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Avoir un papasexuel, pour les 5e/4e.

Je ne veux pas qu’on sache, de Josette Chicheportiche

Pocket jeunesse, 2007, 156 p., 6,3 €

samedi 9 juin 2007

Un beau roman qui peine à démarrer et parvient à émouvoir seulement quand il s’affranchit d’un pathos excessif. Une situation d’alterparentalité pas idéale, pas de celles qu’on montre à la télévision, mais assez proche de ce qui se vit dans la réalité quand un couple et une famille se déchirent sous le coup d’une nouvelle difficile à avaler.

Résumé

Gilles et Alice annoncent à leurs enfants Théo (12 ans) et Lola (6 ans) qu’ils divorcent. Gilles les conduit dans son nouvel appartement, dans le XIe arrondissement de Paris, non loin de l’ancien où ils restent avec leur mère. Théo voit qu’il y a deux noms sur la porte, mais ne comprend que longtemps après, en entendant son grand-père en colère traiter son propre fils (Gilles) de « pédé » qui « marche à la voile et à la vapeur » (p. 56). Théo a du mal à digérer l’information, surtout que sa mère, avec la complicité de la juge, a profité de la situation pour réduire le droit de Gilles à voir ses enfants au minimum, quelques heures tous les samedis, tout en refusant « qu’ils rencontrent ton copain » (p. 98). Gilles va même plus loin, puisqu’il ne semble même pas parler dudit copain, et ses enfants ne pas poser de question. Cela se gâte quand Tom, le meilleur ami de Théo, se vexe d’avoir appris fortuitement ce que Théo n’avait pas eu la force de lui dire. Cela prendra encore du temps pour que, petit à petit, tous les personnages évoluent vers une vision plus saine de la situation, et que Théo se mette enfin à penser à lui : « comment voulez-vous que je sache si je dois sortir avec une fille ou avec un garçon ? » (p. 144)

Mon avis

J’avoue dans un premier temps avoir été impatienté par l’excessive lenteur du récit à se mettre en branle, et par le pathos à la truelle déversé sur cet événement qui semble plus grave qu’un tsunami (« résigné comme une bête qu’on mène à l’abattoir » (p. 38) ; ou la chute de l’échelle, p. 60). En effet, alors que le sujet est déjà dévoilé en 4e de couverture, l’auteure attend la page 56 pour l’installer pratiquement ! En attendant, aucune infime variation de sentiment du personnage ne nous est épargnée, et les expressions non marquées en genre abondent : « une personne », « quelqu’un », etc. Quand on en arrive enfin au vif du sujet, l’auteure accélère le rythme, pratique des ellipses fort bien vues entre les chapitres, et le rire parvient même à faire une trouée à partir du tournant du livre (p. 83) ! Le lecteur est amené à s’identifier au personnage de Théo, mais en le critiquant pour son manque d’ouverture d’esprit, surtout quand on le compare à la tolérance enthousiaste et naïve dont fait preuve Lola. L’auteure en a rajouté sans doute volontairement pour que le jeune lecteur se démarque du personnage, surtout dans ce milieu parisien « bobo » en principe assez tolérant. Pourtant, était-il nécessaire (et vraisemblable) que même le copain de Théo le lâche sans discuter pour une raison si futile ? On s’amuse des pensées de Théo (« Y avait-il d’autres pères qui avaient choisi de vivre avec un homme ? ») alors qu’il vit dans une ville dont le maire est ouvertement homo, et qu’il ne se passe pas une semaine sans un reportage T.V. sur l’« homoparentalité » ? Mieux, au bout de deux ans de cette situation, dans une scène improbable, Théo apprend à Lola l’existence du mot « homosexuel », ce qui lui fait inventer le mot « papasexuel » ! (p. 108).

L’attitude du père également est souvent improbable. Quand il amène ses enfants pour la première fois dans son nouvel appartement, qui est celui de son ami Seamus, ce dernier est absent, comme il est absent du roman jusqu’à la page 121, où la possibilité de le rencontrer est enfin évoquée. Pense-t-on réellement qu’un homme accepterait une telle situation, disparaître de son propre appartement alors même qu’il a proposé d’y héberger non seulement son ami, mais aussi les deux enfants de celui-ci ? Cela est justifié bien des pages plus loin par l’attitude de la mère, qui s’est livrée dans les premiers temps à une tentative d’aliénation parentale. Mais, surtout à Paris, dans un milieu bobo (Gilles est un écrivain à succès, son copain un photographe célèbre à l’appartement apparemment sur-dimensionné) une telle attitude prolongée si longtemps est peu vraisemblable. Cela pourrait accréditer l’idée que la situation est réellement gênante, alors qu’elle ne l’est qu’en conséquence de l’homophobie de la mère, de la juge et du grand-père ; et c’est là que l’auteure aurait pu à mon avis préciser les choses pour le jeune lecteur, afin d’éviter ce ton « douloureux problème de l’homosexualité ».

Alors malgré ces défauts qui agacent, qu’est-ce qui fait l’intérêt de l’ouvrage ? Eh bien, on finit par être emporté par l’émotion de Théo, un garçon qui semble avoir hérité de l’introversion paternelle. Quelques belles scènes que l’on pourra étudier en extraits suffisent à emporter l’adhésion du lecteur exigeant. Il en va ainsi de la discussion de Théo avec sa mère (p. 120), de la discussion avec le prof d’histoire qu’il admire, lequel n’hésite pas à aborder les questions privées (p. 141), ou de la scène où, enfin, Théo se rebiffe de fort belle manière quand il est victime de la « contamination du stigmate » (p. 136) (cf Petit manuel de Gayrilla à l’usage des jeunes). Pour finir, on saura gré à l’auteure d’avoir su, en ces temps où la mode, chez les éditeurs comme à la télévision, est à la célébration niaise de l’« homoparentalité » rose bonbon où les petits nenfants sont 100 % ravis de bénéficier d’une couple de mamans purement idéales sans le moindre soupçon de paternité (voir ici), de n’avoir pas craint d’évoquer une situation moins rose, une mère qui abuse de la situation (au début) pour spolier le père de son droit de garde, et de n’avoir pas utilisé le mot ridicule à la mode.

 Lire, sur « Culture et Débats » le point de vue de Jean-Yves. Lecture croisée suggérée avec Pour toi Anissa, de Clotilde Bernos et avec Le bouc émissaire (L’Instit), de Gudule, pour constater l’évolution du thème en presque dix ans.

Lionel Labosse


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