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Je t’aime, moi non plus, pour le lycée

Mémoire d’août, de Corinne Matthieu

La Cerisaie, Ceriselles, 2006, 211 p., 14 €.

vendredi 9 novembre 2007

Par des allers-retours entre le présent et le passé, Mémoire d’août parvient à reconstruire l’idiosyncrasie d’une jeune femme en rupture avec le sentiment amoureux. La rencontre fortuite d’une femme elle aussi en rupture, lui donnera le courage d’affronter ses douloureux souvenirs d’enfance, notamment l’histoire tragique de ses parents, et de mettre en doute le rejet de toute relation profonde à autrui que lui dicte sa mémoire, d’où sans doute le jeu de mots qu’on peut lire dans le titre. Tout cela dans une ambiance de canicule, où il n’y a pas que les petits vieux qui soient en butte à la solitude. Un roman fort sur les masques et grimaces de l’amour, pour les adultes mais aussi pour les adolescents, pour faire le lien entre monde adulte et enfance.

Résumé

« C’est au mois d’août que sont nés ses pires souvenirs » (p. 12). Garance s’efforce de survivre plus que de vivre, en laissant le moins possible de traces sur terre. Son appartement qu’elle occupe pourtant depuis 15 ans donne l’impression qu’elle n’y est que de passage, et elle se contente de passer de CDD en CDD, sans chercher de CDI. Elle n’a pas le téléphone, car il est lié pour elle a de mauvais souvenirs. Elle reçoit régulièrement des lettres d’Ulysse, qui est resté sur l’« île » de leur enfance, mais elle n’y répond jamais. Ulysse est comme un frère, du fait des relations torturées de leurs parents respectifs, qui se sont terminées tragiquement. Garance observe avec détachement le ballet de drague de ses collègues vendeuses dans la librairie où elle travaille en ce mois d’août caniculaire. Elle n’est pas passionnée par les relations humaines, encore moins amoureuses. Elle « déteste les embrassades du matin » (p. 34) ; « Pour elle, [l’amour] est un sentiment meurtrier » (p. 55) ; « la seule chose qui lui paraît vraie dans l’amour, c’est la souffrance stérile et inutile » (p. 67). Ce sentiment prend sa source dans la mort et la folie qui se sont emparées de ses parents et de ceux d’Ulysse. Un jour dans la librairie, une cliente qui se prétend sortie de prison s’intéresse à elle plutôt qu’aux guides de voyage qu’elle vend, et revient sous différents prétextes, jusqu’à lui proposer un rendez-vous, ce qui s’avérera difficile à cause de l’absence de téléphone et surtout parce que Garance « ne veut pas d’une histoire qui lui découperait le cœur en miettes » (p. 96). Ce n’est qu’à la page 116 qu’on apprend le prénom d’Ariane, prénom symbolique puisque c’est elle qui va aider Garance à sortir de son labyrinthe. Il faudra un petit traumatisme : lors d’un dîner au restaurant, Ariane propose « on va chez moi ? », à quoi Garance répond agressivement : « On bouffe. On baise… C’est pas un peu ordinaire comme programme ? » (p. 122). Au lieu de jouer profil bas, Ariane répond aussi sec (enfin plutôt mouillé, vous verrez, je ne vous dis rien), et plante là Garance, qui, à partir de là, va rebondir. Elle laisse enfin couler « les sanglots qu’elle n’a jamais laissé échapper » (p. 134), et renoue les fils de son passé.

Mon avis

C’est par le style qu’on accroche, un style alerte, pince-sans-rire. Corinne Matthieu a une patte de moraliste, sans prétention : « Elle qui a mis cinq ans pour s’apercevoir que son mari ne correspondait pas à son idéal féminin » (p. 22) ; « Personne n’aurait imaginé que c’était possible de se tuer pour un CDI d’esclave comptable » (p. 158) ; « [Pierre] avait des visions de l’avenir que l’avenir ne voyait pas vraiment comme lui » (p. 166) ; mais ne dédaigne pas de tremper sa plume dans l’acide quand c’est nécessaire : « un tas de viande avariée sur lequel des bandes de jeunes cons pissaient jusqu’à plus soif » (p. 186). Le roman est savamment construit, puisque le lecteur est amené à suivre en parallèle deux sillons qui se rejoignent à la fin, l’histoire tragique des parents de Garance et de ceux d’Ulysse, que Garance a reconstituée progressivement en découvrant les lettres écrites par son père, et la liaison avortée de Garance avec Ariane, qui lui fait prendre conscience de sa névrose et l’incite à surmonter le traumatisme de son enfance, pour changer de vie. On apprend aussi ses débuts érotiques, avec des filles de la fac (p. 71), et avec Ulysse, dans la liberté que donnent les vacances sur l’île ainsi que les pétards (vous êtes prévenus !). Pendant ces fameuses vacances, il est arrivé à Ulysse de coucher avec une touriste, qui lui donne de l’argent. Les personnages ont une conception libre de la sexualité, mais ne parviennent pas à la conjuguer avec l’amour, que ce soit Bruno, Ulysse, Garance ou encore Charlotte, la tante de Garance, qui s’accommode d’une relation avec une femme mariée. On apprécie aussi les personnages secondaires, portraits réalistes de vendeuses, la syndicaliste ou la midinette, ou du propriétaire homo qui ne loue qu’à des homos. Bref, une « tragédie grecque », comme le dit la quatrième de couverture, où la catharsis aurait lieu non pas grâce à la représentation, mais à la mémoire, avec beaucoup de scènes théâtrales, pourtant, qui laissent songer à une adaptation… un petit scénario à la François Ozon ?

 Voir aussi Corinne Matthieu sur le site de La Cerisaie, et lire mon article sur un livre très proche, chez le même éditeur : Vice versa, de Fanny Mertz.

Lionel Labosse


Voir en ligne : Entrevue avec Corinne Matthieu sur run attitude


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