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Au bon plaisir des nécrophiles, pour adultes.

Au Père-Lachaise. Son histoire, ses secrets, ses promenades, de Michel Dansel

Fayard, 1973, nouvelle édition 2007, 384 p., 25 €.

lundi 8 décembre 2008

J’en atteste le Styx, fleuve des enfers, c’est encore une fois d’une main innocente que j’avais posé ce livre sur ma table de chevet. Cela faisait longtemps que je n’avais pas rastignaquisé dans ce parc romantique accessoirement nécropole, haut lieu du « nécromantisme » selon Michel Dansel, spécialiste et promeneur invétéré dudit parc. Je m’attendais à la simple litanie des morts célèbres, assortie d’un historique. Que nenni ! Sous couvert d’informer le lecteur, c’est une véritable ode à l’altersexualité nécrophile que nous livre l’auteur ! Depuis les collégiens qui profitent des recoins pour y enterrer leur pucelage au printemps, jusqu’aux veuves éplorées qui s’y font trousser, sans oublier les amateurs de cadavres bien frais, vous saurez tout sur l’Éros qui plane sur ce Thanatos parisien !

Nécrophilosophie

Michel Dansel plaide pour inscrire la « nécrophilosophie » (p. 15) au programme des écoles. Il ne croyait pas si bien dire : le voici invité d’un collège. Espérons que les élèves n’ont pas feuilleté son livre, ou alors sous le manteau ! En effet, rien n’est caché des aspects les moins funèbres de ce parc public accessoirement nécropole. On commence par une citation de Roger Peyrefitte (Des Français) évoquant « des mensurations qui auraient fait bonne figure au Cock test » (p. 71) ! Il ne s’agit pas de celles du cercueil ! Au fil des pages nous sont énumérées les pratiques érotiques fréquentes en le lieu, de la simple boîte aux lettres pour amants à la plus sombre perversion, comme dans le témoignage d’un nécrophile célèbre cité p. 95, Victor Ardisson (attention, âmes sensibles, s’abstenir), lequel n’a d’ailleurs – sauf erreur – aucun lien particulier avec ce cimetière-là. C’est qu’on sent l’auteur plus intéressé par ces aspects que par la monographie du cimetière, portât-il le nom d’un prêtre érotomane, confesseur de Louis XIV, le fameux père Lachaise. On lira quand même quelques aperçus sur l’aspect thanatologique du lieu, par exemple un intéressant discours contre la crémation (qu’on eût aimé voir compléter par un historique plus fouillé ; on regrette par exemple l’allusion expéditive au « Jardin du souvenir » créé en 1986.

Quand on voit ce qu’on voit

Vous saurez donc tout « des potaches du lycée Voltaire [qui] y défloraient la collégienne, ignorant peut-être que de fins connaisseurs assistaient à leurs ébats » (p. 71). Il y a aussi le monument phallique de Félix de Beaujour, désormais fermé : « Il y a encore peu de temps, des initiés en père-lachaiserie se retrouvaient à l’intérieur de cette crypte circulaire pour y sexualiser leurs rapports en toute sérénité » (p. 244). Mais encore l’évocation du fameux monument aux morts d’Albert Bartholomé : « Cette fresque de la nudité suscita bien des passions et choqua moult les petits-bourgeois puritains d’une queue de siècle boursouflée de préjugés » (p. 303).
L’auteur se fend de nombreuses citations de prétendues lettres reçues ou témoignages recueillis de la bouche même de joli(e)s tendrons, tout en insistant par un curieux pléonasme : « rien dans mon texte n’a été falsifié sur le plan de l’authenticité » (p. 111) ; mais on s’amuse beaucoup à reconnaître dans lesdites missives son style et son vocabulaire archaïsants (« moult » à toutes les sauces), par exemple l’emploi du mot « lambruche » au sens de « sexe masculin » : « Derrière une tombe, le ciré ouvert, un monsieur nous exhibait sa lambruche » (p. 103). Plus loin, une jeune femme est censée se confesser à notre auteur : « je lui interdis de me sodomiser, pas plus d’ailleurs qu’il ne parvint à jouer à broute-minet sur un prie-Dieu. » (p. 104). Le procédé atteint son paroxysme dans le mini-roman d’Alexandra, pages 112 sq.

Renseignements pratiques

On est parfois déçu des renseignements pratiques, notamment par le manque incroyable – pour un ouvrage de 25 € – d’un simple plan du cimetière : il faut en acheter un en sus, ce qui suppose de jongler pour une visite, avec ce gros livre et une carte pliante… étonnant pour une nième édition ! La litanie des noms commence, parfois décevante – quand l’auteur exécute en une ligne un macchabée incontournable – ; parfois étonnante quand il développe sur une page la biographie d’un illustre inconnu. Dans la première catégorie figurent La Fontaine et Molière, dont on eût aimé voir développée l’histoire du transfert des cendres (le cimetière ayant été inauguré en 1804) [1] ; Édith Piaf, dont l’auteur s’amuse à citer des chansons inconnues, et Canetti dont il oublie le prénom : Jacques ; Oscar Wilde dont on oublie de citer le quatrain gravé sur sa tombe, extrait de la Ballade de la geôle de Reading :

And alien tears will fill for him
Pity’s long broken urn
For his mourners will be outcast men
And outcasts always mourn.

Anecdotes altersexuelles

Quelques anecdotes nous font tiquer, et nous aimerions quelque éclaircissement, par exemple concernant les résistants Pierre Brossolette et François Delimal, dont les cendres sont mélangées. De même pour le chansonnier Pierre-Jean de Béranger enterré avec son ami Jacques-Antoine Manuel, comme le souligne cette épitaphe laconique qui m’a toujours ému : « Je désire être inhumé dans le tombeau de mon ami Manuel ». Voyez la photo dans les articles de Wikipédia : elles montrent bien que la plaque rouillée sur laquelle était gravée cette phrase est tombée, sans que personne ne s’avise de la restaurer. Je l’ai dans mes archives – je tâcherai de la retrouver un de ces quatre – car jeune homme, je hantai ce cimetière avec mon appareil photo. Il faudra que je retourne y faire un tour… C’est fait ! Voici une photo de ladite plaque dans l’état où je l’ai trouvée le 25 décembre 2008. En biais car elle est inaccessible. Cette tombe est évoquée dans Paris au XXe siècle, de Jules Verne.

Plaque funéraire de Pierre-Jean de Béranger
« Je désire être inhumé dans le tombeau de mon ami Manuel »

Quant au maréchal Michel Ney, l’auteur accrédite la légende de sa double sépulture en expliquant que sa qualité de franc-maçon lui aurait valu d’échapper à un simulacre d’exécution.
On révisera nos grands classiques altersexuels, en commençant par le gisant de bronze de Victor Noir, dont la braguette proéminente attire ces dames ; la réputation de lieu de drague gay du cimetière s’est émoussée avec la mode de la vidéosurveillance chiraco-delanoëiste, et sur les guides gays, on ne parle plus de la tombe d’Anna de Noailles (si mes souvenirs sont bons), mais de banal tourisme culturel ! Lors de votre prochaine balade, n’oubliez pas d’honorer de ma part le souvenir de Gabrielle Russier (26e division), de Malik Oussekine (75e division), jeune homme tué par des CRS en 1986, à qui est dédié Délits secrets, de Catherine Bourassin ; de Philippe Pinel (18e division), aliéniste novateur de la Salpêtrière dont le prénom n’est pas donné – idem son continuateur Jean-Étienne Esquirol (8e division, p. 327 –, mais à qui hommage est rendu) ; Honoré de Balzac, 48e division, et l’inattendu auteur étasunien exilé Richard Wright – ses cendres seront-elles rapatriées par Obama ? Dans cet article, voir une liste de tombes de surréalistes.

 Les taphophiles prolongeront cette balade parisienne par le Cimetière des Batignolles

Lionel Labosse


Voir en ligne : Le Père-Lachaise sur Wikipédia


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[1À propos du fabuliste, rectifions la citation de la fameuse « Épitaphe du paresseux », p. 255 : au lieu de « Deux parts en fit, dont il voulait passer », lisons : « Quant à son temps bien sut le dispenser, / Deux parts en fit, dont il soulait passer, / L’une à dormir, et l’autre à ne rien faire ».

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