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Pour en finir avec la négation de l’homosexualité.

La Question homosexuelle en Afrique. Le cas du Cameroun, de Charles Gueboguo

L’Harmattan, 2006, 189 p, 17 €.

mercredi 15 août 2007

Après une préface pour le moins ambiguë de Paulette Béat Songué — « Charles a certes hérité de moi l’attrait d’investigation concernant les phénomènes de déviance et des déviances qui, pour le commun, sont des moins attrayantes et, pour les communautés africaines, des plus « répréhensibles » » ; « Il fallait du courage pour aller là où les autres ne vont pas, au risque d’être assimilé à un homosexuel » — l’auteur présente le domaine de son investigation sociologique en « observation participante » (!). Avec difficulté, il est parvenu à interroger 81 personnes, dont 3 femmes, 66 à Yaoundé et 15 à Douala, les deux plus grandes villes du Cameroun. Il souhaite mettre en lumière, malgré les dénégations, un phénomène de « visibilisation » : « cette réalité ne s’observe plus seulement dans des cadres rituels ou initiatiques » (p. 20). Ceci le conduit à formuler des hypothèses que l’on pourra trouver tortueuses : « une sorte de relâchement du contrôle social » serait apparentée à un « laxisme » constituant « une sorte d’encouragement tacite de la part des pouvoirs en place », l’homosexualité étant « un exutoire face à la crise que connaît le pays » (p. 22).

Le corps de l’ouvrage contient six chapitres. Le premier est consacré à préciser le concept d’homosexualité, en différenciant le sens de ce mot selon les cultures, avec quelques aperçus sur le vocabulaire employé en Afrique : dausu (Nigeria), gor jigeen (Wolof, Sénégal), mke-si mume (kiswahili) (voir Sang mêlé ou ton fils Léopold, d’Albert Russo). L’auteur procède à quelques rappels de bon sens utiles pour des lecteurs qui n’auront jamais lu d’ouvrages sur le sujet, et évoque les législations en vigueur dans certains États africains. Certaines idées sont originales, et témoignent d’une réflexion novatrice : « le sujet a accepté et a intégré sa spécificité d’homme ou de femme, à laquelle est associée une autre identité, cette fois homosexuelle » (p. 42). On trouve un tableau surprenant des « étapes de l’évolution de l’identité homosexuelle » (p. 45). Au Cameroun, le coming out se dit « sortir du sac », ou « sortir du nkuta », le nkuta étant une toile de jute opaque.

Le deuxième chapitre est consacré à l’homosexualité en Afrique. L’auteur y slalome entre les hypocrisies et les faux-fuyants des uns et des autres. Il s’agit d’écarter à la fois les préjugés d’anciens « chercheurs » occidentaux « théoriciens d’un certain statisme » (p. 53), pour lesquels l’homosexualité étant une déviance, elle ne pouvait exister au sein de sociétés primitives, et les susceptibilités de nombreux Africains d’aujourd’hui, qui voient dans l’homosexualité une perversion occidentale, qui ne peut pas exister en Afrique, ou qui y aurait été amenée par « quelques colons vicieux » (p. 71). Charles Gueboguo tente alors de combler le « vide conceptuel et linguistique » que certains avaient cru déceler concernant l’homosexualité dans les langues africaines. Il évoque des rites à connotation homosexuelle : le et le mukunda en Zambie, le kpankpankwondi au nord du Togo, etc., dont certains avaient pour but de « rendre plus vigoureux » les « jeunes garçons », avec parfois ingestion de sperme (note p. 60). Ces pages rappellent les ouvrages de Bernard Sergent, qui ne figurent malheureusement pas dans la bibliographie abondante utilisée par l’auteur. Le parallèle entre Grèce antique et sociétés africaines traditionnelles se confirme. Dans ces rites, « les hommes réaccouchent symboliquement de nouveaux hommes », s’appropriant le champ féminin de la procréation (p. 60). Des sortes de « mariages entre personnes de même sexe » sont signalés (p. 60 au Bénin et p. 69 au Transvaal), ainsi que la coutume des « soronés » chez les Mossi au Burkina Faso, où des garçons de 7 à 15 ans devaient « satisfaire l’appétit sexuel des chefs » (p. 63) ; même chose avec des esclaves chez les Ashanti : « il s’agissait tout simplement d’actes de soumission et d’humiliation qui leur étaient faits à travers la sodomie » (p. 64). En dehors de ces formes rituelles, l’homosexualité était réprimée, parfois pour la raison qu’elle trahissait le secret de l’initiation (p. 65), ou parce qu’elle était assimilée à la sorcellerie (p. 78). En ce qui concerne le Cameroun, l’auteur évoque le mevungu, rite féminin de célébration du clitoris.

Les chapitres 3 à 6 sont consacrés à la forme moderne de l’homosexualité au Cameroun, et au regard social et médiatique sur elle. L’auteur déblaie les stéréotypes homophobes véhiculés par les médias et certains auteurs qui ont abordé le sujet avec des gants de crin. Il fait la part entre look gay et look « métrosexuel » des jeunes, et précise que « l’homosexualité au Cameroun est bisexualisée à cause des contraintes sociales […] et de l’homophobie intériorisée » (p. 82). Il étudie les signes de reconnaissance : les mots d’origine mystérieuse « nkouandengué » (p. 85) et « tchouss » ; les expressions « être là-dedans » et « être comme ça » (p. 89) ; le « chatouillement de la paume de la main avec l’index » (p. 90), le fait de passer son doigt sur le bord de son verre dans un bar, « d’envoyer la langue à plusieurs reprises dans un coin de la bouche » (p. 93), etc. Il recense les lieux de rencontres, autour de bars, à Yaoundé (quartiers d’Essos et Mvog-Ada), et la nuit derrière l’Hôtel de ville, avec présence de prostitués. Une note est consacrée à l’affaire des incarcérations pour homosexualité à Yaoundé en 2005 (lire l’article d’Amnesty), qui a amené l’avocate Alice Nkom à créer l’association ADEFHO.
Charles Gueboguo étudie pour finir l’homosexualité en milieu carcéral. Dans le chapitre 4, l’auteur fait un rappel des positions des religions monothéistes sur l’homosexualité, et étudie l’attitude de son échantillon à l’égard de la religion. Il s’intéresse aussi aux réactions de l’entourage et à la presse. Des actes de violence sont fréquents quand un homo se méprend et drague un hétéro (cela dit, à mon avis, la violence de la réaction, pour certains psychologues ou simplement perspicaces, est révélatrice !). Le chapitre 5 fait un amalgame entre crise sociale et homosexualité. Ce serait la crise qui pousserait les jeunes à la prostitution ou à la « semi-prostitution » homo : « L’activité homosexuelle au Cameroun semble rapporter beaucoup d’argent » (p. 140). Mieux, l’auteur pointe « une cohésion familiale qui bat de l’aile » et « un dysfonctionnement au sein des structures familiales » (p. 147). Pour moi, les faits sont moins liés que concomitants. Le dernier chapitre consacré aux médias et aux moyens de communication bat le record de citations de Tony Anatrella, avec là aussi un amalgame. On sent chez l’auteur une dent contre l’Occident qui le pousse à détourner une critique de l’homophobie virulente du Cameroun en critique de l’hégémonie des pays industrialisés (p. 162). On note une perle à la p. 164, où « la condamnation en juillet 2005 d’un citoyen britannique de 53 ans surpris en flagrant délit à Douala avec un jeune de 18 ans » est assimilée à la pédophilie puisque l’auteur reproche aux médias d’avoir « associé [cet acte] à l’homosexualité » ! Le chapitre se termine (avant une conclusion redondante) par un beau plaidoyer pour la dépénalisation : « Il serait peut-être temps que les politiques au Cameroun songent à s’y pencher de nouveau, afin que tout un chacun puisse jouir de son droit à la vie, de son droit à la liberté » (p. 169). On regrettera dans l’ouvrage l’absence de récits de vie, d’anecdotes significatives. On dirait que, à part des questionnaires informels, l’auteur n’a pas communiqué avec son échantillon, pour passer d’une étude quantitative à une étude qualitative, comme c’est le cas dans La Vie sexuelle en France, de Janine Mossuz-Lavau, dans Parler d’homosexualité, d’Emmanuel Ménard ou dans Petit manuel de Gayrilla à l’usage des jeunes, d’Éric Verdier et Michel Dorais. Nous ne savons rien du quotidien de ces 81 personnes, de leur ressenti, et cela reste à faire !

Vous trouverez sur Wikipédia la page de présentation de Charles Gueboguo, qui donne accès à ses principaux textes. Le texte intitulé Manifestations et facteurs explicatifs de l’homosexualité à Yaoundé et à Douala, Mémoire présenté en vue de l’obtention du diplôme de Maîtrise en Sociologie, Université de Yaoundé I, 2002, est avec quelques modifications et ajouts, l’ouvrage publié chez L’Harmattan. Il est étonnant qu’un tout jeune homme (Charles Gueboguo est né en 1979) maîtrise autant ce sujet, dans un pays où ces connaissances sont sulfureuses. Il semble avoir épuisé pour cette maîtrise tout le rayon de sa bibliothèque universitaire sur le sujet ! En dépit de maladresses de style et d’une tendance fâcheuse au jargon, l’auteur, en réalité, a écrit un autre livre que le sujet de mémoire pour lequel il était inscrit ! Il a profité de cette caution universitaire pour écrire une sorte de premier documentaire général à destination des homos africains francophones, qui leur permette, en un seul livre, de se retrouver dans l’océan des informations contradictoires qui vous assaillent quand l’homosexualité vous tombe dessus dans l’adolescence (ou plus tard), en terrain hostile ! C’est important quand on connaît le niveau de vie en Afrique. Espérons que ce livre puisse être découvert par de nombreux Africains !

Parmi les textes de Charles Gueboguo publiés sur Internet, vous lirez avec profit son article pour la revue Socio-logos, Numéro 1, (septembre 2006) : « L’homosexualité en Afrique : sens et variations d’hier à nos jours ». La somme d’informations est phénoménale, et l’érudition impressionne. Quant à la tendance au jargon, elle est toujours présente, mais atteint parfois à la poésie : « K’wazo désigne le pédicon ou le partenaire insertif et baja le pédiqué ou le partenaire réceptif dans ce genre de rapport sexuel » ! Bref, on attend avec impatience la publication de sa thèse ou de ses autres ouvrages. Charles Gueboguo possède en lui une énergie et une vivacité intellectuelle qui nous font bien augurer du succès de son combat pour l’acceptation de l’altersexualité en Afrique. Sera-t-il le levier ou le point d’appui capable d’ébranler la montagne de bêtise négationniste qui sévit sur la majeure partie du continent ?

 Une autre entrevue de Charles Gueboguo pour Jeune Afrique, et une entrevue de mai 2011 dans Libération : « En Afrique, les homosexuels sont des boucs émissaires ».
 Voir un article sur la liberté de la presse, incluant une analyse d’articles de Jeune Afrique sur le Cameroun. Parallèle utile avec l’homosexualité en Haïti. Il existe aussi des films : Dakan, de Mohamed Camara, Woubi chéri, de Laurent Bocahut et Philip Brooks, ou encore Karmen, de Joe Gaï Ramaka.
 Lire un article de Libération daté du 22 août 2007 sur la répression homophobe au Nigeria.

 Pour tout savoir sur l’homosexualité en Afrique, voir le portail Behind the Mask et sa présentation en français sur Afrik.com, ainsi que l’article consacré à Charles Gueboguo. Lire également sur melanine.org un article à propos de Bell Hooks, et un article de cette dernière : « De l’homophobie dans les communautés noires américaines ». Pour rigoler (jaune) voir un délire homophobe sur Cameroun Link. En juin 2009, diffusion d’un documentaire intitulé Sortir du nkuta. On peut voir la video ici.

 Cet article a été revu à l’occasion de la sortie du deuxième livre de Charles Gueboguo : Sida et homosexualité(s) en Afrique, qui constitue le prolongement de celui-ci.

Lionel Labosse


Voir en ligne : Entrevue avec Charles Gueboguo par l’association The Warning.


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Messages

  • Ouf ! Enfin une critique constructive d’un ouvrage qui ne demandait pas autres choses que d’être lu au-delà de toute passion et de tout a priori. Je vous remercie pour vos remarques, mais surtout pour les limites de l’ouvrage que vous avez su ressortir. C’est la preuve que vous l’avez vraiment lu. Ces remarques m’aideront, vous pouvez en être certain, dans la construction de ma pensée scientifique sur la question qui est et demeure se faisant !
    Bien à vous !
    Charles Gueboguo (l’auteur)