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Rabelais, Marie-Paule Belle, Auto-Moto, Auto-Plus

Peut-on se moquer des Parisiens ?

Corpus et corrigé de synthèse de CGE BTS 2e année sur le thème « Paris, ville capitale ? »

samedi 2 mars 2024, par Lionel Labosse

J’ai élaboré ce corpus qui permettra de confronter des auteurs d’envergure diamétralement opposée. Qu’aurait pensé François Rabelais d’Annie Dingo et de ses votations démocratiques à 6 % de participation ? Le bon sens, qui a déserté Paris et la presse de grand chemin, a pris ses quartiers en province, voire à la campagne, et dans la presse automobile. Voici le corpus, suivi d’un corrigé.

Document 1. François Rabelais (1483(?)-1553), Gargantua (1534), Chapitre XVII : « Comment Gargantua paya sa bienvenue aux Parisiens et comment il prit les grosses cloches de l’église Notre-Dame » (extrait). Ce conte philosophique raconte les mésaventures du géant Gargantua, appelé à régner sur un royaume réduit en fait à la dimension d’un village situé dans la région de Chinon (commune située dans le département d’Indre-et-Loire, en région Centre-Val de Loire). Pendant son enfance, Gargantua part pour Paris avec son précepteur et ses domestiques, pour voir comment étudient les jeunes gens de la capitale (éd. La Pléiade, p. 48 ; orthographe modernisée). Attention : l’illustration de Robida ci-dessous ne fait pas partie du corpus.

« Gargantua compisse les Parisiens » (1886), Albert Robida (1848-1926).
© Wikicommons

« Ils le poursuivirent si importunément qu’il fut contraint de se reposer sur les tours de l’église Notre-Dame. De ce lieu, voyant tant de gens autour de lui, il dit clairement : « Je crois que ces maroufles [1] veulent que je leur paye ici ma bienvenue et leur offre un don. C’est juste. Je vais leur donner pourboire. Mais ce ne sera que par ris [2]. »
Alors, en souriant, il détacha sa belle braguette et, tirant son membre en l’air, les compissa [3] si violemment qu’il en noya deux cent soixante mille quatre cent dix-huit. Sans les femmes et les petits enfants. Quelques-uns d’entre eux échappèrent à ce déluge d’urine en fuyant à toutes jambes et quand ils furent au plus haut du quartier de l’Université, suant, toussant, crachant et hors d’haleine, ils commencèrent à blasphémer et à jurer, les uns de colère, les autres par ris : « Carymary, Carymara ! Par sainte Mamie, nous sommes baignés par ris ! », d’où la ville fut depuis nommée Paris, laquelle on appelait auparavant Leucece [4]. Comme le dit Strabon [5], dans le livre IV. C’est-à-dire en grec, Blanchette, pour les blanches cuisses des dames dudit lieu.
Suite à cette nouvelle imposition du nom, tous les assistants jurèrent chacun les saints de sa paroisse : les Parisiens, qui sont faits de toutes sortes de gens et de toutes pièces, sont par nature et bons jureurs et bon juristes, et quelque peu outrecuidants [6]. Dont Joaninus de Barranco estime sur ce point, dans son livre De l’abondance des marques de respect, que les Parrhésiens [7] sont appelés ainsi en grec parce qu’ils sont fiers parleurs ».

Document 2. « La Parisienne » (1976), chanson composée et interprétée par Marie-Paule Belle (née en 1946), sur des paroles de Françoise Mallet-Joris et Michel Grisolia.

Lorsque je suis arrivée dans la capitale
J’aurais voulu devenir une femme fatale
Mais je ne buvais pas, je ne me droguais pas
Et n’avais aucun complexe
Je suis beaucoup trop normale, ça me vexe
Je ne suis pas parisienne
Ça me gêne, ça me gêne
Je ne suis pas dans le vent
C’est navrant, c’est navrant
Aucune bizarrerie
Ça m’ennuie, ça m’ennuie
Pas la moindre affectation
Je ne suis pas dans le ton
Je n’suis pas végétarienne
Ça me gêne, ça me gêne
J’n’suis pas karatéka
Ça me met dans l’embarras
Je ne suis pas cinéphile
C’est débile, c’est débile
Je ne suis pas M.L.F. [8]
Je sens qu’on m’en fait grief
M’en fait grief
Bientôt j’ai fait connaissance d’un groupe d’amis
Vivant en communauté dans le même lit
Comme je ne buvais pas, je ne me droguais pas
Et n’avais aucun complexe,
Je crois qu’ils en sont restés tout perplexes
Je ne suis pas nymphomane
On me blâme, on me blâme
Je ne suis pas travesti
Ça me nuit, ça me nuit
Je ne suis pas masochiste
Ça existe, ça existe
Pour réussir mon destin
Je vais voir le médecin
Je ne suis pas schizophrène
Ça me gêne, ça me gène
Je ne suis pas hystérique
Ça s’complique, ça s’complique
Oh dit le psychanalyste
Que c’est triste, que c’est triste
Je lui dis je désespère
Je n’ai pas de goûts pervers
De goûts pervers
Mais si, me dit le docteur en se rhabillant
Après ce premier essai c’est encourageant
Si vous ne buvez pas, vous ne vous droguez pas
Et n’avez aucun complexe
Vous avez une obsession : c’est le sexe
Depuis je suis à la mode
Je me rôde, je me rôde
Dans les lits de Saint-Germain
C’est divin, c’est divin
Je fais partie de l’élite
Ça va vite, ça va vite
Et je me donne avec joie
Tout en faisant du yoga
Je vois les films d’épouvante
Je m’en vante, je m’en vante
En serrant très fort la main
Du voisin, du voisin
Me sachant originale
Je cavale, je cavale
J’assume ma libido
Je vais draguer en vélo
Maintenant je suis Parisienne
J’me surmène, j’me surmène
Et je connais la détresse
Et le cafard et le stress
Enfin à l’écologie
J’m’initie, j’m’initie
Et loin de la pollution,
Je vais tondre mes moutons
Et loin de la pollution,
Je vais tondre mes moutons
mes moutons, mes moutons.

Document 3. « Le maire d’un village ridiculise Anne Hidalgo et le vote à Paris sur les SUV », Sylvain Gauthier, Auto-Moto, 7 février 2024. Article en réaction à une « votation » [9] qui a eu lieu le 4 février 2024 à Paris.

Alors que les élus parisiens vont tripler le prix du stationnement pour les voitures jugées trop lourdes (SUV [10]…), suite à une votation peu suivie ce 4 février, un maire a décidé de riposter. Il a pris un arrêté pour faire payer le stationnement des véhicules des conseillers municipaux de Paris, dans sa commune. Un moyen de "répondre à l’absurde par l’absurde" selon lui.
Est-ce ce qu’on appelle le karma ? Toujours est-il qu’alors que les élus parisiens viennent, entre autres mesures autophobes, de décider de tripler le prix du stationnement pour les voitures jugées trop lourdes, un maire du Loiret [11] a décidé de répliquer, à sa façon…
Ugo Planchet, édile de Saint-Aignan-le-Jaillard, a pris un arrêté pour rendre payant le stationnement… des conseillers de Paris, dans sa municipalité ! Mis en place ce mardi 6 février, ce dernier a, naturellement, une portée humoristique. Il s’agit de tourner en ridicule le vote organisé ce dimanche dans la capitale. Y en avait-il vraiment besoin ?
Pour parfaire le sujet, le maire a publié un arrêté municipal basé sur "l’article n°42 du Code de l’Absurdité Publique des Collectivités Territoriales". La mesure s’applique "dès qu’un conseiller municipal de Paris tentera de se garer dans notre charmante commune".
Ceci est mis en place "toute l’année, sans exception, à tous les types de véhicules des conseillers municipaux de Paris, à l’exception des trottinettes, qui sont formellement interdites de stationnement sur le territoire de la commune".
Lourde peine pour les contrevenants…
Le prix du stationnement est calqué sur celui qui sera mis en place dans la capitale à la rentrée. En revanche, les sanctions seront visiblement différentes… et bien plus joyeuses !
En effet, tout contrevenant "devra présenter des excuses publiques à tous les citoyens de Saint-Aignan-le-Jaillard et offrir une tournée générale au bar le plus proche". De quoi promettre de belles soirées, pour les habitants !
À noter qu’un tarif spécial est aussi prévu. Cela concerne les vélos de plus de 10 kg des conseillers municipaux. Le tarif sera triplé le 29 février de chaque année bissextile. Attention, ça va vite chiffrer.
Un taux de participation "non-négligeable" de 0,16 %
Le tout a été mis en place au terme d’un "vote démocratique auquel une personne s’est exprimée", détaille Ugo Planchet sur sa page Facebook. De quoi refléter "un taux de participation non négligeable de 0,16 %, et un résultat 100 % favorable à la mise en place d’un tarif de stationnement spécifique aux conseillers municipaux de la ville de Paris".
Le tout est, naturellement, "à partager sans modération pour dénoncer l’absurdité de la mairie de Paris". Le vote parisien (le vrai, celui voulu sérieux) a, en effet, été suivi par… 5,68 % de citoyens. Seuls 78 121 des plus de 1,3 million d’inscrits sur les listes électorales, ont donné leur avis. Et seuls 42 000 d’entre eux penchaient en faveur du triplement du tarif du stationnement pour les SUV.
Un taux de participation ridicule, pour une votation coûtant pas moins de 400 000 euros (plus de cinq euros par votant). Ce qui n’empêchera pas la mairie de Paris d’appliquer son projet dès la rentrée. Et Emmanuel Grégoire, premier adjoint de la mairie de Paris, d’assurer que le nombre de votants était "extrêmement important". Il en faut peu, pour être heureux…

Document 4. « DS embarque un système d’intelligence artificielle capable de tailler la bavette [12] ». Dessin de CireBox, Autoplus n° 1838, novembre 2023.

« DS embarque un système d’intelligence artificielle capable de tailler la bavette »
© CireBox, Autoplus n°1838, novembre 2023

Proposition de synthèse rédigée.

Tout ce qui est en gras entre crochets doit être supprimé de la copie ; ce sont des indications pédagogiques.

[Introduction] [accroche] Depuis le XVIIIe ou le XIXe siècle, Paris est créditée à l’étranger du surnom de « Ville Lumière ». Cependant cette lumineuse réputation universelle est depuis des lustres écornée par les Français eux-mêmes, quelque peu jaloux, voire honteux, du succès de leur capitale. [présentation des documents] Les 4 documents de ce corpus constituent des critiques de Paris provenant de la France même. François Rabelais consacre le Chapitre XVII de Gargantua (XVIe siècle) à une visite mémorable du héros éponyme de son conte philosophique à Paris. Marie-Paule Belle se moque dans sa chanson « La Parisienne » (1976), sur des paroles de Françoise Mallet-Joris et Michel Grisolia, des mœurs parisiennes. Les documents 3 et 4 sont issus de deux magazines automobiles de parution récente, respectivement Auto-Moto et Autoplus. Sylvain Gauthier présente dans « Le maire d’un village ridiculise Anne Hidalgo et le vote à Paris sur les SUV » la réaction d’un maire de village face à une votation parisienne, et le dessinateur CireBox propose un dessin satirique à propos de Paris intitulé « DS embarque un système d’intelligence artificielle capable de tailler la bavette ». [problématique] Dans quelle mesure la dérision contribue-t-elle à l’aura d’une capitale ? [annonce du plan] Nous verrons d’abord ce qui fait de Paris la capitale de la France, puis les rapports que cette capitale entretient avec le reste de la France, avant de recenser les moqueries contre Paris et les Parisiens.

[Développement] [1re partie du dvt : ce qui fait de Paris la capitale de la France] Si Paris est une capitale, c’est d’abord parce qu’elle est la ville la plus importante à la fois en nombre d’habitants et en attractivité. Le géant Gargantua, tout comme la narratrice de la chanson de Marie-Paule Belle, montent à la capitale, selon l’expression consacrée, l’un pour y observer les étudiants, l’autre pour s’y installer sans raison particulière, tandis que dans le dessin, l’automobiliste semble venir à Paris dans un but touristique, ce qui témoigne de l’attractivité de la ville. Rabelais dénombre une population impressionnante qui entoure son protagoniste, et Sylvain Gauthier mentionne plus d’un million d’électeurs, ce qui constitue sans doute le record de France. Mais une capitale c’est aussi le siège politique, législatif et intellectuel. Rabelais évoque le quartier de l’Université, institution rare dans la France d’alors, qui attirait les provinciaux. Grâce à cette Université, les Parisiens se caractérisent par leur faculté de bien s’exprimer ; ils constituent l’élite selon la chanson, qui évoque aussi des institutions ou des mouvements sociaux qui se concentrent à Paris. Les politiques décidées à Paris donnent le ton à la province, et le maire évoqué dans le document 3 calque sa décision sur celle de Paris, qui constitue le centre de la vie démocratique. Enfin, Paris est une capitale parce qu’elle abrite les monuments emblématiques de la France, comme Notre Dame sur laquelle s’assied Gargantua et les monuments visibles sur le dessin de CireBox, sans oublier les quartiers réputés comme Saint-Germain dans la chanson. Même à l’époque de Lutèce, la réputation de ce qui n’était alors qu’un bourg allait jusqu’aux Grecs.
[2e partie : les rapports que cette capitale entretient avec le reste de la France]. La capitale influente qu’est Paris entretient des rapports avec le reste de la France. L’affaire de la taxation des SUV venus de l’extérieur évoquée par le document 3 est emblématique d’une ville qui pille le reste de la France, par son endettement extraordinaire évoqué dans le dessin de presse. Le rejet des voitures et les « travaux partout » évoqués par les documents 3 et 4 sont considérés comme un rejet des provinciaux, qui sont davantage concernés que les Parisiens, utilisateurs de transports en commun. L’image satirique et scatologique de Gargantua urinant sur les Parisiens qu’il traite de voleurs pour leur « offrir un don », peut être considérée comme une métaphore de la captation des richesses de la France par cette capitale dépensière. C’est une pluie d’or dont se régalent les Parisiens ! Le maire du document 3 éprouve le besoin de répliquer du tac-au-tac à la « votation » parisienne, et exige un contre-don pour récupérer ce que Paris prend à la province. Les codes qui s’imposent à toute la France sont décidés à Paris, et les provinciaux n’ont que l’humour pour répondre à ce qu’ils estiment absurde. Pour Marie-Paule Belle, Paris donne le ton au reste de la France ; son personnage ne songe qu’à suivre la mode parisienne. Et dans une circularité significative, l’écologie est accaparée par les Parisiens, qui semblent donner le « mouton » en plus du ton à la province ! Paris est un centre symbolique, qui répond à un centre géographique. Est-il significatif que ce soient des habitants du centre de la France comme Gargantua et le maire d’une commune rurale du Loiret, qui donnent des leçons aux Parisiens ? CireBox évoque même Papeete, ville de Tahiti, la région la plus éloignée de France, qui semble aussi phagocytée par la capitale, et son véhicule pénètre à Paris par l’autoroute qui provient de l’Ouest de la France.
[3e partie : les moqueries contre Paris et les Parisiens] Ces rapport de Paris avec le reste de la France peuvent aller jusqu’à la moquerie. Dans Gargantua, la moquerie atteint l’extrême de la scatologie, mais elle est redoublée par le ridicule des victimes, qui rient de leur humiliation et acceptent qu’elle engendre le nom de leur capitale : « par ris ». Les Parisiens sont vus comme « outrecuidants », et des gens qui parlent pour ne rien dire, ce que confirme le document 3, dans lequel est ridiculisée la fatuité d’un adjoint de la ville qui se vante d’une votation démocratique alors que la participation était ridicule, exactement comme recevant de la pisse, les Parisiens croient recevoir de l’or ! Le dessin aussi dénonce l’absurdité de la ville qui chasse les voitures au profit d’« autoroutes à vélos quasi vides ». De même qu’ils se vantent finalement de cette pluie infamante en en tirant le nom de leur ville, les Parisiens tirent une fierté d’être réputés pour leurs femmes aux mœurs légères, évoquées à la fois par allusion dans le texte de Rabelais et très directement dans la chanson, qui détaille à plusieurs reprises les « goûts pervers » des Parisiens, que ce soit l’échangisme ou le travestissement. Dans la chanson, cela va de pair avec les problèmes psychologiques, qui nécessitent parfois de consulter un médecin ou un psy.

[Conclusion] [bilan] En conclusion, si le statut de Paris comme capitale est justifié jusque par le fait qu’on l’estime digne de critique, Paris semble donner le ton à la France, que ce soit jugé positif ou vécu comme étouffant, et se moquer des Parisiens en retour semble être un sport national depuis des lustres, qui fait de son goût du vice une vertu. [élargir le champ] La pérennité des critiques sur Paris ne doit pas nous aveugler et nous laisser croire qu’une réputation puisse être éternelle. À force de mépriser et de surtaxer ceux-là même qui l’admirent, à force d’être aveugle à la pluie non pas d’urine mais de saleté, de rats, de travaux qui ternissent de plus en plus sa réputation, la ville de Paris ne risque-t-elle pas de perdre un jour ou l’autre son aura de ville Lumière pour n’être plus qu’une ville d’ombre ?

Corpus et corrigé réalisés par Lionel Labosse. Ce document a une teneur de 0 % en « Intelligence artificielle ». C’est du fait cerveau !


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[1Maroufle : maraud, voleur.

[2Ris : rire. « Par ris » constitue un jeu de mots pour « Paris ».

[3Compisser : asperger d’urine.

[4Leucece : ancien nom de Paris, sous la forme « Lucotèce », utilisée par Strabon.

[5Strabon (-63 - +23) : géographe et historien grec né à Amasée (Turquie actuelle).

[6Outrecuidants : prétentieux, présomptueux, qui a une haute idée de lui-même.

[7Parrhésiens : graphie qui désigne les Parisiens par le mot rare d’origine grecque « Parrhésie », qui désigne la liberté de langage, privilège des citoyens athéniens de prendre la parole à l’Assemblée et de dire tout ce qu’ils pensent.

[8M.L.F. : Mouvement de Libération des Femmes, né dans les années 1970 en France.

[9Votation : consultation des électeurs sur un sujet particulier. Pratique suisse récemment utilisée à Paris.

[10SUV : sigle pour « sport utility vehicle », « tout-terrain de loisir » ou « véhicule utilitaire sport ».

[11Loiret : département français (45) de la région Centre-Val de Loire.

[12Tailler une bavette : bavarder.