d’hymne national bis. Déjà connu de Jean-Jacques Rousseau dans son dictionnaire de musique, le ranz des vaches est très émouvant dans l’interprétation du beau Bastian Baker. Faut-il rappeler que les gentilles vaches de cette tradition sont élevées, elles aussi, pour être traites, puis abattues et mangées, et que l’inoffensif Bastian Baker à qui l’on donnerait plus que le bon dieu sans confession (je veux dire qu’on lui donnerait volontiers son 06 !), est comme nous tous à moins d’être végétarien, un criminel sanguinaire qui se nourrit de viande animale… Nous voilà loin de l’Espagne, mais comme dit Boby Lapointe, revenons à nos moutons ! Bref ce que je veux dire c’est que les anti-corridas, souvent animés de préoccupations sincères quand ils le sont par générosité instinctive comme Marilyn Monroe dans le film de Huston, oublient que ce dont ils prônent l’éradication derrière la corrida, la chasse, la prostitution, c’est celle d’une civilisation qui avait certes ses défauts, mais qui avait aussi des qualités. Quand vous prônez un citoyen européen propre sur lui, dont toutes les dents sont limées, dont toute la testostérone est éliminée au profit de l’hormone de la bienveillance et du pacifisme bêlant, la conséquence est que tous ceux qui sont nostalgiques de ces défauts humains tellement insupportables se réfugient par réflexe de défense dans l’intégrisme religieux et dans l’ultraviolence. Voir la citation d’Arturo Perez-Reverte ci-dessus. Est-ce vraiment indispensable de châtrer nos sociétés de toute violence symbolique, de toute catharsis, de toute soupape de sûreté ? Doit-on se précipiter naïvement vers une destinée d’Éloïs végans, offerts en pâture à des Morlocks amateurs de corridas humaines et combats de coqs bien plus sanglants ?
 J’ai été estomaqué en 2017, de voir deux people pour lesquels j’avais jusque-là le plus grand respect, rejoindre le rang politiquement correct des anti-corridas. Michel Onfray prononce en juillet 2017 une conférence « Miroir brisé de la tauromachie », dans laquelle il explique en gros que la tauromachie est condamnable parce que ceux qui l’ont appréciée sont tous des impuissants. Francis Lalanne, qui achève de se ridiculiser en fondant en 2017 le Mouvement 100 %, censé fédérer toutes les nombreuses mouvances écolo, et qui a réussi péniblement à ramasser 1 % des voix contre Manuel Valls en Essonne, se lance dans des concours d’échasses d’indignation en vilipendant une candidate d’En Marche, Marie Sara, non pas sur ses idées, mais sur son métier de toréador. Lui qui m’avait appris la tolérance, le voilà devenu parangon d’intolérance…

 Les photos d’Espagne (lien ci-dessous) contiennent des photos de Barcelone, de Madrid et d’Andalousie, prises entre 2012 et 2016. Dans mon article sur Madagascar, lire un extrait d’un texte de Daniel Defoe qui semble évoquer des origines sauvages de la corrida.

Lionel Labosse


Voir en ligne : Photos d’Espagne (Barcelone, Madrid, Andalousie)


© altersexualite.com, 2016. Les photos sont de Lionel Labosse.


[1Abolition annulée par le tribunal constitutionnel espagnol en octobre 2016.