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Road-movie satanique et lesbien, pour les lycéens

La Trace, de Christine Féret-Fleury

Hachette, Black Moon, 2012, 252 p., 15 €.

samedi 29 novembre 2014

La Trace est un bon vieux thriller pour les lecteurs ados, avec tous les ingrédients habituels, auxquels sont mêlées une critique du mariage traditionnel qui n’est pas pour nous déplaire en ces temps d’orthosexualité homo, et deux personnages lesbiennes hors-normes. Un bon livre tout simple qui, contrairement à de nombreux romans parus dans les années 2012 et 2013, ne fait pas de propagande gay, mais se contente de donner de la visibilité à des personnages homos, avec leurs qualités et leurs défauts. Cela fait plaisir tant cela devient rare parmi les plus récents ouvrages notre sélection.

Résumé

Rébecca Lefèvre traverse l’Atlantique pour assister aux États-Unis (côte Est) au mariage de sa cousine la belle Sarah LeFebvre, avec le bel Adrian, dont elle est secrètement amoureuse. Adrian est l’idéal du prince charmant WASP (p. 47) [1]. La tante Cornelia, très vieux jeu, a vu les choses en grand et planifie une cérémonie impeccable à l’église. Rébecca, ainsi que sa mère féministe restée en France, trouvent que le mariage relève plutôt de la mascarade (p. 13), et que celles qui s’y livrent « perpétuent les rites hérités de siècles d’oppression » (p. 65). Rébecca apprécie Jonathan, le jeune frère de Sarah, qu’elle croit gay « parce qu’il n’accordait jamais qu’un regard aimable aux jeunes filles sélectionnées par sa mère » (p. 15). Lors de ses séjours précédents, Rébecca se rappelle une année où, dans la maison familiale héritée des lointains ancêtres, Sarah l’avait conduite par une porte dérobée dans un grenier secret, où trônait une malle mystérieuse, lui racontant une histoire de sorcières que colportait le grand-père ; Sarah semble depuis avoir oublié cette anecdote, mais Rébecca s’en souvient bien. De fait, le récit principal est entrecoupé de chapitres en italiques à la première personne, relatant des faits liés à l’affaire fameuse des sorcières de Salem, une des femmes condamnées, une certaine Sarah, ayant prononcé une malédiction relative à un enfant caché qui poursuivrait sa lignée. Le narrateur de ces chapitres se présente comme un vengeur sexophobe aux délires de prédicateur biblique, qui poursuit l’actuelle Sarah au nom de la possession satanique de son ancêtre. Bien entendu, le mystère est entretenu sur l’identité de ce vengeur, avec une fausse piste, comme il est d’usage dans le genre thriller.
Le matin de la cérémonie, Sarah mène à nouveau sa cousine dans le grenier secret, à sa plus grande joie, en quête d’objets pour respecter la tradition. Elle tombe sur une boucle d’oreille précieuse mais dépareillée, et Rébecca imagine qu’Adrian sorte par miracle l’autre boucle au moment de la cérémonie. Un bouquet mystérieux arrive, auréolé d’un A, mais piégé par une lame de rasoir qui blesse Sarah. Cornelia empêche son mari de prévenir la police, et veut croire que ce n’est pas Adrian (qui nie avoir envoyé le bouquet), mais un jaloux. Cependant, au moment de rejoindre l’autel, Sarah s’enfuit de l’église (p. 68). Elle est rejointe dans sa voiture par Rébecca, mais aussi par la froide grand-mère, Lavinia, qui n’avait pas l’air de s’amuser follement à ce mariage, et qui, pour une raison qui restera inexpliquée, suit sa petite-fille et sa petite-nièce (la logique voudrait qu’elle prenne plutôt l’avion pour se rendre en Californie). C’est que Lavinia souhaite rejoindre un amour de jeunesse, en Californie. Cette fuite soudaine de Sarah l’arrange, et toutes trois mettent le cap sur la route 66, droit sur l’Ouest. Sarah explique qu’elle a surpris une conversation téléphonique d’Adrian (du moins a-t-elle reconnu sa voix) où il se vantait de l’amener dans une « tanière » où ils seraient « unis dans la mort, à jamais » (p. 88) ; de plus, en réfléchissant sur le passé récent, elle trouve Adrian trop protecteur, et elle se souvient d’une scène étrange où il avait passé sa rage sur le cadavre d’un chien. Les trois fugitives s’aperçoivent vite qu’elles sont suivies. Elles achètent des vêtements, ce qui est l’occasion d’un changement de look impressionnant de Lavinia, qui en devient étrangement sexy pour ses 69 ans. La carte bancaire de Lavinia est bloquée par Cornelia, qui a réussi à faire croire à la police que sa mère sénile aurait entraîné les deux filles avec elle. Pleines de ressources, les trois filles échangent la voiture neuve contre une d’occasion, pour poursuivre la route avec la différence de prix. Elles prennent une jeune auto-stoppeuse un peu baroudeuse, Dwight, qui a tôt fait de débusquer chez Lavinia la lesbienne refoulée, évidence que les deux cousines se refusaient à percevoir. Elle va même la vamper, provoquant chez Rébecca un sursaut de puritanisme : C’est quoi le problème ? […] Que je sois lesbienne, ou que ta vénérée grand-tante préfère les femmes ? » (p. 185). Rébecca est en fait surtout bouleversée par la subversion de la « barrière des âges » (p. 186), et non par le lesbianisme. Pendant ce temps, un serial killer poursuit les filles en semant des cadavres parfois atrocement mutilés sur sa route. Tout semble indiquer que c’est Adrian, ce que semble confirmer Jonathan, le seul membre de la famille que Sarah appelle au bout de quelques jours, car il lui confirme qu’Adrian et un ami d’enfance se sont précipités à leur poursuite. Lavinia se livre alors à des confidences sur son amour de jeunesse pour la femme qu’elle va rejoindre, et qui est à l’article de la mort. Cet amour avait été surpris par son père, et elle s’était résignée à accepter un mariage arrangé, à renoncer à revoir celle qu’elle aimait, ce qui ne l’avait pas empêchée de suivre sa carrière, et de savoir qu’elle vivait avec une femme. Je ne vous raconterai pas la fin, ni ne dévoilerai l’identité du tueur. Sachez cependant que la narration insiste sur les malentendus du mariage et de la famille, que ce soit entre Sarah et Adrian, ou dans les regrets de Lavinia par rapport à ce qu’elle a transmis de ses frustrations à ses filles : « Leur amour pour moi s’est peu à peu mué en une haine qui n’a même pas réussi à les souder » (p. 246). La fin suggérée est ouverte à tous les possibles, et réunit en tout cas un quintette de femmes, dont trois lesbiennes, désireuses de vivre désormais des relations vraies.

Mon avis

La Trace est une bonne surprise. Nulle jérémiade sur l’homophobie, nulle propagande pour le mariage, mais des personnages hors-normes, des lesbiennes aimant la vie et vivant des aventures romanesques. C’est tellement simple, mais ce sont de telles œuvres qui peuvent, plus que les romans militants, banaliser l’altersexualité sans heurter les consciences des jeunes lecteurs. La couverture très glamour constitue une fausse piste, ce qui est de bonne guerre dans le thriller, mais elle risque de détourner certains lecteurs par son image de mariée en robe ringarde. À y regarder de plus près, elle constitue une fidèle lecture de l’ironie du roman sur le thème du mariage !

 La Trace bénéficie du label « Isidor ».

Label Isidor HomoEdu


 Lire l’article de Jean-Yves Alt sur ce livre. Je tiens d’ailleurs à le remercier d’en avoir flairé la trace !
 Allez, cet article vous fournira un indice sur le serial killer. Non ! Ne cliquez pas ! Trop tard !

Lionel Labosse


Voir en ligne : Article de Wikipédia sur l’auteure


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[1Cela inclut le fait que la famille appartienne au culte protestant. Pourtant le mot « église » est utilisé dans le roman pour désigner le lieu du mariage, et le mot « temple » n’est jamais utilisé ; mais il est vrai que le mot peut s’utiliser en ce sens.