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Homos et tziganes, pour les 5e / 4e

Différents, de Maryvonne Rippert

Magnard jeunesse, Tipik junior, 207 p, 2005, 7,2 €.

dimanche 22 avril 2007

Un genre très codé (journal de lycéenne fashion victim et trop naïve), une trame désormais stéréotypée (la fille hétéro tombant amoureuse du plus beau garçon de la classe, nouvellement arrivé, mais il est gay). Une présence originale de la communauté tzigane, mais pas montrée sous son meilleur jour. Heureusement, ce roman, un peu trop empesé par une volonté de démonstration pour qu’on le propose au-delà du niveau 4e, accroche par son style caustique et humoristique, et offre des pistes de réflexion critique intéressantes pour les adolescents.

Résumé

Agathe, la narratrice est une lycéenne type, préoccupée par son apparence physique. Elle se trouve transparente, la pauvresse ne plaît pas aux garçons. Aussi, quand Will, nouvel élève fort séduisant, arrive en cours d’année, venant des « States », elle n’en revient pas qu’il la choisisse comme guide. Will est pourvu de toutes les qualités, cultivé, prévenant, anticonformiste, et capable de conseiller une fille dans le choix d’une robe chic pour un mariage. Le drame de Will, c’est qu’il veut être styliste, et que ce genre de métier semble impossible pour son père, militaire caricatural. Au moment où Agathe s’apprête à lui faire une déclaration, Will révèle qu’il est gay. Elle réagit fort mal au début, croit qu’il l’a manipulée pour séduire son frère, Simon. Puis grâce à ce dernier, qui se révèle moins superficiel qu’elle ne le croyait, Agathe se remet en cause et accepte l’amitié de Will. Cette trame narrative est la même que nous avions dans Requiem gai, dans Comme le font les garçons, dans L’amour en chaussettes, Sweet Homme, et dans Le Pari ; autant dire qu’il faudrait passer à autre chose, ou, pour une fois, montrer un garçon hétéro draguant une lesbienne, ça changerait ! Différents devient différent quand il s’avère que Will est amoureux de Niglo, un des jeunes gitans provisoirement installé dans la propriété d’Achille d’Aurède, octogénaire voisin et grand ami d’Agathe. Celui-ci a accueilli un vieil ami, Lazlo, puis petit à petit toute sa communauté tzigane, lesquels s’apprêtent à célébrer un mariage. La présence des tziganes est mal tolérée dans ce quartier résidentiel de la région lyonnaise, et une pétition circule pour qu’ils soient délogés. Will, Agathe et son frère, s’efforcent d’arrondir les angles, mais Grégory, l’amoureux éconduit et intolérant d’Agathe, se défoule non seulement en dévoilant en public l’homosexualité de Will (ce que celui-ci prend pour une trahison d’Agathe), mais aussi en désignant les tziganes à la vindicte populaire. Agathe a fort à faire, car elle veut défendre les tziganes et son vieil ami Achille, mais voilà que celui-ci se met à attaquer Will en lui reprochant de tourner autour de Niglo, au prétexte que « les tziganes n’aiment pas les homosexuels ». Agathe ne sait plus quoi penser, jusqu’au dénouement où, acculés par l’agression homophobe dont Will est victime de la part de gitans, Achille et Lazlo vont organiser une révélation médiatisée de l’origine dramatique de leur amitié.

Mon avis

Il y a de bonnes choses dans Différents, et on sent à tout moment chez l’auteure une honnête volonté de démonstration, dans le sens où elle veille scrupuleusement à ce que la plupart de ses personnages ne soient pas tout blancs ou tout noirs. Ainsi de la narratrice, Agathe, jeune fille à la naïveté disons gudulienne, qui ne voit pas des signes gros comme des roulottes. Par exemple, une heure après avoir surpris le croquis du jeune gitan réalisé par Will, lorsque celui-ci lui dévoile ses tendances, elle se persuade qu’il est amoureux… de son propre frère ! Même avant cela, elle voit dans sa chambre une reproduction d’une peinture représentant un éphèbe, envoyée par « un ami », et cela ne lui met pas la puce à l’oreille ! Cet aveuglement était utile à la narration, mais on a peine à imaginer une adolescente d’aujourd’hui aussi lente à percuter ! Will, à son tour, boude Agathe sans l’écouter, et son attitude restera ambiguë jusqu’au bout ; mais pourquoi, alors, ne pas en avoir fait un vrai bi ? Le temps n’est-il pas venu de dépasser le stade du « douloureux problème de l’homosexualité » ? L’attitude d’Achille et de Lazlo par rapport à Will et à Agathe est également déroutante, car si l’on en croit la narration, les voisins avaient des raisons de s’inquiéter de la présence des gitans. C’est sur ce point surtout que l’ouvrage pèche. Le choix de déléguer la narration à Agathe, me semble non seulement convenu (on a lu mille récits à la première personne de lycéenne-fashion-victim-qui-se-trouve-transparente), mais aussi maladroit, car il nous empêche d’être informé des motivations des autres personnages, et notamment d’avoir le point de vue des gitans. Or l’ensemble de ce qui est dit sur cette communauté n’est guère valorisant : ils saccagent le jardin de leur ami, ils tabassent un pédé par pure homophobie, ils pratiquent le contrôle social et le mariage arrangé, et le patriarcat règne… une narration à la troisième personne aurait au moins permis de présenter le personnage de Niglo, lequel aurait sans doute valorisé l’image de sa communauté. Et quand Will déclare « On s’aime… mais c’est impossible » (p. 171), d’une part on aimerait avoir la version de Niglo, d’autre part on trouve cela un peu précipité pour un garçon de passage… il faudrait dire aux auteurs de littérature jeunesse que l’on peut aussi batifoler sans passer obligatoirement aux grandes déclarations ! On regrette également l’invraisemblable festival de pathos final, quand la mère alcoolique et dépressive de Will se réveille : « Envolée la malheureuse pocharde égarée : son heure est venue. Elle a une cause à gagner, finie la servitude » (p. 166). Will choisit le moment où son père mène une sorte d’expédition punitive contre les gitans pour lui révéler en public son homosexualité. Ce n’est vraiment pas un conseil à donner aux jeunes dans le cas de parents manifestement intolérants ! (voir Petit manuel de Gayrilla à l’usage des jeunes, ou L’homosexualité à l’adolescence, par exemple). Arrive le récit de la déportation d’Achille et de Lazlo. S’il est tout à fait louable de rappeler les persécutions nazies dont tziganes et homosexuels ont été victimes (voir ma Tribune libre), il faut préciser qu’il n’y a pas eu, en dehors de l’Alsace, de déportation d’homosexuels français pour cause d’homosexualité. La déclaration d’Achille est donc fort invraisemblable. D’autre part, ce terrible récit (son ami déchiqueté par des chiens devant lui) est presque mot pour mot emprunté à Pierre Seel, récemment décédé, et l’auteure aurait pu citer sa source pour lui rendre hommage. L’illustration de couverture est intéressante, elle propose sur fond de triangle rose, un garçon et une fille (c’est plus vendeur que deux garçons !) avec un autre garçon dans l’ombre.

On préférera donc à ce pathos excessif le style caustique et humoristique, digne de Marie-Aude Murail ; de nombreuses formules heureuses : « Elle me glisse un regard de lecteur de code barre. En un dixième de seconde, elle évalue le coût, TTC, de ce que je porte sur moi » (p. 109). On relèvera aussi ce passage où Bastien, le copain de Simon devenu le petit ami d’Agathe, lui révèle qu’il a eu des tendances homo à l’âge de treize ans, et qu’il a même fait une tentative avec Simon, ce qui n’a pas empêché ce dernier de devenir un tombeur de filles… (p. 127). De même, il est suggéré que Will pourrait ne pas être si insensible que cela aux filles. Gageons que cet aspect séduira les adolescents.

 Voir également dans Frère, de Ted Van Lieshout, une évocation des tziganes. Un excellent point sur les persécutions nazies sur l’encyclopédie multimédia de la Shoah. Pour en savoir plus sur les Tziganes, lire La Gitane et son destin, de Mossa & Bernard Leblon.

 Maryvonne Rippert répond à notre article :
 Je n’aime pas les bons sentiments. Toutes les recherches que j’ai faites m’ont bien confirmé que la communauté Rom stigmatisait l’homosexualité. Il aurait été invraisemblable de prétendre le contraire. Présentée sous un mauvais aspect, la tribu gitane ? J’aurais eu horreur de tomber dans le cliché romantique des « Fils du vent » pauvres mais libres. Il suffit de passer à côté d’un camp de gens du voyage pour voir à quel prix ils payent leur liberté, et combien leur condition de parias peut les acculer à la misère et souvent à la délinquance. Je ne suis pas manichéenne, et si le titre que j’ai choisi est Différents, c’est bien parce que je me battrai toujours pour que l’on laisse aux gens hors cadres le droit de vivre autrement que selon la « normalité » que la religion, la morale, la politique ou l’économie préconisent. Naïve, Agathe ? Eh bien, oui. Les filles le sont. Peu importe l’information que l’on peut leur donner. Le nombre d’épouses qui ont découvert avec stupéfaction l’homosexualité de leur mari est là pour le prouver... Alors, pensez, une petite poulette sans expérience ! Vous trouvez le thème de la fille amoureuse d’un homo rebattu, vous suggérez un livre où il se passerait l’inverse : un garçon hétéro draguant une lesbienne. Cela me semble pour le coup invraisemblable. Si je n’ai pas fait de Will un bi, c’est que je voulais le saisir dans cette phase d’indécision des jeunes chahutés par des désirs qu’ils ne comprennent pas bien, qui sont amoureux fous pendant 3 jours, puis passent à autre chose. Peut-être est-il un peu amoureux d’Agathe, car sa part féminine est attirée par le côté fusionnel de leur relation, et comme c’est un garçon, ça se traduit sans doute par du désir. Mais au moment où se passe le livre, il est plus important pour lui d’affirmer sa différence que de faire le tri dans ses pulsions. Quant au choix de la première personne, c’était délibéré. Cela fait partie des droits de l’écrivain de décider du point de vue du roman. Si l’histoire avait été vue par un narrateur omniscient, le livre aurait été différent, mais Différents n’aurait plus été mon livre ! Dernier point : Pierre Seel. Certes, je me suis inspirée de son histoire tragique pour le dénouement de Différents. Je n’ai pas osé en faire mention, car je l’avais transformée sur bien des points. Cette histoire m’avait bouleversée, je crois qu’inconsciemment, j’ai voulu apporter un peu de consolation à cet homme qui a vu mourir dans des conditions atroces son ami en adoucissant son malheur par le soutien d’une main amie qui a dû lui faire faute dans la réalité.

 Différents est lauréat du concours Narisomé édition 2007. Voir notre brève.

 Lire l’interview que Maryvonne Rippert nous a accordée.

 Lire, sur « Culture et Débats » le point de vue de Jean-Yves.

Lionel Labosse


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