Accueil > Livres pour les jeunes et les « Isidor » HomoEdu > Albums > La fête des deux mamans, d’Ingrid Chabbert & Chadia Loueslati

Cherchez le père, pour les tout petits

La fête des deux mamans, d’Ingrid Chabbert & Chadia Loueslati

Les petits pas de Ioannis, 2010, 28 p., 12,9 €

lundi 20 juin 2011

Un nouvel album sur le thème de deux mamans et une petite fille, en butte à une anecdote de la vie quotidienne qui questionne leur particularité pour la fillette.

Prunelle a deux mamans, mais ce jour-là, au centre aéré, l’animatrice Leïla n’y pense pas, et alors qu’il est question de confectionner un collier pour la fête des mères, elle ne lui donne que de quoi en faire un. La fillette, pourtant encouragée par une camarade, n’ose pas réclamer. Elle jette le cadeau et, rentrée chez elle, c’est le psychodrame : séance de pleurs et explications. Vite résolu, car il n’y a aucune volonté de mal faire, juste un oubli de la part de l’animatrice.

J’ai beaucoup de scrupules à accabler une nouvelle maison d’éditions. Cependant, ayant par le passé été sévère avec des albums publiés par de grandes maisons qui souffraient du même travers [1], je me dois d’expliquer pourquoi celui-ci ne me semble pas à retenir parmi notre sélection. Alors que les albums parus dernièrement s’efforçaient de renouveler un genre déjà bien fourni (éloge de la famille « homoparentale »), on se croirait avec celui-ci revenus dix ans en arrière, à l’époque où le militantisme pouvait excuser des oublis fâcheux. La situation présentée par le scénario n’offre aucune originalité par rapport à ce qui a déjà été publié, à part peut-être qu’il n’y a pas la moindre opposition au bonheur de la fillette, juste un oubli. La question de savoir qui est la mère biologique n’est pas abordée, comme dans le tout premier album du genre, Je ne suis pas une fille à papa, si ce n’est par la différence entre « Maman » et « Mamou ». Et puis, subir, dans une optique militante homo, l’apologie du « cadeau de fête des mères », hantise des instits depuis des décennies, cela vous a un côté exaspérant quand vous croyiez que seuls les hétéros pouvaient idolâtrer ces vieilles lunes.
Mais un oubli plus important grève l’album, celui de la question du père de la fillette, qu’il eût été pourtant facile de mentionner en faisant dire à l’animatrice : « Eh bien ! je me rattraperai pour la fête des pères, tu auras deux porte-clés en coquilles d’huîtres », ou du moins en évitant d’éviter le sujet. Toute présence masculine est gommée. Les deux seuls personnages dessinés qui ne soient pas du sexe féminin sont un petit garçon, représenté une seule fois au début de l’album (peut-être le « Mathieu » figurant parmi les prénoms écrits sur le mur du centre aéré), et le petit portrait de « grand-père Jacques », que le texte mentionne, ce qui ne fait que souligner pour un lecteur perspicace l’absence d’un père, qui devrait être, pour un enfant, un plus grand traumatisme que l’oubli accidentel d’une deuxième maman [2].
Je ne peux que renvoyer à mes précédentes critiques, où j’ai déjà tout dit sur ce genre d’albums qui négligent la bombe à retardement [3] que constitue, pour un enfant, le fait de gommer l’existence du père ou de la mère biologiques. Et puis, encore une fois, pourquoi enfermer ce monde déjà clos (un seul enfant, pas de père) sur lui–même en n’évoquant pas, en arrière-plan, d’autres enfants qui pourraient avoir d’autres problèmes d’un autre ordre lors de cette fête des mères : pas de maman par divorce ou décès, ou une famille polygame et donc deux, ou trois mamans, sur un autre modèle ? Cela est révélateur d’un univers militant trop lisse, oublieux du monde et soucieux de son seul nombril. Il est vrai que l’animatrice, pour s’excuser, propose d’organiser l’année prochaine « la fête de toutes les familles ». Cela étant dit, souhaitons bon vent aux éditions « Les petits pas de Ioannis », avec un peu plus d’originalité…

 Ingrid Chabbert est également co-auteure de Sur les quais, paru en 2011.

Lionel Labosse


Voir en ligne : Site officiel de l’éditeur


© altersexualite.com, 2011
Retrouvez l’ensemble des critiques littéraires jeunesse & des critiques littéraires et cinéma adultes d’altersexualite.com. Voir aussi Déontologie critique.


[1Voir par exemple J’ai 2 papas qui s’aiment.

[2Je n’ai aucun a priori sur toutes les méthodes, légales ou illégales, coûteuses ou bon marché, de procréation utilisées par les homosexuels hommes ou femmes pour avoir des enfants, mais, quelles qu’elles soient, il faut que l’enfant soit informé clairement de son origine biologique ; et il est contraire à ma déontologie de cautionner un album qui fasse l’économie de la question.

[3Dans un tout autre contexte, pensons au film Les Quatre Cents Coups, où dans la scène de l’entretien avec la psychologue, Antoine Doisnel (inspiré de l’enfance de Truffaut), explique que ses actes délictueux et son malaise proviennent du fait qu’on lui a caché d’une part que son père n’est pas son père, d’autre part, que sa mère avait voulu avorter. Mais bien sûr ce ne sont que de vulgaires hétérosexuels ; quand nous autres homosexuels mentons à un enfant, nous le faisons avec tant d’amour que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes…