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Au pays de la quarantaine et des Chevaliers de l’Ordre
Notes de voyage à Malte
De Malte AOC : fièvre, oranges & bichons !
samedi 25 avril 2020, par
En cette « annus horribilis », dernières vacances possibles avant le corona-confinement, je me suis offert un séjour d’une semaine pour visiter l’essentiel de Malte, le plus petit (en superficie) des États de l’UE (316 km2 contre 2586,4 km2 pour le Luxembourg) [1]. Je ne savais quasiment rien de l’île, même si quelques connaissances m’avaient parlé des tableaux de Caravage. Voici donc en exclusivité rien que pour vous quelques notes de voyage & de lecture sur cette petite île (enfin ces deux îles) d’où 7000 ans d’histoire nous contemplent. Par quoi commencer ? Peut-être par ordre chronologique ? On pourrait partir de l’aéroport, par provocation, car il se trouve que j’y ai remarqué un progrès sensible dans l’ambiance, dont j’ai parlé dans cette brève. Mais je conçois que pour le touriste lambda il est difficile de reconnaître qu’un voyage commence avant d’avoir posé le pied sur l’île paradisiaque objet de notre désir, donc emboitons le pas de l’homme du néolithique, puis nous causerons arts & lettres, entre gens bien élevés, tant qu’à être confinés.
Plan de l’article
Malte préhistorique
Malte au Moyen Âge
Histoire de Malte en bref
Principaux monuments de La Valette
Autres lieux touristiques
Langue, folklore & curiosités
Fièvre, oranges & bichons de Malte
Du Faucon de Malte au Faucon Maltais
Les deux Chevaliers de Malte, documentaire de Prosper Jardin & Philippe Guyard, et roman de Roger Peyrefitte.
Malte préhistorique
C’est un aspect que j’ignorais complètement avant le voyage : Malte comprend sur son minuscule territoire, des temples préhistoriques parmi les plus imposants de la planète. Le premier que j’ai visité est le complexe néolithique de Hagar Qim (en fait « Ħaġar Qim », mais nous traiterons la question linguistique plus loin). On y fait connaissance, au milieu des pierres dressées (anastylose ou mise à jour de temples préservés sous la terre, je ne saurais dire), de « passages d’oracle » (trou permettant à l’oracle d’annoncer la météo entre deux pages de pub), de statues gigantesques dont les originaux sont conservés au musée archéologique de La Valette, et en ce qui concerne ce 1er site, du plus gros mégalithe de l’île, une pierre de 7 m de long pesant 20 tonnes (voyez mes photos). En contrebas, le site de Mnajdra, à peine moins ancien, est également bâti sur un plan-type à 3 absides placardé sur les sites, permettant d’aligner les astres aux équinoxes ou aux solstices, dans le plus pur style Aventuriers de l’arche perdue. Un chouia plus récents (début de l’âge du bronze), les temples de Tarxien présentent des motifs ornementaux en relief dans les pierres, et des copies de statues à contempler au musée. Mais le plus ancien site de Malte serait celui de Ġgantija, sur l’île de Gozo, qui ravirait la palme de l’ancienneté à nos sites bretons. Pour le commun des mortels, ce sont de grosses pierres tout juste bonnes à nous faire verser une larme sur le regretté Albert Uderzo. Tous ces temples sont abrités par d’immenses vélums financés par l’UE, qui permettront à nos arrière-petits-enfants (enfin, je compte sur vous) de les contempler entre deux pandémies. Au sud de l’île également se trouve Misraħ Għar il-Kbir, un des sites principaux de ces mystérieuses ornières creusées dans la roche à l’âge de bronze (2000 avt J.-C.), qu’on surnomme « Clapham Junction » par analogie avec la gare de triage de Londres. Intérêt faible. Le gâteau de la visite de Malte préhistorique se surmonte d’une cerise par le musée archéologique de Malte, dont la pièce emblématique est la « Sleeping lady », statuette tirée de l’hypogée de Ħal Saflieni, un site souterrain qui ne se visite que sur réservation longtemps à l’avance pour un nombre réduit de personnes.
Moyen Âge
Le Moyen Âge propose aussi ses curiosités. Il faut savoir que notre ami saint Paul, Paul de Tarse pour les intimes, lors de son dernier périple touristique de Césarée à Rome (où était prévue une décollation de bienvenue), fit une petite halte imprévue à Malte pour des raisons indépendantes de la volonté de la compagnie maritime qui le convoyait. Le blog intitulé « Actes des apôtres » au chapitre 28 et dernier, relate ce joyeux séjour de la catégorie « trek aventures » : « Une fois hors de danger, nous avons appris que l’île s’appelait Malte. Les autochtones nous ont témoigné une humanité peu ordinaire. Allumant en effet un grand feu, ils nous en ont tous fait approcher, car la pluie s’était mise à tomber, et il faisait froid. Paul avait ramassé une brassée de bois mort et la jetait dans le feu, lorsque la chaleur en a fait sortir une vipère qui s’accrocha à sa main. À la vue de cet animal qui pendait à sa main, les autochtones se disaient les uns aux autres : « Cet homme est certainement un assassin ; il a bien échappé à la mer, mais la justice divine ne lui permet pas de vivre. » Paul, en réalité, a secoué la bête dans le feu sans ressentir le moindre mal. Eux s’attendaient à le voir enfler, ou tomber raide mort ; mais, après une longue attente, ils ont constaté qu’il ne lui arrivait rien d’anormal. Changeant alors d’avis, ils répétaient : « C’est un dieu ! » »
Ce tour de magie sera immortalisé sur l’île par d’innombrables peintures, vitraux, écussons, bas-reliefs sur des portes, fontaines, etc. Au centre de l’île, la ville de Rabat (ou « Ir-Rabat ») présente un impressionnant réseau de catacombes datant de l’époque romaine (IVe et Ve siècles), exploitées jusqu’au XIIe siècle. On y admire des « tables d’agapes » où l’on descendait pour honorer les défunts, éclairés par des lampes à huile. La ville voisine de Mdina, « la cité silencieuse », peu peuplée la nuit, propose quelques voutes médiévales ainsi qu’une domus romana du Ier siècle abritant un musée archéologique et des mosaïques bien conservées.
Histoire de Malte en bref
Il semble y avoir eu lors des périodes glaciaires, un contact avec la Sicile, et des peuplements d’animaux préhistoriques qui se sont spécifiés lors de la montée des eaux, en espèces naines (hippopotames, éléphants) dont des squelettes ont été retrouvés. La présence humaine daterait de 5200 avant J.-C. (cf. ci-dessus). Il y aurait eu un hiatus entre la fin des grands temples vers -2500 et l’âge du bronze, symbolisé sur la frise chronologique du musée archéologique de La Valette que j’ai prise en photo, par une ligne grise avec des points d’interrogation. L’Histoire de Malte antique révèle un archipel convoité du fait de sa position stratégique, par les Phéniciens dès le Xe siècle avant J.-C., puis (ou en même temps que) les Grecs, les Carthaginois, enfin les Romains. Deux étymologies sont proposées selon Jacques Godechot, auteur d’un Que sais-je ? sur l’histoire de Malte (1971) cité par Wikipédia pour le nom de Malte : soit le vocable sémitique « malàt » (refuge, port), soit le grec « meli » (miel) ou « melita » (abeille). La 1re hypothèse semble désormais privilégiée. En 395 lors du dernier partage de l’Empire romain, Malte passe sous le contrôle de l’Empire romain d’Orient, et malgré la légende du naufrage de Saint-Paul à Malte, les premières traces archéologiques du culte chrétien dateraient du IVe siècle. Le Moyen Âge aurait connu d’abord une période barbare au Ve et VIe siècle, puis byzantine jusqu’en 870, puis arabe jusqu’en 1091, qui laissera sa langue à l’île ; normande pendant 4 ans, après qu’ils eurent vaincu les Arabes, puis c’est le Saint-Empire romain germanique, Hohenstaufen, puis Angevins, puis Aragonais, ce qui nous mène à 1530, alors que les corsaires et les Ottomans se partagent Malte. Charles Quint offre l’île aux Hospitaliers de l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem, qui en jouiront mais devront la défendre, pour la modique somme d’un faucon symbolique par an, d’où le roman et le film. Ce ne sont pas les chevaliers qui instaurent la quarantaine à Malte, ni qui l’inventent en Méditerranée. Wikipédia nous apprend que la quarantaine maritime aurait d’abord existé à Raguse (Dubrovnik) au XIVe siècle, aussitôt imitée par Venise, avec le chiffre de 40 jours, tiré d’Hippocrate, puis se serait répandue dans tous les ports méditerranéens, puis européens, notamment contre la peste ; mais pour gagner l’Angleterre en venant du Lavant, la quarantaine faite à Malte était suffisante. À Malte, c’est en 1643 seulement que le lazaret trouve sa place définitive sur l’île Manoel et dans son fort qui existe encore, reliée à la côte par une passerelle. La quarantaine est parfois doublée à 80 jours pour la cargaison. Il était interdit de pêcher dans les eaux de quarantaine, et d’y pécher aussi pour mesdames les prostituées. La durée de la quarantaine variait selon le nombre de jours que le bateau avait déjà passés en mer, et aucun titre n’exemptait personne. Un Corsaire ayant menti sur ce point, et caché qu’il avait fait une escale et eu des morts à bord, fut condamné à mort. La quarantaine s’effectue seulement dans le sens est-ouest. Elle est globalement efficace, ce qui rassure les voyageurs. Pour purifier les objets, papier, argent, marchandise, on utilise l’air pur, le vinaigre, le feu. À l’heure où j’écris ces lignes, la question revient à l’ordre du jour pour la pandémie de coronavirus. Le professeur Raoult, auditionné par le Sénat, évoque le lazaret contre le « confinement » utilisé par la plupart des gouvernements occidentaux incapables, je cite : « Les isolements ont été faits sur un mode de quarantaine et non pas sur un mode de Lazaret, que nous connaissons bien à Marseille. Nous savons à Marseille, depuis plusieurs siècles, que le Lazaret (on isole les malades) a un intérêt (comme les avaient les sanatoriums) mais que la quarantaine (on confine tout le monde) ne fonctionne pas (elle consiste à enfermer des gens contagieux avec des non contagieux) et il se passe ce qui s’est passé sur les bateaux comme le Diamond Princess ou le Charles de Gaulle qui sont des exemples typiques de ce qu’est le confinement sans test préalable. »
Le règne des chevaliers (sur lequel nous reviendrons en fin d’article) prendra fin brusquement avec le Débarquement français à Malte, puisque Bonaparte y passera un séjour aussi long que le mien, du 11 au 19 juin 1798, sauf qu’après lui, le déluge. Le 5 juin 1800, les Français rendent Malte aux Britanniques, et cela jusqu’en 1964. Bonaparte n’a pas forcément eu le temps de laisser un mauvais souvenir, et l’on admire à la Casa Rocca Picola, maison de Chevalier toujours habitée, un jeu d’échecs à l’effigie du général corse, dans un bric-à-brac qui le fait côtoyer les mules du pape. Le processus d’indépendance de Malte commence en fait après la Seconde Guerre mondiale, mais l’indépendance au sein du Commonwealth est acquise en 1964, puis la République de Malte est proclamée le 13 décembre 1974 ; enfin les derniers soldats & fonctionnaires britanniques quittent l’île le 31 mars 1979, date considérée comme la véritable indépendance, rappelée par une pierre gravée sur la façade du palais du grand maître, rue de la République. La future reine Elizabeth II avait séjourné à Malte à plusieurs reprises entre 1949 et 1951, le duc d’Édimbourg étant stationné dans le protectorat britannique de Malte du fait de son rôle d’officier dans la Royal Navy.
Principaux monuments de La Valette
La Basilique Notre-Dame-du-Mont-Carmel crève les yeux quand vous regardez La Valette depuis l’ouest, avec son dôme de 42 m qui est en fait une œuvre moderne, l’église ayant été reconstruite après la Seconde Guerre mondiale par l’architecte Joseph (Guze) Damato. La skyline de Malte vue depuis la promenade des Anglais côté Sliema, je veux dire l’embarcadère du ferry, est un des panoramas emblématiques de Malte. Si ce dôme écrase le panorama occidental, la Co-cathédrale Saint-Jean de La Valette est sans doute le monument majeur de la ville. On y admire les pierres tombales ornées de danses macabres, têtes de morts et tout ce qui s’ensuit, les fresques ornant les plafonds, les sculptures ornant les tombes des chapelles dans le plus pur style baroque. Et puis on admire, dans une chapelle, les deux œuvres du Caravage, la Décollation de Saint Jean-Baptiste, son plus vaste tableau je crois, peint en 1608 deux ans avant sa mort, et qui n’aurait jamais quitté cet emplacement, et Saint Jérôme écrivant, peint en 1607, à l’histoire un peu plus chaotique. La décollation vous fige par le détail du coutelas dans le dos du bourreau, censé permettre de découper le reste de peau que l’épée n’a pas totalement détachée du corps, un peu façon rasoir Gillette à deux lames ! Après, à chacun de voir ce qu’il préfère, mais je trouve une similitude de composition avec la version maniériste antérieure d’un demi-siècle de Daniele da Volterra qu’on verra à la fin de cet article. Transmission de pensée, à peine ai-je terminé la rédaction du 1er jet de cet article (qui m’a pris des semaines de travail, faut-il préciser ?), l’amie Isabelle m’envoie une vidéo d’un spectacle de tableaux vivants d’après Le Caravage, qui présente le Saint-Jean-Baptiste ! Il s’agit d’une compagnie Ludovica Rambelli qui s’est spécialisée dans ce genre de spectacle, qui me rappelle La Ricotta de Pier Paolo Pasolini.
Les Chevaliers ont laissé d’innombrables monuments, à commencer par les sept auberges correspondant à chaque langue hospitalière (parfois en double, à Il-Birgu, l’une des Trois Cités antérieures à La Valette), à commencer par l’auberge de Castille, qu’on ne peut pas manquer à l’entrée de la vieille ville. Les 6 autres « langues » sont Langue de Provence (où l’on causait aussi français), d’Auvergne, d’Espagne, d’Italie, d’Allemagne et d’Angleterre. Je n’ai pas pu visiter le palais du grand maître, qui était en travaux, mais son musée de l’armurerie et sa collection de heaumes, sweet heaumes et de canons vraiment canon.
Comme Prague a David Černý, La Valette ne s’enorgueillit pas assez d’abriter les œuvres d’un grand sculpteur méconnu, en la personne d’Antonio Sciortino (1879-1947), qui passa les dix dernières années de sa vie à Malte, après avoir fait carrière à Rome jusqu’en 1936. Dans le Jardin du Haut-Baracca, qui domine les Trois Cités depuis l’entrée sud-est de La Valette, on peut admirer Les Gavroches, un groupe de 3 enfants inspiré par Victor Hugo. À l’entrée de la ville à Floriana, le Christ roi (1913) précède la statue des Tritons. Mais c’est au Musée national des Beaux-arts (MUZA) de La Valette (installé dans l’ancienne auberge d’Italie) que sont exposées ses œuvres les plus originales. Une salle est consacrée aux chefs-d’œuvre futuristes d’Antonio Sciortino, avec souvent une version en plâtre et une en bronze. Speed (1937 ?) représente deux chevaux avec leurs cavaliers (on distingue même quatre têtes humaines pour deux chevaux, comme s’il s’agissait d’une performance de cirque) comme amalgamés par la vitesse, moderne centaure ; c’est celle qui est la plus renseignée sur Internet, même si j’ai eu beaucoup de mal à trouver une datation que j’indique sous réserve. Je n’ai trouvé qu’un seul document sérieux sur ce sculpteur, une contribution en format PDF d’un certain Sandro Debono, pour un symposium de 2016. La statue que le musée a placée le plus en hauteur s’intitule Lindbergh on eagle, elle représente l’aviateur au bras dressé saluant l’Europe, juché sur un aigle, et l’on ignore la date de l’œuvre, forcément postérieure à 1927. Cette photo que je vous en propose sera sans doute la seule bien visible disponible sur Internet. C’est à se demander ce que foutent les gens avec leurs smartphones et leurs réseaux sociaux, si des œuvres à ce point originales et anciennes demeurent inconnues quand n’importe quel crétin voit sa trombine répliquée en millions d’exemplaires en quelques clics. Pour Malte, cette sculpture pourrait renouveler la légende du faucon, avec un vrai aigle !
Une autre, plus classique, est intitulée Arab horses. Dangerous sport (1937) représente une cavalière armée d’une lance qui s’apprête à frapper une sorte de lion. Cette œuvre spectaculaire a été choisie pour orner une pièce commémorative de 50 € d’un programme européen. Je parle aussi de ce sculpteur dans l’article « Du cheval au cheval de fer et au cheval-vapeur ».
Sur la promenade de front de mer à Sliema on peut admirer les œuvres d’un autre sculpteur-architecte plus récent, Richard England (né en 1937), avec par exemple White shadows (2002), sculpture en pierre évidée représentant quatre personnages qui se tiennent par la main. L’une des sculptures les plus célèbres de Malte, car récemment restaurée et sauvée de l’oubli, est la fontaine des Tritons de Vincent Apap, qui date des années 1950 mais a été remise en service et rénovée pour La Valette capitale européenne de la culture en 2018. Retournons au MUZA pour y admirer une collection de peintures remarquable. La Vue de La Valette et des trois cités (1733), de Giuseppe Caloriti (1681-1737) est un des rares plan en perspective cavalière que j’ai trouvé ressemblant à la perception que l’on peut avoir de l’original.
Il est vrai que la forme de cette partie de l’île est immédiatement reconnaissable. On s’y habitue vite et l’on devient familier des ferries (ou barques privées à peine plus chères) qui permettent de traverser les baies côté est ou ouest, sauf que lors des pics touristiques, cela doit être infernal. J’ai eu la chance de visiter l’île en février, c’est-à-dire en tout début de saison, mais lors du week-end du carnaval, les ferries étaient pleins, donc il m’est arrivé d’attendre le bus plus d’une demi-heure, et tous étaient combles, puis au moment où je me décidais à partir à pied, j’en voyais passer trois ou quatre complètement vides. Bref, là-bas comme ailleurs, les écolos sont bien gentils, mais on comprend que quasiment tous les Maltais aient leur propre voiture dès l’âge de 18 ans. Retournons au Muza ! Un Décollement de Saint Jean-Baptiste (1645) du caravagiste Matthias Stom (1600-1650) est bien digne du maître, dont il reprend l’idée du petit couteau qui parfait le travail de l’épée. Vous en trouverez une meilleure photo que la mienne sur Getty images. Juste à côté, Judith règle sans barguigner son compte à Holopherne (1624), sous le pinceau de Valentin de Boulogne (1591-1632), là c’est peut-être la peinture la plus célèbre du musée, et la salope n’y va pas avec le dos du coutelas, comme quoi Roman Polanski a bien eu raison de ne pas se rendre aux Césars ! Juste à côté, dans le même genre si tu ne me tues, c’est donc mon frère, c’est Abel & Caïn (1620), de Giuseppe Vermiglio (1585-1635), dont j’avais admiré le terrifiant Yaël et Siséra à la Pinacothèque Ambrosienne de Milan. Ça ne vous suffit pas ? Alors le Martyre de Sainte Agathe de Giovanni Baglione (1566-1643) est pour vous, mais je vous suspecte de voir derrière cette œuvre une allégorie de Polanski se vengeant d’une hyène de garde !
Vous pouvez terminer (ou commencer) la visite de la ville par le Fort Saint-Elme, le bastion situé à la proue de la ville et qui l’a protégée depuis l’époque des chevaliers. Il contient un musée pédagogique de la guerre. On peut y admirer une sculpture moderne de quatre chevaliers médiévaux en bronze, dont je n’ai pas pu retrouver l’auteur sur Internet. Il suffit que j’oublie d’en noter un pour que personne ne l’ait fait, et pourtant j’en oublie peu, et je donne sur ce site des centaines de ce genre d’informations pratiques…
Autres lieux touristiques
Les Trois Cités se visitent dans la foulée de La Valette, d’abord en mini-croisière pour apprécier la vue d’ensemble, puis en rejoignant Birgu par car ou ferry depuis La Valette. La plupart des guides manquent d’esprit pratique, il faut donc que je vous explique : il ne s’agit pas du tout des trois petites péninsules qui font face à La Valette, mais des deux plus au sud des 4 péninsules, auxquelles s’ajoutent la cité de Bormla (dont l’autre nom est Cospicua), qui s’étend au fond du petit golfe qui sépare Isla (dont l’autre nom est Senglea) de Birgu. Quand vous savez que chacune de ces putain de cités a un autre nom plus ancien, il y a de quoi devenir chèvre. Bref, la tour de guet ou « gardjola » (sorte de poivrière débordant des murailles) du fort Saint-Michel de Senglea est célèbre à cause de la grosse oreille et du gros œil sculptés dessus. Le musée maritime de Birgu (dont l’autre nom est Vittoriosa) propose ses trésors, scaphandres, figure de proue,
Le Sanctuaire Sainte-Marie-de-l’Assomption de Mosta (1833-1860) est fameux pour son immense dôme de 37 m de diamètre intérieur, qui conserve la trace du passage d’une bombe qui en 1942, le traversa et tomba à l’intérieur de l’église sans exploser. C’est évidemment un miracle qui sans contestation aucune prouve l’existence de Dieu, qui adore jouer à la roulette russe avec les bombinettes dont il lui plaît de saupoudrer la surface de la terre… J’ai adoré dans cette église, une peinture impossible à identifier qui représente la décollation de Saint-Jean-Baptiste. Contrairement à la version inconfortable du Caravage, dans cette version, le savoir-vivre de la religion est mis en avant : de façon à éviter au condamné comme au bourreau toute douleur lombaire pendant cette décollation, un piédestal de pierre permet à Saint-Jean de poser sa tête, et le bourreau n’a qu’à trancher sans se baisser. C’est-y pas beau, une religion qui prend soin de ne pas vous faire mal au dos pendant les exécutions ? Il y a même un assistant-bourreau à gauche qui pourrait aider à détacher la tête, au cas où le titulaire s’y prendrait comme un manche.
Isabelle, à qui décidément rien n’échappe, me fait remarquer que le Saint-Jérôme du Caravage se nique le dos en écrivant sur une table basse, qui m’assure-t-elle est au mobilier intérieur ce que la vérole est au bas clergé (je ne garantis pas le verbatim) ; c’est que ce saint est en pleine macération, il expie en mode Ikea les péchés de ses frères ! Plaisanterie mise à part, le dôme de Mosta se voit d’à peu près partout dans l’île, et je l’ai même photographié depuis l’avion au retour à travers le hublot. Il paraît que tous les alcoolos de Malte se disent que tant qu’ils peuvent repérer à travers leur pare-brise le dôme de Mosta, ils peuvent toujours s’en jeter un petit dernier. Non loin, la ville de Mdina s’apprécie en panorama car elle est surélevée dans la verdure, de même que depuis ses remparts on contemple toute l’île. C’est une ville peu peuplée, déserte la nuit mais très touristique le jour pour apprécier ses rues étroites ainsi que celles de la ville limitrophe de Rabat, avec ses catacombes. La Cathédrale Saint-Pierre-et-Saint-Paul de Mdina est celle qui partage son statut avec la co-cathédrale de La Valette. Elle possède une belle coupole à tambour sur pendentifs avec fresques, et des pierres tombales de marbre polychrome. Comme plusieurs églises de Malte, elle exhibe une particularité superstitieuse : la présence de deux horloges, dont une qui affiche une heure fantaisiste, histoire de « tromper le diable ». Son musée propose entre autres, une belle illustration en peinture du miracle de la vipère de Saint-Paul (cf. photo ci-dessus).
L’un des trésors de ce musée est une collection de gravures d’Albrecht Dürer, dont un Calvaire avec les trois croix dont j’ai enrichi ma collection de Crucifixions, car le motif des soldats se partageant la tunique du Christ y est représenté. J’en ai repéré d’autres avatars moins canoniques, comme dans la station X des chemins de croix, ici par exemple dans l’église Saint-Georges de Victoria, sur l’île de Gozo, avec la devise suivante : « diviserunt vestimenta ejus ».
Parlons un peu de Gozo, après avoir évacué la troisième île, Comino (3 km2), accessible aux touristes seulement en été, dont on ne voit depuis le ferry que la Tour Sainte-Marie. Son nom proviendrait du cumin. À l’extrémité ouest de Gozo, la Fenêtre d’Azur était une sorte d’arche, curiosité touristique qui s’effondra d’un coup le 8 mars 2017, sans que, entre la partie de cartes et le pastis, les gardes locaux aient le temps de prendre une photo ! Il reste une mare pompeusement intitulée « mer intérieure ». Le chef lieu de l’île est Ir-Rabat, qu’on appelle plutôt Victoria, pour ne pas la confondre avec la Rabat de l’île principale. On visite la citadelle, qui renferme la Cathédrale Notre-Dame-de-l’Assomption de Gozo, dont le parvis présente deux statues de papes, dont Jean-Paul II. À l’intérieur j’ai remarqué un reliquaire spécial : un mannequin de sainte renfermant son squelette, que l’on peut voir à travers un hublot sur le haut du torse, et un autre sur le pied ! Une rotonde en trompe l’œil est bluffante : j’ai dû jeter discrètement un œil en sortant pour vérifier qu’il n’y avait vraiment pas de coupole, et que le toit était rasibus !
Langue, folklore & curiosités
La langue nationale est le maltais, qui partage avec l’anglais le statut de langue officielle et avec l’italien celui de langue courante (parce qu’on capte la TV italienne). Rattaché à l’arabe maghrébin, le maltais appartient à la famille des langues sémitiques. C’est la seule langue sémitique parmi les 24 langues officielles de l’Union européenne. Elle est transcrite à l’aide d’un alphabet basé sur l’alphabet latin, enrichi de diacritiques comme le point suscrit ou la barre inscrite, utilisés par exemple dans le nom des temples de « Ħaġar Qim ». Elle est proche de l’arabe tunisien. On peut en avoir un aperçu en visionnant Le Cochon de Gaza, de Sylvain Estibal, film tourné à Malte en arabe, alors que l’île est un véritable plateau de tournage de cinéma et de télévision. Pour vous donner une idée de la difficulté de cette langue, je vous propose une première leçon, d’après une de mes photos de plaque de rue : que signifie d’après vous « Trik il-kwartier San Martin », sachant que « trik », c’est la rue ?
Malte est connu pour quelques particularités, que l’on peut présenter sous forme de liste, parmi ce que j’ai pris la peine de photographier :
– les balcons fermés en pierre d’abord puis en bois, quand il a été plus facile d’en importer, le bois étant rare sur l’île, sont une caractéristique majeure de l’île, au point que des subventions permettent dorénavant de les préserver des ravages de l’urbanisation sauvage. Vous en trouverez un historique complet et de nombreuses illustrations sur ce site. On pourrait les appeler oriel ou bow window ou fenêtre en baie, mais les guides maltais froncent les sourcils et n’acceptent aucun vocable existant pour désigner l’absent de toute architecture que constituent leurs balcons à eux. Alors on vous explique que bow window c’est quand la fenêtre est arquée, etc. Mais cinq minutes après, le même guide vous expliquera que « quarantaine » peut signifier un isolement de 13, 20, 26 ou 80 jours (pour le coronavirus, les astrologues de la médecine ont opté pour 14). Pour ne pas créer d’incident diplomatique, vous ne cuistrerez pas en arguant qu’il arrive assez souvent que le sens étymologique d’un mot se soit estompé au fil des années, voire des siècles ; que même dans l’espace d’une vie humaine, on peut voir le mot « quartier » par exemple, changer totalement de sens… L’esprit de clocher lui, n’a qu’un nom ! En observant ces balcons dans les quartiers moins touristiques de La Valette, on se rend compte aux habits qui sèchent dessus, qu’il reste de l’habitat social et des foyers modeste dans la vieille ville, et l’on repense au Christ ci-dessus : « diviserunt vestimenta ejus ». On s’en doute d’ailleurs, car c’est un endroit inaccessible à aucun transport en commun (et l’on se demande donc comment il se fait que l’ancien train n’ait pas été réhabilité pour faire un accès dans le cœur de la ville). Les voitures peuvent quand même accéder, mais sans passer par les rues piétonnières hyper-touristiques.
– les heurtoirs et boutons de portes en cuivre ou autres matières sont magnifiques. Figures plus ou moins mythologiques ou folkloriques ; souvent des couples de dauphins. N’écoutant que mon narcissisme, j’ai réalisé une œuvre photographique dont le génie n’a d’égal que la modestie, sobrement intitulée « Autoportrait au bouton de cuivre ».
– les petits bateaux de pêche multicolores, très photogéniques, et que l’on repeint semble-t-il chaque année.
– les pratiques sociales un peu rétrogrades. Par exemple, les deux principaux partis politiques, le Parti travailliste (Partit Laburista) et le parti nationaliste (Partit Nazzjonalista) disposent dans chaque ville d’un bar dédié où se réunissent leurs partisans. Ce que je n’ai pas bien compris c’est si les fameux band’s clubs ou sociétés philarmoniques ont aussi une coloration politique ou non. En tout cas j’ai photographié l’entrée de l’un de ces clubs, dans un village. On voit encore des fontaines publiques où les gens font leur linge. Enfin c’était à Gozo, île réputée pour être Malte vingt ans en arrière… et il y a encore un peu d’artisanat.
– J’ai eu la chance d’assister aux défilés bon enfant du carnaval 2020. Pendant quelques jours, les chars de facture identique défilent dans les rues sur un parcours fort simple et géométrique. Ils stationnent autour de la place des Greniers de Floriana, devant Église Saint-Publius. Floriana est la ville qui sépare la ville fortifiée de La Valette du reste de l’île. La place des Greniers se caractérise par un quadrillage de plots d’une vingtaine de centimètres de haut et d’un mètre de diamètre, qui constituaient des points d’accès à des entrepots de grains. Les mêmes existent à la pointe de la cité, devant le fort Saint-Elme. La fête populaire se tient là pendant le carnaval, avec des jeux pour les enfants, des stands de bouffe, etc. Les différents chars accompagnés des groupes s’ébranlent lentement vers la vieille ville, parcourant le circuit incontournable de Merchant street à Republic street pour ressortir de la ville ; il n’y a pas le choix. L’entrée de la ville a été redessinée par Renzo Piano à l’occasion de sa désignation comme capitale européenne de la culture 2018. Ce qui est amusant est que comme à Venise avec le pont de la Constitution, des projets très récents chapeautés par les institutions européennes font fi de tout équipement pour l’accessibilité des handicapés. C’est ainsi que les majestueux escaliers de Renzo ne comportent pas de rampe. Il est également étonnant qu’il n’ait tiré aucun parti de l’ancien tunnel de la ligne de chemin de fer La Valette – Mtarfa.
Les danses de groupe du carnaval se déroulent au centre de la vieille ville, sur la place de la République, où des gradins sont installés. Chaque quartier ou village je crois représente sa danse en costumes, tout en sirotant de la bière. Puis on rejoint lentement la place des greniers en dansant, en papotant, en selfiant et en buvant force bière.
– Bâtiment. Je suis davantage attentif à ce domaine depuis que j’enseigne dans un lycée spécialisé dans le bâtiment. Malte est surpeuplée pour une île aride, très peu boisée. Son dynamisme économique dû à sa situation stratégique au cœur de la Méditerranée, et donc au cœur du commerce maritime entre Afrique, Europe, Asie et Amériques, fait qu’elle accueille un grand nombre de cadres d’entreprises européennes qui contribuent à faire grimper les prix de l’immobilier. Ajoutez à cela un dynamisme touristique du fait de son grand intérêt culturel, y compris comme lieu d’élection de l’enseignement de l’anglais, et cela vous donne un boom immobilier qui se traduit par des floraisons anarchiques de constructions. On n’hésite pas à surélever ou à augmenter en hauteur ou en largeur n’importe quel bâtiment. Par exemple l’hôtel où je logeais, à Sliema, au bord de la mer, était en train d’être doublé horizontalement, sans que la déjà vaste salle de restauration le soit, ni la minuscule piscine-spa du sous-sol. Et partout on voit des chantiers de prolongation en hauteur, au-dessus de bâtiments en fonctionnement.
– Économie. Une usine de Playmobil fait parler d’elle en exposant des figurines géantes à l’effigie des chevaliers. C’est étonnant qu’on ait installé une telle usine sur cette île pauvre en ressources naturelles. Le port est l’activité majeure de l’île, et une activité millénaire, vu la situation stratégique. On y entretient des navires ou des plate-formes pétrolières, et les navires touristiques ou commerciaux y font halte, déchargent leurs cargaison de touristes ou de containers, qui sont redistribués sur d’autres navires pour organiser le trafic maritime nord-sud ou est-ouest. Un cargo de Chine peut répartir à Malte sa cargaison entre Afrique, Europe et Amériques. À une portée de canon de La Valette, les grues multicolores organisent leur ballet.
– En ce qui concerne la vie gay, voici le peu que j’ai pu récolter. Avec l’entrée dans l’UE, il semble que Malte soit entrée dans la modernité morale, chose étonnante pour un pays qui est à la fois le seul État de langue sémitique en Europe et dans l’UE, et un pays extrêmement catholique. Le fameux guide Spartacus, fidèle à son habitude, au lieu de signaler que d’anciens bars gays ont fait faillite, les a purement et simplement rayés de ses listes, de sorte que j’ai perdu du temps à essayer en vain de retrouver les deux endroits dont il restait de vagues traces sur Internet. C’est pourtant étonnant que dans une île assez prospère et très touristique, il n’y ait pas de quoi faire vivre un seul commerce gay. Donc cher lecteur gay, pour éviter de perdre du temps, le seul et unique endroit pour des rencontres à Malte en dehors peut-être de plages l’été, est l’espèce de vaste terrain en glacis à l’ouest de la Porte des Bombes, qui ponctue l’entrée de la ville à Floriana. C’est à proximité de nombreux arrêts de bus, et je vous laisse découvrir ça tout seul. Sinon, ça doit être le royaume des applis, mais je suis hors compétition pour ce genre de choses. Lors du carnaval, j’ai photographié une publicité amusante d’un pub proposant à ces dames de garder leur mari (« husband day care center ») le temps de faire le shopping. Je suspecte une pub subliminale pour établissement gay friendly ! À Floriana (qui n’est que l’avant La Valette) j’ai aussi photographié un passage piétons « rainbow flag » qui témoigne peut-être d’une attitude des autorités plutôt bienveillante. Cette bienveillance, hélas, n’évite pas les écueils du politiquement correct et du délire « LGBTQI+ ». C’est ainsi que les toilettes du musée archéologique, au lieu d’afficher simplement « toilettes unisexe », arboraient ce panonceau d’un ridicule achevé :
Puisqu’il est question des lieux, disons que Malte est sans doute avec la France l’un des pays de l’UE les plus pauvres en chiottes publics dignes de ce nom. Les édiles semblent avoir émargé aux mêmes officines de la boboïtude inefficace et m’as-tu-vu que nos énarques bien de chez nous. Ah on en a de belles toilettes automatiques à piè-pièces qui ont marché pendant un ou deux mois après leur inauguration il y a cinq ans… on en a. Mais des toilettes publiques simples, propres, en grand nombre, pour que les innombrables touristes puissent évacuer le trop plein de ce qu’ils consomment en devises sonnantes et odorantes, que nenni ! J’en ai photographié une dûment fermée d’une chaîne, en pleine journée. Alors conseil : pendant les heures d’ouverture, allez au MUZA, dont les toilettes se situent avant l’entrée payante, ou au magasin Marks & Spencer, dans le centre. Quant aux fast-food, n’y pensez pas : pris d’assaut ! Quand on pense que ce pays a été quasiment fondé par les fondateurs de l’hygiène moderne, on songe à la dégénérescence dont se rendent coupables les édiles de la soi-disant Europe moderne… Prendre un putain de décret ordonnant à tout pays membre de l’UE d’avoir dans chaque commune, tant de toilettes gratuites dignes de ce nom par nombre d’habitant, avec du SAVON pour éviter les épidémies, c’est vraiment au-dessus de leurs force à ces incapables ?
Fièvre, oranges & bichons de Malte
Outre ses fringants Chevaliers, Malte est connue pour avoir donné son nom à trois spécialités locales, j’ai nommé la fièvre, les oranges & les bichons de Malte. Hélas pour les amateurs d’anecdotes, ces trois spécialités sont usurpées et sont à peu près aussi maltaises que les capotes sont anglaises et la branlette espagnole ! Le Bichon maltais est une race très ancienne, qui date, avec son nom, de l’Antiquité. Le nom aurait la même étymologie que l’île, c’est-à-dire « lieu sûr ». Avec sa petite taille et sa robustesse, ce chien-chien à sa matrone était répandu dans les ports et dans les navires, où il se montrait utile en chassant les rongeurs. Peut-être a-t-il été répandu à partir de l’île de Malte, qui était déjà à l’époque antique, un port de commerce entre Orient & Occident. Voyez sur ce site spécialisé. Quant à l’orange maltaise, elle a sans doute encore moins à voir avec l’île. Cette appellation dont l’origine se perd dans la nuit des temps, désigne deux variétés d’oranges, cultivées actuellement principalement en Tunisie. Il n’y a pas ou presque pas de culture d’agrumes à Malte ; peut-être y en a-t-il eu dans les siècles passés, ou bien c’est un botaniste de l’île qui aurait créé cette variété ? Bref, l’orange maltaise est à Malte ce que le melon charentais est à la Charente. La fièvre de Malte ou Brucellose, si elle n’est pas spécifique à l’île, y a du moins été découverte. D’abord dénommée fièvre de Chypre, de Gibraltar, du Rocher, de Crimée, fièvre napolitaine, méditerranéenne, elle doit son nom au médecin militaire David Bruce (1855-1931), affecté à Malte avec son épouse Mary Élisabeth Bruce née Steel (1849-1931), microbiologiste éminente. Ils identifient un germe en 1887, que Bruce nomme Micrococcus melitensis en 1894 (du latin Melita designant Malte). En 1920, le terme générique de Brucella est adopté en l’honneur de Bruce (source : Wikipédia). C’est une fièvre qui se propage de l’animal, notamment des chèvres, à l’homme, raison pour laquelle on a parfois éliminé le cheptel caprin. Chez l’animal, un signe qui ne trompe pas est l’avortement de la femelle. Bien, mes bichons, et si nous causions littérature, maintenant ? Mais pour vous bichonner, voici une exclusivité sur la Toile : « Le Bichon », illustration de Jacques de Sève pour les Œuvres de Buffon.
Les deux Faucons de Malte
Le Faucon de Malte (1929), de Dashiell Hammett et Le Faucon Maltais (1941), de John Huston.
J’avais vu le film jadis, mais j’ai eu la chance de le revoir à la Cinémathèque quinze jours après mon retour, ayant lu le livre entretemps. La présence de Malte est anecdotique et se base sur le tribut réel d’un faucon vivant dont l’île devait faire présent à l’empereur Charles Quint chaque année, comme vu ci-dessus (il y en a qui suivent ! ). Hammett invente le fait suivant : « Eh bien, monsieur, les Hospitaliers se réfugièrent en Crète. Ils y demeurèrent 7 ans, jusqu’en 1530, date à laquelle ils réussirent à persuader l’empereur Charles-Quint de leur céder – Gutman leva trois doigts rosés et gras et compta : Malte, Gozzo et Tripoli. […] Il n’est pas étonnant que les riches chevaliers aient tenté d’exprimer leur gratitude à l’égard de l’empereur en lui envoyant, pour payer le premier tribut, au lieu d’un oiseau vivant, un faucon d’or massif, incrusté, des serres au bec, des pierres les plus précieuses de leurs coffres. C’est ce qu’ils ont fait » (édition Folio, traduction Henri Robillot, p. 135). Dans le livre, Spade le détective demande à sa secrétaire Effie Perine de demander à son cousin historien de vérifier la plausibilité de l’histoire, mais cet épisode inutile est supprimé du scénario au cordeau du film, comme tout le gras de ce polard bavard. Il n’y a strictement rien d’autre qui concerne Malte dans le livre ni le film. Je note que le texte du roman (qui date de 1929) use du placement de produit alcoolique, que j’ai maintes fois remarqué dans le cinéma de cette époque : « Il jeta son chapeau et son pardessus sur le lit, entra dans la cuisine et en ressortit portant un verre et une grande bouteille de bacardi. Il emplit le verre et le vida, debout. Puis, le posant sur la table près de la bouteille, il s’assit sur le bord du lit et roula une cigarette. Il venait de vider son troisième bacardi et allumait sa cinquième cigarette quand la sonnette de la rue retentit » (p. 24). Le film est un chef-d’œuvre rare pour une première réalisation, notamment grâce au casting qui associe à chaque rôle du roman l’acteur qui semble n’être né que pour lui. Sur les quatre pieds nickelés qui courent après cette babiole, les trois hommes constituent des numéros d’acteurs formidables. Sydney Greenstreet incarne au sens propre un Gutman bien en chair, filmé en contre plongé pour accentuer la caricature du roman : « Spade entra : une espèce d’éléphant vint à sa rencontre. Des boursouflures adipeuses défiguraient ses joues roses, ses lèvres, sa bouche et son menton. Son ventre débordait sur son torse comme un œuf énorme, et ses jambes et ses bras pendaient comme de grosses pommes de pin. Il s’avança vers Spade. Toutes les boursouflures de sa figure se mirent à bouger, à trembloter à chaque pas comme une grappe de bulles de savon encore accrochées au chalumeau. Entre deux bourrelets de graisse brillaient ses yeux noirs et porcins » (p. 116). Peter Lorre est également le Joel Cairo parfait selon la traduction brut de décoffrage de Robillot : « – Ce type est pédé, dit-elle.
– Alors, introduis, chérie, introduis, dit Spade.
M. Joel Cairo était un homme brun, de taille moyenne, à l’ossature frêle. Ses cheveux noirs étaient aplatis et brillants. Une bonne bouille de métèque. Un rubis carré, entouré de quatre baguettes de diamants, étincelait sur le vert sombre de sa cravate. Son pardessus noir, ajusté autour de ses épaules étroites, s’évasait légèrement sur les hanches un peu grasses. Son pantalon serrait ses jambes rondes davantage que ne le voulait la mode actuelle. Des guêtres fauves cachaient les tiges de ses bottines vernies. Il tenait dans une main gantée de chamois, un chapeau à bords roulés. Il s’avança vers Spade à petits pas sautillants : une odeur pénétrante de chypre l’escortait » (p. 52). [2]
Lisez une critique décalée amusante sur un site dédié aux cosmétiques. Peter Lorre est effectivement précieux et efféminé, et le dialogue reproduit fidèlement, lors de la rencontre chez Spade avec Brigid, l’allusion directe à son homosexualité : « Nous pourrions peut-être ajouter pour plus de précision ce garçon qui attend dehors.
– Oui, approuva-t-elle en riant. Oui, à moins que ce ne soit celui que vous aviez à Constantinople.
Cairo rougit brusquement.
– Celui que vous n’avez pas réussi à vous envoyer ! glapit-il d’une voix blanche » (p. 79). Ce rôle est pour Peter Lorre la répétition de celui qu’il jouait sept ans auparavant pour Hitchcock dans la première version de L’Homme qui en savait trop. Elisha Cook Jr. est également une parfaite « lopette » ou « tante », plus âgé que l’adolescent du roman. Spade multiplie dans le livre, un peu moins dans le film, les remarques homophobes pour humilier volontairement le gamin. D’ailleurs – et Humphrey Bogart est parfait pour cela – Sam Spade, pour parvenir à ses fins dans son job de détective, joue un rôle ou surjoue constamment.
Pour information, il existe d’autres versions cinématographiques du roman, voir Le Faucon maltais.
Les deux Chevaliers de Malte
J’ai lu intégralement un documentaire pro domo, de Prosper Jardin revu par Philippe Guyard (Les Chevaliers de Malte, Perrin, 1974 et 2002, 390 p., 22,5 €). Le premier auteur était lui-même chevalier de l’Ordre. Le livre retrace l’histoire de l’Ordre, depuis sa fondation à Jérusalem (et même en revenant sur les premiers hôpitaux existants, bien avant les croisades). L’origine se perd dans l’histoire de la conquête de Jérusalem par Godefroy de Bouillon le 15 juillet 1099. Peu de temps avant l’arrivée des Chevaliers avait été fondé un « xenodochium », c’est-à-dire une hôtellerie pour accueillir et soigner les pauvres. Un « monastère des latins » avait été bâti, avec une aile pour les pèlerins malades « dépouillés de tout par les Arabes » (p. 28). Le supérieur en est un certain Gérard, qui expulsé car soupçonné d’aider les croisés, revint après la conquête. Godefroy dote le monastère, et quatre chevaliers croisés répondent à l’appel de Gérard « pour créer un personnel soignant » (p. 29). Et voici cet Ordre, à la fois religieux, militaire et médical. Sous le successeur de Godefroy Baudouin de Boulogne est créé un uniforme, mais je vais passer des épisodes. L’Ordre de Saint-Jean de Jérusalem chassé par Saladin s’installe à Saint-Jean d’Acre, puis à Chypre quand il est chassé de Terre Sainte en 1291. En 1310, les chevaliers s’installent à Rhodes qu’ils ont conquise, et y restent jusqu’en 1523. Une errance de sept années les conduit d’abord à Civitavecchia, puis à Viterbe, Corneto, Villefranche-sur-Mer puis Nice, avant de s’installer à Malte, où l’Ordre se transforme en une puissance souveraine. À noter que jamais l’ordre n’est passé en Crète comme le prétend Dashiell Hammett. Située au milieu de la Méditerranée, Malte est déjà à l’époque de l’Ordre une plaque tournante du commerce maritime et de la peste. Les Chevaliers prennent des mesures de quarantaine drastiques, notamment sur l’île de Manoel pour les navires. Les médecins de l’Ordre se perfectionnent pour traiter toutes les maladies, y compris vénériennes, à la différence près qu’en ce cas seulement les malades paient leur traitement et ne bénéficient pas d’une « permission de maladie avec solde » (p. 115), car les chevaliers ont pour ainsi dire inventé le congé maladie ! L’auteur fait l’éloge de la médecine arabe, qui a bien amélioré la grecque (p. 145). L’Ordre crée une sorte d’« assurance accidents du travail » pour ceux qui exercent leurs talents sur ses bateaux, ainsi qu’une pension pour les veuves & orphelins s’ils meurent en service (p. 153). Sur les bateaux de l’Ordre, « nulle évacuation n’est prévue pour les excréments des forçats rivés à leur poste. Les paquets de mer se chargent par jolie brise de laver les banquettes, puis s’écoulent par la rageole » (p.167). Les maladies vénériennes sont traitées avec la même rigueur que sur terre : « il lui était interdit de recourir aux pommades mercurielles en raison de la toxicité des vapeurs de mercure pour les autres patients de la cabine. L’Ordre, du reste, voyait en leur maladie une punition de coupables amours et répugnait à les traiter » (p. 180). Les esclaves étaient « considérés plutôt comme une marchandise », mais traités « avec l’humanité nécessaire à leur guérison » (p. 188).
« L’Ordre de Malte est sujet de droit international. Il dispose ainsi du droit de législation actif et passif : l’Ordre nomme (et accrédite) des ambassadeurs ou représentants officiels » « capacités de conclure des accords et des traités, le droit de faire des passeports, de battre monnaie et d’émettre des timbres » (p. 215). À la p. 230 est mentionnée une femme membre, « la comtesse Françoise de Waresquiel », mais je n’ai pas noté à part cette personne, que l’ordre fût mixte.
Parmi les nombreuses annexes du livre, j’ai relevé cette règle à respecter à l’hospice : « Les convalescents n’y feront aucun bruit, ils ne joueront ni aux dés, ni aux cartes, ni aux échets ; ils ne liront ni histoires, ni chroniques à haute voix, quoiqu’ils puissent lire tout bas et sans faire de bruit » (p. 306).
Après cette lecture, j’ai entamé puis abandonné à la page 56, un roman du même nom de Roger Peyrefitte (Chevaliers de Malte, Flammarion, 1957, 334 p., épuisé) dont j’avais déjà lu Les Clés de Saint Pierre et Les Amitiés particulières. Il est rare que j’abandonne un livre, mais là je n’en pouvais plus de ces arguties de vieille commère sur les arcanes de l’Ordre, dont il ressort surtout l’affairisme des membres, effaçant toute philanthropie. Un cardinal et un évêque échangent leurs vues sur l’Ordre, avec assaut de sous-entendus érudits exaspérants pour le profane. Contrairement aux usages, l’avant-propos proclame que « Les noms, les dates, les faits, les scènes, les textes cités sont authentiques ». Un dialogue fait ressortir un paradoxe de l’Ordre :
« Le prince Chigi n’est-il pas un religieux plutôt qu’un laïc ? Les profès de l’ordre font les trois vœux.
– Oui, mais sans y ajouter le vœu d’humilité, car ils posent pour condition de vivre avec des gens de leur monde. Ils ont inventé l’habit de religieux le plus succinct qu’il y eût jamais, puisqu’il se limite à la petite croix de profession qu’ils portent à la boutonnière » (p. 9). Le « cardinal Canali » est très intéressé par les prérogatives de l’Ordre : « Ce qui l’eût intéressé, c’était d’avoir sa propre valise diplomatique, alors que le prince Chigi n’en avait jamais voulu, ou d’user plus libéralement des franchises de douane » (p. 13). Les grands-maîtres bénéficient de la plus grande mansuétude de la part du pape : « L’imagination d’Urbain VIII s’était élancée jusqu’à la parthénogenèse et à la génération entre mâles : pour être certain d’avoir tout prévu, il garantissait le baillage de Saint-Sébastien du Palatin aux héritiers « provenant de quelque coït que ce soit, avec la permission de Dieu et de la fragilité humaine ». Sa bulle était datée de l’année où il fit arrêter Galilée, pour avoir osé prétendre que la terre tournait » (p. 54).
Terminons par le petit quatrain que j’ai troussé en carte postale :
« Le très preux chevalier Jeannot de la Valette
En exil de l’Orient, s’il lui plut de faire halte
Sur l’île aux mégalithes autrement dite Malte
Était-ce pas qu’il fût un peu de la manchette ? »
Et voilà pour ce voyage, en espérant que le tourisme reprenne malgré le coronavirus.
Voir en ligne : Mes photographies de Malte sur Comboost
© altersexualite.com 2020
Retrouvez l’ensemble des critiques littéraires jeunesse & des critiques littéraires et cinéma adultes d’altersexualite.com. Voir aussi Déontologie critique.
[1] Pour briller en société, apprenez par cœur la Liste des pays et territoires par superficie.
[2] Il faut préciser que la traduction Robillot que j’ai utilisée a remplacé en 1950 une première traduction politiquement correcte d’Édouard Michel-Tyl parue en 1936. Par exemple, la citation qui suit, « – Ce type est pédé, dit-elle. – Alors, introduis, chérie, introduis, dit Spade » dans la traduction Michel-Tyl, était affadie en « Un drôle de type ! dit-elle. Alors, fais-le entrer, chérie, dit Spade ». Pour les anglophones, voici la version originale : « « This guy is queer, » she said. « In with him, then, darling, » said Spade. » Après vérification, l’adjectif « queer » avait déjà un sens homophobe dès le XIXe siècle, et le mot « punk » utilisé par Spade tout au long du livre, peut tout à fait se traduire par « lopette », car il désigne en gros un gigolo gay. Par contre pour savoir si « In with him » peut avoir eu une connotation homophobe en 1930, il faudrait être bien plus calé que votre humble serviteur ! En tout cas pour ce passage précis, les deux traductions « drôle de type » et « pédé » sont possibles.