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Écrire et aimer, pour lecteurs avertis (3e ou lycée)
F comme garçon, d’Isabelle Rossignol
École des loisirs, Médium, 2007, 153 p., 9,2 €.
mercredi 14 novembre 2007
« Écrire et aimer, je ne veux que cela. Que ma main me caresse, puis qu’elle écrive mon amour » (p. 60). Cette belle phrase résume ce roman au style admirable, mais dont on peut se demander s’il a vraiment sa place dans une collection pour adolescents, surtout la collection « Médium » de L’école des loisirs, dont le spectre est bien trop large (de la 6e à la Terminale). Même dans la collection « Scripto » de Gallimard, réservée aux grands adolescents, on ne trouve guère de scènes aussi osées. On réservera donc ce livre à quelques adolescent(e)s trié(e)s sur le volet qui ont déjà lu tout Proust, tout Anaïs Nin, vu tous les films de Godard, et souhaiteraient aller encore plus loin ! C’est dommage, car sur un plan purement littéraire, ce livre est l’un des meilleurs de notre sélection !
Résumé
De ses premières règles à l’âge de douze ans, jusqu’à ses débuts en classe de troisième, Zoé fait le récit de ses émois amoureux. C’est qu’elle est précoce, Zoé, intellectuellement et sexuellement ! La famille (ça se passe en vacances) s’attroupe autour d’elle pour l’aider à passer cette étape qui fait d’elle une femme, et chacun y va de son conseil ou de sa plaisanterie ; mais pour Zoé, avec cette grosse serviette, « j’avais surtout l’impression d’avoir un nouveau sexe, un comme celui des hommes » (p. 9). Elle n’est pas « une chochotte, comme [s]a mère » (p. 13), à qui elle reproche son excès de marques extérieures de féminité. Ses parents ont récemment déménagé loin de la famille, pour des raisons qui les conduiront à divorcer (infidélité du père), ce qui a été terrible pour Zoé, amoureuse de sa cousine Nina, qu’elle ne peut plus voir qu’aux vacances. Elles se livrent à un « rituel » : se mettre nues et se frotter. Le fait d’avoir ses règles la rend « encore plus folle » : « tout en frottant mon sexe contre ses cuisses, j’embrasse des lèvres, je mords son cou. J’aime Nina à m’évanouir » (p. 24). À cause de l’enseignement religieux qu’elle reçoit dans un collège privé, elle est tenaillée par le sentiment du péché : « Je ne suis qu’un monstre qui a besoin de Nina pour soulager une faim dans sa petite culotte » (p. 25) ; « je voudrais même me tailler les veines pour que le monstre s’échappe de moi » (p. 27) ; « quand je grandirai, le mal grandira » (p. 43). Zoé se rend compte que Nina se livre seulement par jeu : « Nous deux, ça va parce que t’es ma cousine, mais autrement… » (p. 42), mais celle-ci réagit bien quand Zoé déclare « Je suis homosexuelle ». Pendant l’année suivante, ses parents se séparent, et elle fait la connaissance de Marilyne, lesbienne (ce mot n’est jamais employé) de 25 ans, amie de sa mère, qui l’initie au féminisme et lui sert de confidente. Désormais, elle fait le lien entre homosexualité et féminisme : « Ici, j’ai toujours vu les femmes faire le ménage […]. Moi, je serai comme Marilyne : homosexuelle et libre » (p. 88). C’est pourtant dans ce trou qu’elle tombe par hasard sur Albertine, une fille de son âge, qui lui fait découvrir la musique classique, mais aussi Proust, Prévert, Camus et Boris Vian, tout en faisant l’amour : « Elle dit que pour bien faire l’amour, il faut savoir donner autant que recevoir » (p. 105). Hélas, quand Zoé s’obstine à coller le mot « homosexuelle » sur ce qu’elles font, Albertine est choquée. Selon elle, elles ne sont que « Des filles qui font leur éducation sexuelle » (p. 110) [1]. Zoé part aussitôt, et Albertine tombe dans les oubliettes du récit. Pourtant, à la rentrée en 3e, Zoé tombe sous le charme d’un garçon qui la drague, et lui propose d’aller au cinéma voir… un film de Godard ! Va-t-elle « virer sa cuti » (p. 135) ?
Mon avis
En ouvrant F comme garçon juste après avoir été bouleversé par l’excellent Je ne suis pas comme toi, je m’attendais à un petit bijou. C’est le cas ; on sent la patte d’une styliste, avec des trouvailles d’écriture à chaque page, notamment des images frappantes qui prolongent le précédent opus : « si mon dos était une porte et que ma grand-mère l’ouvrait, elle y découvrirait des secrets qui la feraient s’évanouir » (p. 12). Je croyais trouver un pendant féminin et lesbien à la série des Maxime de Brigitte Smadja, à laquelle l’auteure emprunte la technique de la chronique un peu floue qui s’étale sur plusieurs années. Mais on passe de Agathe (10 ans) à Zoé (12 ans), en faisant un saut brusque sur tout l’alphabet de la sexualité. La première partie est excellente, avec une expérience sexuelle plausible pour une fille de douze ans, racontée avec la candeur provocatrice propre à cet âge, en lien symbolique avec les premières règles et l’éducation religieuse. On s’étonnera seulement que parmi les nombreux livres de cet éditeur chroniqués pour cette rubrique, ces scènes d’amour entre deux fillettes de 12 ans soient de loin les plus crues, les plus érotiques (à comparer avec les scènes d’amour de Maxime, à l’âge de 17 ans). La deuxième partie, constituée d’une série de lettres à Nina non envoyées, est aussi fort réussie. Malheureusement la fin gâche tout, en tout cas je ne vois pas à quels élèves proposer cet ouvrage dans le cadre scolaire. Je m’explique.
On dirait que l’auteure a voulu condenser en un seul livre toute une éducation sexuelle et homosexuelle militante, qui correspondrait plutôt aux préoccupations d’une fille de 18 à 30 ans. Lorsque Zoé, à 13 ans, fait la connaissance de Marilyne, elles ont des échanges d’adultes, qui conduisent Zoé à une profession de foi peu adolescente : « Je refuse de vivre comme toutes ces imbéciles qui veulent aller se mettre entre les cuisses d’un mâle » (p. 116). Sans que le lecteur sache pourquoi, tous les personnages utilisent le même mot : « j’aime bien le mot HOMOSEXUELLE. Avec le « elle » de la fin, ça me fait penser à rebelle, éternelle, universelle » (p. 68). Très bien, mais cette censure du mot lesbienne, surtout pour des filles qui lient l’homosexualité au féminisme, est-elle vraisemblable ? Enfin, cette fillette qui n’est pas d’un milieu intellectuel (mère esthéticienne et « mon père travaille dans un magasin de chaussures » (p. 15)), ne s’abaisserait jamais à lire de la littérature jeunesse, oh non ! Elle ne s’adonne qu’aux grandes marques d’auteurs citées plus haut, et selon les conseils de Marilyne, n’entend fréquenter que des filles (de son âge !) du même acabit : « tu peux leur demander si elles lisent Anaïs Nin ou d’autres auteurs de cette veine » (p. 126). Il faudrait un sondage pointu pour savoir si la proportion de filles françaises de 13 ans ayant lu Anaïs Nin s’élève à 0,01 ou 0,02 %. À côté de cela, ne cherchez pas dans les propos de Zoé le moindre embryon de préoccupation politique ou sociale… Par contre, quand Marilyne lui dit « tu es peut-être bi », cette fille de 13 ans qui lit Proust et Anaïs Nin dans le texte, répond « C’est quoi ça ? ». Peut-on croire un seul instant à ce genre de profil ? À quels ados espère-t-on vendre ce livre ? Si l’héroïne, à 13 ans, et la première fille qu’elle rencontre dans un trou perdu, en est déjà à Proust, faut-il offrir F comme garçon à notre nièce pour son entrée en CP ? Ou, compte tenu des nombreuses évocations de la sexualité (fort réussies au demeurant) qui choqueront forcément — dans le contexte actuel — nos élèves de collège, le réserver au lycée ? Mais alors quand abordera-t-on Camus ?
Bref, Isabelle Rossignol semble être tombée dans le travers des auteurs de littérature adulte qui s’abaissent à faire dans la jeunesse. F comme garçon est un beau roman d’apprentissage de la sexualité, à réserver à quelques élèves avertis, mais je déconseille fortement à mes collègues de le proposer à une classe entière ; d’ailleurs, le profil des personnages lesbiens aurait de bonnes chances de renforcer le préjugé assimilant les homos aux bourgeois. Si vous décidez de le mettre à disposition dans votre C.D.I., lisez-le attentivement auparavant, car il ne passera pas inaperçu. S’il avait été écrit par un homme d’ailleurs, mettant en scène ces ébats sexuels entre filles ou graçons de 12/13 ans avec la même crudité, dont l’un(e) serait conseillé(e) dans sa sexualité par un homme ou une femme de 25 ans, il aurait sans doute fait scandale. Exemple de conseil donné par Marilyne : « une fille qui ne lit pas, il y a des chances pour que ce soit une sportive ou une passive […] ». Réponse : « t’as raison : je préfère quand on peut parler après l’amour » (p. 126). À ce moment du récit, Zoé a 14 ans, et est censée s’apprêter à rentrer en 3e ! [2]
– Lire l’article de Jean-Yves sur Culture et débats, celui de Thomas Savary sur Citrouille. Voir aussi Côte d’azur, de Cathy Bernheim et Le Rempart des Béguines, de Françoise Mallet-Joris, et celui d’Isabelle B. Price sur Univers-L.com.
– Dans le cadre de son travail de journaliste sur France Culture, Isabelle Rossignol a osé aborder un sujet tabou : Détruire, disent-elles. Extrait de l’article de présentation : « Parler d’hommes battus est encore tabou en France. Pourtant, les cas se multiplient et il semblerait que les femmes soient particulièrement habiles en matière de persécution. »
Voir en ligne : Entrevue avec l’auteure sur le site « encres vagabondes »
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[1] Ce qui va dans le sens du fameux « ce n’est pas grave » ; cf. par exemple Le Livre des garçons, d’Anne Vaisman.
[2] On a parfois reproché à mes propres romans L’Année de l’orientation et Karim & Julien que les personnages s’exprimaient d’une façon trop mûre pour leur âge. Ils ont 15 ans dans le premier tome, 18 dans le second. Dans ce récit, Zoé s’exprime, parle, écrit des lettres, entre 12 et 14 ans, dans le style extraordinairement littéraire dont vous avez de nombreux exemples, ce qui pour ma part ne me gêne absolument pas (ce qui me dérange c’est le côté invraisemblablement élitiste de ses références culturelles). Parmi les critiques disponibles, ce fait n’est pas noté… Je me demande si c’est parce que mes personnages sont issus du fameux 93, ou bien parce que mon éditeur est Publibook…