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Cantique de la différence, à partir de la 4e.

Des Hommes et des dieux, d’Anne Lescot et Laurence Magloire

Digital L M, 2002, 52 min., 27€ (100 € pour les institutions)

jeudi 16 août 2007

Cet excellent documentaire ne porte pas sur les homosexuels, ou sur les travestis, ou sur les transgenre, ou sur les noirs, ou sur le vodou. C’est un documentaire sur Haïti, et les gens qu’on y montre ont des personnalités assez fortes — et des « tronches » — pour nourrir une fiction. Il paraît d’ailleurs que le film a été fort bien accueilli à Haïti. Ils sont tellement « différents » par leur comportement, leur aspect physique, leur langue, leur sexualité, leur religion, leur misère et leur volonté de survivre, que cela les rend étrangement proches de nous. Il est peu de documentaires qui constitueraient un support aussi propice à l’empathie et à la réflexion pour une séquence sur la tolérance, le racisme, l’homophobie, en collège ou en lycée, dans le cadre de la semaine contre le racisme par exemple (il n’y a aucune scène scabreuse, qui empêcherait de l’utiliser en collège). De plus, il règle magistralement le dilemme soulevé en marge du Colloque du 16 mai 2007 contre l’homophobie et pour la diversité par l’éducation sur la question de la pertinence de la « lutte contre la transphobie » en milieu scolaire.

Les réalisatrices, Anne Lescot, membre du Comité pour la Mémoire de l’Esclavage et Laurence Magloire, se sont intéressées au vodou dans le cadre de recherches en anthropologie. Ce documentaire aborde un aspect particulier de l’altersexualité en Haïti. À travers un groupe d’ami(e)s plus ou moins extravertis, liés par la pratique du vodou, sont évoqués plusieurs aspects de la vie quotidienne. Le cercle s’étend peu à peu, depuis les quolibets lancés sur le marché contre Blandine, traitée de « masisi », jusqu’au pèlerinage à une fête comme celle de Saut d’Eau (sic !), en passant par la famille d’Innocente, ou une discothèque où l’on ne sait plus qui danse avec qui (homme (d’apparence) avec homme ou avec travesti ou avec femme (d’apparence), etc.). Les parents d’Innocente le prennent bien. Pour son père, Dieu l’a créé comme ça, et pour sa mère, ce n’est pas à cause d’elle, mais à cause d’un loa. Il n’y a pas de frontière entre homos, travestis ou transgenre — c’est pourquoi le mot « altersexuels » convient fort bien — et si Madsen ou Innocente se sentent filles, Blandine revendique finalement l’insulte du début, et se dit « masisi-fille ». D’ailleurs elle ne voit pas d’inconvénient à se faire lesbienne avec un autre « masisi-fille » ! Elle fait la pub pour les masisis : chez un masisi, un homme est mieux traité, il mange mieux que chez une femme, etc. On revendique avec beaucoup d’humour de piquer les maris des vraies femmes, et on discute de savoir s’ils sont homos ou pas [1].

Fritzner, lui, se revendique masisi de naissance, et il utilise les termes « homosexuel » et « lesbienne ». Il n’est plus intéressé par les « bêtes à mamelles » ! Le « loa » ou « lwa » du vodou n’a rien à voir avec ça ; c’est un blasphème de le prétendre, et les esprits pourraient se venger. Il est d’apparence masculine. Il est houngan, a quatre enfants, auxquels il sert de père et mère. Érol, artiste et houngan (le seul à s’exprimer en français), explique la stratégie des masisis de se défausser sur les esprits, dans ce pays où l’homosexualité est taboue. C’est pratique de dire qu’Erzuli Dantor m’a réclamé depuis que je suis tout petit. On dit aussi qu’Erzuli a « gâté » quelqu’un, mais je ne sais pas dans quel sens il faut le prendre. Pour lui, le vodou est une religion très tolérante, car on ne croit pas au jugement dernier, on voit l’homme avant l’homosexuel ; il n’y a pas de chef hiérarchique à qui tout rapporter. Pour Innocente, on ne l’insulte plus depuis qu’il est houngan. On accepte d’autant mieux les masisi qu’ils savent danser. Les scènes de danse, que ce soit en discothèque ou dans les cérémonies, jusqu’à la transe de Blandine, sont les plus « tolérantes », effectivement. Les protagonistes expliquent le principe des cérémonies, que l’on retrouvera décrites dans un excellent article d’Elizabeth McAlister : Amour, sexe et genre incarnés : les esprits du vaudou haïtien, dont voici un extrait :

« Les femmes, « montées » par le lwa (esprit), se changeront en hommes. Agrippant des bâtons de marche – certains sculptés d’un pénis au sommet – elles entameront le gouyad, une danse grinçante et gémissante du Banda, parodie stylisée de la relation sexuelle. À en juger par les chansons que chantent certaines de ces femmes faites hommes, vous diriez qu’elles sont devenues homosexuels. Et pendant que continue la chanson dédiée aux esprits Guédés, les hommes aussi se mettront à ressembler à des masisi, des « pédés ». Un homme semble même être devenu une femme, tout occupé qu’il est à dégoiser avec son groupe. »

La question du sida est brièvement évoquée. Blandine, qui avoue 23 ans, déclare oublier la capote dans le feu de l’action. Mais le sida est noyé parmi les préoccupations quotidiennes de la survie, et on comprend qu’il soit parfois plus pratique, ou plus pudique, de s’en remettre à Dieu. La parentalité également, avec Innocente qui a « adopté » l’enfant de sa sœur. Le film se termine avec le pèlerinage et le bain collectif, comme un message de tolérance. J’aimerais beaucoup avoir le témoignage d’enseignants qui auraient recueilli des réactions d’élèves après une projection de ce DVD.

 Voir un extrait du DVD, et d’autres extraits de vidéos de « haitiendoc ».
 Lire un article de Timothee Barrière, et un autre d’Anaïs Jones et Karole Gizolme.
 Pour un parallèle intéressant avec le Brésil, voir le film de Karim Ainouz, Madame Satã ; Paris is burning de Jennie Livingston propose également un parallèle avec New York.
 Voir aussi la présentation d’Haïti par Mimi Barthélémy, le site de Yves Chemla, spécialiste de littérature francophone et notamment d’Haïti, ainsi qu’un article sur Gérard Barthélémy, décédé en 2007.
 Attention ! Sortie en 2010 d’un film de Xavier Beauvois portant exactement le même titre !

 Voir notre brève Influences Caraïbes : rendez-vous altersexuel le 3 novembre 2007.

Lionel Labosse


Voir en ligne : Amour, sexe et genre incarnés : les esprits du vaudou, article d’Elizabeth McAlister


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[1La question transgenre n’est évidemment pas envisagée à notre manière de pays riche, ni sous l’angle psychiatrique, ni sous l’angle médical, et pourtant ces personnes se disent filles, et se comportent socialement comme telles