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La foufoune poilue a encore frappé !

Exposition Gustave Courbet au Grand Palais 2007

Les tartuffes de la touffe nous étouffent

lundi 22 octobre 2007

Muni de mon billet d’entrée, 10 € – pas de réduction enseignant – billet dignement orné d’une paire de nichons signée du maître (La Femme à la vague, cf. lien ci-dessus), tel une flèche je file parmi les salles où s’alignent les chefs d’œuvre, Rave party à Ornans, Portrait de Charles Baudelaire, Proudhon et ses lardons, direction le célèbre L’Origine du monde (1866), plus connu sous le sobriquet de La Foufoune poilue, selon Karim [1]. Sans vergogne, je bouscule les familles en tenue dominicale, les couples gais ou pas gais, je pagaie sur le lac des amateurs d’art, pour parvenir au tabernacle. Chic, à l’entrée de la salle où trône l’œuvre magistrale, une étiquette allèche le libidineux : « Certaines œuvres présentées dans cette salle peuvent heurter la sensibilité ». Superchic, bavé-je : la magistrale foufoune doit être accompagnée d’œuvres inconnues érotiques, un équivalent mâle, genre L’origine de l’immonde, voire L’horrible pine de la honte. J’écrase les arpions de Saoudiennes enturbannées et gloussantes, de bonnes sœurs indignées, de talibanes outrées s’apprêtant à lancer des fates oies contre la France et sa foufounophilie, et me précipite sur trois « photographies obscènes pour stéréoscope » signées Auguste Belloc [2], présentées sous l’affriolant appeau d’autant de lunettes trouant le mur. Las, en fait d’obscénité, je n’aurai que la version photographique de la foufoune. De l’autre côté de la salle, espoir déçu, la Foufoune, poilue certes, callipyge, mais solitaire, coincée entre le cache paysagiste du maître et le crobard qu’éjacula André Masson pour Jacques Lacan. Ma sensibilité s’indigne de n’avoir pas été heurtée pour les 10 € sortis de ma bourse.

L’Origine du monde (1866), Gustave Courbet (1819-1877).
© Wikicommons

Une simple vulve, toute nue dans sa foufounité, à peine, paraît-il, érubescente. La pauvre bonde bivalve par laquelle naquit le monde une fois lâchées les eaux ; le monde, c’est-à-dire le peintre autant que son client voyeur. Aucun chauve à col roulé n’y plonge la tête, aucune main gantée de velours, nulle langue ne s’y fourre, nul olisbos ; non, Ève avant le Péché. C’est donc ça, qui est censé « heurter la sensibilité » ? Sensibilité de qui ? Les photos ou la peinture ? Comme le dit Magali Jauffret : « Le domaine du nu résiste particulièrement aux photographes. Comme si ce qui est montrable en peinture devenait inavouable en photo ». Mais bon Dieu, dirais-je au Tartuffe soi-disant « heurté » : cette foufoune, ton Dieu l’a ciselée avec le même inflexible burin ; Courbet l’a brossée avec le même pinceau poilu dont il torcha ton nez, ton œil et ton front ! De l’autre côté de la cloison, Le Sommeil, ou Les deux amies, ou Paresse et Luxure [3], ne semble pas concerné par l’avertissement, car la disposition des lieux inscrit un cercle dans un carré. On y voit pourtant deux femmes saphiquement enlacées. La question est : qui a éprouvé le besoin d’apposer cette étiquette inutile — qui « heurte ma sensibilité » — et pourquoi ? Le livre d’or ouvert à la sortie de l’expo présente plusieurs réactions tartuffesques à la calligraphie infantile : « obsédé », « trop de sexe »… qui semblent comme suscitées par ladite inscription. Que viennent faire ces inquisiteurs de l’art à cette expo ? N’ont-ils pas vu le billet remis à l’entrée ? Enfin, s’il s’agit de préserver les nenfants, les stéréoscopes sont placés suffisamment haut pour y pourvoir. Ils permettent en même temps d’empêcher les nains d’y accéder, et aucun escabeau dans la salle n’offre aux adultes de petite taille l’opportunité de voir ces vulves. C’est vrai que ces nains « ont le nez si écrasé », comme dirait Montesquieu, qu’il est presque impossible de songer à eux.

Drôle de société que la nôtre, où l’on oblige les filles à dévoiler le haut, mais où l’on tremble que le bas ne « heurte » autant dans sa nudité que le haut dans son obnubilation. Foutu principe de précaution, jusqu’à quelle contorsion morale nous acculera-t-il ? Pourtant, pendant des années, on a traumatisé les mouflets en leur projetant un « Connaissance du Monde » sur l’accouchement, comme on peut le voir dans Le Péril jeune, de Cédric Klapisch. Ah ! elle crevait l’écran, là, la foufoune, souffrante et soufflante, et le message était clair : « bande de chiennes, voyez comme vous allez le payer, le plaisir que cette ordure immonde qui s’ouvre en bas de vos ventres va vous procurer : votre vulve, c’est fait pour en chier, pas pour jouir ». Arrêtez votre char, les bigots, les cagots : une œuvre d’art qui n’est pas susceptible de « heurter la sensibilité » n’est pas digne d’être appelée une œuvre d’art ; une idée qui n’est pas susceptible de choquer l’opinion commune n’est pas digne d’être appelée une idée ! [4] Notre démocratie sera adulte et laïque le jour où, au lieu d’enjoindre aux profs de lire la bafouille d’un martyr de la Résistance, un président de la République, par exemple en instance de divorce, ému par cette foufoune artistique, en ferait envoyer un exemplaire en carte postale à chaque élève, au titre de l’éducation à la sexualité, avec comme inscription : « Souviens-toi de tes origines » ! C’est vrai qu’il y a des gens à qui l’on aimerait dire « Retourne d’où tu viens ! », et c’est là l’origine non pas du monde, mais de l’insulte la plus fréquente.
 Pour un équivalent littéraire, voir la scène d’accouchement du chapitre X de La Joie de vivre d’Émile Zola.
 Lors de la publication de Thérèse Raquin (1867), le critique « Ferragus » (Louis Ulbach) fit un rapprochement entre le roman de Zola et le tableau de Courbet.

Lionel Labosse


Voir en ligne : Compte rendu de l’exposition avec plusieurs illustrations


© altersexualite.com, 2007.


[1Cf. Karim & Julien, de Bibi.

[2Déjà vues dans « L’art du nu au XIXe siècle » à la Bibliothèque nationale de France, en 1997.

[3On en trouvera une reproduction au bas d’une page consacrée à une séquence de français en première de Françoise Robin, sur le site « L’hypocrite ».

[4Impossible de trouver sur Internet la référence de cette citation fameuse attribuée à Oscar Wilde : « une idée qui n’est pas dangereuse ne mérite pas d’être appelée une idée ». Qui m’aide ?

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