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Le garçon, cet univers étrange, pour les 4e/3e et le lycée.

Le Livre des garçons, d’Anne Vaisman

De La Martinière jeunesse, 2006, 252 p., 21 €.

jeudi 5 avril 2007

Après L’Homosexualité à l’adolescence, Anne Vaisman, journaliste spécialisée dans la psychologie des adolescents (orientation, sexualité, etc.) consacre un épais ouvrage à l’univers étrange des garçons. Si l’homosexualité n’est pas oubliée, si la sexualité et les autres plaisirs adolescents qui choquent les adultes y sont dédramatisés avec toutes les qualités que l’on avait déjà connues chez l’auteure, l’ouvrage s’adresse en priorité au garçon hétérosexuel, dont il donne à notre avis une image conventionnelle.

Le livre, illustré de photos retravaillées par Élisabeth Ferté, contient 6 sections : Quand le corps change ; En famille, rien n’est comme avant ; Les relations avec les autres garçons ; Ah ! les filles ; Faire l’amour ; Quand ça va mal. Le texte est écrit à la 2e personne du pluriel, ce qui peut créer un sentiment de proximité, mais aussi parfois de programme normatif : « vous avez besoin de tenir votre mère à distance de tout ce qui concerne votre intimité » (p. 63). Le vocabulaire est soigné, l’auteure ne cherche pas à parler jeune, ce qui fait ressortir les quelques occurrences de mots plus crus, dans les nombreux témoignages qui émaillent le propos. Ces témoignages sont souvent crédités de noms à consonance non-gauloise, ce qui permettra, ainsi que les photos, à tous les adolescents de se sentir concernés. Ce qui est d’ailleurs rassurant, c’est que, quel que soit leur prénom (Karim, Farid...), ces ados ont tous les mêmes problèmes ; il ne semble rien y avoir de spécifique aux ados d’origine non-européenne. Cependant on relèvera l’expression « la tradition judéo-chrétienne » (p. 30), que pour ma part j’ai depuis longtemps élargie en « judéo-christiano-islamique » !

En ce qui concerne l’homosexualité, peut-être attendais-je trop de l’auteure de l’excellent L’homosexualité à l’adolescence, mais je suis déçu qu’elle y soit trop traitée comme un fait particulier, dans des pages spécifiques. Certes, Anne Vaisman, à plusieurs reprises, tente d’inclure cette orientation sexuelle minoritaire, par certaines parenthèses : « un ou une partenaire » (p. 30) ; « déshabiller les filles du regard (ou les garçons) » (p. 47), mais l’immense majorité des occurrences reste hétéronormée, du type : « elles pensent aux garçons à longueur de journée » (p. 116). Il ne me semble pas avoir relevé dans l’ouvrage d’occurrence de trois mots (ni de l’idée correspondante) : lesbienne, bisexuel, identité de genre ou transgenre. On doit être soit garçon, soit fille de façon péremptoire – comme l’indique par exemple cette expression : « quel que soit le sexe auquel on appartient » (p. 240) – et soit gay soit hétéro, avec une trace homéopathique de cette idée doltoïenne selon laquelle « avoir eu, une fois comme ça, juste par curiosité, une relation sexuelle avec un autre garçon » « ne signifie pas pour autant qu’on est homosexuel » (p. 110), idée dont on oublie qu’elle est réversible, et que la plupart des homos ont également commencé par essayer l’hétérosexualité, ce qui ne signifiait pas qu’il eussent à devenir hétéros. Bon, on absoudra Anne Vaisman, car Françoise Dolto (et sa fille qui exploite le filon familial) auraient plutôt dit : « ce n’est pas grave » ! En ce qui concerne les filles homos, l’idée (sans le mot) n’est évoquée que dans l’encadré sur le suicide (p. 232), mais il aurait été bon de rappeler à ces petits mâles qu’une adolescente peut aussi être attirée par les filles.

C’est dans ce sens que l’ouvrage me déçoit et me semble un chouia trop « orthosexuel ». L’exemple le plus gênant est le chapitre « Faire l’amour », au sein duquel les choses sont séparées de la façon la plus radicale : en dehors des 4 pages intitulées « Faire l’amour avec un garçon », il n’y a pas la moindre allusion qui puisse montrer la nature commune entre ces deux orientations. Et c’est dans ces 4 pages que l’on trouve une comparaison que l’on aurait aimé trouver dans le reste du chapitre : « comme cela se produirait avec une fille » (p. 193). Le mot « sodomie » n’est utilisé que dans ces pages, avec une phrase dont le pléonasme me fait tiquer : « [la pénétration anale] peut sembler plus impressionnante que la pénétration vaginale dans une relation hétérosexuelle » (p. 194)... D’autres phrases me semblent des idées reçues qui feront sourire les lecteurs : « Elles se fichent pas mal que vous en ayez un très long ou un plus trapu » (p. 43), ou « il n’y a aucune humanité dans la pornographie » (p. 167) ; même si je comprends bien la volonté de l’auteure, mais à force de ne pas vouloir choquer, ne risque-t-elle pas de passer pour trop conformiste ?

Enfin ne noircissons pas le tableau, l’ensemble est à mettre entre toutes les mains, justement parce que la sexualité, chose rare, y est présentée comme un plaisir – « le sexe féminin est très accueillant [...] tout y est doux, lisse, un peu humide, agréable, prêt à recevoir votre sexe » (p. 170) – et non comme moyen de reproduction. On ne trouve aucun schéma technique, mais des réflexions utiles, et par exemple sur le porno, on dirait que l’auteur a écrit la phrase citée ci-dessus pour faire passer une vision du porno bien moins négative que celle qui nous est serinée par la clique habituelle des bien-pensants. Je signalerai encore deux détails qui me font aussi tiquer : à propos du VIH : « il est indispensable de faire un nouveau test après une période d’incubation de trois mois » (p. 204), où le mot « d’incubation » est fâcheux, et à propos du lubrifiant, mentionné une seule fois à propos de la pénétration vaginale : « ou bien utiliser un lubrifiant (produit gras qui facilite la pénétration) » (p. 190). Rappelons que le lubrifiant gras détruit le latex, que cela fait 15 ans que les associations de lutte contre le sida s’escriment à recommander le lubrifiant aqueux (adjectif qui fait tant rire les élèves lors des séances d’information), et que s’il peut s’avérer utile pour la pénétration vaginale, il est quasiment indispensable pour la sodomie pour éviter la rupture de capote et la douleur, conseil qu’on eût aimé trouver dans cet ouvrage, car un ado a peu de chance de l’entendre dans son entourage ! Mais bien sûr, pour qu’on puisse mettre à disposition des élèves sans fard du lubrifiant comme on le fait avec les préservatifs, il faudra sans doute encore quelques années (les associations comme le Crips le font, mais dans le langage courant, il est rarissime qu’on présente les préservatifs avec le lubrifiant comme moyens de protéger de la transmission du VIH, poids de la tradition judéo-christiano-islamique oblige !) Voir à ce propos Le Petit Lulu, de Hugues Barthe.

 Lire l’entrevue que nous a accordée Anne Vaisman, et Pas si facile d’aimer, de la même auteure.

Lionel Labosse


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