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Pas de poils sur la langue !

Entrevue d’Albert Russo

Auteur de Zapinette chez les Belges et de Sang mêlé

mardi 1er mai 2007

Zapinette chez les Belges met en scène un personnage inspiré de Zazie dans le métro, de Raymond Queneau. Sang mêlé ou ton fils Léopold est un roman pour les lycéens qui aborde des thèmes croisés, parentalité, colonialisme, homosexualité, avec à l’appui une connaissance intime de l’Afrique et du Congo, où est né l’auteur.

 Lionel Labosse pour le Collectif HomoEdu / altersexualite.com : merci d’avoir accepté de répondre à notre entrevue. Pour commencer, souhaitez-vous réagir à notre article sur vos ouvrages ?
 Vous avez écrit une critique franche et approfondie sur Sang mêlé ou ton fils Léopold et je vous en remercie. J’aimerais faire quelques remarques cependant. Vous trouvez le style de Harry Wilson « compassé », mais il ne faut pas oublier que cette histoire commence dans les années trente et que Harry Wilson, homme réservé, acceptant néanmoins son homosexualité, ne peut en parler comme on le fait aujourd’hui. Et oui, parfois le style « boy scout » était utilisé autrefois, car les gens étaient à la fois naïfs et très ignorants de la question homosexuelle (beaucoup plus qu’aujourd’hui, du moins en Occident), contrairement à celui « déluré » et « pétaradant » de notre Zapinette de ce siècle (voir Zapinette chez les Belges qui a reçu le Prix Jeunesse des bibliothèques et médiathèques d’Alsace).

 Présentez-vous en quelques mots.
 Auteur bilingue (français et anglais), j’ai écrit, pour la jeunesse, et traitant de l’homosexualité, la série humoristique des Zapinette : Zapinette Vidéo, Zapinette à New York (épuisé) et Zapinette chez les Belges (épuisé également), tous trois aux Éditions Hors Commerce.

 Que pouvez-vous nous dire au sujet de l’altersexualité de vos personnages ou de l’intrigue ?
 Sang mêlé ou ton fils Léopold est un roman, raconté de l’intérieur, par un « Africain blanc » — je suis né au Katanga (dans l’ancien Congo belge, aujourd’hui le Congo-Kinshasa), et j’ai vécu 17 ans en Afrique centrale et australe — je parle aussi le kiswahili —, met en scène trois personnages atypiques (mais bien réels), qui, chacun à son tour, racontera la même histoire, telle qu’il ou elle la vit. Dans les années 50, à Elisabethville (aujourd’hui Lubumbashi, la deuxième ville du Congo), le petit Léopold est adopté par Harry Wilson, Américain en mal de paternité. Il apprend, lors d’une scène violente, l’homosexualité de son père adoptif. Ce récit traite de la difficulté à vivre sa différence, qu’elle soit raciale, religieuse ou sexuelle, et en même temps il prouve qu’une coexistence harmonieuse est possible, voilà sa note d’espoir. En ce qui concerne Zapinette, le personnage principal, avec Zapinette qui a 12 ans, est tonton Albéric, qui est « mot sessuel », et sa nièce le défend partout, souriante ou rageuse.

 Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire un livre qui aborde — de près ou de loin — les questions altersexuelles ?
 Afin de casser un tabou, du moins, chez certains, même si je sais que ce tabou perdurera. Mon passé africain, avec la palette des préjugés, qu’ils soient raciaux, sexuels ou religieux.

 À quelle classe d’âge vos livres s’adressent-ils ?
 7-14 ans et jusqu’à… 114 ans, car Zapinette est autant appréciée des jeunes que des adultes, grâce à son humour.

 Accepteriez-vous qu’on qualifie votre livre de roman « gai » ? ou « LGBT » ?
 Pourquoi pas, même si Sang mêlé aborde avec la même force tous les problèmes d’identité : racisme, religion, colonialisme. Cependant, je veux que ces romans touchent toute la population.

 Vous imposez-vous des limites ? Lesquelles ?
 Dans le langage — j’évite les termes pornographiques —, afin de ne pas heurter les enfants, même si Zapinette n’a pas de poils sur la langue.

 Votre position d’auteur, est-elle militante ? Vous inscrivez-vous dans une perspective de faire évoluer les mentalités, banaliser l’homosexualité ? Ou plutôt préférez-vous raconter des histoires qui vous touchent et toucheront vos lecteurs ?
 Je préfère raconter des histoires qui me touchent et toucheront surtout mes lecteurs tout en espérant faire évoluer les mentalités. J’ajouterais que mes romans sont militants.

 Pensez-vous que l’on puisse aborder tous les thèmes en littérature jeunesse ?
 Oui, tout, en étant clair sur la lutte contre la pornographie enfantine et la pédophilie.

 Pensez-vous que la loi du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse doit être revue ou supprimée ?
 Revue, car la pornographie ne doit pas être montrée aux jeunes, et justement le terme a évolué, ce qui était pornographique autrefois ne l’est plus nécessairement aujourd’hui - montrer des images de seins de femme, du sexe féminin ou masculin, dans un cours de sexualité, par exemple.

 Comment à votre avis peut-on parler d’amour en général et d’amour homosexuel en particulier ? Est-ce délicat ? Quelles sont les difficultés ?
 Bien sûr que c’est délicat, car le monde extérieur est féroce et il faut protéger l’enfant, cela n’empêche pas qu’il faille aborder le sujet, doucement et lorsque l’occasion se présente, surtout si l’un des parents est homosexuel.

 Vous inspirez-vous d’autres auteurs ou de grandes figures du panthéon altersexuel ?
 Oui, de Zazie dans le métro de Raymond Queneau, roman que je n’ai jamais lu, mais dont j’avais vu le film (et que je n’ai pas aimé). Je lis beaucoup et en plusieurs langues, donc forcément, mes lectures m’influencent. Ne soyons pas hypocrites. J’ai beaucoup ri en lisant Portnoy’s complaint de Philip Roth et j’apprécie toujours les poèmes de Verlaine, de Rimbaud, de Cavafy, les livres de William Burroughs, de Reinaldo Arenas, ou la nouvelle autobiographie d’Edmund White.

 Quelles sont vos références en littérature générale, en littérature jeunesse, ou dans votre domaine artistique ?
 Littérature générale : Molière, Victor Hugo, Mallarmé, Maupassant, Proust, Dostoïevski, Tchekov, Tolstoï, Shakespeare, Albert Camus, Italo Svevo, Leonardo Sciascia, Sartre (certaines de ses pièces), Colette, George Sand, Les sœurs Brontë, Stephen King (ses nouvelles uniquement), Richard Powers (et son merveilleux The time of our singing), etc… En littérature jeunesse : Swift, Rudyard Kipling, Jules Verne, Pinocchio, Alice au pays des Merveilles, les contes d’Andersen, de Grimm, les Fables de La Fontaine, la liste continue…

 Quelle est votre implication personnelle, la part d’autobiographie dans votre roman ?
 Indirecte, car je m’identifie à la fois à Zapinette et au tonton. Pour Sang mêlé, toute l’atmosphère, surtout des années 50, telle que je l’ai vécue à l’âge du petit Léopold, ainsi que l’école, les personnages que j’ai connus de près ou de loin, et bien sûr, les événements tragiques qui ont suivi l’indépendance du Congo belge.

 Quelles difficultés particulières avez-vous rencontrées dans l’écriture de votre livre ? Comment a-t-il été accueilli dans les milieux éditoriaux, la presse, auprès du milieu scolaire ?
 Aucune, sauf parfois dans l’élan que je donnais à Zapinette — elle avait parfois tendance à dépasser les bornes de la « bienséance » (mot horrible que nous détestons tous les deux, mais il s’agit aussi d’un livre pour la jeunesse). Zapinette a été très apprécié, aussi bien par la presse qu’en milieu scolaire. Voir les critiques de Sang mêlé dans sa version américaine (sur le site d’Albert Russo, commentaires de James Balwin, Edmund White, Martin Tucker, etc.)

 Comment vos lecteurs ont-ils accueilli ce livre en particulier ? Lors de rencontres avec vos jeunes lecteurs, quelles sont leurs réactions relativement à ce livre, notamment par rapport à la thématique altersexuelle ?
 Les enfants aiment le côté humoristique de Zapinette, et grâce à cet humour, souvent caustique, le message passe très bien. Trop tôt pour Sang mêlé.

 Selon vous, que doit apporter aux jeunes lecteurs le fait d’aborder une question LGBT ?
 La tolérance, et leur montrer que la discrimination sexuelle est aussi grave que le racisme.

 Si l’on parle d’amour doit-on aussi parler de sexualité et de passage à l’acte sexuel selon l’âge auquel on s’adresse ?
 Oui, sans faire de pornographie (que j’approuve totalement pour les adultes).

 Évoquer l’orientation sexuelle, cela vous renvoie-t-il à votre propre parcours initiatique ? À vos propres interrogations sur les désirs et la vie ? À une vision du monde et des relations humaines ?
 Oui, bien sûr.

 Votre livre a-t-il été traduit ? Dans quelles langues ?
 Auteur bilingue, j’ai publié ces trois romans dans ma propre version américaine dans un gros volume intitulé Oh Zaperetta ! qui vient de paraître chez www.xlibris.com, et qui, aux Etats-Unis, est plutôt considéré comme adressé aux adultes. J’ai publié mes trois romans africains, y compris Mixed blood, dans ma propre version américaine dans un gros volume intitulé The Benevolent American dans The Heart of Darkness, qui vient de paraître chez le même éditeur.

 Quels sont vos projets ?
 Je viens de terminer la traduction américaine de mon roman La tour Shalom (Hors Commerce, 2005), qui est plus orienté vers le thème de l’homosexualité « explicite », comme on dit en anglais. J’aborde à présent la traduction américaine de mes deux romans gais (L’amant de mon père, Editions Nouvel Athanor, et sa suite, L’amant de mon père, journal romain, Hors Commerce, 2005, et Cercle Poche, 2006).

 Comment faire, qui contacter si l’on souhaite que vous interveniez dans une classe ?
 Voir ci-dessus pour le site. Me contacter directement, ou, préférablement, mon attachée de Presse, Claudine Pasquier (Ginkgo éditeur) - tél 02 96 31 00 27 + 06 8535 2760.
 Visiter le nouveau site d’Albert Russo.
 Albert Russo a également publié une anthologie intitulée Tour du monde de la poésie gay, dont on lira des extraits sur le site Poésie érotique.

Propos recueillis par Lionel Labosse.


Voir en ligne : Site littéraire d’Albert Russo


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