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Le pays le plus homophobe du monde
Les élucubrations d’un altersexuel en Iran. Journal de voyage (2)
Et le pays le plus homosexuel du monde…
vendredi 15 août 2008
Après avoir visité la ville la plus altersexuelle du monde, voici le pays le moins altersexuel du monde ! À ma grande honte, je tiens à prévenir les lecteurs potentiels de cette seconde partie qu’ils y trouveront des considérations indignes de leur site favori. Après une première partie consacrée à des généralités déjà passablement olé-olé, l’auteur, toute honte bue, se laisse bercer par l’atmosphère lénifiante d’un pays où le whisky et le gin sont remplacés par des sodas édulcorés ; à l’instar du grand poète Hafez, il régresse à l’état d’adolescent et se pâme d’amour platonique devant des éphèbes de 20 ans [1]. Mais c’est pas ma faute : c’est eux qui ont commencé ; je suis innocent ; c’est seulement qu’il n’y a rien à faire en Iran le soir, aucun loisir, à part péripatétiser là où l’on déambule, et se laisser harponner par le premier Iranien qui se présente, qui s’ennuie tout autant que vous ! Et quand le premier Iranien qui se présente, par la force des choses (population jeune ; âge du mariage élevé, et aucune possibilité de baiser avant le mariage) est un jeunot qui s’ennuie encore plus que ses aînés, et que ce jeunot vous trouve intéressant tout simplement parce que vous jouissez de la qualité exceptionnelle pour lui, et de la chance insigne de n’être pas affublé d’un passeport iranien, eh bien, cela flatte votre narcissisme, et puis après tout, vous êtes en vacances, loin de la morgue parisienne, alors pourquoi pas se laisser régresser ?
Le pays le plus homophobe du monde
Voici le grand chapitre. J’étais très tendu avant mon voyage, rapport, entre autres, aux échos sur les pendaisons d’homosexuels en Iran [2], sans compter la question de la condition féminine. Un ami m’avait fait promettre, paternel : « Sois sage ». J’avais de mauvais souvenirs de ces petits flirts de voyage en Égypte et en Syrie. Bref, je ne partais pas pour des vacances gay-friendly, et seuls les minarets profilaient leurs érections à l’horizon de mon désir d’exotisme :
Les minarets par deux montent au ciel de Yazd, Ah !
Que le ciel vous appelle au temps de la fournaise !
Et l’on construit des tours, ô Ahura Mazda,
Pour se nourrir de vent en absence de baise !
On n’oubliera pas en passant, que le Maroc, destination favorite d’innombrables gays européens, est tout aussi virulent contre les homosexuels, du moins par le verbe, et que, comme en Iran, l’homophobie n’est pas seulement inhérente au méchant État, mais c’est une position défendue par la majorité de la population, de même que l’immense majorité des Français, il y a 40 ans, était homophobe. Le gentil royaume de Bahreïn (à majorité chiite) n’est guère plus avancé, et n’a pas peur du ridicule, puisqu’il interdit aux homosexuels d’entrer sur son territoire ! Le jour où en Europe, un président sera ouvertement homo, il faudra s’attendre à de la franche rigolade… En parlant du Maroc, les nouvelles accablantes sur le front altersexuel n’ont pas découragé un voyagiste gay d’organiser une « Open-Mind Party », laquelle a d’ailleurs été annulée. Certes, le Maroc ne fait que piéger et emprisonner, mais il ne pend pas les homosexuels. La situation est accablante en Iran, comme le montre cet article : Un gay victime de torture parle. Grâce aux États-Unis, les altersexuels irakiens, qui étaient plus ou moins laissés tranquilles sous Saddam Hussein, bénéficient désormais de la même sollicitude des autorités (voir cet article : Les escadrons de la mort chiites traquent les gays). Mais il faut replacer les choses dans leur contexte : l’Iran exécute à tour de bras, que ce soit des sodomites ou des trafiquants de drogue, et la lutte contre l’homophobie n’est pas envisageable séparément de la lutte pour les droits humains. L’Iran est deuxième du monde après la Chine pour les exécutions capitales, mais rapporté au nombre d’habitants, sans doute premier. Les défenseurs des droits de l’homme se battent pour sauver au moins ceux qui étaient mineurs au moment des faits. Mais attention à ne pas sombrer dans l’amalgame et la désinformation, comme le suggère cet article de Voltaire.net.
Mais prenons plutôt les choses dans l’ordre. L’article de Wikipédia sur l’Homosexualité dans l’islam montre que, à part le Nigeria, l’Iran a le code pénal le plus bavard en la matière, en plus d’être le plus sévère. On note cependant la même mesure que pour l’adultère : la notion de « qazf », qui obligerait à présenter quatre témoins : « Dans l’hypothèse où moins de quatre hommes de bonne moralité témoignent, la sodomie n’est pas prouvée et les témoins seront condamnés à la peine pour qazf (accusation malveillante) ». À lire les témoignages ci-dessus, cependant, il semble que la traque organisée et le recours à la délation permettent de balayer cette notion de qazf bien plus que pour l’adultère. Lire aussi l’article Droits de l’Homme en Iran, qui confirmera ce décalage entre le texte et la réalité des faits : « On peut constater avec les extraits de la constitution donnés ci-dessus qu’une forte différence sépare le texte légal de la constitution et les faits constatés en Iran. La rédaction de la constitution du régime de la République Islamique d’Iran présente des ambivalences. En effet, la constitution proclame la liberté dans un certain nombre de domaines, « sauf si la loi en dispose autrement » ou « à condition de ne pas troubler les fondements de l’islam » ». Ce même article rappelle que : « En 1978, à la veille de la révolution, le nombre de prisonniers politiques en Iran est évalué à 100000 personnes par des organisations comme Amnesty International ».
Le film de Marjane Satrapi a rappelé ces faits que nous avons tendance à occulter [3]. Mais à l’époque, ainsi qu’en Irak, les homos étaient à peu près tranquilles. On note aussi dans le code pénal une obsession pour la pénétration. À la limite, l’amour entre hommes serait permis s’il n’y avait pas de pénétration anale ; mais on voit que même le baiser érotique ou le fait d’être nu ensemble sous une couverture sont punis. L’un des paradoxes de cette homophobie, est qu’elle entraîne une apparente tolérance des transgenres MtF, à la seule condition qu’elles recourent à une opération chirurgicale de réassignation. Voir cet article fort documenté : Transsexualité en Iran. L’ironie du sort fait que pour ces catégories fort pointues : les trangenres MtF désireuses de vaginoplastie — et uniquement celle-ci — l’Iran se trouverait donc en avance sur la France, qui elle, les persécute ! [4] Pour les intersexes, la loi semble les obliger à opter pour un sexe, situation comparable à la France (mais il faudrait des informations plus précises, qui pour des raisons évidentes sont difficiles à obtenir…). Signalons encore un article de Wikipédia : Droits des personnes LGBT en Iran, ainsi qu’un site altersexuel iranien (en exil !), qui évoque notamment des films qu’on aimerait voir en France : [5]
Le pays le plus homosexuel du monde
Malgré ce constat fort peu attrayant, force est de constater que l’Iran est sans doute le pays le plus homosexuel qu’il m’ait été donné de visiter ! Homosexuel au sens où les sexes y sont tellement séparés que les hommes sont conditionnés à vivre entre hommes, et les femmes entre femmes. Voici un paradoxe de plus. Toute marque publique de tendresse entre un homme et une femme qui ne serait pas sa possession légitime étant passible au moins d’une investigation policière, et le besoin de tendresse de l’être humain étant aussi impossible à contraindre qu’il est difficile d’empêcher une graine de germer, cette graine de tendresse pousse à travers le bitume de la morale des mollahs, comme elle peut, c’est-à-dire à l’intérieur du même sexe. Je le suppose pour les dames, n’ayant pas pu le vérifier, mais c’est patent pour les hommes. Enlacés côte à côte au cinéma ; mêlés en paquet quand ils font la sieste sur les tapis des mosquées ou à l’ombre des parcs publics, n’hésitant pas à se caresser la nuque ou à s’embrasser dans le cou, par exemple le soir à Ispahan sous le pont Khaju lorsqu’un amateur improvise une chanson dont se délecte une grappe de passants mâles. Cela me rappelle un extrait de Nicolas Bouvier :
(Téhéran). « En Iran, l’emprise et la popularité d’une poésie assez hermétique et vieille de plus de cinq cents ans sont extraordinaires. Des boutiquiers accroupis devant leurs échoppes chaussent leurs lunettes pour s’en lire d’un trottoir à l’autre. Dans ces gargotes du bazar qui sont pleines de mauvaises têtes, on tombe parfois sur un consommateur en loques qui ferme les yeux de plaisir, tout illuminé par quelques rimes qu’un copain lui murmure dans l’oreille. Jusqu’au fond des campagnes, on sait par cœur quantité de « ghazal » (17 à 40 vers) d’Omar Khayam, Saadi, ou Hâfiz. Comme si, chez nous, les manœuvres ou les tueurs de la Villette se nourrissaient de Maurice Scève ou de Nerval. Parmi les étudiants, les artistes, les hommes de notre âge, ce goût tournait souvent à l’intoxication. Ils connaissaient par centaines ces strophes fulgurantes qui abolissent le monde en l’éclairant, prêchent discrètement l’identité finale du Bien et du Mal et fournissent au récitant — ongles rongés, mains fines serrées sur un verre de vodka — les satisfactions dont son existence est si chiche. […] La musique du persan est superbe, et cette poésie nourrie d’ésotérisme soufi, une des plus hautes du monde. En doses massives, elle a cependant ses dangers : elle finit par remplacer la vie au lieu de l’élever, et fournit à certains un refuge honorable hors d’une réalité qui aurait pourtant bien besoin de sang frais ». Nicolas Bouvier, L’Usage du Monde (p. 209).
Plutôt que de théoriser, que je raconte seulement des anecdotes, qui seront aux monuments humains ce que les descriptions sont aux monuments de pierre. Dans les récits de voyages de cette rubrique, je ne m’étale guère en général sur des exploits donjuanesques qui n’ont aucun intérêt pour le lecteur. Si je le fais ici, c’est seulement pour contribuer à informer sur ces aspects méconnus, et pour cause. Mettons que n’écoutant que mon devoir, je me suis sacrifié sur l’autel de l’information ! Il est fort peu d’études sur l’Iran actuel, mais parmi ces études, le fait altersexuel est absent du champ, ou bien évoqué en passant, étant le cadet des soucis des iranologues. Je citerai un exemple récent, issu d’un article d’ailleurs intéressant du Temps (5 août 2008 ; également dans Le Monde) : « les garçons socialisent très peu avec les filles. La sexualité devient très confuse. Pour ne pas perdre leur virginité, une chose sacrée en Iran, les filles s’adonnent au sexe oral. Au collège, certains garçons flirtent avec d’autres garçons avant de pouvoir rencontrer une copine. » Stéphane Bussard, auteur de l’article, semble se faire une conception personnelle de la sexualité : que je sache, les filles ne s’adonnent pas toutes seules au sexe oral : elles le font soit entre elles, soit avec des garçons ; et une phrase telle que « Au collège, certains garçons flirtent avec d’autres garçons » serait plutôt digne d’un manuel du parfait pédopsychiatre catho des années 50 que d’un article d’un grand quotidien du XXIe siècle ! Qu’on ait recours à des envoyés spéciaux pour publier de telles inepties légitime peut-être ce modeste paragraphe d’observation participante altersexuelle. À vous, cher lecteur, de trier la part de malice et de vérité ! Attention : pour des raisons évidentes, les noms, âges, lieux, professions et autres particularités seront passés au mixer. Précisons pour terminer que j’ai aussi eu l’occasion de discuter avec des étudiantes, qui n’hésitent pas à harponner des touristes mâles — mais c’est plus rare. Simplement, pour des raisons évidentes, les thèmes de ces conversations restent superficiels et leur relation n’aurait aucun intérêt.
Anecdote n°1. Majid.
Une plage sur la mer Caspienne. Des bâches séparent hommes et femmes ; comme elles sont distendues, seuls les hommes peuvent se baigner. Trois beaux mâles m’avisent, les « lifeguards » du lieu. Échanges rituels (« what is your name, where do you come from »…) ; le plus beau me dévore des yeux — c’est réciproque — et bien vite un comparse ramène un appareil photo ; je sors aussi le mien. On pose, moi entre deux mecs, le beau et un jeune mastodonte [6]. Le beau a la main sur mon épaule ; la mienne trouve sa place sur ses hanches ; en France, nous serions des « pédés » pour les passants. Je les salue et continue ma promenade.
J’avise un éphèbe seul sur un takht [7], fumant le qylian. Barbiche et débardeur mettant en valeur ses épaules galbées, ce qui est rare en Iran : cet exhibitionnisme ne se rencontre qu’en pays azéri. Les bords de la Caspienne sont le repaire des bourgeois, et le seul endroit où les hommes osent remonter les manches et montrer leurs mollets. À Ispahan, un adolescent avisé sur le pas de sa porte, à qui je demande le chemin de la piscine, me prend par la main — charmant — et me conduit sur place, mais dans cet espace public, il tente désespérément d’abaisser son pantacourt et de cacher ses immoraux mollets (pourtant si joliment poilus). Le garçon du takht ne fait pas semblant d’ignorer mon regard, et me tend la perche de son houka. Deux refus rituels plus tard, je m’empare de la perche toujours tendue, que je porte à mes lèvres, m’asseyant sur le bord du takht. Le glouglou à l’odeur de pomme est le seul tabac que j’aie jamais consommé ; en si belle compagnie, cela ne se refuse pas. Majid ne parle pas anglais, prétend-il ; notre dialogue se fait par gestes. Je lui propose à boire, il refuse ; mais plus tard, il m’apporte simplement un jus d’orange. Belle leçon de tact, mais ce voyage m’apprendra qu’il est fort difficile d’offrir quelque chose à un Iranien. Il me caresse le doigt d’une étrange manière à chaque fois qu’on échange la pipe ; j’en profite pour palper ses bagues ; il en prend une et me la donne. Je peine à l’enfiler. Il m’indique l’index. Miracle ! c’est le doigt idoine. Le rouge me monte au visage : j’aurais dû à nouveau pratiquer le ta’arof (refus rituel). Qu’à cela ne tienne : je lui fais un petit cadeau en échange, et nous voilà fiancés. Plus à l’aise, je m’accroupis au fond du takht. Photos mutuelles : il m’immortalise sur son portable, objet dont il est stakhanoviste. Pendant ce temps, je le déshabille du regard, ce qui est facile : son torse se devine par l’échancrure du débardeur ; la braguette de son jean sexy est déboutonnée, on voit son slip aussi par-derrière. Façon discrète, sans doute, mais parlante, de prendre ses distances par rapport à l’univers théocratique. Sur la plage, devant nous, un quarteron de garçons fument aussi le narguilé. Ils s’amusent et s’enlacent dans toutes les positions comme le feraient uniquement des jeunes altersexuels en France. Eux aussi ont des tenues assez sexy. Dernière image, Majid ajoute du charbon, l’allume et le fait tourner à toute vitesse au bout d’une chaînette ; image familière en Iran de la seule ivresse permise.
Anecdote n°2. Appelés.
Mausolée de Khomeini [8], au sud de Téhéran. Dans ce tombeau, situé dans une immense halle réfrigérée incluse dans une mosquée pharaonique en construction, deux poignées d’hommes et de femmes se pressent contre les barreaux, pour prier ou glisser des billets par les fentes. Certes, il est tôt le matin, mais nous sommes un vendredi, et terriblement loin des foules fanatiques qu’on s’imagine toujours à propos de l’Iran. Je me rappelle avoir fait le pied de grue pendant des heures en Russie pour avoir le droit de passer sans m’arrêter devant la vénérable dépouille de Lénine (mort en 1924) ; idem au Mausolée de Hô Chi Minh (mort en 1969) ; et j’ai renoncé par deux fois, en Chine, de poireauter au Mausolée de Mao Zedong (mort en 1976). Suis-je tombé sur un mauvais jour, ou cette désaffection est-elle significative ?
Dans un coin, j’avise un groupe d’appelés, en ravissante tenue léopard, ceinture kaki, chaussettes à clous. L’un des plus mignons me hèle, et baragouine je ne sais quoi à propos de mon chapeau péruvien (un truc que je trimbale depuis dix ans, et que tout le monde prend pour une toque musulmane). Puis il me fait signe qu’il me trouve « hube », un des rares mots persans que je reconnaisse, qui veut dire « super ». Il y a aussi « achangué », qui veut dire « joli » ou quelque chose comme ça, et qui s’applique aussi aux personnes. Cela se fait devant ses collègues, sans ambiguïté. Je demande une photo. Il pose gracieusement avec un camarade, dans une attitude fort peu militaire. Voilà dont les terribles martyrs de la Révolution, le couteau entre les dents, terreurs de l’Occident ? Voici une autre photo amusante, prise à Ardestan, montrant une tapisserie du Guide suprême tombée du mur, et qu’on a couchée avec un manque de respect qui frise le blasphème !
À de rarissimes exceptions près, les Iraniens ne portent rien sur la tête, et sont glabres — sauf quand ils passent à TF1 — mais quand ils ont une barbe, ils sont si ravissants ! Seuls les mollahs portent une sorte de turban, blanc, ou noir s’ils sont Sayyid (descendants du Prophète). Mille fois, durant ces 25 jours, je me suis fait interpeller sur ce mode, par des garçons, le plus souvent en groupe, qui haussent brusquement la tête ou les sourcils. Comme l’homosexualité n’existe officiellement pas, et que les femmes sont des objets tabous, cela laisse libre la case, qui n’existe pas en France, d’une tendresse entre hommes. Il n’est pas considéré comme naturel de se taper dessus pour prouver qu’on est un mâle, attitude inconsciemment rattachée dans notre culture au rituel hétérosexuel de séduction. Une seule fois dans mon voyage, le même jour à Téhéran, j’ai vu deux automobilistes mâles, puis un homme et une femme dans le bazar, en venir aux mains. Il arrive qu’on s’explique, mais la voix n’est pas haussée ; seul le rythme des paroles s’accélère.
Le hasard m’a fait apporter pour les longues soirées Le Rouge et le Noir, de Stendhal, et je m’amuse d’y retrouver fréquemment chez le bouillant Julien ce type d’attitudes « viriles », porté à la caricature. À son arrivée à Besançon, il croit devoir se battre en duel avec un homme qui l’a simplement regardé ; et à son arrivée à Paris : « Le monsieur sourit et lui mit la main sur l’épaule. Julien tressaillit et fit un saut en arrière. Il rougit de colère. L’abbé Pirard, malgré sa gravité, rit aux larmes. Le monsieur était un tailleur. » Et c’est l’Iran qui a la réputation la plus belliqueuse du monde ! C’est un peu comme la bonne blague que Bush Ier colportait à propos de l’Irak : « la première armée du monde » !
Pour en revenir à la différence de culture, il est d’usage en Occident, chez les femmes hétérosexuelles, d’émettre un avis positif ou négatif sur la beauté d’êtres humains de sexe aussi bien mâle que femelle. Le mâle occidental, quant à lui, ne saurait émettre un tel jugement que sur une femelle. Un mâle ne saurait être, pour un autre mâle, qu’un tas de chair, un cerf à combattre, un pâle reflet de lui-même. Il n’est donc pas inconcevable que dans des cultures un peu moins frustes, les êtres humains se comportent d’une manière plus logique, moins dictée par la testostérone. Bref, si vous êtes comme votre serviteur un garçon d’âge un peu au pied du mûr, et passant on ne peut plus inaperçu en France, l’Iran vous procurera le plaisir de devenir à peu de frais un objet d’attention et de compliments… Malheureusement, quand un Iranien vous trouve mignon, cela ne signifie pas qu’il ait envie de coucher avec vous ! Je n’ai noté pendant ce séjour que quatre ou cinq attitudes moqueuses ou agressives à mon égard (geste obscène, mot lancé sur mon chemin en persan et qui fait rire ses auteurs, etc.), noyées sous des centaines de « welcome in Iran » ou autres gentillesses que des inconnus vous décochent à tout bout de champ.
Anecdote n°3. Coiffeur.
Je cherche un barbier, un des plus grands plaisirs des voyages en Orient. Nostalgie d’une expérience érotique inattendue en Égypte, où un jeune barbier, après avoir vérifié par les questions d’usage si j’étais marié, etc., s’était frotté contre mon bras, ce qui avait abouti à un rendez-vous à la fermeture de la boutique… où je m’étais fait « baiser » sous la forme pas agréable d’être délesté du contenu de mon porte-monnaie ! Comme les Iraniens sont mille fois moins fourbes avec les touristes que les Égyptiens, j’augure bien de ces moments hors du temps. Eh bien ! c’est comme pour les hammams : impossible de trouver un barbier. À Karman, j’avise une boutique de coiffeur. J’entre ; l’atmosphère ne me plaît guère. Heureusement, un employé me demande ce que je veux. La barbe. Il dodeline de la tête et me renvoie en face. Là, je tombe sur un joli coiffeur, et deux ou trois jeunes qui zonent dans l’orbite de sa boutique, dont un sublime gaillard de vingt ans aux bras fort épais, qui me repère aussitôt, s’approche, me pose les questions rituelles — ô fantasme ! — puis m’explique que ce n’est qu’un coiffeur, pas de barbe. On discute un peu ; je m’imaginais qu’on allait me proposer un petit bout de chemin ensemble ou mieux… mais ça plaisante bon enfant, sur la taille du sexe du beau gosse, dont il ne se formalise pas que son copain le présente comme petit ; il traite d’ailleurs celui-ci de « lesbian », mais rien de rien à l’horizon de mon désir, bien que je tende des perches grosses comme des minarets !
Pourtant, j’avais bien observé qu’en me parlant, le beau gosse se triturait la braguette, attitude fréquente chez le mâle iranien. D’où une observation d’une grande portée sociologique. Ce n’est pas le seul pays musulman (ou simplement méditerranéen) où j’aie fait ce genre de remarque : l’Iranien mâle passe son temps à se tripoter la braguette, que ce soit en se promenant ou en vous parlant. Au début, j’espérais que ce fût un hommage à mes charmes, une proposition maladroite de timide ; je bâtissais des minarets en Bactriane ; mais ma modestie a dû en rabattre : c’est une simple habitude, un mouvement lunatique, comme une déglutition de l’aine qui manifeste par temps chaud que le métabolisme fonctionne encore. On ne se touche pas discrètement pour se la remettre en place dans le slip, non : on se la malaxe pour se rappeler qu’elle existe encore et qu’elle pourrait, dans dix ans, en cas de mariage, sait-on jamais, servir à quelque autre plaisir qu’à pisser. Simple rémanence aussi indépendante de la volonté du gratteur que la mer sent avec nonchalance sa vague battre la falaise. On se la caresse longitudinalement 33 fois en se disant in petto : « Elle est pure » ; puis on se la gratte 33 fois en la congratulant ; enfin on se la caresse longitudinalement 34 fois en pensant très fort : « Elle est grande » ! Puis on la laisse tranquille cinq minutes… [9]
La sexophobie est si prégnante dans ce pays que, comme dans la France du XIXe siècle et du début du XXe (cf. Les Origines de la sexologie 1850-1900, de Sylvie Chaperon), après le bourrage de crâne subi à l’école, chez les mollahs, à la télé ou à la maison, il y a peu de chances qu’un citoyen de base ait une idée non satanique de l’utilisation possible d’un pénis, d’un clitoris, d’un anus, d’une femme ou de tout autre organe de plaisir.
Pour aborder des points scabreux, pendant ces 25 jours, je n’ai vu qu’un seul urinoir, dans un endroit à touristes. Par contre, on trouve dans les parcs, des toilettes dont, tenez-vous bien, les portes sont trouées d’un énorme carré au niveau du visage, permettant sans doute aux bassijis de faire leur marché d’homosexuels à dénoncer et torturer. Je relève cette phrase dans En censurant un roman d’amour iranien (2008), de Shahriar Mandanipour : « En Iran, d’un point de vue strictement religieux, uriner debout est aussi indécent que participer à certaines activités qui se déroulent dans les toilettes de certains bars ou de certaines discothèques en Occident » (Points Seuil, p. 285). Je n’ai quasiment pas vu de graffitis obscènes, mais il m’a semblé, dans quelques parcs, notamment à Chiraz, repérer des mouvements autour de ces toilettes publiques, qui sentent — à titre purement sociologique — le lieu de drague. C’est la seule fois d’ailleurs que j’ai vu une femme qui cherchait manifestement des hommes (je crois aussi avoir vu une fois des mineurs de 16 ans à vue de nez qui semblaient chercher quelque chose de vénal ; mais la prostitution semble raser les murs). C’est dans ce contexte qu’il faut interpréter l’homophobie. L’altersexualité à l’occidentale est tout simplement aussi inconcevable que si vous voyagiez dans le temps et proposiez à Voltaire de se connecter à Internet ! Comme l’athéisme.
À Ispahan, le hasard me fait jeter un œil, enfin, dans un salon tenu par des gars appétissants. L’un d’eux me hèle. Je demande à être coiffé, et notre anglais rudimentaire à tous deux ne m’offre que le mot « short » assorti de gestes pour expliquer ce que je veux (on ne se moque pas !) Ils semblent enchantés de l’honneur insigne de coiffer une personnalité aussi exceptionnelle que mon humble personne, mais je reste modeste, et réponds à leurs questions rituelles, ainsi qu’à celles des clients. Je ne m’y attendais plus, mais le coiffeur me propose la barbe, faveur exceptionnelle semble-t-il ! Il s’applique, passe trois fois sur le visage, égalise les sourcils… moins de savoir-faire cependant qu’en Égypte ou en Turquie, je crois, où j’ai été fasciné par la façon dont les barbiers vous épilent la glabelle avec un fil entortillé entre leurs doigts de fées, vous débroussaillent le nez au ciseau, les oreilles au briquet, de sorte que humant l’odeur de poil grillé émanant de vos ouïes, vous régressez à l’état bienheureux de pintade aux mains du volailler.
Anecdote n°4. Baloutches.
À Karman, encore, dans un hôtel avec une jolie cour intérieure, le soir. Un des rares barbus que je verrai dans le pays, me repère. Sourire d’ange — ou de Djinn ? — il tapote à côté de lui sur le tapis pour m’inviter à m’asseoir. Je ne me fais pas prier. Il ne parle pas anglais, il est Baloutche et en semble fier. Il avoue dix-huit ans ; je lui en aurais donné davantage. On passera une heure à mater le contenu photo et vidéo de son mobile, activité favorite des jeunes Iraniens quand il n’y a pas trop de monde autour (on est toujours plus ou moins sous la surveillance au moins visuelle de quelqu’un en Iran). Ça commence soft par des photos d’amis et amies, sa famille ; puis quelques vidéos de chanteuses sans foulard et assez sexy, qu’il présente comme baloutches afghanes. Je commence à entrevoir, intéressé, où ça pourrait nous mener. Une vidéo de lui chantant du rap en play-back, grattant une guitare et faisant l’idiot (bon, la barbe n’est pas religieuse !), puis un truc un peu morbide, un type qui se fait renverser par une voiture ; une vidéo désopilante d’un mollah admonestant de jeunes opiomanes qui s’en fichent comme de l’an 40. Il me fait signe que lui, la drogue, jamais. Nous sommes en confiance, et j’attends patiemment qu’on aborde un chapitre plus osé, mais ce qu’il me propose me coupe le souffle : un vidéo-clip proposant sur une chanson, les images de l’accouchement d’une femme occidentale, du début à la fin, à la manière des films éducatifs qu’on passe aux élèves de 3e (cf. ce genre de scène dans Le Péril jeune de Cédric Klapisch). Il me fait signe qu’il est écœuré ; ça tombe bien, moi aussi. Est-ce là tout ce que ces jeunes ont trouvé comme auto-éducation sexuelle ? En lisant la scène d’accouchement de La Joie de vivre, d’Émile Zola (1884), j’ai la sensation que dans le contexte de l’époque, il s’agissait de la seule possibilité pour l’auteur des Rougon-Macquart, de publier dans un livre grand public, une scène pornographique.
Je le quitte, mais une heure plus tard, par le plus grand des hasards, vous n’en doutez pas j’espère, je le croise encore au même endroit, en charmante compagnie de 3 superbes amis tout aussi baloutches (entre 20 et 22 ans). On m’invite à nouveau. Le garçon de tout à l’heure a mal au dos ; il se fait masser par un copain. Je me retrouve assez vite chevauché — ou plutôt « chameauché » ? — par un sublime gaillard, qui me masse avec l’exquise douceur d’un laminoir et l’énergie d’un marteau-piqueur. Détail amusant : chaque fois que mon maillot se relève et que le bas de mon dos risquerait d’apparaître, il me rajuste maternellement, remonte même ma ceinture. Ai-je signalé cette information ethnologique de premier plan ? l’Iranien a le bas du dos poilu ; il a peut-être d’ailleurs tout le dos poilu, mais le bas du dos est la seule partie qui apparaisse parfois chez quelque djeun qui a dû voir une image d’ado occidental en « taille basse », et tente d’imiter l’effet. Quoi qu’il en soit, je place désormais le Baloutche ex-aequo avec l’Azeri au faîte du palmarès de la beauté Iranienne. Mais je m’étais assoupi sous le boutoir de mon boucher baloutche, métamorphosé par quelque hallucination hypnagogique, en tranche de rumsteck pilonnée à l’attendrisseur. Personne ne ressort de portable, mais au fil du temps je me retrouve seul avec mon massif masseur. J’imagine — ô, fantasme ! — que mon compte est bon, mais le gamin sort un petit manuel anglais-persan, et se met à égrener un chapelet de formules de politesse. Je m’empare de l’objet imprimé — ô malheur ! — en Iran, et n’y trouve rien, mais rien de rien, qui puisse entraîner la discussion sur un terrain plus glissant. En désespoir de cause, je lui fais comprendre que je vais monter sur le toit de l’hôtel (désert) pour contempler les étoiles avant de rejoindre ma chambre. Encore une fois, je pourrai me mettre cette perche minarétique sous le bras…
Voici un entrefilet paru dans Courrier international du 21/08/08 : « En Iran, la police des mœurs innove avec une unité spéciale chargée de vérifier le contenu du téléphone des passants. Les Iraniens dont le portable contient des textos, des photos ou des vidéos que la morale réprouve sont déférés devant la justice, rapporte Shahab News. La police du téléphone portable, qui opère dans l’ouest du pays, a été invitée à ne faire preuve d’aucune clémence, précise le site iranien. »
Anecdote n°5. Takht.
Les Iraniens ne manquent pas de takht. Hossein m’avise, dans les magnifiques jardins de Shazdeh à Mahan, et essaie les dix mots de français qu’il commence à apprendre (alors qu’il fait des études d’ingénieur). Puis on passe à l’anglais, qu’il maîtrise à la perfection — je veux dire mieux que moi, c’est-à-dire qu’il le baragouine pas trop mal ! Nous nous retrouvons à quatre, il traduit, parce que ses amis parlent mal anglais. Longue discussion à bâtons rompus. Comme sur Internet, on est surpris de la liberté des discussions en Iran. Petit à petit, la confiance venant, j’ose aborder des thèmes polémiques. Hossein me donne 28 ans — flatteur ! — et s’étonne que les Français paraissent souvent moins que leur âge. À cause du système de santé, croit-il. Ces jeunes gens se montreront, comme souvent, bourrés de contradictions. Hossein se plaint de la multiplicité des instances décisionnelles en Iran (Guide suprême, parlement, président…) Il préférerait que les décisions fussent prises par un seul. Je me retrouve avocat du diable, à défendre le système politique iranien, qui justement, seul dans cette région du monde, préfère le parlementarisme républicain au despotisme ! Il classe Ahmadinejad comme ultra-conservateur, mais ne comprend pas quand je fais remarquer que cette tête de Turc des Occidentaux est laïc. Est-ce à cause de mon anglais rudimentaire ? Ce qui compte pour moi — pardon pour cette présomption de béotien ! — dans la perspective des prochaines élections, c’est qu’un laïc, certes aux idées rétrogrades proches des mollahs les plus durs, mais un laïc, bon dieu ! ait pu être élu, contre un mollah, certes étiqueté « réformateur » (Rafsandjani). Hossein pense que 80 % des Iraniens sont contre le hijab, mais prétend qu’il n’y a pas de liberté en France non plus à ce sujet ! Je recadre la question (interdiction du foulard seulement dans les écoles secondaires publiques ; possibilité de le porter dans certaines écoles catho et dans le supérieur…).
On parle mariage, enfants. Il veut savoir ce qui se passe lorsqu’on n’est pas marié, qu’on a « intercourse » (le bougre a du vocabulaire !) avec « somebody », et que l’enfant paraît… J’explique qu’on ne pense pas à la procréation chaque fois qu’on baise, dans notre bonne vieille Gaule. Notre vénéré président s’introduit dans la conversation, ainsi que sa non moins respectable épouse, suivi du président Bush. Je la joue consensuel, et évite de cracher dans la soupe. Hossein me demande des jugements négatifs sur l’Iran (cette requête révélatrice m’arrivera plusieurs fois au cours du voyage). J’évoque donc le voile obligatoire, puis la pudeur excessive, la haine du corps (bon ça va, hein, j’ai dit « body », pas « corpse », d’ailleurs ils ne les haïssent pas, les macchabées !) Il regimbe : qu’est-ce que ça me ferait si « my beloved » (notons l’utilisation d’un mot épicène) était visible de tous. Comme peu me chaud, il enchérit : si lui — ce chien d’infidèle ! à Dieu ne plaise ! — touchait ma chérie ; puis si elle était nue devant tout le monde… J’explique tranquillement que déjà ce ne serait pas à moi que ça ferait ou pas quelque chose, mais à elle (en France, une femme s’appartient) ; que le naturisme existe, mais que c’est pas Le Déjeuner sur l’herbe : y a pas que les femmes qui soient à poil, vingt dieux ! Enfin, notre vénéré président — que dis-je ? notre Général de la Gaule ! — vient à propos dans ce débat au secours de l’Occident : comme on vient de parler de Carla, l’argument me saute à l’esprit : cela ne pose aucun problème pour nous Gaulois que la Première dame ait posé nue. Argument qui laisse Hossein sans voix ! Je profite de l’avantage pour avancer un pion décisif : je ne crois pas en Dieu. Prends ça dans les dents ! Vaincu aux points, Hossein n’y croit pas. En Iran, on appelle « nihilistes » les gens de mon acabit. Mais nulle moquerie, nulle réprobation, jamais, dans la discussion ; rien qui témoignerait d’une inquiétude d’être espionné, comme en Tunisie ou ailleurs : de l’intérêt, de l’étonnement…
Pour clore la rencontre, on prend des photos réciproquement. Comme on s’étreint par les épaules, il éprouve le besoin — non sans s’être auparavant excusé de l’audace de ce qu’il allait dire — d’insinuer que les gens pourraient s’imaginer que nous fussions gays ! À Dieu ne plaise ! C’est fou ce que ce mot peut revenir sous la langue de ces Iraniens ; il n’y a pas besoin de gratter longtemps dans ces conversations désintéressées pour qu’ils sortent ce concept qui soi-disant ne correspond en Iran à aucune réalité. Et pourtant ces perches ne sont que de fausses pistes ; quand on écoute ces jolis Iraniens, on a la langue pendante à l’intérieur, mais rien n’arrive jamais ! Attention, je ne veux pas vous décourager : je n’ai fait qu’un voyage fort touristique, et si j’aborde ces aspects-là dans cet article, parce qu’on trouve rarement ce genre d’observations, c’est parce que je me sacrifie au devoir sacré de l’Information, ce n’était certes pas le but premier ni l’obsession de mon séjour en Iran ! En tout cas je dois dire que cette tradition orientale et méditerranéenne de se tenir par la main, de se toucher, se perd insensiblement par peur de paraître gay. Ai-je dit que si c’est courant, ce n’est pas si fréquent que ça, au point que bientôt, justement, ces gestes deviendront suspects !
À Persépolis, j’ai été fort ému par les bas-reliefs du fameux escalier est représentant la réception des ambassadeurs des nations assujetties. On se tient tendrement par l’épaule ou la main, on se regarde dans les yeux ; messieurs les Perses et messieurs les Mèdes arborent de jolies boucles d’oreilles ; et, cerise sur le gâteau, encore mieux que dans l’Iran contemporain, notre contemplation n’est gênée par la présence d’aucune femme ! Mon guide m’en fait remarquer une, fort discrète, sur cet escalier, décorant l’essieu d’une roue de char ! Selon lui, c’est la seule femme représentée à Persépolis ! Évidemment, les méprisables mauvais esprits saisiront l’occasion de plaisanteries de mauvais goût (elle est voilée ; elle est bien roulée…), mais nous nous contenterons de verser de sincères larmes (non, pas de crocodile !) sur cette preuve de l’antiquité de la domination masculine. Comparez le bas-relief avec cette photo de deux gars que j’ai prise dans un bazar. Je les ai juste croisés, ils m’ont demandé de les prendre en photo, ce qui est fréquent en Iran. Ils prennent spontanément cette pose « qui suggère aussitôt que le pays a cinq mille ans », comme dirait Nicolas Bouvier…
Anecdote n°6. Marchands de tapis (Mustapha et Hamid).
Chiraz, bazar. Je flânais en fin de journée, en quête de quelque cadeau. Mustapha, fort beau jeune homme de disons 25 ans, me dépasse, portable à l’oreille. Je suis Français ? Quelle coïncidence : il a un ami Français, Christophe ou Christian, il ne se souvient pas exactement ! Il essaie deux ou trois mots. Ça sent le chasseur de commissions, comme il y en a un peu dans cette capitale touristique, mais vingt minutes durant, sans la moindre allusion commerciale, il entreprend de me faire visiter le bazar, m’explique la disposition des lieux, l’histoire des différentes allées par lesquelles nous passons. Il m’emmène dans une mosquée secondaire, puis dans un mausolée ; je lui fais comprendre que j’en suis un peu gavé, mais il attaque d’entrée, me montre l’image d’un roi, dont il me demande de deviner si c’est un homme ou une femme. C’est un homme, mais fort gracile. Le plus beau roi d’Iran, dit-il, avant de désigner le portrait d’Ali Khamenei en lançant : le plus laid ! Il enchaîne, sans précaution aucune, dans un anglais trop véloce pour moi, dit pis que pendre du régime. Il ne vote pas ; les élections sont truquées ; 90 % des gens sont contre le régime, etc. Les mollahs au pouvoir sont idiots, d’ailleurs leurs soi-disant diplômes universitaires sont bidons (ils ont un doctorat, mais où est leur bac ?). Spontanément, il prend l’exemple de la déclaration d’Ahmadinejad à l’Université de Colombia selon laquelle l’homosexualité n’existerait pas en Iran !
Nous y voilà, rêvé-je. Que nenni, il embraye sur d’autres idées, tout en m’entraînant dans les profondeurs du bazar qui se vide mollement de ses marchands. Il me raconte comment procèdent les bassijis quand ils le surprennent batifolant avec sa copine : on les sépare, on leur pose des questions pour vérifier leur mensonge (qu’ils sont frère et sœur), et quand ils avouent qu’ils sont fiancés, ils en sont quittes pour une leçon de morale, si tout se passe bien. Nous croisons un autre fort bel homme, qu’on dirait détaché des bas-reliefs de Persépolis ; Mustapha me présente Hamid, son frère aîné. Ai-je envie de boire un thé ? Tu parles ! Il sonne, un gardien patibulaire paraît, une grille s’ouvre et se ferme ; nous montons dans une boutique de tapis au premier étage d’un caravansérail assez luxueux mais désert. Voilà donc des exemplaires de ces prospères bazari dont les pères s’allièrent au clergé lors de la Révolution islamique… Eh bien ! ils ont changé leur fusil d’épaule, apparemment ! Plus aucun client, stores opaques aux fenêtres. Les deux frères s’installent, Hamid ferme à clé et la met dans sa poche. Glups, déglutis-je. Me voici à la merci de deux sublimes gaillards, personne ne sait ou je suis ni ne m’entendrait crier… J’attends les questions rituelles, mais quand j’annonce ma réticence au mariage, l’encéphalogramme reste désespérément plat, et nous abordons sans transition, verre de thé à la main, le chapitre des tapis. Ils m’expliquent tout, c’est leur obsession, leur passion ; je dois avouer qu’ils sont fort beaux (les tapis aussi). Je n’achète point, espérant les exaspérer, mais non, ils restent on ne peut plus polis, me raccompagnent dans le bazar labyrinthique, jusqu’à la sortie…
Anecdote n°7. Militaires (Amir et Mehdi).
Ispahan, crépuscule, allées arborées au bord du Zayandeh rud où l’on déambule péripatétiquement à l’ombre des éphèbes. J’ai repéré ces deux beaux gosses depuis un moment, qui me tournent autour entre les arches du pont où chantent les grappes de garçons. Je m’assois sur un parapet, et cinq minutes plus tard ils passent devant moi, me saluent, et le regard d’Amir s’attarde ; je tâche de répondre quelque chose d’engageant à la question rituelle, de sorte qu’Amir s’assied à côté de moi, suivi de Mehdi, plus timide et moins anglophone. Ils sont vraiment mignons tous les deux ; Amir est même carrément beau, avec sa gueule d’amour, ses sourcils rapprochés comme les arêtes hexadécimales des dômes de mosquées (encore une invention persane) [10].
Ils sont militaires, Amir pilote d’avion et Mehdi « copilote ». Cela est dit sur un ton quelque peu ironique, et toute la conversation suivra sur ce registre, Amir étant un petit malin. Suis-je marié ? Non. « Bachelor », alors ? (après un effort de mémoire). Ben, dame ! Il présente son ami — qui n’y peut mais — comme « donkey ». Deux gars passent devant nous dont un me jette un regard équivoque qui n’échappe pas à Amir : « ils sont gays ! » (toujours pince-sans-rire). Il revient à son ami, qu’il tient à présenter sous son meilleur jour. Non seulement Mehdi est « donkey », mais il a trois amis gays qu’il « fucke ». Tiens, le mot « donkey » aurait-il un sens égrillard ? Qu’à cela ne tienne ; c’est normal mon cher, quand on ne peut pas toucher les femmes, hein, on fait ce qu’on peut avec ce qu’on a !
Amir revient au ton sérieux pour dire qu’il aime les Français, car ils sont grands et blonds (miracle : loin du Marais, me serais-je métamorphosé en quelque chose de tant soit peu regardable ?). Je ne sais pas trop quoi penser, mais à tout hasard, comme je suis malheureusement attendu ce soir, je propose rendez-vous le lendemain, même lieu, même heure. Toute la nuit je gamberge : — ô fantasme ! — et si sous ces plaisanteries se cachait une proposition codée ? Par pur dévouement scientifique et sociologique, je m’apprête à me livrer corps et âme à une expérience d’observation participante pour enrichir les connaissances de l’Occident, qui compte sur moi, sur cette Atlantide : l’altersexualité en Iran…
Le lendemain, j’envisage plus modestement toutes les possibilités, la plus probable étant qu’il n’y ait personne, à moins que je sois kidnappé par une compagnie de jeunes militaires en rut qui me garderaient pendant cinq ou six ans, et me permettraient de remplacer Ingrid en photo sur la façade de la Mairie de Paris ! Je suis donc plutôt surpris de trouver Mehdi m’attendant à l’heure dite. Point d’Amir, qui sera l’Arlésienne de la soirée. Dans son anglais encore plus rudimentaire que le mien, Mehdi explique qu’Amir doit être en train de voler. Il serait donc vraiment pilote, si jeune ? On va courir après lui toute la soirée, ce sera le fil rouge d’une conversation décousue autant que gestuelle, une des plus sincères finalement, de mon séjour qui tire à sa fin. Il pose à nouveau les questions rituelles, et s’étonne de devoir connecter mon âge avec le célibat. Comme il insiste lourdement sur la question, après avoir jeté un coup d’œil panoramique et interrogé le Ciel sur Ses intentions, je me lance : « I’m gay ». Le Ciel reste en place ; aucune escouade de bassidjis ne se précipite sur moi… Estomaqué, le Mehdi, comme si je lui avais avoué que ma soucoupe volante était garée en double file. Estomaqué, mais jamais moqueur ou méprisant, au contraire. Je reviens sur les propos de son copain la veille. Qu’il fuckait trois amis gays ? un joke, bien sûr. Mais en revenant de loin en loin sur la question par cercles concentriques, j’apprendrai que « ça » se fait quand même en Iran avant le mariage, qu’avec Amir au grand jamais, mais qu’il a quand même non pas trois, mais un ami gay. Ah bon, alors ça existerait donc, ces animaux-là ! Il m’offre deux fois à boire, et m’interdit de payer.
Mehdi est Azéri, d’Ardabil. Il a du mal à s’exprimer, autant en anglais qu’en persan. Sa langue c’est l’azéri. Il n’est là que pour son métier, mais l’armée est une plaie pour lui. Il se sent mal, il est surveillé, doit regagner sa caserne à 22h. Il court un grand danger, m’explique-t-il, s’il est surpris en ma compagnie. En tant que militaire, il lui est interdit de se rendre à l’étranger, pourtant son plus grand désir. Plusieurs fois, il fait le signe de passer l’index sur le cou pour signifier ce qui l’attend ou ce qui attend les fameux gays qui existent ou n’existent pas. Après m’avoir fait parler sur l’Iran, mis en confiance, il finit par cracher son venin : l’Iran est mauvais. Je lui demande s’il vote, lui faisant remarquer que le droit de vote est au moins un avantage du pays. Il ne vote pas non plus ; quant à Ahmadinejad, c’est un « donkey ». Flûte ! moi qui fantasmais sur le sens du sobriquet ! Il m’invite chez lui, à Ardabil, où il doit retourner dans six mois pour se marier. Là, il m’offrira de l’alcool, et il y aura des filles. J’enfonce le clou : et des garçons ? Banco : et des garçons ! Nous avons déambulé toute la soirée, mais jamais il ne m’a entraîné dans un coin sombre. À un moment, j’ai saisi je ne sais plus quel prétexte pour emprisonner sa main et la presser fortement quelques instants. Il faut dire que je venais de lire le chapitre IX du Rouge et le Noir, où Julien s’empare de la main de Mme de Rênal comme d’une forteresse… quand je vous disais qu’on a dix-huit ans, quand on voyage en Iran ! D‘ailleurs, ce célèbre bouquin, qui lui aussi alterne les considérations politiques les plus sérieuses avec les considérations amoureuses les plus adolescentes, n’excuse-t-il pas tant soit peu la frivolité de cet article que j’ai honte de vous proposer ? Le personnage du comte Altamira n’est-il pas, mutatis mutandis, un modèle de Khomeini à Neauphle-le Château ? « Il connut chez les jansénistes un comte Altamira qui avait près de six pieds de haut, libéral condamné à mort dans son pays, et dévot. Cet étrange contraste, la dévotion et l’amour de la liberté, le frappa » (II, 5). Et les remords de Mme de Rênal, ne témoignent-ils pas de ce temps où des sortes de mollahs sexophobes terrorisaient le peuple dans notre pays ? « Je ne me fais plus aucune illusion, lui disait-elle, même dans les moments où elle osait se livrer à tout son amour : je suis damnée, irrémissiblement damnée. Tu es jeune, tu as cédé à mes séductions, le ciel peut te pardonner ; mais moi je suis damnée. […] J’ai peur : qui n’aurait pas peur devant la vue de l’enfer ? » (I, 19). L’heure fatale approche, Mehdi me quitté d’un côté du pont Si-o-se (des trente-trois arches), en m’embrassant sur les joues à deux reprises, visiblement ému. Il n’avait que le mot « fuck » à la bouche, mais tout cela n’était que rhétorique, comme les provocations qu’Ahmadinejad fournit aux médias occidentaux, qui en sont friands. En réalité, il est sans doute puceau, n’a peut-être jamais embrassé de lèvres, ce qui m’a retenu de profiter de l’obscurité, car venant de moi, ç’aurait été profaner quelque chose que je préfère abandonner à quelque éphèbe plus romantique ; ce bel Azéri le mérite.
De retour à l’hôtel, cette rencontre prend un reflet symbolique pour moi : ce jeune Turc qui m’offre à boire, n’est-ce pas l’échanson cher à Hafez tel qu’on le trouve dans ce célèbre ghazal ? (traduction de Vincent Mansour Monteil).
Si ce jeune Turc de Shirâz prenait mon cœur entre ses bras
J’offrirais pour sa mouche hindoue, Samarkand avec Bokhârâ.
Échanson, verse-nous du vin ! Au Paradis, tu ne verras
Ni les bords de notre rivière, ni la place de la Prière.
Je me rappelle que mon guide, qui avait récité ce poème sur la tombe de Hafez, avait traduit « cette jeune Turque ». Bien sûr, les érudits selon qu’ils sont homophobes ou non, s’emploient à vous justifier que le vin c’est Dieu, que l’éphèbe c’est Dieu, que tout est Dieu (voir ici). Mais j’insiste : ce paradis qu’il me promet à Ardabil, avec du vin, des filles et des garçons ; n’est-ce pas le paradis promis aux guerriers de Mahomet ? (sourate LVI, traduction de Kasimirski (1840), G.F., p. 419).
[12] Ils habiteront le jardin des délices, […]
[17] Ils seront servis par des enfants doués d’une jeunesse éternelle,
[18] Qui leur présenteront des gobelets, des aiguières et des coupes, remplis de vin exquis. […]
[22] Près d’eux seront les houris aux beaux yeux noirs, pareilles aux perles dans leur nacre.
[23] Telle sera la récompense de leurs œuvres. [11]
Encore une fois, le jugement de Nicolas Bouvier se vérifie, et l’on est surpris d’une telle permanence, malgré la répression morale, d’une culture nationale dans ce plus vieil État du monde [12]. Le même soir, j’avise un glacier ; malheureusement, il y a deux machines à glaces à l’italienne, et mon anglais balbutiant peine à saisir la nuance entre les noms de parfums annoncés par le vendeur. Alors que je saisis enfin : « safran », un magnifique mastard s’avance vers moi, tout sourire, et me propose une cuillerée de sa coupe de glace, qu’il m’enfile littéralement dans la bouche. Je suce sans hésiter, et il continue à me donner la becquée. Le glacier n’est pas en reste : il m’offre un cornet généreux, et refuse obstinément que je paie…
Terminons par quelques vers de Hafez. Pour être franc, la lecture de la traduction d’une centaine de ghazals dans la version citée ci-dessus ne m’a pas bouleversé autant qu’elle semble faire les Iraniens, mais on comprend facilement pourquoi cette gloire nationale du XIVe siècle fascine toujours autant en Iran, sans doute en l’absence de poésie ou plutôt de chanson modernes non-censurées. Il faut tenir compte du fait que ce sont des chansons, et que se contenter d’une traduction du texte serait comme lire les textes des chansons d’Édith Piaf sans l’avoir entendue chanter ! Les puristes bien sûr crieront au scandale pour cette comparaison, mais la liste des thèmes abordés par le rossignol de Chiraz n’excède pas à mon avis celle de notre moineau des faubourgs : le picrate, les jolis garçons qui versent le picrate, les tartuffes qui boivent le picrate en cachette, etc. Un exemple à glisser (pour les profs) dans une séquence sur Tartuffe, car nos élèves de tradition musulmane ont souvent du mal à s’imaginer que l’hypocrisie pût aussi bien concerner la religion de leurs ancêtres !
« Celui qui boit du vin sans se cacher vaut mieux que les faux dévots et les prudes. »
Pour les tartuffes qui prétendent que tout cet amour proclamé des garçons et du vin n’est que symbole de l’union mystique avec Dieu, voici un vers digne de Jean Genet :
« Le bonheur ne s’achète pas au bazar du monde, ici-bas :
Il se trouve dans les façons des voyous, des mauvais garçons. »
Ou encore ces vers ici ou là :
« Si j’ai loisir de cultiver son amour, ce n’est qu’en cachette »
« Nous autres, l’amant et l’aimé, nous sommes gens discrets, d’abord. »
« Lorsqu’à la vue de mon ami s’ouvre la fleur de mon désir. »
« Vas-tu encore, par passion pour les lèvres des garçons,
Tacher l’essence de l’âme avec le sang de rubis ? »
Les amants sont toujours « Turc » ou « Tsigane » dans cette sélection, à une exception près :
« Les Kashmiris aux grands yeux noirs
Et les beaux Turcs de Samarkand. »
Hafez affectionne les plus éculés des clichés, mais c’est pour nous ravir :
« J’ai mis en garde mon cœur contre les fléchettes de tes longs cils :
Me voici attaqué de front par les archers de tes sourcils ! »
Aboû Nouwâs, qui vécut au VIIIe siècle (mort en 815), chanta de même le vin et les garçons. On trouve chez Verticales un recueil d’Abû Nuwâs intitulé Poèmes bachiques et libertins, traduction et présentation d’Omar Merzoug. Ce dernier explique dans sa préface que le poète était « fou de ghûlamiyyât », « tendance à aimer les jeunes garçons, les éphèbes ». Il « alla […] jusqu’à exiger que les jeunes femmes esclaves du palais se déguisent en garçons ». Des poèmes de ce recueil je ferai le même commentaire que ci-dessus ; disons qu’ils passent mal la traduction. Citons le plus osé qui montre comment abuser d’un éphèbe :
« À ce faon prompt à me résister / je versai un vin si corsé / qu’il en fut terrassé ; / dès lors il me fut aisé / de dévoiler son intimité
En me hâtant de le prendre, / de sonder ses profondeurs / j’entrepris de rendre / un hommage à sa splendeur »
Imaginez donc le soir, dans les nombreux parcs publics d’Iran, des grappes de superbes puceaux à 100 % hétérosexuels, se chantant les uns aux autres, en s’étreignant et se caressant mollement le front, ces antiques poèmes symboliques de l’amour divin, qui n’évoquent nullement une altersexualité qui n’existe pas et n’a jamais existé dans ce pays élu de Dieu… N’y a-t-il pas là de quoi devenir schizophrène ?
– Dans Le Goût de la cerise (1997), Abbas Kiarostami relate l’errance d’un homme mûr à la recherche d’un homme qui puisse, contre rémunération, l’assister dans son suicide. Sa quête est ambigüe dans la première heure du film, car ses trois premières proies sont des jeunes hommes assez beaux, choisis parmi une foule d’hommes plus âgés et moins attrayants qui l’interpellent dès lors qu’il s’approche du trottoir pour lui proposer leurs services comme ouvriers, et comme il tourne longuement autour du pot avant de déclarer son désir, on croit à une drague homosexuelle discrète telle qu’elle pourrait se passer en Iran. Cela me fait songer aussi à Dans la solitude des champs de coton, de Bernard-Marie Koltès. Il finit par trouver un vieil homme qui accède à son désir, mais bizarrement pour celui-ci, les préliminaires sont supprimés – on croit même qu’une bobine a sauté à la projection – et on en arrive directement à la question du suicide.
– Avec Téhéran Tabou (2017), Ali Soozandeh, cinéaste inconnu germano-iranien, réalise un chef-d’œuvre en rotoscopie. Sélectionné pour la semaine de la critique du festival de Cannes, le film ne risque pas de passer inaperçu lors de sa sortie prévue en octobre 2017. Il entremêle les destinées d’hommes et de femmes plus ou moins perdu(e)s dans un Téhéran soumis à des règles sociales d’un autre âge. Une jeune mère d’un enfant muet dont le mari est en prison, et qui se prostitue. Un jeune musicien qui, ayant défloré une jeune femme dans une soirée, se voit sommé par elle de subvenir à la reconstruction de son hymen, sous peine d’être démoli par son prétendu fiancé, qui se révèle être un vulgaire maquereau. Une jeune mariée dont le mari impuissant et coincé fréquente des prostituées tandis qu’elle a des relations avec des voisins. Un mollah qui monnaye ses décisions contre des faveurs sexuelles, etc. Sexe hors mariage, prostitution, drogues, hypocrisie, rien ne manque au programme de ce brûlot qui ne risque pas d’être distribué en Iran. Le jeune musicien est particulièrement émouvant, et la rotoscopie vous procure un étrange sentiment d’être amoureux d’un dessin !
– Voir aussi le billet d’humeur Mixité, propagande & J.O. : réponse à des féministes à œillères, qui traite des rapports condescendants entre certaines féministes franco-françaises et les femmes iraniennes. Pour les mordus d’Orient, un conseil : pour conclure avec un bel oriental ténébreux, il vaut mieux faire comme les Iraniens, passer la frontière arménienne : en Arménie, pas de basidjis ni de chador, et l’on peut inviter qui l’on veut dans sa chambre d’hôtel !
– Lire mon article sur l’Ouzbékistan, avec les compte-rendu d’au moins trois livres où il est fortement question de l’Iran, route obligée jusqu’au XIXe siècle, pour se rendre en Asie centrale. Ruy Gonzáles de Clavijo, ambassadeur de Castille auprès de Tamerlan, traversa l’Iran au début du XVe siècle. Samarcande d’Amin Maalouf, contrairement à ce que son titre peut laisser croire, se passe en bonne partie en Iran, entre le XIe et le XXe siècle. Enfin, Voyage d’un faux derviche en Asie centrale de Vambéry, suit la même route que Clavijo, quelques années avant que le train russe ne rende la route caravanière obsolète.
– Lire « L’homophilie oubliée de la société iranienne », article de Doug Ireland sur Culture et débats.
– Écouter une émission Ping-Pong de France Culture diffusée le 28 avril 2016, avec Chahdortt Djavann auteure de Les Putes voilées n’iront jamais au Paradis (Grasset, 2016). Un livre au ton sans concession. L’auteure tente de retracer l’existence et les pensées de jeunes filles ou de femmes prostituées, évidemment contre leur gré, et assassinées en Iran. Au lieu de faire vibrer la fibre lacrymale, cette féministe pro-sexe en profite pour déclamer une ode à la sexualité. Mise en bouche : « C’est la religion qui inculque la haine du corps, du plaisir sexuel, l’idée du péché. Pourquoi jouir serait-il un péché ? Pourquoi le sexe serait-il sale ? Je ne considère pas que mon corps se salit au contact d’un autre corps. Avec la jouissance d’un homme. Pourquoi l’éjaculation et le sperme font-ils tant réagir les gens ? Tout ça, c’est à cause des conneries religieuses. Leur morale, qu’ils se la foutent au cul, les mollahs. “Un homme a des besoins”, ils n’ont que ça à la bouche ; alors que les femmes ont plus de besoins sexuels que les hommes. Et les hommes le savent, et c’est pour ça qu’ils répriment et oppriment les femmes depuis la nuit des temps. Ils sont plus forts physiquement, mais sexuellement, ils n’arrivent pas à la cheville des femmes. Les femmes sont trop lâches et hypocrites pour revendiquer leur droit au sexe. La plupart préfèrent vendre leurs services sexuels à un mari contre une assurance matérielle à vie. Assumer son désir exige du courage. Avant le mariage, elles jouent à la fille modèle, à la fille prude, à la fille vertueuse, à la fille vierge pour trouver un mari, alors qu’elles ont été enculées, Dieu sait combien de fois, pour préserver leur virginité. Si c’est ça la pudeur, on pourrait dire aussi que les pédés sont vierges ! »
– En 2016, je lis En censurant un roman d’amour iranien (2008), de Shahriar Mandanipour (né en 1957), un beau roman construit sur le principe de la mise en abyme.
Voir en ligne : IRanian Queer Railroad (IRQR)
© altersexualite.com, 2008.
Toutes les photos sont de Lionel Labosse. Reproduction interdite.
Retrouvez l’ensemble des critiques littéraires jeunesse & des critiques littéraires et cinéma adultes d’altersexualite.com. Voir aussi Déontologie critique.
[2] À moduler par la lecture de cet article de Voltaire.net.
[3] À propos de Marjane Satrapi, je tombe sur un article au vitriol sur un site assez tendancieux. Ce site semble en effet obsédé par la pédophilie — le mot est omniprésent quel que soit le sujet des articles — théoriquement autorisée en Iran par le mariage à 9 ans, déjà évoquée ci-dessus, comme si l’abus de ladite loi était une pratique générale ! La diaspora iranienne semble être une grande famille… comme les Atrides !
[4] Voir aussi le documentaire Transsexuel en Iran, diffusé en mai 2009, qui nous apprend que, contrairement à ce que je croyais, l’opération vaut aussi pour les FtM et les intersexes, et sert souvent de pis-aller pour des gays ou lesbiennes.
[5] Le site HOMAN a disparu depuis la rédaction de l’article ; voici un nouveau site : IRanian Queer Railroad (IRQR).
[6] Pardon pour cette phrase politiquement incorrecte ; j’avoue honteusement que certains physiques — appelons-les beaux par souci de concision — m’attirent plus que d’autres ! Je sais que c’est pas bien.
[7] Mot persan signifiant trône ; estrade à cinquante centimètres du sol sur laquelle on s’assied ou s’allonge pour manger, fumer, dormir…
[8] À propos du feu Guide suprême, je ne sais pas vous, mais moi, quand je regarde sa photo en jeune séminariste que propose l’article de Wikipédia… je me dis que c’est dommage que les jeunes deviennent vieux !
[9] « La margelle du temple, en face du palais Belloro, se recouvrait, à une heure un peu plus tardive, d’un ourlet de cuisses nues : c’étaient les jeunes garçons en culottes courtes qui attendaient l’ouverture de l’école voisine, dont l’immeuble attenait au palais. L’abbé remarquait leur beauté, leur gaieté, leur fraîcheur. Le valet de chambre cynique, qui l’avait trouvé un jour à la fenêtre pendant qu’ils étaient là, lui avait dit de ne pas s’offusquer de leurs gestes. C’est ainsi que l’abbé y prit garde : ces enfants semblaient heureux de vérifier à tout moment l’existence, la consistance de leur jeune virilité. « Per Bacco ! dit le valet de chambre, ces petits savent déjà qu’il est beau d’être un homme. C’est un geste italien et vous le verrez faire à des monsignors. Les Français touchent de temps en temps leur portefeuille, pour s’assurer qu’ils ne l’ont pas perdu. Nous autres, Italiens, nous touchons autre chose. » Roger Peyrefitte, Les Clés de Saint Pierre, Flammarion, 1955, p. 15.
[10] « L’arcade des sourcils de notre échanson / Vaut mieux que le coin du mihrab où ton imam tient sa station » (Hafez, « Ode à l’absent »).
[11] Voir cette intéressante étude comparée de l’altersexualité dans les textes religieux.
[12] Une recherche Internet nous apprend que cette périphrase désigne en vrac la Chine, l’Irak, l’Angleterre, la France, et l’Égypte ! J’ignore ce qu’entend Bernard Hourcade par cette formule qui constitue le titre du chapitre 6 de son ouvrage ; en tout cas il parle de l’empire sous les achéménides.
Messages
1. Iran : au pays des paradoxes. Journal de voyage (2), 24 août 2008, 14:55, par Thomas Querqy
J’ai tout lu, j’ai bien ri,
M’a donné envie
Merci.