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Pour la diversité familiale

Entrevue de Cécile Bailly

Auteure de Le paradis de Paco

dimanche 29 avril 2007

« Il est important que chaque jeune puisse savoir très tôt qu’il a le choix. Se trouver dans l’inconnu, sans référent, sans possibilité d’en parler, cela peut entraîner de véritables drames. Il est alarmant de constater que le taux de suicide chez les jeunes homos est nettement supérieur à celui des jeunes en général. »

 Lionel Labosse pour altersexualite.com : merci d’avoir accepté cette entrevue. Pouvez-vous répondre pour commencer à notre critique de votre ouvrage ?
 Je pense que dans l’ensemble votre lecture critique sonne bien. Cependant, trois points m’interpellent : tout d’abord, je ne crois pas que ce roman puisse être abordé dès le CM2 mais plutôt en collège à partir de la 5e. Ceci dit, chaque enseignant jugera de lui-même à la lecture. Ensuite je suis profondément choquée par la relation « Act-Up / bobo ». Je respecte le travail d’Act-Up (au même titre que celui de chaque association qui lutte contre le VIH) et connais certain-es de ses militant-es. Je ne comprends pas l’intérêt qu’il y a à en parler comme d’un hobby de bobos. Enfin, dans le roman, le père de Paco n’incarne pas la fausse idée de « l’homo bourré de pognon », idée que je combats par ailleurs. Les gamins aujourd’hui sont suréquipés en matériel numérique et informatique, quel que soit le niveau de vie de leur famille. C’est une réalité qui n’a rien à voir avec le schéma familial mais avec la société de consommation telle qu’elle est.

 Présentez-vous en quelques mots. Combien de livres avez-vous publié en littérature jeunesse / adultes ? Quels genres (essai, roman, B.D., album) ?
 J’ai 37 ans et vis en région. Mes activités sont variées, associatives, artistiques. En termes de littérature, je publie essentiellement des romans adultes, ainsi que des nouvelles. Actuellement je travaille avec un autre auteur sur un roman à épisodes, Génération arc-en-ciel. Le paradis de Paco est à ce jour mon seul roman jeunesse. Mais je compte bien ne pas en rester là.

 Que pouvez-vous nous dire au sujet de l’altersexualité de vos personnages ou de l’intrigue ?
 Mon intention était d’amener, dans une intrigue vécue par un jeune garçon (son déménagement, son intégration au village), diverses façons de vivre la famille. Par le couple homoparental et coparental, par les communautés (celle du village et celle du cirque). Je tenais cependant à ce que cela reste en arrière-plan, comme banalisé. Il était important pour moi de ne pas avoir à poser les questions de la légitimité de ces familles.

 À quelle classe d’âge votre livre (ou vos livres) s’adresse-t-il ? S’adresse-t-il plutôt aux écoliers, collégiens, lycéens ?
 Le paradis de Paco s’adresse en premier lieu aux collégiens.

 Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire un livre qui aborde — de près ou de loin — les questions altersexuelles ?
 La certitude que ces questions sont trop peu présentes (voire quasi absentes) à l’école et dans bon nombre de familles. Le constat que l’homophobie, comme le racisme et la haine de ceux qui sont différents sont latents chez les jeunes, d’abord par ignorance. Et puis, j’ai grandi dans un milieu plutôt ouvert, pourtant je n’y ai jamais entendu le mot « homosexuel ». Les références culturelles m’ont manqué toute ma jeunesse.

 Accepteriez-vous qu’on qualifie votre livre de roman « gai » ? ou roman « LGBT » ?
 Paco est plus qu’un roman gay, il est un roman sur les familles qui échappent à la norme. Mais à partir du moment où je publie, j’accepte qu’on qualifie mes écrits de tout et de n’importe quoi. Qu’on le qualifie de « jeunesse », de « gai », de « facile », de « bobo », cela ne m’appartient plus. Cela pourra par contre gêner le parent ou l’enseignant, voire le libraire, qui en aura connaissance. Inversement, l’identification peut être salutaire pour ceux et celles qui recherchent ce type d’ouvrage sans savoir qu’ils existent. Enfin, de manière plus générale, le réflexe communautaire comme la frénésie de l’étiquetage sont les témoins alarmants d’une société qui ne sait pas gérer sa mixité.

 Votre position d’auteur est-elle militante ? Vous inscrivez-vous dans la perspective de faire évoluer les mentalités, de banaliser l’altersexualité ? Préférez-vous raconter des histoires qui vous touchent et toucheront vos lecteurs ?
 Les deux. Je ne concevrais pas de raconter une histoire qui m’ennuie et dans laquelle je ne peux exprimer de sentiments. C’est tout le plaisir de l’écriture. Ensuite, dès lors qu’on aborde ces questions, que l’on choisit un angle pour les aborder, on prend une position politique. Donc militante. En amenant l’homoparentalité comme un acquis dans ce roman, c’est une façon d’anticiper la banalisation.

 Pensez-vous que l’on puisse aborder tous les thèmes en littérature jeunesse ? Qu’est-ce qui est selon vous tabou ? Pensez-vous que la loi du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse doit être revue ou supprimée ? Pourquoi ?
 Tous les thèmes peuvent être abordés en littérature jeunesse. Tout dépend de la manière dont c’est fait. Légiférer, c’est un sport national chez nos politiques. Tous nos gestes quotidiens finissent par tomber sous le coup d’une loi. Celle sur les publications destinées à la jeunesse a plus de 50 ans. Elle est conçue pour cadrer avec une société hétéronormée et interprétable à souhait. Qu’entend-on notamment par « débauche » ? Et surtout, souvenons-nous de l’attaque de groupes à tendance catholique contre l’excellent Jean a deux mamans d’Ophélie Texier…

 Si l’on parle d’amour doit-on aussi parler de sexualité et de passage à l’acte sexuel selon l’âge auquel on s’adresse ? Vous imposez-vous des limites ? Lesquelles ?
 Tout dépend du livre, et effectivement de l’âge auquel on s’adresse. Je pense qu’un roman pour lycéen-nes qui parle d’amour doit parler de sexualité, d’actes sexuels, mais aussi de prévention, de contraception, de violences sexuelles, de MST/IST. C’est justement là qu’il faut en parler, car on sait pertinemment que dans les familles ou en classe ces sujets sont très souvent tabous. Je suis constamment ahurie par le nombre de filles de 16 ans qui ne savent pas comment on se retrouve enceinte, ou par le nombre de jeunes garçons qui sont peu renseignés sur les risques liés au VIH. Je ne me suis pas imposé de limites dans Le paradis de Paco. Sinon le fait que je m’adressais à des collégiens. Je ne m’en imposerais pas plus avec un roman ado.

 Comment à votre avis peut-on parler d’amour en général et d’amour homosexuel en particulier ? Est-ce délicat ? Quelles sont les difficultés ?
 Simplement ! Plus on rend les choses solennelles, graves, plus elles résonnent comme inquiétantes. Aborder l’amour, de quelque sexualité qu’il soit, c’est aborder les sensations, les sentiments, la relation à l’autre. La difficulté sera de ne rien occulter de la pression sociale sur un amour homosexuel, tout en le présentant comme quelque chose de fort, de bon, d’enrichissant.

 Vous inspirez-vous d’autres auteurs ou de grandes figures du panthéon altersexuel ?
 Non, pas pour cet ouvrage. Par contre, pour Génération arc-en-ciel (roman adulte), nous avons été inspirés par Armistead Maupin et ses Chroniques de San Francisco.

 Quelles sont vos références en littérature générale, en littérature jeunesse, ou dans votre domaine éditorial ?
 Joyce Carol Oates est de loin mon auteure préférée. Ses (rares) romans jeunesse (ado) sont très forts. Récemment j’ai découvert André Bucher (Le cabaret des oiseaux) dont l’écriture me touche beaucoup. En littérature jeunesse, j’aime les ouvrages de Patrice Favaro, (L’Inde de Naïta, Une si rouge poussière…) qui abordent la réalité sociale de l’adolescence sur le continent indien. En matière de romans ados traitant d’homosexualité, Oh boy ! de Marie-Aude Murail est mon préféré.

 Quelle est votre implication personnelle, la part d’autobiographie dans votre roman ?
 Il n’y a pas de part purement autobiographique, mais plein de petits détails et d’expériences piochés dans la vie de personnes que je fréquente ici et là.

 Évoquer l’altersexualité, cela vous renvoie-t-il à votre propre parcours ? À vos propres interrogations sur les désirs et la vie ? À une vision du monde et des relations humaines ?
 Oui, bien sûr. Comme je l’ai dit avant, je n’ai pu comprendre l’attirance homosexuelle qu’une fois adulte, alors que celle-ci s’éveille bien avant. Il est important que chaque jeune puisse savoir très tôt qu’il a le choix. Se trouver dans l’inconnu, sans référent, sans possibilité d’en parler, cela peut entraîner de véritables drames. Il est alarmant de constater que le taux de suicide chez les jeunes homos est nettement supérieur à celui des jeunes en général. Ensuite, permettre à chacun, par la lecture, d’avoir des outils pour comprendre l’autre, c’est à mon avis l’un des meilleurs moyens pour élargir la vision que nous avons du monde.

 Quelles difficultés particulières avez-vous rencontrées dans l’écriture de votre livre ? Comment a-t-il été accueilli par les éditeurs, auprès de la presse (générale, spécialisée jeunesse, gaie et lesbienne), auprès du milieu scolaire ?
 Les maisons d’édition jeunesses auxquelles j’ai envoyé mon projet n’ont pas donné suite. Deux maisons dites « gaies et lesbiennes » étaient intéressées. J’ai choisi celle qui avait déjà commencé une collection jeunesse. La presse gaie lui a fait très bon accueil, et récemment, à l’occasion d’un dossier global sur les livres jeunesse abordant les thématiques liées à l’homosexualité, Citrouille a chroniqué le livre. À part ce journal interne aux librairies jeunesse, la presse généraliste ou jeunesse ne s’y est pas intéressé : Paco est édité aux Éditions Gaies et Lesbiennes. Rien que le nom, ça fait fuir les journalistes !

 Comment vos lecteurs ont-ils accueilli ce livre en particulier ? Lors de rencontres avec vos jeunes lecteurs, quelles sont leurs réactions relativement à ce livre, notamment par rapport à la thématique altersexuelle ?
 Je ne peux pas m’exprimer sur ce propos, à mon grand regret. Les jeunes lecteur-trices que j’ai rencontré-es sur ce sujet avaient déjà plus ou moins intégré la notion de famille homoparentale avant de le lire.

 Selon vous, que doit apporter aux jeunes lecteurs le fait d’aborder une question altersexuelle ?
 Pour certain-es, l’opportunité d’élargir leur esprit, de déconstruire leurs certitudes. Pour d’autres, une alternative. Des réponses.

 Quels sont vos projets ?
 Continuer d’écrire.

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 Voir un article de Cécile Bailly sur la littérature jeunesse.

 Entrevue recueillie en mars 2006 par Lionel Labosse


Voir en ligne : Blog « génération arc-en-ciel »


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