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De Paganini à Eminem

De la Musique à toute vitesse : les 6 morceaux de la liste du Bulletin officiel.

Thème BTS « À toute vitesse ! » et « De la musique avant toute chose ? »

samedi 21 novembre 2020, par Lionel Labosse

À l’occasion de la mise au programme des thèmes de BTS « À toute vitesse ! » et « De la musique avant toute chose ? », voici dans ce premier article, quelques éléments de cours sur les 6 morceaux de la liste du Bulletin officiel sur le thème « À toute vitesse ! ». Je précise d’emblée que je ne sais pas lire la musique ni jouer d’un instrument ; je suis juste un peu mélomane ; mais ne sera-ce pas le cas d’une grande partie des enseignants de Culture générale et expression en BTS pour le thème « De la musique avant toute chose ? », alors lançons-nous ! Certains passages de ce cours sont paraphrasés d’articles de Wikipédia.

Les 6 morceaux de la liste du Bulletin officiel

Voyons d’abord les 6 morceaux que nous propose le Bulletin officiel, par ordre chronologique :

1. Niccolo Paganini, Caprice n° 24.
Il s’agit du 24e, dernier et plus célèbre des Vingt-quatre caprices pour violon (1819) de Niccolo Paganini (1782-1840). Dès son plus jeune âge, Paganini est un virtuose du violon. Il apprend la composition, et s’il n’a pas inventé chacune des techniques modernes du violon qui caractérisent ses œuvres, il les a réunies et systématisées, d’où la réputation de virtuosité de ses compositions pour certaines réputées injouables pendant longtemps, désormais passage obligé de tout violoniste en quête de notoriété.
Écoutons­ – et voyons – donc ce Caprice n° 24 interprété par le violoniste Kevin Zhu (né en 2000) au festival Paganini de Gênes en oct. 2018.

On peut apprécier aussi « La campanella », 3e et dernier mouvement (rondo à la clochette) du Concerto pour violon n° 2 en si mineur, opus 7 (1826). Le rondo est une forme musicale, basée sur l’alternance entre une partie récurrente (parfois appelée refrain) et des épisodes contrastants (parfois appelés couplets), ceci indépendamment du tempo. Le rondo est souvent utilisé pour le dernier mouvement d’une pièce musicale. Voir le « Blue Rondo a la Turk » dans le 2e cours.


2. Nikolaï Rimski-Korsakov (1844-1908), Le Vol du Bourdon.
Rimski-Korsakov est particulièrement connu et apprécié pour son utilisation de thèmes extraits du folklore populaire ou des contes, ainsi que pour ses remarquables talents en orchestration, qui lui valent souvent le titre de « magicien de l’orchestre ».
Le Vol du bourdon est un interlude orchestral écrit en 1899-1900 pour l’opéra Le Conte du tsar Saltan. Il clôt le premier tableau de l’acte III, juste après que le cygne magique a donné au fils du tsar, le prince Gvidon Saltanovich, les instructions pour se métamorphoser en insecte afin de rejoindre son père. Bien que dans l’opéra le cygne chante durant la première partie du Vol, sa partie est mélodique et facilement omise lors de l’interprétation du Vol du bourdon en pièce de concert. Le Vol du bourdon est reconnaissable à son rythme effréné lorsqu’il est joué au tempo, avec des montées et descentes chromatiques de doubles croches presque ininterrompues. La difficulté de l’interprétation ne vient pas de la hauteur ou de la gamme des notes jouées mais de l’habileté du musicien à les enchaîner rapidement.
Adaptée pour de nombreux instruments, le Vol du bourdon est devenu un gage de virtuosité pour instrumentistes, le défi étant de le jouer le plus vite possible. Écoutons-le ci-dessous joué par Katica Illényi et un orchestre, mais si vous voulez le voir dans son jus, interprété uniquement par l’orchestre dans l’Opéra, c’est entre 1h32’ et 1h34’ dans cette vidéo de l’opéra entier. Et si l’on visionne un peu plus loin, le thème du bourdon est un leitmotiv qui accompagne son retour dans l’histoire, par ex. à 1h35. Enfin pour scotcher vos étudiants, il y a l’interprétation agaçante de la virtuose Yuja Wang au piano, pas plus rapide que le violon, mais le vol des doigts entre les touches est plus spectaculaire sans doute, ça donne des démangeaisons.

3. Sergueï Rachmaninov (1873-1943), Concerto pour piano no 3 (1909).
Sergueï Rachmaninov est un pianiste virtuose et compositeur russe naturalisé américain. Le Concerto pour piano no 3 de Rachmaninov en ré mineur, op. 30 fut créé par le compositeur en 1909 à New York. Il est considéré comme l’une des partitions les plus difficiles du répertoire du fait de l’extrême virtuosité technique exigée du pianiste. Son exécution complète dure 37 à 43 minutes en moyenne. Écoutons-le ci-dessous joué par le jeune pianiste russe Alexander Malofeev (né en 2001), accompagné par le Russian National Youth Symphony Orchestra. La vidéo dure 43 minutes (avec présentation). Il est troublant d’admirer cet éphèbe imberbe (17 ans au moment de la captation) et magnifique habité par la musique, accompagné par tout un orchestre lui-même assez jeune. La musique est un peu comme le sport, contrairement aux sciences, un domaine où l’on peut exceller jeune et décliner par la suite (ou, contrairement au sport, rester au top). Le 1er mouvement dure 17’40 dans cette version. C’est finalement ce que je propose de tenter de visionner avec les étudiants, en négociant avec eux la torture morale digne d’un tortinnaire nazi que constitue le fait d’imposer plus d’un quart d’heure de musique classique à des djeunes !


4. Arthur Honegger (1892-1955), Pacific 231 (1923).
Il s’agit du premier des trois mouvements symphoniques écrits par le compositeur. La pièce est issue de la musique d’accompagnement du film La Roue (1923) d’Abel Gance. Il s’agit d’un parcours musical classique à bord de la célèbre locomotive à vapeur éponyme. Le morceau imite divers bruitages grâce aux instruments de l’orchestre symphonique : grincements de ferraille et fuites de vapeur rendus par les glissandi d’instruments aigus (violons), lourdeur du train au démarrage rendue par les instruments graves (cuivres), grand bruit de la pleine vitesse (tutti orchestral), fracas violent du freinage (percussions). Il y a de plus un aspect répétitif des bruits de roues à différentes allures, Honegger simulant l’aspect de rotation par des croches/triolets ou doubles-croches longuement répétés, l’accélération du train grâce à des valeurs rythmiques en diminution (valeurs de plus en plus courtes), puis la décélération du train par la technique opposée, c’est-à-dire l’augmentation des valeurs rythmiques (valeurs de plus en plus longues). L’utilisation du bruit dans la musique en tant que recherche maximale des possibilités sonores s’imposera dans la deuxième partie du XXe siècle, surtout dans la musique électroacoustique, qui, par contre, abandonnera les instruments de musique au profit des objets-instruments, des bruits du quotidien et des sonorités électroniques. Pacific 231 préfigure la musique répétitive, c’est-à-dire avec une forte composante rythmique plus que mélodique, encore qu’on puisse facilement isoler plusieurs thèmes mélodiques, ce qui annonce Steve Reich (cf. infra). La pièce musicale dure 7’ (source Wikipédia).
Le réalisateur Jean Mitry (1904-1988) en tire en 1949 un court métrage (9 min 53 s) Pacific 231, qui met en scène la locomotive à vapeur Pacific 231 E 24 « Chapelon » :

Comme dispositif pédagogique, je proposerais à la limite de profiter du fait que l’œuvre est brève pour commencer par une audition de la musique (avec vidéo de l’interprétation par l’Orchestre philharmonique de Radio France en passant le générique de début) pour demander aux étudiants si ça leur évoque quelque chose. Puis on pourrait passer au film de Jean Mitry pour réfléchir aux procédés cinématographiques corrélés à la musique (position de la caméra, montage, angle de prise de vue, travelling sur… rails, panorama, avec des images de paysages qui rappelleront les propos de Marc Desportes, plan débullé…).
On peut s’étonner à voir ce film que des inventions comme la plaque tournante, et des gares de triage avec un nombre de voies impressionnant, soient si anciennes.
La scène de générique et de début de Zazie dans le métro de Louis Malle Pourrait prolonger la réflexion. On peut en visionner les génériques de début et de fin sur cet extrait à l’image pourrie. Ne pas rater le coup de sifflet initial de la musique.

5. Steve Reich (né en 1936), Different trains (1988).
Steve Reich est un pionnier du courant de la Musique minimaliste ou répétitive. Il a notamment expérimenté le Phasing (déphasage en français), qui intéresse la question de la vitesse puisqu’il s’agit de superposer deux sources musicales, bandes enregistrées ou instrumentistes, en jouant sur le décalage de vitesse d’exécution. Clapping Music (1972) exploite le rythme de claquements de mains et a été adaptée en chorégraphie sous le titre Fase (1982) par Anne Teresa De Keersmaeker (née en 1960), et par Benjamin Millepied. On peut le voir interprété par le musicien ci-dessous (à droite, durée 5’). En 2020 les percussionnistes de Radio-France l’exécutent pour les soignants (2’).

Au programme du BO pour notre thème figure Different trains (1988), œuvre pour quatuor à cordes et bande magnétique. Steve Reich met en parallèle son expérience d’enfant de parents divorcés, dont le père vit sur la côte est des États-Unis à New York et la mère sur la côte ouest à Los Angeles et qui devait fréquemment de 1939 à 1942 prendre le train pour aller d’une ville à l’autre au cours d’un voyage de trois jours —, avec la mémoire des déportés d’Europe convoyés dans les trains vers les camps de concentration. L’œuvre intègre des enregistrements d’entretiens réalisés spécialment, et non de simples bandes magnétiques retravaillées, procédé de « mélodie du discours ». Le compositeur alterne, en trois mouvements, bruitages évoquant les trains (sirènes, crissements), modifications de cordes, et enregistrements de témoignages familiaux et historiques des témoins de cette époque. La composition utilise en partie le concept de répétition, marque des œuvres de Steve Reich. Les interviews, enregistrées dans les années 1980, sont composées de celles de la propre gouvernante de Steve Reich, Virginia Mitchell, d’un porteur de bagages de la ligne New York-Los Angeles, Lawrence Davis, et de survivants de la Shoah (Rachella, Paul et Rachel). L’exécution de Different Trains dure environ 27 minutes, mais les transitions entre les mouvements sont peu perceptibles, sauf entre les 2e et 3e mouvement (vers la 17e minute) (source Wikipédia).
1. America – Before the War (9’)
2. Europe – During the War (7’ 30’’)
3. After the War (10’ 30’)
Un des principes de base de la composition est l’imitation par le quatuor de la « mélodie du discours » des personnes interviewées. Reich transpose la musique des voix enregistrées en notation musicale qu’il donne à jouer au quatuor à cordes en quatre partitions différentes. Le montage est alors effectué grâce à des samplers sur les enregistrements pour donner l’œuvre finie. Steve Reich adapte en 2000 une version pour grand orchestre de quarante-huit instruments. Écoutons et visionnons une version par le London Contemporary Orchestra en Septembre 2017.

6. Eminem (Marshall Bruce Mathers III, né en 1972), « Rap God » (2013).
Ce morceau d’une durée de 6 minutes est fameux pour contenir à partir de 4’25 à peu près, un « flow » de 101 mots en 16 secondes, soit 6,3 mots par seconde, ce qui en fait un des couplets les plus rapides au monde. Comme dit l’autre, ça m’en touche une sans faire bouger l’autre, mais cela passionnera nos étudiants. Le clip est réalisé par Rich Lee.

Voici les paroles de ce flow en question, avec la traduction française et les notes explicatives puisées sur La Coccinelle :

« Lyrics coming at you at supersonic speed, [1]
Les paroles t’arrivent à une vitesse supersonique
Uh, sama lamaa duma lamaa you assuming I’m a human
Uh, sama lamaa duma lamaa [2], tu supposes que je suis humain
What I gotta do to get it through to you I’m superhuman
Je dois faire quoi pour que ce soit clair je suis un super-humain
Innovative and I’m made of rubber
Innovant et fait de caoutchouc
So that anything you say is ricocheting off of me and it’ll glue to you
Donc tout ce que tu dis ricoche sur moi et se colle sur toi
I’m devastating, more than ever demonstrating
Je suis dévastateur, plus que jamais démonstrateur
How to give a motherfuckin’ audience a feeling like it’s levitating
Voila comment donner à un putain de public l’impression de léviter
Never fading, and I know the haters are forever waiting
Jamais dépassé, et je sais que les rageux attendent toujours
For the day that they can say I fell off, they’ll be celebrating
Le jour de ma chute pour la célébrer
Cause I know the way to get ’em motivated
Car je sais comment les motiver
I make elevating music, you make elevator music
Je fais une musique qui s’élève, tu fais de la musique d’ascenseur [3] ».

En contrepoint, voici un clip de la chanson « Spigoli » de Davide Mattei, jeune rappeur italien, et le début d’un article du Monde qui souligne une tendance au ralentissement du tempo dans le rap :
Tha Supreme, le rap à l’heure des vitesses aléatoires
Numéro un en Italie, le premier album du jeune Davide Mattei, qui mêle lenteur et brusques saccades, est synchrone avec l’air du temps.
Une montre à gousset se liquéfie, façon Dali. À ses côtés figurent un disque compact, un téléphone à clapet, Bugs Bunny… Si la pochette de son premier album est saturée de vestiges du siècle dernier, Tha Supreme est bel et bien de ce millénaire – qui le lui rend bien, grazie. Intitulé 23 6451, le disque affole les chronos depuis sa sortie, le 15 novembre. Numéro un selon tous les tops que compte la Botte, aucun disque italien n’a été plus « streamé » dans les vingt-quatre heures suivant sa publication. Son auteur, Davide Mattei pour l’état civil, n’a que 18 ans. Si l’on se fie à la presse transalpine, il poursuit sa croissance à Fiumicino, dans la périphérie romaine.
Serait-ce l’aéroport alentour qui lui aurait filé la bougeotte ? Premiers morceaux troussés dès 12 ans, adieux à l’école trois ans plus tard, collaborations avec le gratin du rap rital, de Salmo à Mahmood : le galopin galope à fond de train. Et incognito. L’unique interview qu’il a accordée, au webzine Vice, remonte à avril 2018. Quant à ses vidéoclips, ils le représentent sous la forme d’un personnage de cartoon, blouson noir et sweat violet à capuche, coiffé d’une auréole de saint et de cornes de diablotin.
Ne pas croire, cependant, que ses chansons épousent ce rythme endiablé. Pour l’essentiel, elles sont synchrones avec leur époque, qui a vu les tempos ralentir à lenteur grand L depuis près d’une décennie. Selon les calculs de l’informaticien américain Yakov Vorobyev, le tempo moyen des 25 chansons les plus écoutées sur Spotify a chuté de 23 battements par minute entre 2012 et 2017. Les exégètes y vont chacun de leur explication : réaction dialectique aux rappeurs dont le « débit mitraillette » a scandé le début des années 2000, d’Eminem à Jay-Z ; montée en puissance de genres particulièrement nonchalants, comme le reggaeton ; recours endémique à des logiciels permettant d’étirer les notes et les voix, façon Auto-Tune ; goût croissant des musiciens pour certains narcotiques, de la codéine à la marie-jeanne…
Il suffit d’examiner les hit-parades de plus près, cependant, pour se rendre à l’évidence : les lièvres y sont aussi représentés que les tortues. Les années 2010 ont défilé à des vitesses aléatoires ; plus que jamais, les métronomes battent des mesures contradictoires. À la vélocité de Migos répondent les assoupissements de Drake, à la fièvre de Nekfeu réplique l’apathie de PNL. Même topo, mêmes tempos boiteux du côté des films et des séries : sur les écrans, les vrombissements des bolides le disputent aux mugissements des zombies. Le protagoniste engourdi de la troisième saison de Twin Peaks est démenti par les super-héros frénétiques des franchises hollywoodiennes. Le retour en grâce des ralentis, qui font flotter The Irishman, The Dead Don’t Die, Phantom Thread ou Parasite dans des limbes atemporelles, coïncide avec la célérité des scènes d’action mainstream.
[La suite de l’article n’est disponible que pour les abonnés.]

 Passons à notre 2e cours : « De la Musique à toute vitesse ou à toute lenteur ».

Lionel Labosse


© altersexualite.com, 2020
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[1Référence au rappeur Fabolous qui a fait cette remarque en parlant du chanteur de RnB Ray J.

[2Référence au groupe américain J.J Fad et sa musique Supersonic.

[3Jeu de mots entre « elevating music », musique qui élève l’âme et l’esprit et « elevator music », musique d’ascenseurs.