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Sans langue de bois, pour les éducateurs.

La Vie sexuelle en France, de Janine Mossuz-Lavau

Éditions de La Martinière, 2002, 470 p., 20 €.

mercredi 4 avril 2007

« — Est-ce que vous avez pratiqué la sodomie ? » Telle est la première phrase du livre. C’est dire si l’auteure n’y est pas allée par quatre chemins. Directrice de recherche au CNRS, Janine Mossuz-Lavau a mêlé dans cet ouvrage les résultats de deux enquêtes qualitatives sociologiques, l’une auprès de femmes en situation de précarité, l’autre au sein de la population générale. Elle nous livre ces récits de vie en les classant par thèmes. Elle a rencontré une vingtaine de gais et lesbiennes, et une seule transsexuelle MtF, mais le chapitre qui lui est consacré est époustouflant et vaudrait à lui seul la lecture de l’ensemble.

Janine Mossuz-Lavau ne se contente pas de consacrer un chapitre séparé à l’homosexualité ; au contraire, elle ne cesse de mêler les témoignages au niveau des pratiques, sans différencier pour ne prendre que cet exemple, la pénétration anale pratiquée entre hommes, entre homme et femme, ou entre femmes. Le ton est sérieux, sans s’interdire au fil des pages quelques notes personnelles, nostalgie pour la fidélité, dénégations, légère pointe fleur bleue symbolisée notamment par des citations de chansons ou de poèmes qui ponctuent le texte… On fera un reproche de méthode : si Janine Mossuz-Lavau a interrogé de nombreuses femmes musulmanes dans ses deux enquêtes, ainsi que des gitanes, il semble que parmi ces musulmanes, toutes soient d’origine maghrébine, ou méditerranéenne, jusqu’en Iran. Cela va jusqu’à un lapsus qui a échappé à la correction : page 177, il est question de « femmes élevées dans la religion maghrébine » ! Il est dommage d’une part qu’un panel d’hommes musulmans et gitans n’ait pas été interrogé, d’autre part que des musulmanes africaines et asiatiques (voire françaises comoriennes) n’aient pas permis de distinguer ce qui relève de la religion de ce qui relève de la coutume régionale.

L’enquête fait donc le point sans tabou sur la sexualité en France en l’an 2000, et confirme ou infirme nos impressions. Il est question par exemple du décalage entre filles et garçons, au niveau de la masturbation ou de l’âge des premiers rapports. De la différence quantitative et qualitative entre le nombre de partenaires des hétéros et homos, hommes et femmes. L’auteure n’a pas fait d’enquête quantitative, mais elle en cite, par exemple on apprend que, en 20 ans, l’expérience de la sodomie aurait augmenté, passant de 16 et 24 % à 24 et 30 % selon le sexe ; et encore, il ne s’agit que de l’évolution entre 1970 et 1990 ! Cela n’empêche pas que le coït anal soit toujours systématiquement associé dans l’imaginaire populaire, à l’homosexualité masculine et à elle seule, alors qu’il n’y aurait que 5% maximum d’homos ! Lire à ce sujet certains témoignages édifiants de personnes qui refusent les rapports anaux uniquement par homophobie (p. 215) ! On passe sans transition des clubs échangistes hétéros aux saunas et aux backrooms, dont on ne s’étonnera pas d’apprendre qu’ils sont fréquentés aussi par des hommes qui se déclarent hétéros, ce qui, à mon humble avis, nous réserve quelques surprises pour une prochaine enquête de ce type dans 15 ans !

Certaines pages sont remarquables en ce sens que l’auteure ne se permet aucun jugement. Ainsi aura-t-on l’occasion de lire plusieurs récits d’une relation heureuse avant 15 ans. Exemples : « Elle avait en effet 12 ans au moment de sa première relation sexuelle, dont elle a pris l’initiative et qui a eu lieu avec un ami de son père, âgé de 49 ans » (p. 48) ; Jacqueline raconte ses attouchements entre 10 ans et 12 ans avec un ami de la famille, en précisant « qu’elle en parle très rarement car il est très difficile de raconter les faits en arrivant à convaincre qu’ils se sont déroulés de cette manière-là, c’est-à-dire sans violence et en étant pour elle une source de plaisir » (p. 87). Rappelons que, avec les lois actuelles, ces femmes, même trente ans après les faits, pourraient accuser et faire condamner ces hommes pour « pédophilie » à une peine infamante. Voir à ce sujet l’indispensable Antimanuel d’éducation sexuelle, de Marcela Iacub & Patrice Maniglier, dont cet ouvrage constitue un bon complément. La zoophilie est évoquée (p. 90). L’auteure ne se croit pas obligée non plus de nous assener ses jugements sur l’utilisation ou non du préservatif ; elle se contente de nous rapporter ce qu’elle a entendu, et c’est édifiant. Cela confirme implicitement que la contamination par le VIH est rare, compte tenu du nombre de pénétrations anales ou vaginales non protégés, et que par déduction logique, la contamination par fellation doit être quasiment inexistante, ce qui ridiculise à mon avis, et disqualifie, les discours de terreur tels celui qu’on lit par exemple dans l’antimanuel cité plus haut.

Quelques notes négative : les trois seuls récits détaillés de viols me semblent, moi qui ne suis pas sociologue, sujets à caution. Il s’agit de cas extrêmes, une femme de 45 ans soi-disant victime d’un viol collectif, qui aurait tout oublié, serait allée travailler le lendemain comme si de rien n’était, aurait réalisé qu’elle s’est fait violer très longtemps après, mais déclare qu’elle « a été hospitalisée plusieurs fois », et que « avec la sodomisation elle a eu des problèmes aussi » (p. 304). Cela semble difficilement compatible, et j’y crois a priori autant qu’à ce célèbre récit de viol et d’agression antisémite dans le RER D en 2004. Un autre récit est de seconde main, ce qui est contestable au niveau de la méthode, il s’agit du traditionnel récit de tournante, raconté au conditionnel (p. 316). Bref, on s’étonne de ne pas trouver un récit de viol plus banal parmi le grand nombre de femmes interrogées (en dehors des viols conjugaux). De même, pour le chapitre sur les bi, la plupart des récits proviennent de militants de l’association Bi’cause, ce qui pose un problème de méthode. Enfin, signalons une contradiction en ce qui concerne les lesbiennes : « La plupart des lesbiennes ne cherchent donc pas à élever un enfant en supprimant le père » (p. 403) ; « Les seules réticences qu’elle a rencontrées sont venues de ses amies lesbiennes pour lesquelles avoir des relations sexuelles avec un homme est « inconcevable, pas révolutionnaire, pas militant ». Elles lui font sentir qu’elle trahit la cause car, d’une certaine manière, elle pactise avec l’ennemi » (p. 413). Eh oui, la haine de certaines lesbiennes pour les hommes, vérité difficile à entendre au rose pays de l’« homoparentalité » extatique ! Terminons sur une note positive. Si l’auteure signale la réticence des parents musulmans à parler de sexualité à la maison, elle montre que ces parents, au contraire, « comptent souvent sur l’école pour aborder ce type de questions » (p. 328), ce qui ne peut que nous encourager. D’autre part, elle note une grande différence au niveau de la libération sexuelle entre les femmes élevées dans la tradition musulmane, selon qu’elles ont ou non suivi des études supérieures. Éloge supplémentaire du rôle de l’éducation.

 Cet ouvrage est désormais disponible en Points Seuil.
 Voir un article de Libérationdu 19 mars 2008 : « Les hommes, ils cherchent tout le temps l’amour » / Des femmes maghrébines témoignent de leur sexualité.

Lionel Labosse


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