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Le cochon vêtu de la peau du mouton

Le Cochon de Gaza, de Sylvain Estibal

Film cosmopolite sorti en 2011

vendredi 10 février 2012

Il est étonnant qu’un premier long-métrage, sur le sujet épineux de l’antagonisme israélo-palestinien soit aussi réussi. Sylvain Estibal, à qui on a reproché, lorsqu’il s’est agi de financer son projet, de n’être ni juif ni arabe, a choisi le registre de la fable, assorti d’humour et de provocation, pour donner son point de vue sur ce sujet pas neuf. Il réussit le tour de force de faire rire et d’émouvoir sans se casser les dents, ce qui rappelle la réussite de La vie est belle de Roberto Benigni sur le sujet des camps de concentration, n°1 dans le genre épineux. Vous trouverez quantité d’excellentes critiques sur Internet, mais si j’ai décidé d’emmener des élèves au Cochon, c’est le hasard qui en a décidé, en faisant produire une étincelle à ce film, frotté aux Mouches de Jean-Paul Sartre, dont j’étudiais un extrait à ce moment-là. Je ne suis guère un cinéphile assidu, pour des raisons expliquées ici, et je me laisse volontiers emporter par l’enthousiasme quand mon imaginaire croise celui d’un cinéaste. Quoi de plus naturel, face à cet animal qui « a le sabot fendu et ne rumine pas » que je me sois fendu d’un article longuement ruminé !

Il est étonnant qu’un premier long-métrage, sur le sujet épineux de l’antagonisme israélo-palestinien soit aussi réussi. Sylvain Estibal, à qui on a reproché, lorsqu’il s’est agi de financer son projet, de n’être ni juif ni arabe, a choisi le registre de la fable, assorti d’humour et de provocation, pour donner son point de vue sur ce sujet pas neuf. Il réussit le tour de force de faire rire et d’émouvoir sans se casser les dents, ce qui rappelle la réussite de La vie est belle de Roberto Benigni sur le sujet des camps de concentration, n°1 dans le genre épineux. Vous trouverez quantité d’excellentes critiques sur Internet, mais si j’ai décidé d’emmener des élèves au Cochon, c’est le hasard qui en a décidé, en faisant produire une étincelle à ce film, frotté aux Mouches de Jean-Paul Sartre, dont j’étudiais un extrait à ce moment-là. Je ne suis guère un cinéphile assidu, pour des raisons expliquées ici, et je me laisse volontiers emporter par l’enthousiasme quand mon imaginaire croise celui d’un cinéaste. Quoi de plus naturel, face à cet animal qui « a le sabot fendu et ne rumine pas » que je me sois fendu d’un article longuement ruminé !

Haram ma non troppo

Jaafar, un pauvre pêcheur gazaoui, ne tire de la mer que des sardines étiques ou diverses cochonneries, pas de quoi nourrir sa femme (heureusement ils n’ont pas d’enfant). Il faut dire que les restrictions de la zone de pêche de la bande de Gaza ces dernières années ont été drastiques. Depuis janvier 2009, elle est limitée à trois miles marins, et le tonnage de pêche a été réduit, de 292 tonnes de poissons en avril 2007, à 79 tonnes en 2009. Un jour, accalmie après un temps de cochon où il avait été impossible de sortir le bateau, un cochon noir, identifié comme vietnamien, échoue comme par miracle sur le bateau de Jaafar, tiré des fameuses cochonneries rassemblées par son filet. Ce calembour que le sort lui envoie est le point de départ d’un conte drolatique dont le cinéaste tire les conséquences les plus loufoques. Jaafar, musulman ma non troppo [1], est dégoûté par l’animal haram, et tente d’abord de s’en débarrasser, en le vendant, mais sans succès, puis en le trucidant sans avoir à le toucher, mais il se laisse attendrir par les mimiques suppliantes de la bête. Il n’y a d’ailleurs semble-t-il dans l’islam (mais je ne suis pas théologien) relativement au porc, aucun autre interdit que la consommation, et Jaafar ne commet aucun « pêché » (puissiez-vous excuser cette coquille !), mais nous reviendrons sur cette idée de consommation. D’ailleurs même s’il en mangeait, étant poussé par la pauvreté, le Coran ne précise-t-il pas : « Il vous est interdit de manger les animaux morts, le sang, la chair du porc, et tout animal sur lequel on aura invoqué un autre nom que celui de Dieu. Celui qui le ferait, contraint par la nécessité, et non comme rebelle et transgresseur, ne sera pas coupable, car Dieu est indulgent et miséricordieux. » (sourate II, verset 168 dans la traduction d’Albert Kazimirski de Biberstein (1840), reprise dans l’édition Garnier-Flammarion de 1970 toujours en vente). On l’oublie, mais le Coran dans nombre de versets, est un exemple de modération, de clémence et de retenue (Je veux dire pour l’époque où il a été rédigé, bien sûr), par exemple ce verset 4 de la sourate 24, qui menace les calomniateurs de 80 coups de fouets, alors que l’adultère avéré est puni de 100 ; ou le verset 33 de la même sourate, appelant à la clémence contre les servantes qui auraient été contraintes à se prostituer.

Le cochon, ou comment apprivoiser le mal

Bref, notre ami Jaafar trouve conseil auprès d’un coiffeur qui aime se travestir de perruques blondes, mais coiffe aussi la cagoule noire dans les manifestations anti-israéliennes (à l’image de certaines femmes sans doute, dont la burqa voile peut-être une intimité de vamp). Celui-ci l’amène entendre un prédicateur haineux vociférant à la cantonade en usant et abusant d’un champ lexical très porcin. Ce qui plaît dans le film, c’est que les ultras de chaque camp en prennent pour leur grade, autant ce prédicateur ignorant du Coran et se laissant aller à la surenchère, que le chef du village des colons, haineux et méprisant pour son voisin palestinien. Mais les simples, eux, les humains, sont absous, que ce soit l’appelé israélien contraint de faire le guet sur la maison de Jaafar (et on le ferait bien volontiers avec lui, le guet…), qui réussit à dialoguer avec son épouse en parlant du soap-opéra brésilien qu’ils regardent tous les deux, ou le policier palestinien, qui abuse de son autorité de façon désarmante (et comme on n’est pas sectaire, on ferait aussi bien le guet avec celui-ci !). Jaafar, après avoir échoué à vendre le cochon à un humanitaire irascible, recueille des informations fragmentaires, et apprend que les colons israéliens élèvent des cochons sur des planchers pour qu’ils ne foulent pas le sol sacré (protection, là aussi, exagérée, la consommation seule étant interdite). Il réussit alors à établir un lien commercial et humain à travers la clôture grillagée avec Yelena, la jeune juive qui s’occupe des cochons. De loin, elle lui demande « sexe ? », ce qui laisse planer un quart de seconde l’ombre d’un quiproquo entre eux, puis elle précise sa demande : quel est le sexe du cochon ? Il lui faudrait un mâle, car elle ne possède plus que des femelles. Toujours dans le registre du calembour, traduisons « mal = bien ». Jaafar retourne dans son bateau, et surmonte sa répugnance pour regarder le sexe de l’animal. Première étape d’un rapprochement symbolique. Victoire, c’est un mâle. Jaafar est tout fier de l’annoncer à Yelena (et le montage à ce moment-là est très serré), mais celle-ci lui demande naïvement non point le cochon, mais sa semence, pour inséminer ses truies. Faut-il faire un dessin de la symbolique ? Rapport médicalisé, sans contact direct, mais rapport quand même. Jaafar continue à se rapprocher du cochon, qu’il branle avec des gants. Il échoue, et se fait confiance à lui-même, car en tout homme sommeille un cochon !

Transgression suprême

Il obtient fort peu, mais avec l’argent obtenu, en bon capitaliste (Jaafar a suivi le conseil du coiffeur, qui lui dit que le seul interdit véritable chez les juifs, est de ne pas faire de commerce), il investit, achète du Viagra, des photos de pin-up porcines, et obtient de fructueux résultats, un flacon plein de semence. Le symbole de l’impossible réconciliation continue à se préciser, tandis que la femme de Jaafar de son côté dialogue avec les soldats, en tout bien tout honneur. Sur le chemin de la colonie, Jaafar se fait intercepter par un jeune et beau (vous aviez compris) policier palestinien, qui lui demande ce qu’il trafique. Jaafar invente une histoire de potion magique secrète à base d’olives, et, apogée de la provocation, le soldat palestinien s’envoie cul sec la dose de sperme de cochon. Transgression suprême, car la consommation du cochon est accomplie dans tous les sens du terme, en toute innocence, ou presque. Le commerce se poursuit, mais l’insémination est un échec. Yelena propose alors de franchir une étape supplémentaire et d’introduire le cochon clandestinement dans la colonie, en déchirant l’hymen de la clôture (vous faut un dessin ?). Il saillit 7 femelles à la suite. Hélas, Jaafar apprend par une indiscrétion de sa femme apprise du soldat qui cause avec elle, que les cochons élevés par les Israéliens servent en fait à détecter les explosifs de ses copains terriristes. Il est en colère contre Yelena et croit avoir été abusé. Dans ces entrefaites, il est trahi, et arrêté par la police. Il doit inventer un mensonge comme quoi il préparait un attentat. C’est le mensonge devenu réalité : on l’oblige à se prendre au mot, et il va connaître de plus près le goût de l’explosif. Vient la scène inénarrable où il enregistre comme des bouts d’essai de revendication d’attentat en réprimant un fou-rire, flanqué de son cochon vêtu de chaussettes arc-en-ciel. 2e summum de la provocation, car le réalisateur a pris soin de croiser ses comédiens. C’est une actrice tunisienne (Myriam Tekaïa) qui joue la jeune colon, tandis que le pêcheur / pécheur (autre calembour ?) palestinien est joué par Sasson Gabai, acteur israélien très populaire. Son épouse est jouée par Baya Belal, qui, pour la petite histoire, se trouve avoir été naguère élève dans le lycée où j’enseigne, au Nord de Paris ! Ces bandes où il revendique un attentat au porc « contre ces porcs d’envahisseurs » sont du plus haut comique et de la plus grande provocation. De la part du comédien, c’est le signe d’un engagement politique fort et respectable, qui ne lui fera pas que des amis. L’attentat tourne court, et la fin ressemble à la coda d’un conte utopique évoquant l’arche de Noé, puis on revient sur la terre ferme, avec une belle scène de danse hip-hop effectuée par deux handicapés, blessé aux jambes et unijambiste (par des tirs israéliens ?) On entend un poème alternant les strophes en arabe et en hébreu. C’est le Palestinien, joué par un Israélien, qui dit le texte hébreu, et la juive, jouée par une Tunisienne, dit le texte arabe !

Un cochon contique

Revenons à ce cochon si symbolique, qui se révèle d’une richesse inépuisable. On remarque l’absence de certains topos porcins souvent repris par des prédicateurs ignares en mal d’inspiration (le porc est sale, il mange des détritus et se roule dans la boue ; il vous suffit de taper « cochon / islam » sur un moteur de recherche, et vous trouverez des brouettées de ce genre de textes aux argumentations naïves tentant d’établir une rationalité de l’interdit du porc). Ici, c’est la situation imposée par Israel, qui pousse les Palestiniens à la proximité avec les détritus, et à se nourrir de tongs ou de tout ce qui se prend dans leurs filets, et ça fait rire jaune. On pense aussi aux fameuses tirelires en forme de cochon, puisque ce cochon apporte une certaine prospérité. Le choix de la couleur noire et non rose, apporte une connotation négative au début, mais ce cochon a des vertus apotropaïques. Le message n’est-il pas que, au plus bas du malheur et du mauvais sort, on peut trouver les ressources pour rebondir, à l’image des danseurs en béquilles de l’image finale ? Et puis ce cochon n’est-il pas un travesti à tous les sens du terme ? Cochon mâle joué par une femelle, « Charlotte », nous apprend le dossier de presse. Cochon vêtu de chaussettes et d’une ceinture d’explosif en terroriste d’opérette (les chaussettes étant peut-être à voir comme des métaphores de préservatifs). Cochon vêtu comme dans une fable de La Fontaine, de la peau d’un mouton – scène choisie pour l’affiche du film – corbeau qui se fait colombe. Le cochon achève de brouiller les pistes, quand il permet au soldat palestinien la transgression suprême d’ingérer son sperme, fruit d’un rapport on ne peut plus « contre-nature » selon les canons religieux, entre un musulman et une truie travestie ! Donner ce coûteux élixir à ce soldat corrompu, c’est comme dit l’évangile selon Saint Mathieu (VII, 6), « jeter des perles aux pourceaux », ou comme traduit la sagesse populaire « donner de la confiture aux cochons ». Cependant, cela permet à ceux qui « n’ont pas gardé les cochons ensemble », de devenir « copains comme cochons » ! Les scènes où Jaafar se goberge de son dernier repas de futur martyr et de son premier repas de vedette people du martyriat, évoquent les fameux « pourceaux d’Épicure », qui selon le poète latin Horace, ne songent qu’au plaisir physique , plutôt que de suivre une morale épicurienne. Jaafar a-t-il le loisir d’être épicurien selon la bonne doctrine, c’est ce que nous vous laissons juger.

Pig / Big : bégaiement babélien

Jaafar a un défaut de prononciation quand il cause anglais : il dit « big » au lieu de « pig » : la consonne sourde se change en sonore, comme s’il voulait faire résonner la tirelire que représente ce cochon. Ce problème est fréquent chez les Arabes, et Sayed Kashua y consacre quelques pages savoureuse dans ses récits. Mais « big », cela nous ramène au mythe de Babel. Et l’on songe à la confusion des langues décidée par dieu pour punir les bâtisseurs :

Toute la terre avait un seul langage et un seul parler. Or il advint quand les hommes partirent de l’Orient, qu’ils rencontrèrent une plaine au pays de Shinear et y demeurèrent. Ils se dirent l’un à l’autre : « Allons ! Briquetons des briques et flambons-les à la flambée ! » La brique leur servit de pierre et le bitume leur servit de mortier. Puis ils dirent : « Allons ! Bâtissons-nous une ville et une tour, dont la tête soit dans les cieux et faisons-nous un nom, pour que nous ne soyons pas dispersés sur la surface de toute la terre ! » Iahvé descendit pour voir la ville et la tour que bâtissaient les fils des hommes, et Iahvé dit : « Voici qu’eux tous forment un seul peuple et ont un seul langage. S’ils commencent à faire cela, rien désormais ne leur sera impossible de tout ce qu’ils décideront de faire. Allons ! Descendons et ici même confondons leur langage, en sorte qu’ils ne comprennent plus le langage les uns des autres. » Puis Iahvé les dispersa de là sur la surface de toute la terre et ils cessèrent de bâtir la ville. C’est pourquoi on l’appela du nom de Babel. Là, en effet, Iahvé confondit le langage de toute la terre et de là Iahvé les dispersa sur la surface de toute la terre. La Bible, traduction de l’hébreu, Gallimard, La Pléiade.

Ici, point de confusion : l’anglais sert à communiquer avec les humanitaires et certains soldats ; l’allemand sert à un humanitaire à jurer, et au cinéaste à faire sélectionner son film dans tel festival ; le russe échappe parfois à Yelena, qui s’y connaît en dispersion sur la surface de toute la terre, et les personnages sont rarement gênés pour communiquer, en hébreu ou en arabe ; ils gazouillent spécifiquement en dialecte gazaoui, alors que le tournage a eu lieu à Malte, qui pratique un arabe proche du tunisien. Une tour est bien évoquée dans le film, c’est le plancher permettant d’élever les cochons sans souiller la terre. Le coiffeur suggère même que l’on en fasse de même avec juifs et arabes pour leur permettre de cohabiter sur la même terre, les uns au-dessus des autres… Dans les images, je n’ai pas remarqué un seul immeuble haut, alors que la bande de Gaza se caractérise par une des plus grandes densités de population du monde (peut-être ai-je mal regardé ?). Le problème ne semble pas venir de la dispersion, mais au contraire de la concentration de tant d’hommes sur si peu de terre…

Et Les Mouches dans tout ça ?

Revenons à nos… moutons. Dans Les Mouches, Sartre l’athée transforme les Erinyes, déesses de la vengeance, en mouches, symboles du remords dont Égisthe, meurtrier non assumé, veut faire porter la responsabilité sur les habitants d’Argos. Sartre voulait, au travers de ce masque, dénoncer Pétain et sa clique, qui voulaient faire porter aux Français la responsabilité morale de la défaite. Dans la scène finale, Oreste fascine le peuple d’Argos, qui s’apprêtait à le lapider, en racontant l’histoire de L’Attrapeur de rats de Hamelin : « Écoutez encore ceci : un été, Scyros fut infestée par les rats. C’était une horrible lèpre, ils rongeaient tout ; les habitants de la ville crurent en mourir. Mais un jour, vint un joueur de flûte. Il se dressa au cœur de la ville – comme ceci. (Il se met debout.) Il se mit à jouer de la flûte et tous les rats vinrent se presser autour de lui. Puis il se mit en marche à longues enjambées, comme ceci (il descend du piédestal), en criant aux gens de Scyros : « Ecartez-vous ! » (La foule s’écarte.) Et tous les rats dressèrent la tête en hésitant – comme font les mouches. Regardez ! Regardez les mouches ! Et puis tout d’un coup ils se précipitèrent sur ses traces. Et le joueur de flûte avec ses rats disparut pour toujours. Comme ceci. Il sort ; les Erinyes se jettent en hurlant derrière lui. » Ne retrouve-t-on pas les mêmes motifs ? Un contexte de conflit entre deux peuples. Un animal monstrueux qui colporte une culpabilité manipulée par les puissants et les prêtres. Un héros courageux et n’écoutant que sa liberté, qui s’engage et prend sur lui tout le mal pour mener son peuple derrière lui. Le héros qui dompte l’animal monstrueux et le retire de la ville, emportant la culpabilité avec lui. Ajoutons-y la symbolique sexuelle du cochon qui réveille des pulsions de vie et ridiculise les pulsions de mort. Le tout fait un des plus beaux films sur la question. Cochon qui s’en dédit !

En savoir plus sur le cochon grâce à Michel Pastoureau

Pour tout savoir sur le cochon, lire Le cochon ; histoire d’un cousin mal aimé, de Michel Pastoureau, Découvertes Gallimard, 2009, 160 p. Je ne puis m’empêcher d’en tirer une illustration ci-dessous (chipée à Wikipédia), du tableau « La Dame au cochon – Pornokrates » de Félicien Rops (1879). Tout rapport avec le film est purement tiré par les soies… Quelques truffes tirées de cette mine de connaissances. Premièrement, selon l’historien, ce n’est qu’au moyen âge que quelques moines font des tentatives d’amélioration de la race, qui ne seront systématisées qu’au milieu du XVIIIe siècle. Si l’on réfléchit, on se demande quel aspect pouvait bien avoir ce qu’on appelait « porc » à l’époque de la Bible… sans doute fort différent, et indifférencié avec le sanglier. Buffon, cité dans ce livre, expliquait en 1756, que « malgré la faible quantité de sa liqueur séminale il n’a besoin que d’un seul accouplement pour produire, et produire en grand nombre » (p. 50). Mais deux siècles et demi ont passé, et les races ont été bien améliorées depuis !

La Dame au cochon – Pornokrates
« La Dame au cochon – Pornokrates », Félicien Rops, 1879. (source : Wikipédia)

Sur la difficile question des interdits religieux, Pastoureau précise que chez les juifs, l’interdit va beaucoup plus loin que la consommation de la chair, mais il s’avoue incapable d’expliquer les raisons de cette extrapolation : « lorsque fut fondé l’État moderne d’Israël, l’élevage de l’animal fut proscrit sur tout le territoire et l’est encore plus ou moins aujourd’hui. » Même le nom ne doit pas être écrit ou prononcé, y compris par « ceux qui dissertent de l’impureté de cet animal » ; le Talmud « le désigne par l’expression vague et ambiguë une autre chose » (p. 78). N’est-ce pas la même idée que celle de l’appeler « big » ? En tout cas, le Lévitique 11,7 précise : « Vous ne mangerez pas de leur chair ni ne toucherez à leur cadavre, vous les tiendrez pour impurs » (repris par Deutéronome, 14,8), et comme le dit Pastoureau, ceci concerne plusieurs animaux, mais seul le cochon a atteint ce degré de rejet symbolique. Idem chez les musulmans, qui n’interdisent que cet animal, mais là aussi, Pastoureau ne peut expliquer pourquoi, au-delà des 4 versets qui interdisent la consommation (avec la licence que j’ai dite ci-dessus), l’interdit s’est étendu à tout rapport avec l’animal vivant, même s’il est moins rigoureux, puisque certains pays touristiques permettent l’élevage pour lesdits touristes. Mais on a vu comment les autorités Égyptiennes avaient profité il y a quelques années de je ne sais plus quelle épidémie pour zigouiller tous les cochons et humilier leur minorité copte, pour faire la risette aux salafistes…
Les réflexions les plus étonnantes de Pastoureau concernent la proximité biologique du cochon avec l’homme : c’est l’animal le plus proche de nous génétiquement, et cela entraîne plusieurs conséquences. Il démontre, dessin à l’appui, que l’embryon de l’homme et du cochon sont très proches, ainsi que leurs organes. Un jeu de mots latin soulignait la chose : « corpus = porcus » (p. 123). Cela explique en dernier ressort le tabou juif et musulman : manger du porc, c’est être cannibale. Le cochon a été utilisé depuis longtemps pour les dissections, à l’époque où le Vatican interdisait de disséquer des cadavres humains. Mieux, le cochon fournit des médicaments et des produits médicaux, et mieux encore, certaines xénogreffes tolérées par l’homme. On s’amuse d’avance du cas où l’un de ces rois du pétrole qui viennent se faire soigner en Europe se retrouvera devant l’alternative de mourir ou d’être sauvé par une greffe d’un cœur de porc ! Cela fournira sans doute le scénario d’une autre comédie…

 Voir la superbe carte imaginaire de « L’archipel de Palestine orientale » de l’ami Julien Bousac. Voir nos articles sur un voyage en Israël & Palestine, et n’oubliez pas notre article sur la Muslim Pride.

Lionel Labosse


Voir en ligne : Entrevue de Sylvain Estibal par Sarah Elkaïm, sur Critikat.com


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[1Je me suis d’abord formalisé que le film ne montre que des Palestiniens musulmans, mais j’ai vérifié que la proportion de chrétiens dans la bande de Gaza est dans les faits inférieure à 1 %, alors que j’ai entendu dire tout et son contraire sur la proportion de chrétiens parmi les Palestiniens du monde entier.