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Desperate gay mother, pour lycéens

C’est toujours moins grave qu’une jambe cassée, d’Emmanuel Ménard

Éditions H&O, 1997, 192 p., 13 €

mardi 1er novembre 2011

Voici un roman retrouvé dans mes archives, qui remonte à la préhistoire du roman pour adolescents abordant l’homosexualité, je veux dire il y a quinze ans ! L’auteur a publié entre-temps l’excellent documentaire Parler d’homosexualité (2002), qui témoigne d’une bonne connaissance du rayon jeunesse. Son interview de Marie-Aude Murail, reprise sur notre site, est peut-être l’indicateur d’une inspiration commune, qui fait de l’humour l’instrument idéal pour dépassionner ce moment difficile que constitue la découverte de l’homosexualité d’un enfant. L’évocation de certains lieux de la nuit parisienne nous fait réserver ce livre pour les lycéens. Il n’est pas publié en collection jeunesse, mais chez un éditeur gay ; à cette date, il aurait été difficile à l’auteur de trouver un éditeur jeunesse qui accepte son manuscrit. Précision : paru en 1997 aux éditions DLM (= Henri Dhellemmes, collection « Un pour dix »), il est reparu en 2003 chez H&O (Henri Dhellemmes & Olivier Tourtois).

Résumé

Vincent, 21 ans, est étudiant, et se fait chouchouter par sa mère. Elle le voit déjà marié, comme son frère aîné, mais patatras, en faisant le ménage dans la chambre du petit chéri, que ne découvre-t-elle pas ? Une lettre d’amour écrite par… un garçon ! Horreur et damnation. Cette femme de 50 ans, qui dirige un des magasins de la chaîne internationale dont sa mère est la propriétaire, est d’un milieu bourgeois de gauche. Elle craint par-dessus tout la réaction de la grand-mère, qu’elle imagine réactionnaire sur le sujet. Au lieu de parler tout simplement avec son fils, elle confie la nouvelle à son mari, qui la raisonne mais n’a pas non plus ce courage, et au fils aîné, l’exact opposé du cadet, dont la réaction est homophobe, et qui se défile. Commence alors un hilarant rallye à travers Paris, où la brave dame et le non moins brave époux écument bibliothèques et associations pour s’informer de ce sujet auquel ils n’avaient jamais prêté attention. Elle n’a peur de rien, par exemple lors de sa première incursion à la bibliothèque, avec lunettes noires de camouflage – elle y rencontre d’ailleurs son mari, venu incognito faire la même recherche qu’elle – elle parcourt une auto-fiction plutôt trash : « au bout de vingt pages, vous savez tout de la sodomie anonyme et de la fellation furtive » (p. 34). L’héroïque mère de famille se fait seconder de ses trois copines, Gertrude, Ghislaine et Gersende, pour tout savoir sur l’homosexualité. Les scènes amusantes se suivent, par exemple celle de cette femme venue à une soirée d’une association de parents (qui ressemble à Contact), avec son rejeton, efféminé mais hétéro, qui voudrait que son fils fût homo, et demande des recettes pour ça ! Suit celle de l’achat du guide Gay-Luron, pour lequel notre héroïne s’exile en lointaine banlieue, et visite plusieurs librairies avant d’oser son achat ! En fréquentant une backroom avec ses copines (autre scène improbable et très amusante), elle fait la connaissance de Ludovic, un homo qui affiche 30 ans depuis 5 ans, et qui la guide dans les nuits gays. La fin de la première partie verra se résoudre d’une façon inattendue ce coming out chaotique.
On pourrait croire que c’en est terminé, mais le livre nous présente une deuxième partie dans laquelle la brave maman, devenue plus gay-friendly que moi tu meurs, s’imagine que son petit chéri est malheureux parce qu’il se fait larguer par son dernier amant en date, et tâche, toujours sans lui demander son avis, dans un premier temps de rattraper ledit amant, dans un deuxième temps d’en trouver un autre. Là encore, la chute sera plus ou moins inattendue (selon qu’on est un lecteur naïf ou non !). On voit la maman s’adonner à des évaluations des beaux mâles en accord avec son Vincent adoré, puis écouter les conseils de Ludovic, consommateur de mâles invétérés, et chaud partisan de l’« Homme des Casernes » (p. 117), beau et con à la fois, comme dirait Brel, et de l’inconstance considérée comme un des beaux-arts. Elle se livre à des séances de drague par Minitel (l’ancêtre d’Internet), où elle se fait passer pour son fils ; elle fréquente une « lessive-party » (p. 156), ancêtre des « mousse-party » (Cela n’est-il pas tombé en désuétude depuis ?) ; et le livre se termine comme il se doit par une participation à la gay pride de notre passionaria devenue présidente de l’association Parlons-En (p. 183).

Mon avis

Le roman est entièrement écrit à la deuxième personne du pluriel, adressé à la mère de Vincent. Ce procédé est très malin, car le lecteur comprend vite quel rapport lie la mère, et l’écrivain homo, qui fut sans doute fils, et qui dédie le livre à ses parents. D’autre part, le parcours de la mère (et du père aussi) est exactement le même que celui d’un ado qui se découvre homo, mais faire éprouver ce parcours par une femme de 50 ans est d’une part une source de comique, d’autre part permet de prendre du recul par rapport à la situation vécue par l’ado. C’est lui qui par procuration, à travers ses parents, connaît les affres de la dissimulation, de la honte, avant les premières sorties en boîte. L’honorable dame connaît par ailleurs certains désirs hormonaux qui la rapprochent de ceux de son fils : « vos ultimes œstrogènes pas encore muselés par la ménopause vous soufflent que si chacun de ces garçons est vraiment homosexuel, alors toute femme normalement constituée est en droit de s’interroger sur l’existence de Dieu. » (p. 62). L’écriture est parfois un peu lourde, avec des redondances (« pour conclure finalement », p. 35), des scènes répétitives, comme les séances caricaturales de recrutement d’un vendeur dans la boutique de la mère. Mais l’humour, et le plan d’ensemble, rattrapent tous ces défauts véniels pour faire de ce livre un précurseur du roman jeunesse décomplexé sur le coming out.

 Cet ouvrage bénéficie du label « Isidor ».

Label Isidor HomoEdu

 Emmanuel Ménard est également l’auteur de Parler d’homosexualité.

Lionel Labosse


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