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L’insoutenable difficulté du coming out, pour les 5e

Les Petites marées, de Séverine Vidal

Oskar éditeur, Court métrage, 2012, 112 p., 5 €

samedi 2 mars 2013

Roman court constitué de narration à la première personne et d’extraits de journal intime des deux personnages principaux, Les petites marées raconte l’impossible coming out d’un garçon de 20 ans, Gaël, amoureux d’un Lucas, qui semble avoir hésité sur son orientation sexuelle pendant quelques années, et avoir laissé croire à sa quasi-cousine, 15 ans, qu’il était amoureux d’elle. Il n’arrive à dire qu’il aime les garçons ni à elle, ni à ses propres parents, et on se demande ce que peut apporter un tel roman en 2012, alors que la question du coming out a été abordée déjà sous tous les angles en littérature jeunesse depuis des années. Ce livre me donne l’impression de sacrifier à une mode, en alignant les stéréotypes.

Résumé

La narratrice principale, dont je ne me rappelle pas le prénom (c’est une manie des livres de littérature jeunesse de faire mystère du prénom des personnages principaux désignés par le pronom « je » ; il faut être hyper-attentif pour noter le prénom, comme dans À la recherche du temps perdu de Proust, où « Marcel » n’est utilisé que deux fois en 4500 pages !), a été amoureuse de Gaël, 5 ans de plus qu’elle (il a vingt ans, elle en a 15). Elle en a fait son deuil, et souhaite passer des « grandes marées », à une relation plus simple avec un garçon, « un genre de ruisseau, quoi » (p. 7). Elle reproche à Gaël de changer d’amoureuse trop souvent. Ils sont des sortes de cousins par alliance, sans avoir de gènes communs. Elle-même reconnaît être sortie avec sept garçons à l’âge de « quatorze ans et demi » (p. 8). Le décès de leur « grand-mère » commune Suzanne, 86 ans, les réunit à nouveau. Ils évoquent la nostalgie de leur amourette infantile liée à la vision des remparts de Saint-Malo, malgré les années d’écart. Gaël nous apprend très progressivement qu’il est moins intéressé par les filles que par les garçons. Il est d’abord question d’un « Willy » sur une photo (p. 36), puis il reconnaît dans son journal qu’il est « un garçon qui aime les garçons » (p. 38). Comme il n’ose rien dire à son amie-cousine d’enfance, elle croit qu’il veut la caser à Lucas, un ami qu’il lui présente, lequel est en fait son petit ami. Le quiproquo dure quelques pages, et puis osera, osera pas le dire à sa copine, à ses parents, etc. ?

Mon avis

Ce petit roman arrive un peu tard ; on a l’impression d’un éditeur qui a omis d’inscrire la question à son catalogue et demande à un auteur de lui fournir un titre abordant l’homosexualité [1]. On est impatienté par cet ado de 5 ans de plus que sa cousine-amie, qui n’ose pas lui dire ce que les jeunes actuels disent de plus en plus facilement, alors qu’ils évoluent dans un milieu de Français moyens tout à fait banal où l’on ne fait plus guère mystère de l’homosexualité. Il y a quelques phrases bien vues, comme l’auto-critique de Gaël : « On n’embrasse pas une fille en lui caressant les cheveux. Sinon, il y a des conséquences » (p. 37). Mais quand Gaël explique ainsi son désamour pour sa cousine : « je voyais le voyage au bout de la route, les enfants, la petite vie bien réglée, bien coincée » (p. 47), on constate une incohérence, car avec son copain Lucas, c’est exactement l’engrenage dans lequel il semble mettre le doigt, mais on ne trouvera pas la trace alors d’une réflexion sur les enjeux contemporains du « mariage gay », sur la peur de s’engager dans le joug conjugal fût-il homosexuel. Cette piste du rapport critique au mariage est abandonnée aussitôt, alors que c’est ce qui nous aurait passionné ! Un détail sur l’âge des personnages : la mamie de 86 ans pour une héroïne de 15 ans dont les parents sont donnés comme dans la force de l’âge et du monde du travail, cela ne colle guère. On dirait plutôt que c’est l’âge de la grand-mère de l’auteure, ou sinon il semble incohérent qu’on ne précise pas la raison d’un tel écart. Cela suppose que la grand-mère et son fils aient procréé fort tard, ce qui, à cette époque, n’est pas impossible, bien sûr, mais mérite explication pour la vraisemblance. Le personnage de Gaël n’en finit pas de faire son coming out ; il impatiente le lecteur, et au lieu d’exprimer ce qu’il vit ou ressent lui, on a droit, à trois reprises, à l’évocation d’un fait divers digne du vingt-heures de TF1, selon lequel « des filles amoureuses dans une cité en Essonne » auraient été insultées et frappées : « Sales gouines, dégagez de la cité » (p. 69, puis p. 87 et 98). Ce fait divers unique qu’il a entendu une seule fois à la radio l’empêche de dire un chose fort simple, alors que tous les indices concordent pour annoncer que pour lui ça se passerait fort bien, et d’ailleurs ça se passe fort bien, mais l’auteure préfère nous laisser sur l’impression négative de ce fait divers qui n’a rien à voir avec l’histoire racontée. Par contre, Gaël ne semble avoir entendu aucune des centaines d’émissions favorables à l’idée de « mariage gay » ; il n’a pas jeté un œil sur l’un des 100000 sites gays ou gay-friendly sur Internet. Ce pessimisme en décalage sur notre époque mériterait explication, mais on ne trouve rien. Rien que victimisation d’une communauté, sans recul critique. Bref, un petit roman qui n’apporte rien de neuf sur un sujet déjà maintes fois traité, et qui au contraire, ne fait que répéter des stéréotypes sur un canevas fort mince (le décès d’une personne âgée avec une fausse piste sur un léger doute sur le fait que son décès accidentel soit dû à autre chose qu’à une légère démence sénile, piste lancée puis totalement oubliée).

 Lire l’article de Jean-Yves Alt sur ce livre.
 Dans la même collection, lire Le Choix de moi, d’Hervé Mestron et Mariez-vous, D’Alain Germain .

Lionel Labosse

 Séverine Vidal nous a fait l’honneur de critiquer notre critique (message du 5 janvier 2013) :

Bonjour Lionel,
Je ne parviens pas à déposer de commentaires directement sous la chronique vous avez postée à propose de mon livre.
Je vous remercie d’avoir parlé de ce livre, même s’il n’a pas trouvé grâce à vos yeux. Tant pis pour moi.
J’apprécie le fait que vous proposiez un lien vers le site Culture et débats et son article enthousiaste.
J’ai regardé vos autres articles, je découvre votre site et… je reviendrai.

Par contre, je voulais apporter un ou deux éléments de réponse. 
Ce livre n’est pas du tout une commande d’Oskar. C’est un livre qui m’est au contraire très personnel, et dont l’essentiel de l’intrigue concerne directement des personnes proches.

D’autre part, si une ado a 15 ans, et que ses parents l’ont eue à 37 ans, ils ont donc autour de 52 ans (c’est la force de l’âge ou pas ?). Que sa grand-mère ait 86 ans est absolument normal, non ? Elle aurait eu son fils vers 34 ans, j’avais encore de la marge… Où est le souci ? Je ne vois pas.
(6 lignes de votre analyse pour détailler cette incohérence qui donc, n’en est pas une, quand même !).

Enfin, vous avez beaucoup de chance de vivre dans un paradis où les jeunes racontent « facilement » leur homosexualité. Ce n’est pas le cas partout, loin de là. Ce n’est pas le cas dans la plupart des milieux que je connais. Et ce n’est pas le cas, pas toujours, chez les jeunes. Il y a encore pas mal de préjugés, pas mal d’insultes gratuites et non, ce n’est pas facile de raconter qu’on est gay. De l’assumer.
C’est ce que j’essayais de dire. J’ai justement veillé à ne pas victimiser Gaël, qui est heureux, bien dans ses baskets et amoureux. C’est ça que je voulais mettre en valeur, la rencontre, l’amour, et l’envie de le dire. Je ne vois pas en quoi, en faisant cela, j’ai, d’une manière ou d’une autre, été trop pessimiste ou trop victimisante.

Vous dites deux fois que mon personnage « impatiente » le lecteur.
Il n’a pas impatienté tout le monde, ce petit livre porteur, selon vous, de tant de clichés et de stéréotypes.
Il m’a valu de riches rencontres en collège et lycée, des débats intéressants au cours desquels il était évident que ce n’était pas « facile » de parler simplement d’homosexualité. Je continuerai ces rencontres dans le cadre des Prix où il est en sélection en 2013.
Alors, oui, je vais essayer de lire plus loin que vos lignes.
A bientôt peut être,
Séverine Vidal


Voir en ligne : Le blog de l’auteure


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[1Nous avions chroniqué jusqu’à présent un seul livre de cet éditeur, À mort l’innocent !, d’Arthur Ténor.