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La rapidité des progrès industriels et technologiques nous mène-t-elle forcément à la catastrophe ?
Sujet BTS « À toute vitesse ! » spécial coronavirus, avec corrigé
Un sujet de Culture Générale & Expression pour s’entraîner en confinement.
samedi 9 mai 2020, par
Voici un sujet d’examen blanc sur le thème 2019-2021 « À toute vitesse ! », que j’ai concocté pour mes étudiants de BTS 2e année, en pleine période de confinement contre le coronavirus, sans savoir dans quelles conditions se passerait l’examen final. Je les avais préparés avec un certain nombre de documents et de films collapsologiques. On déconseille en principe à nos étudiants de tenir compte de l’actualité, quand on connaît le nombre de copies indigentes, en ce qui concerne l’écriture personnelle, surfant sur les derniers événements en date, comme cela avait été le cas pour le sujet 2019, avec l’incendie de Notre-Dame et la coupe du monde de foot, surtout quand la consigne habituelle « en vous appuyant sur les documents du corpus, vos lectures et vos connaissances personnelles » est systématiquement ignorée par 95 % des candidats. Mais cette année 2020, l’actualité devient d’autant plus incontournable qu’elle recoupe les deux thèmes au programme : « À toute vitesse ! » et Seuls avec tous. En 2021, le thème de la musique est moins porteur, donc le sujet devient 100 % « À toute vitesse ! »
À vos stylos : vous avez quatre heures pour la synthèse et l’écriture personnelle, et sans aucune aide. « Nous sommes en guerre » !
Après avoir vaillamment résisté aux demandes insistantes des celles & ceusses qui souhaitaient m’extorquer avec plus ou moins de politesse le corrigé, le voici enfin en ligne, maintenant que j’ai à nouveau fait bûcher mes étudiants de 2021 sur le même sujet… (vu la quantité de travail que demande un sujet original et son corrigé exhaustif, mes estimables collègues comprendront qu’on se le garde sous le coude pour l’année suivante !)
BREVET DE TECHNICIEN SUPÉRIEUR – TOUTES SPÉCIALITÉS
SESSION 2020-2021
Culture générale et expression
Durée : 4 heures
Aucun matériel n’est autorisé.
« À toute vitesse ! »
PREMIÈRE PARTIE : SYNTHÈSE (/ 40 points)
Vous rédigerez une synthèse objective, concise et ordonnée des documents suivants :
Document n°1 : Jean Giono (1895-1970), Lettre aux paysans sur la pauvreté et la paix, Grasset, 1938.
Document n°2 : André Lebeau (1932-2013), L’Engrenage de la technique, 2005, Gallimard.
Document n°3 : Sonia Shah, « Contre les pandémies, l’écologie », Le Monde diplomatique, mars 2020.
Document n°4 : Louis Rémy Sabattier (1863-1935), « Perdus ! » (aquarelle), L’Illustration, 1906.
DEUXIÈME PARTIE : ÉCRITURE PERSONNELLE (/ 20 points)
Sujet :
La rapidité des progrès industriels et technologiques nous mène-t-elle forcément à la catastrophe ?
Vous répondrez à cette question d’une façon argumentée en vous appuyant sur les documents du corpus, vos lectures et vos connaissances personnelles.
Le corpus
Document n°1 : Jean Giono (1895-1970), Lettre aux paysans sur la pauvreté et la paix, Grasset, 1938.
« On veut faire de l’humanité tout entière ce qu’on a fait de certains hommes à qui la guerre a cassé la colonne vertébrale et qu’on soutient avec des corsets de fer et des mentonnières armurées. Ils ont des médailles et des brevets de héros, mais quand une femme se marie avec eux, ouvertement on la félicite et sincèrement on la plaint. Pour eux, rien ne remplacera jamais leur vraie colonne vertébrale, toute simple, toute naturelle, pas du tout technique mais si savante à poursuivre, atteindre la joie et s’en nourrir. Cette petite colonne vertébrale d’homme pas du tout glorieuse suivant le social mais, ô combien glorieuse suivant la vie !
Le paysan doit rester paysan. Non seulement il n’a rien à gagner à devenir capitaliste, mais il a tout à perdre. J’estime que l’expérience actuelle le prouve assez pour qu’il soit encore nécessaire de continuer à le démontrer. Il a également tout à perdre à devenir ouvrier – comme les paysans le sont en société communiste – Il y perd sa liberté. Dans l’un et dans l’autre cas, il ne fait qu’augmenter sa sujétion à l’état. Il confie sa vie à l’état. Même sans contester l’excellence de l’état il vaut toujours mieux être le maître de sa propre vie. Être paysan c’est être exactement à la mesure de l’homme. En aucun cas il ne doit travailler plus que pour sa propre mesure. S’il la dépasse, il ne la dépasse que pour pervertir la destination de ses produits, c’est-à-dire pour changer ces produits en monnaie, c’est-à-dire pour permettre, grâce à ce procédé, la force de l’état, et permettre à l’état d’exercer cette force ; et les premiers contre lesquels l’État exerce sa force sont les paysans. Dès que le paysan dépasse sa propre mesure, il autorise son esclavage et donne à l’état droit de vie et de mort sur lui et sur ses enfants. Si peu que ce soit, car une recherche de profit même minuscule est comme une graine de champignon : une seule et tout l’humus en est couvert. Il y a neuf millions de paysans en France. La moindre recherche de monnaie de l’un d’entre eux est très rapidement multipliée par neuf millions. Le désir de profit est lui-même monstrueusement prolifique et, dès que la première cellule du désir est formée, l’homme est bientôt dévoré par un monstre qui ne cesse pas de grandir. Le paysan ne doit faire aucun profit. Il faut qu’il sache que, désirer le plus petit profit, c’est se condamner à mort lui et ses enfants. L’affiche de mobilisation [1] est la conséquence logique de son profit. La mesure que le paysan ne doit pas dépasser c’est son nécessaire, le nécessaire de sa famille, le nécessaire des quelques artisans simples, faciles à dénombrer qui produisent à côté de lui les objets indispensables à son travail et à son aisance. Voilà la pauvreté ; la petite colonne vertébrale naturelle de la vie ; voilà ce qui la rend capable d’amour et de joie. Toutes les tragiques aventures dans lesquelles on la meurtrit ne font que rendre de plus en plus indispensables les corsets de fer et les mentonnières armurées. À la fin du compte l’infirme artificiellement soutenu par ses inventions continue à garder l’apparence d’un homme mais il ne peut plus coucher tout nu avec la femme qu’il aime »
Document n°2 : André Lebeau (1932-2013), L’Engrenage de la technique, 2005, Gallimard.
Les hommes de notre temps sont confrontés à deux problèmes qui n’ont pas de précédent dans l’histoire de l’espèce ; seule leur aveuglante proximité nous permet de les ignorer. Le premier est que, de leur naissance à leur mort, les individus qui forment l’espèce humaine doivent s’accommoder de changements qui, par leur rapidité, défient leur capacité d’adaptation et d’apprentissage. Ces changements engendrent dans la société des tensions à grande échelle, sources de conflits auxquels la technique donne les moyens d’engendrer des désastres. La confrontation latente entre les pays industrialisés et les pays sous-développés est l’effet de l’évolution technique ; elle a créé de profondes disparités entre des populations et, en outre, elle a effacé la distance qui, autrefois, les isolait. Mais, surtout, une inquiétude globale naît de cette croissance accélérée et rejoint les vieilles terreurs millénaristes [2] auxquelles elle donne, pour la première fois, un fondement rationnel. Nous sommes en effet la première génération humaine, depuis les origines, qui se trouve confrontée aux limites de l’espace et des ressources de la planète et qui constate sa capacité à détruire le milieu dont dépend sa survie. Ainsi, le second problème est que nous atteignons un stade où s’amorce un conflit global entre l’évolution technique et la survie de l’humanité.
[…] Les sources de ce conflit […] ne se résument pas à une désadaptation de la population humaine aux ressources que peut lui fournir la Terre et aux altérations irréversibles de l’environnement. Un conflit plus immatériel émerge entre le morcellement politique du monde et la capacité de la technique à l’affecter dans sa globalité. De nouvelles formes d’instabilité à grande échelle du système politico-économique se manifestent, qui étaient simplement inconcevables avant que n’apparaissent les moyens modernes de transports et de communications, et pour lesquelles manquent les moyens de prévision et d’action corrective. […]
Certes, ce n’est pas la première fois, dans l’histoire de notre planète, que la vie bouleverse la zone où son influence s’exerce, la biosphère. Les immenses bancs de calcaire, les gisements de charbon, de pétrole et de gaz qu’exploite notre civilisation et même l’oxygène dans l’air que nous respirons témoignent de la puissance globale du phénomène vital. Mais l’histoire de la planète nous enseigne aussi que les espèces, et singulièrement les espèces supérieures, sont sujettes à s’éteindre. Il ne reste à peu près rien des végétaux qui peuplaient la forêt carbonifère, les dinosaures ont disparu et, beaucoup plus près de nous, la plupart des espèces animales qui côtoyaient les premières populations humaines de l’Europe se sont éteintes. C’est là le sort banal des espèces, mais pour ce primate enclin à croire qu’un dieu l’a fait à son image et qui, dans ses rêves, imagine qu’il lui appartient de peupler les immensités galactiques, se sentir promis à cette fin obscure est un angoissant cauchemar.
Document n°3 : Sonia Shah, « Contre les pandémies, l’écologie », Le Monde diplomatique, mars 2020.
[…] Bien que ce phénomène de mutation des microbes animaux en agents pathogènes humains [3] s’accélère, il n’est pas nouveau. Son apparition date de la révolution néolithique, quand l’être humain a commencé à détruire les habitats sauvages pour étendre les terres cultivées et à domestiquer les animaux pour en faire des bêtes de somme [4]. En échange, les animaux nous ont offert quelques cadeaux empoisonnés : nous devons la rougeole et la tuberculose aux vaches, la coqueluche aux cochons, la grippe aux canards.
Le processus s’est poursuivi pendant l’expansion coloniale européenne. Au Congo, les voies ferrées et les villes construites par les colons belges ont permis à un lentivirus hébergé par les macaques de la région de parfaire son adaptation au corps humain. Au Bengale, les Britanniques ont empiété sur l’immense zone humide des Sundarbans pour développer la riziculture, exposant les habitants aux bactéries aquatiques présentes dans ces eaux saumâtres. Les pandémies causées par ces intrusions coloniales restent d’actualité. Le lentivirus du macaque est devenu le VIH. La bactérie aquatique des Sundarbans, désormais connue sous le nom de choléra, a déjà provoqué sept pandémies à ce jour, l’épidémie la plus récente étant survenue en Haïti.
Heureusement, dans la mesure où nous n’avons pas été des victimes passives de ce processus, nous pouvons aussi faire beaucoup pour réduire les risques d’émergence de ces microbes. Nous pouvons protéger les habitats sauvages pour faire en sorte que les animaux gardent leurs microbes au lieu de nous les transmettre, comme s’y efforce notamment le mouvement One Health.
Nous pouvons mettre en place une surveillance étroite des milieux dans lesquels les microbes des animaux sont le plus susceptibles de se muer en agents pathogènes humains, en tentant d’éliminer ceux qui montrent des velléités [5] d’adaptation à notre organisme avant qu’ils ne déclenchent des épidémies. C’est précisément ce à quoi s’attellent depuis dix ans les chercheurs du programme Predict, financé par l’Agence des États-Unis pour le développement international (Usaid). Ils ont déjà identifié plus de neuf cents nouveaux virus liés à l’extension de l’empreinte humaine sur la planète, parmi lesquels des souches jusqu’alors inconnues de coronavirus comparables à celui du SRAS.
Aujourd’hui, une nouvelle pandémie nous guette, et pas seulement à cause du Covid-19 [6]. Aux États-Unis, les efforts de l’administration Trump pour affranchir les industries extractives et l’ensemble des activités industrielles de toute réglementation ne pourront manquer d’aggraver la perte des habitats, favorisant le transfert microbien des animaux aux humains. Dans le même temps, le gouvernement américain compromet nos chances de repérer le prochain microbe avant qu’il ne se propage : en octobre 2019, il a décidé de mettre un terme au programme Predict. Enfin, début février 2020, il a annoncé sa volonté de réduire de 53 % sa contribution au budget de l’Organisation mondiale de la santé.
Comme l’a déclaré l’épidémiologiste Larry Brilliant, « les émergences de virus sont inévitables, pas les épidémies ». Toutefois, nous ne serons épargnés par ces dernières qu’à condition de mettre autant de détermination à changer de politique que nous en avons mis à perturber la nature et la vie animale.
Document n°4 : Louis Rémy Sabattier (1863-1935), « Perdus ! » (aquarelle), L’Illustration, 1906.
Corrigé complet
Tout ce qui est en gras constitue des indications pédagogiques, qui ne doivent pas figurer sur la copie ! Les titres en italiques sont juste soulignés en écriture manuscrite.
Proposition de synthèse rédigée
[Introduction] [accroche / présentation du sujet] Les temps modernes se caractérisent par la substitution d’un temps linéaire, où l’avenir est différent du passé, au temps cyclique des sociétés ancestrales, où l’avenir et le passé se rejoignaient. Hartmut Rosa distingue même dans la « modernité avancée », « la conception prédominante […] d’un temps linéaire à l’avenir ouvert » dont l’« issue demeure incertaine ». [présentation des documents] Les quatre documents de notre corpus illustrent chacun à leur manière cette incertitude de l’avenir propre au monde actuel. Jean Giono dans sa Lettre aux paysans sur la pauvreté et la paix conseille aux paysans de renoncer de céder aux sirènes du progrès. André Lebeau dans son essai L’Engrenage de la technique, montre que l’accélération des progrès peut mener notre espèce à sa perte. Dans « Contre les pandémies, l’écologie », un article du Monde diplomatique, Sonia Shah dresse l’inventaire des espoirs et des craintes en matière de pandémies. Avec son aquarelle publiée en 1906 dans la revue L’Illustration, Louis Rémy Sabattier révèle qu’aux débuts de l’automobile, ce symbole de la modernité n’empêchait pas qu’on puisse se sentir « perdus », comme le proclame son titre. [problématique] La « modernité avancée » nous pousse-t-elle à un dilemme entre une modernité inconsciente de ses limites et un passéisme rétrograde ? [annonce du plan] Nous établirons d’abord un état des lieux de cette modernité avancée, puis nous nous demanderons en quoi l’accélération de la modernité peut s’avérer conflictuelle, pour finir sur les solutions proposées pour pallier ces conflits.
[1re partie du développement : état des lieux de la modernité avancée] L’ensemble des documents du corpus nous rappelle que l’évolution technologique et industrielle plonge ses racines fort loin dans l’histoire de l’humanité. Selon Sonia Shah, elle remonte au processus de modification de la nature pratiqué par l’homme dès la période préhistorique, pour la pratique de l’élevage et de l’agriculture, phénomène amplifié par la colonisation, avec ses voies ferrées et ses cultures massives. Jean Giono, qui écrit juste avant la Seconde Guerre, recourt à la métaphore de la colonne vertébrale brisée pour accuser le capitalisme ou l’industrie qui transforment le paysan en ouvrier, ou poussent celui-là à la recherche de profits financiers plutôt que de produire pour sa propre subsistance. L’étude du dessin de Louis Rémy Sabattier permet de saisir les changements qui étaient à l’œuvre au début du XXe siècle, entre l’automobile et les travaux publics, les infrastructures, moyens de transports et de communication qui permettent de réduire les distances entre les populations, ce que signale aussi André Lebeau [faire dialoguer les documents], mais aussi les cartes routières ainsi que les lunettes ou les phares, qui réduisent la durée de la nuit et augmentent la durée de la vie où un homme peut lire ou travailler. André Lebeau ajoute que le ver est dans le fruit, car les techniques au sens large de la modernité avancée permettent aussi de détruire, de morceler le monde, et de supprimer nos moyens d’y remédier.
[2e partie du dvt : l’accélération de la modernité peut s’avérer conflictuelle] Ce qui pose problème avec ces progrès technologiques, ce n’est pas tant la modernité que son accélération qui peut s’avérer conflictuelle sinon dangereuse. Si la position de Jean Giono est individualiste, rappelant la crainte, si l’on « dépasse sa propre mesure » [citation du texte à titre exceptionnel], d’être soumis au bon vouloir de l’État (qu’il écrit significativement avec un é minuscule), il évoque aussi un aspect exponentiel du désir de profit, en utilisant l’image du champignon dans l’humus ou du monstre qui grandit. Cette image se retrouve dans l’évocation des virus ou bactéries qui se transmettent à l’homme, dans l’article du Monde diplomatique. Le dessin de Sabattier rejoint discrètement la métaphore de Giono, car l’automobile posée en premier plan prend tout l’espace et dépasse même du cadre, tandis qu’elle barre le chemin du cheval et des paysans. André Lebeau nous donne du progrès une vision collapsologique, en évoquant une rapidité qui surpasse notre capacité d’adaptation, et des tensions qui finissent par menacer la survie de l’espèce. Si la politique semble dépassée par les événements chez Lebeau, Sonia Shah pointe au contraire sa responsabilité dans la déréglementation de l’industrie qui aggrave les problèmes. [faire dialoguer les documents]
[3e partie du dvt : les solutions proposées pour pallier ces conflits] Face à cette accélération dangereuse de nos modes de vie, reste-t-il de l’espoir ? Chaque auteur nous suggère ses solutions. À la proposition radicale de Jean Giono de rester paysan, de ne jamais dépasser sa mesure, de se cantonner à une vie simple et à la possession d’objets indispensables, André Lebeau propose une réponse angoissée dont les solutions ne se lisent qu’en renversant ses prédictions : s’adapter aux ressources écologiques, protéger l’environnement et se soumettre à la globalité du « phénomène vital », quitte à envisager notre propre disparition en tant qu’espèce. Si l’article de Sonia Shah est aussi inquiétant, elle propose des solutions pragmatiques dans plusieurs directions, la protection de l’habitat sauvage comme chez Lebeau, les progrès de la science, mais aussi le changement politique. Quant à Sabattier, son titre nous met sur la voie d’une interprétation qui rejoint Giono : « perdus ! » sont les citadins qui, s’ils levaient le nez de leur carte, verraient le paysan montrer le chemin avec son bras, tandis que le lecteur du journal est aussi appelé à suivre la perspective qui, au-delà de l’obstacle de l’automobile obstruant le premier plan, dirige le regard vers un chemin ouvert et dégagé.
[Conclusion] Pour conclure, ce corpus révèle que tout au long de l’histoire, depuis les balbutiements de l’humanité jusqu’à aujourd’hui, le progrès technologique a toujours été accompagné d’effets plus ou moins nocifs. Avec la modernité avancée, l’accélération des progrès est au mieux considérée comme un danger de perte de repère, au pire comme une menace de fin non pas tant du monde que de l’espèce. Face à ce risque accéléré, les solutions proposées, au-delà de l’alternative entre passéisme et inconscience, vont du repliement sur soi et de la terreur, à la confiance en la science et en la raison. [Ouverture] La pandémie du coronavirus SARS-CoV-2 qui a imposé un coup de frein brutal à la modernité en 2020 n’est-elle pas semblable à cette grosse machine immobilisée sur le dessin de L’Illustration ? Va-t-elle inciter l’humanité à retrouver un peu de « bon sens paysan » et à ne pas se laisser déboussoler par la griserie du changement ?
Proposition d’écriture personnelle rédigée
Rappel du sujet : (inutile de le recopier sur votre copie ; ne prenez pas une autre copie, laissez juste quelques lignes blanches après la synthèse) « La rapidité des progrès industriels et technologiques nous mène-t-elle forcément à la catastrophe ? »
[Introduction] [amorce] Dans l’épisode de pandémie que nous vivons actuellement, il serait tentant de se livrer à une lecture collapsologique de cet événement et à en tirer la conclusion hâtive que la « modernité avancée » selon la formule d’Hartmut Rosa, ne peut mener qu’à la catastrophe, et qu’il vaudrait mieux louer le temps passé selon la posture dénoncée par le poète latin Horace, du « laudator temporis acti » (celui qui fait l’éloge du bon vieux temps), comme si les siècles passés n’avaient pas connu des catastrophes bien plus meurtrières que les nôtres (famines, épidémies de peste, éruptions du type Vésuve au Ier siècle ou Samalas en 1257 en Indonésie, qui entraîna une famine en Europe, épidémies de choléra…, sans parler des guerres et génocides). [problématique] Plutôt que de nous complaire dans cette posture, nous pourrions aussi bien nous demander quelles leçons tirer des catastrophes présentes et passées pour les éviter à l’avenir. [annonce du plan] Nous verrons d’abord que la rapidité des progrès industriels et technologiques a été plutôt un facteur de progrès, puis qu’elle a toujours présenté des risques, enfin nous nous demanderons face à cette accélération, comment éviter les catastrophes futures.
[Développement : ceci n’est qu’un plan détaillé. Attention : tout doit être rédigé. Pas de numéros, de tirets, etc.]
1. La rapidité des progrès industriels et technologiques, facteur de progrès
1.1. Réduction des distances. Depuis les premiers bateaux dans l’Antiquité, le monde s’est rétréci (schéma de Hartmut Rosa : entre 1500 et 1960, passage de la vitesse de pointe en transports de 16 km/h à 1000 km/h). En cas de catastrophe dans une région, l’avion, les bateaux, permettent d’acheminer une aide rapide & efficace. Le goût du risque, du sport, participent d’un certain bonheur de vivre paradoxal (F. Sagan, Avec mon meilleur souvenir ; Hitchcock, La Main au collet).
1.2. Course contre la montre en matière de science, guerre, secours. Exemple : épidémie de maladie à virus Ebola en Afrique de l’Ouest en 2013, jugulée grâce à la vitesse de réaction de différents pays et organismes. Organisation du débarquement de Normandie et de Provence. Organisation des secours dans La Tour infernale (J. Guillermin & I. Allen, 1974).
1.3. Émulation, compétition. Aquarelle « Perdus ! » : vision optimiste de l’apport du cheval vapeur au monde paysan (à l’opposé des idées de Giono) : augmentation de la production par la vitesse des machines. Réduction des famines. Roman et film L’Étoffe des héros : accélération des progrès à cause de l’émulation URSS / USA. Mur du son passé en 1947, puis nombreux records, qui ont permis les progrès de l’aéronautique civile. La rapidité des progrès industriels dans l’électroménager, la concurrence entre marques, favorise l’égalité hommes / femmes (libération du temps consacré aux tâches ménagères).
2. la rapidité des progrès industriels et technologiques, facteur de risque
2.1. Vitesse source de conflits et violence. Là les exemples du cours / corpus ne manquent pas. Sonia Shah : la réduction de l’habitat sauvage, même lente, entraîne depuis le néolithique des risques de pandémies. Exemple des grandes découvertes au XVIe siècle, qui étaient rapides pour l’époque, et ont apporté toutes les maladies européennes aux populations des autres continents. La réduction des distances peut aussi entraîner un rejet de ceux qui ne suivent pas. Ex : dessin de Sabattier : absence de communication entre paysans et citadins. Rejet de ceux qui ne sont pas assez rapides, (élève trop lent à l’école ; citoyen qui ne maîtrise pas les moyens modernes de communication laissé sur la touche). La Poursuite infernale de John Ford : engrenage de violence entre cavaliers indiens avec armes modernes, et diligence.
2.2. Réaction exponentielle. Texte de Giono : exemple des réactions en chaîne du capitalisme. Un système de vitesse qui finit par s’immobiliser : l’embouteillage dans Tout l’or du monde de René Clair, ou l’effet moutonnier des villageois, bonne illustration du texte de Giono. La Nuit des morts vivants de G. Romero : chaque zombie n’est pas fort individuellement, ils sont lents, mais ils se contaminent et se reproduisent de façon exponentielle, ce qui constitue leur danger (rapport avec le virus actuel). Dans la course à l’armement nucléaire, l’escalade aboutit à un risque d’apocalypse : « Doomsday machine » des Russes dans Dr Folamour de Stanley Kubrick.
2.3. Réduction du temps de réponse. André Lebeau : « changements qui par leur rapidité, défient [notre] capacité d’adaptation et d’apprentissage ». Système politico-économique sans « moyens de prévision et d’action corrective ». Arme nucléaire : réduction du temps de réponse à quelques minutes, impossibilité de revenir en arrière à cause des clauses de sécurité : Dr Folamour de Stanley Kubrick. Campagne de « vaccination » au Covid-19 qui passe outre l’essai de ces « vaccins ».
3. Face à cette accélération, comment éviter les catastrophes ?
Le plan de cette partie est inspiré de la « Matrice d’Eisenhower », tirée de Le Culte de l’urgence, de Nicole Aubert. Cette matrice distingue 4 types d’actions, en fonction de l’urgence ou de l’importance. L’urgence critique a été vue en 2.3 (réduction du temps de réponse). Pour pouvoir réagir en temps de crise, on peut jouer entre deux crises sur les trois autres cases : fun / délégable / stratégique.
3.1. Ralentissement (case « fun »). Repli sur soi du paysan de Giono. Saine réaction du héros de Tout l’or du monde, qui choisit l’amour et la tranquillité contre l’instauration des défauts de la ville à la campagne. Du bon usage de la lenteur, de Pierre Sansot. Éloge de l’immobilité, de Jérôme Lèbre : « En prenant la posture de Bouddha, l’adepte rejoint sa nature, qui est le vide même : et comme la voie est vide, elle s’atteint sans étapes. Cette position est aussi bien celle de celui qui a voyagé sur un âne en cherchant l’illumination, et se rend compte que l’illumination est l’âne ; pour la trouver, il cesse de chercher et descend. Descendre de son âne, c’est alors aussi bien vaquer à ses actions quotidiennes, puisque l’action n’accomplit rien. L’adepte peut donc transporter de l’eau, couper du bois : quoi qu’il fasse, il ne voyage plus ». « Déshabillez-moi », de Juliette Greco : la lenteur contre la violence sexuelle ?
3.2. L’union, la force du groupe (case « délégable »). Ressources pour contrer les pandémies : action des ONG pour protéger l’environnement et action politique ou associative contre la déréglementation (Sonia Shah). La Nuit des morts vivants de G. Romero : en cas de catastrophe soudaine et imprévisible, c’est la capacité de s’unir et de surmonter ses craintes qui permet de réagir. La torpille Bangalore, dans Au-delà de la Gloire de Samuel Fuller, allégorie du sacrifice du guerrier. Dévouement des soignants & sauveteurs dans toute crise humanitaire ou médicale.
3.3. La prévision des risques (case « stratégique »). Le risque atteint parfois un tel degré, qu’il oblige à trouver une solution : Paul Virilio : « À cette époque [1962], le délai de préavis de guerre est encore de 15 minutes pour les deux Super-Grands. L’implantation de fusées russes dans l’île de Castro risquait de faire tomber ce délai à 30 secondes pour les Américains, ce qui était inacceptable pour le président Kennedy quel que soit le risque de son catégorique refus. Nous connaissons la suite, l’installation de la ligne directe du téléphone rouge et l’interconnexion des chefs d’État ! » Exemple de l’épidémie de Coronavirus : leçons à tirer sur l’adaptation des citoyens, de l’économie et du secteur de la santé, à un risque accru non pas d’épidémie (on peut compter sur l’aide des autres pays) mais de pandémie (on ne peut compter que sur ses propres ressources). [Attention : les allusions à l’actualité doivent rester exceptionnelles et vraiment justifiées].
[Conclusion] [bilan] Pour conclure, ne nous laissons pas aveugler, comme le soldat sur le champ de bataille, par la violence d’une catastrophe en train de se produire. Certes, la rapidité du progrès technologique et industriel de la « modernité avancée » peut nous sembler dans ces moments critiques, comporter plus de risques que d’avantages, mais dans l’histoire de l’humanité, de nombreuses catastrophes ont permis aux hommes de se préparer aux catastrophes suivantes, s’ils persistent à puiser en l’humanité des capacités de résilience. [extension du champ] Cela n’empêche pas que, catastrophe ou non, l’homme comme les civilisations, selon le mot du poète Paul Valéry relayé par André Lebeau, doivent se rappeler qu’ils et elles sont mortels.
– Voyez la rubrique covidisme, et retrouvez l’aquarelle de Sabattier dans cet article : « Du cheval au cheval de fer et au cheval-vapeur ».
Sujet et corrigés concoctés par Lionel Labosse.
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Reproduction interdite.
[1] Affiche de mobilisation des soldats pour la guerre.
[2] Terreurs millénaristes : angoisse de ceux qui croient à la fin du monde et au Jugement dernier.
[3] Un agent pathogène humain est un facteur capable de causer une lésion ou une maladie chez l’homme.
[4] Bête de somme : animal qui porte ou tire une charge (cheval, bœuf, chameau, âne…).
[5] Velléité : tendance, désir, envie de faire quelque chose.
[6] Un erratum publié dans le n° d’avril du Monde diplomatique rappelait que dans cet article (mais surtout dans le début de l’article), le nom de la maladie avait été utilisé au lieu du nom précis de ce coronavirus : il faudrait donc ici remplacer « Covid-19 » par « SARS-CoV-2 ».