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Itinéraire de Découverte 4e / diversité sexuelle

Journal de bord d’une action pédagogique en collège contre l’homophobie (9)

Développement durable ; genre et discriminations sexuelles

lundi 6 novembre 2006

Du lundi 9 mai 2005 au mardi 24 mai 2005
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Lundi 9 mai 2005

Il faut rédiger un bilan pour l’inauguration du site de Via le Monde. Le texte demandé est de 2000 signes. J’ai décidé de synthétiser les réponses des élèves, mais je vais recopier ici l’intégralité des réponses, brut de décoffrage (orthographe fautive respectée) ; cela ne manquera pas d’être significatif, et tiendra lieu provisoirement de l’évaluation nécessaire à ce genre de projet. Il y a quinze travaux, l’élève la plus motivée (comme il se doit !) étant absente. J’ai mal rédigé la question 1, et les élèves oublient de nommer le projet (réticence révélatrice, tant pour eux que pour moi). Dois-je parler des petits problèmes d’intendance à régler en passant, car rien de ce que j’ai demandé avant ces trois semaines d’interruption n’a été fait ? En ce qui concerne les élèves, un seul groupe présente un panneau terminé (j’en demandais deux par exposé), plus un long texte indigeste, qui n’a pas varié. Le panneau est quand même exploitable, car il a au moins la qualité d’être adapté au niveau des élèves. Cependant, par rapport à la quantité de documents et de travail fourni, c’est désolant. En gros, un seul article, celui de Maxi, fournit les trois quarts des documents. Bref, je crains le pire, mais le programme est fixé jusqu’à la fin de l’année : travaux dirigés, assistanat d’élèves dépourvus de la moindre autonomie. Le contraire des élèves que j’ai observés en Allemagne.

Consigne : Rédaction rapide

Quelques élèves « ambassadeurs », ceux qui auront le mieux réussi ce texte de présentation, seront invités le mercredi 25 mai au matin par Via le Monde pour une restitution commune de toutes les classes du département qui ont participé au projet d’éducation au développement. Chaque classe doit rédiger au moins une petite page de présentation de son projet. Celle-ci sera mise en ligne sur le site pour le 25 mai.
Le site sera par la suite complété pour la rentrée de septembre 2005. Pour chaque exposé, vous réaliserez un texte de présentation du même type.

Rédigez un court texte en trois paragraphes présentant le projet de cet I.D.D.
1. Quelles étaient vos connaissances et votre réflexion initiale sur le thème choisi, en début d’année, afin de voir ensuite la progression.
2. Présenter rapidement les animations et travaux réalisés en classe.
3. Conclure sur l’apport (ce que vous retenez, ce que vous avez envie de faire par la suite.

Élève n°1
Au début, je ne savais pas que l’homophobie était aussi présente. Je n’avais jamais parlé de l’homosexualité à l’école. Je ne savais pas beaucoup de choses sur les différentes religions, qui étaient aussi sexistes. Je ne savais pas que dans certains pays des jeunes femmes étaient victimes d’excisions, d’infibulations. Je ne savais pas que des homosexuels avaient été assassinés. Notre I.D.D. sert à lutter contre les diverses discriminations, sur l’homosexualité, les femmes.
Nous avons assisté à diverses interventions, comme celle d’Éric Verdier, d’Amnesty International, d’SOS homophobie. Nous avons eu des travaux concernant la Chine ancienne, les crimes d’honneurs, les violences domestiques, le bouddhisme, la violence contre les femmes, les genres et discriminations, le développement durable.
Grâce à l’I.D.D., j’ai compris que les homosexuels étaient souvent victimes d’actes homophobes. Grâce à l’I.D.D. je me suis rendu compte des horreurs que pouvait subir un homosexuel. Grâce à l’I.D.D., j’ai appris que les femmes dans le monde étaient victimes de maltraitances.

Élève n°2
Je ne pensais pas qu’il y avait autant d’initiatives prises pour assurer plus de respect, d’acceptation en faveur des homosexuels. Ma famille a toujours su m’en parler avec les mots justes, sans forcément prendre le parti de certains, mais en me laissant me faire ma propre opinion. Je n’ai jamais été contre, et j’ai toujours respecté la différence des autres, tout en me disant qu’à leur place, j’aurais sûrement eu honte à cause des gens incompréhensifs à ce sujet.
Nous avons reçu la visite d’Éric Verdier, psychologue qui travaille pour la Ligue des Droits de l’Homme, un énorme travail sur les insultes dites gratuitement à toutes sortes de gens différents. La venue d’Amnesty International sur les violences domestiques faites aux femmes, puis SOS homophobie pour lutter ensemble contre les homophobes et défendre la cause des homosexuels et ville comme en cité ou banlieue.
J’ai envie d’être impliquée dans la défense pour les homosexuels, aider des personnes dans cette situation que je connais, afin de les aider à vivre mieux, libres et fiers de leur sexualité.

Élève n°3
Au début de l’année je savais déjà comment étaient considérées les minorités sexuelles, grâce à des documents qui m’intéressaient. Je savais que la femme était considérée comme un objet et inférieure à l’homme, et que les LGBT (Lesbiennes, Gais, Bisexuels, Travestis (sic)) étaient traités comme des chiens. Par contre mes parents ne me parlaient pas des LGBT, pour que je puisse me faire ma propre opinion.
En classe nous avons fait un devoir sur la Chine. Bouddha, fils de roi, ne voulait pas faire entrer les femmes dans la République et les considéraient comme des diables. Lorsque M. Verdier est venu dans la classe, il nous a dit de dire toutes les insultes que nous connaissions, et la plupart des insultes touchaient les femmes (« nique ta mère », « fils de pute ») Nous avons travaillé sur l’âge limite du mariage. Amnesty International est intervenu pour parler des violences domestiques.
Je retiens que les femmes sont les principales cibles touchées par le sexisme, et que même en France il y a beaucoup d’injustice. Par la suite j’aimerais bien continuer de lire des documents du genre « violences domestiques » pour pouvoir aider ces personnes-là. Et pour que les homophobes puissent changer leur avis et acceptent les différences.

Élève n°4
Je savais qu’il y avait des homosexuels qui se cachaient pour ne pas que les autres les voient. Mais pour moi une personne est libre de choisir la personne qu’elle veut vivre avec du moment qu’elle est heureuse et qu’elle réussit bien sa vie. Je trouve que les gens qui sont contre les homosexuels doivent tout de même respecter la différence des autres.
En classe on a eu l’intervention d’Éric Verdier, qui travaille pour Ligue des Droits de l’Homme, Amnesty International et SOS homophobie.
J’ai trouvé intéressantes toutes les interventions car ça fait changer les idées des gens pour pouvoir accepter notre différence.

Élève n°5
Au début de l’année, je savais déjà pas mal de choses sur les sujets que l’on a traités, mais cela était quand même intéressant, surtout les interventions d’Amnesty International : ils expliquaient bien.
En classe, on a travaillé sur les discriminations raciales, on a parlé de la lutte contre l’homophobie, les femmes qui n’étaient pas respectées dans certains pays. Plusieurs fois dans la classe il y a eu des interventions multiples de SOS homophobie, d’Éric Verdier et Amnesty International.
Comparé au début de l’année, je sais un peu plus de choses. Et ça a changé l’opinion que j’avais sur les homosexuels.

Élève n°6
Je suis intéressé par l’I.D.D. car c’est bien, mais pour moi c’est trop difficile à comprendre. J’ai aussi apprécié l’intervention d’Amnesty et d’Éric Verdier et SOS homophobie, c’était très intéressant. Les devoirs qu’on nous donne sont durs à comprendre, le sujet aussi.
La fiche des insultes, les vidéos, le travail sur les skinheads.
Il faut arrêter les violences contre les femmes. Les hommes ne sont pas supérieurs à la femme. Il faut créer de nouvelles lois pour les femmes, les homophobes, les homosexuels.

Élève n°7
Au début d’année, je n’avais jamais réfléchi au sujet et aux questions que nous allions traiter.
Les interventions comme Amnesty International m’ont fait réfléchir à la question. En m’informant avec les autres interventions, cela m’a donné envie de réaliser les travaux, comme les exposés sur l’Androgynie…
J’ai retenu que dans le monde des personnes sont mises à l’écart à cause de leur mode de vie : comme les gays, les lesbiennes. Donc, je ne vais plus avoir de mauvaise vue sur les autres.

Élève n°8
Non, je ne savais pas de ce qui s’est préparé sur ce projet, et je ne savais pas de ce qu’on parle.
Il y a eu plusieurs interventions de Amnesty International, d’Éric Verdier et SOS homophobie. Nous avons vu un film.
J’ai beaucoup à propos de ce sujet. Même si ça ne m’a pas (mot illisible) plus.

Élève n°9
En début d’année, mes questions ne se sont pas posées sur ce sujet. Je n’avais jamais eu de questions sur ce sujet. Je ne pensais pas qu’on allait étudier ce sujet. Je ne savais pas toutes les connaissances qu’on savait avant d’avoir commencé les I.D.D.
En premier, nous avons eu une intervention sur Amnesty International, cela nous a apporté beaucoup d’informations, puis nous avons eu des intervenants sur l’homophobie. Nous avons réalisé une grande affiche, et certains plus précisément sur les violences domestiques. Puis Éric Verdier, un intervenant, est venu nous faire faire un travail sur l’insulte. Cela a permis à certains de se défouler. Puis un travail sur bouddhiste.
Depuis le début des I.D.D. nous avons appris des choses essentielles, et non pas que sur les discriminations sexuelles, mais aussi sur les insultes et sur le bouddhisme, sur les religions.

Élève n°10
Je n’ai jamais travaillé sur ce sujet. Je le trouve intéressant, mais il y a trop de choses inexpliquées.
Nous avons eu plusieurs interventions, comme deux d’Amnesty International qui nous ont apporté des connaissances sur les homosexuels.
Ça m’a appris certaine qui ne sont pas forcément essentiels.

Élève n°11
Je n’avais jamais travaillé sur ce sujet. Ce sujet ne m’a pas motivé.
Les travaux réalisés en classe sont sur Bouddha, les injures, la discrimination, les violences sur les femmes.
Cet I.D.D. m’a apporté des connaissances dont j’aurais pu m’en passer.

Élève n°12
Je n’ai jamais parlé de ce sujet. Je n’aime pas du tout ce sujet, mais par contre au départ je me disais que c’était bête d’être homosexuel, mais j’ai réfléchi à la question.
Nous avons eu plusieurs interventions, et nous avons travaillé sur l’âge du mariage, le bouddhisme et la Chine ancienne.
Je n’avais pas trop envie de pratiquer ce sujet, et je n’ai pas trop aimé. Finalement, j’ai bien réfléchi à la question, et je me suis dit que les homosexuels font ce qu’ils veulent.

Élève n°13
Nous avons travaillé sur l’homophobie. Je n’avais jamais réfléchi à la question avant le début de l’année. J’étais au départ contre l’homosexualité, mais cet I.D.D. m’a fait réfléchir sur ce sujet.
Nous avons étudié le sexisme dans la Chine ancienne, et chez les bouddhistes, puis nous avons traité de l’âge du mariage.
Grâce à cet I.D.D., j’ai pu réfléchir à cette question et changer d’opinion sur l’homosexualité.

Élève n°14
Au début, je ne savais pas qu’il y avait autant de pays sexistes et homophobes. Je ne savais pas non plus qu’il y avait autant de religions dans lesquelles les femmes étaient soumises. Je ne connaissais pratiquement pas l’existence d’Amnesty International.
En classe, nous avons réalisé des affiches sur la violence contre les femmes, les crimes d’honneur, les viols… On a aussi vu des témoignages avec des cassettes. Il y a eu plusieurs interventions dans notre classe. Nous avons fait un exposé et plusieurs devoirs maison. Nous avons étudié la situation des femmes dans la Chine ancienne.
Cet I.D.D. m’a fait comprendre que les femmes sont soumises dans beaucoup de pays. Et que, dans plusieurs pays, l’homosexualité n’est pas acceptée.

Élève n°15
Au début d’année, je ne pensais pas que d’être homo, bi, tout ce qui est différent d’hétéro était aussi difficile à dire et à assumer, car il y a beaucoup de personnes homophobes, et donc ce sujet m’a beaucoup appris et intéressée pour le projet d’I.D.D.
Nous avons fait des travaux sur le bouddhisme, les discriminations, le sexisme… Des exposés sur ces sujets, des travaux en classe, des interventions telles que Amnesty International, SOS homophobie de Sylvie Gras et de Michel Rey.
Je pense que je voudrais faire partie d’une association pour lutter contre cela.

Commentaire
Ces textes appellent des commentaires, mais est-ce à moi d’évaluer cette évaluation ? Je vais demander à quelques personnes qui ont assisté au projet de plus ou moins loin d’y jeter un œil, sous prétexte de choisir les « ambassadeurs ». La remarque principale est le clivage filles / garçons (qui n’est pas à généraliser : il n’est question que d’une seule petite classe !). D’une part les garçons, pour la plupart, n’ont retenu dans ce bilan que la partie « homosexualité » du projet, d’autre part, ce sont les seuls à avoir exprimé des réticences. Les n° 5, 6, 7, 8 et 10, 11, 12, 13 sont des garçons ; les filles ont les n° 1, 2, 3, 4, 9, 14, 15. Voici le commentaire de Colette Broutin, qui représente l’Inspection académique.
« À l’évidence, vos élèves ont découvert des comportements sociaux et culturels qu’ils ignoraient pour la plupart ou dont ils ne mesuraient pas l’importance. Ils ont adopté des postures réflexives qui, pour certains, les conduisent à exprimer leur indignation, leur désir de mieux s’informer, de s’engager dans la lutte contre l’homophobie. »
[…] les élèves 1, 2, 3 ont plus d’aisance à formaliser leur bilan personnel. Je trouve que l’élève n°9 exprime un constat très intéressant du point de vue de la démarche : « Je ne savais pas toutes les connaissances qu’on savait avant d’avoir commencé les I.D.D. ». En effet, le grand mérite de la démarche, c’est bien de partir des élèves, de leurs représentations pour les enrichir, les faire évoluer. » […]
Lors de la réunion du mercredi 11 mai, Colette Broutin insiste sur cette phrase (que je n’avais pas comprise au départ) pour y voir une illustration de la méthode de Socrate (maïeutique). Ben Dame ! voilà que je socratise les élèves !

Voici le texte proposé pour le site :

Projet d’I.D.D. avec 16 élèves d’une classe de 4e à dispositif de soutien. Deux professeurs : français et technologie.

« Genre et discriminations sexuelles »

« Au début, nous ne savions pas que dans certains pays des jeunes femmes étaient victimes d’excisions, d’infibulations, ni qu’il y avait autant de religions dans lesquelles les femmes étaient soumises. Nous n’avions jamais parlé de l’homosexualité à l’école. Nous ne pensions pas que d’être homo, bi, tout ce qui est différent d’hétéro était aussi difficile à dire et à assumer, car il y a beaucoup de personnes homophobes, donc ce sujet nous a beaucoup appris et intéressés, sauf certains d’entre nous, surtout des garçons, qui n’ont pas vu l’utilité de travailler sur ce sujet. Nous ne savions pas que des homosexuels avaient été assassinés. Certains d’entre nous savaient que la femme était considérée comme un objet et inférieure à l’homme, et que les LGBT (Lesbiennes, Gais, Bisexuels, Transsexuels) étaient traités comme des chiens. Leur famille a toujours su leur en parler avec les mots justes, sans forcément prendre le parti de certains, mais en les laissant se faire leur propre opinion.

Nous avons assisté à diverses interventions, comme celle d’Amnesty International et de SOS homophobie. Nous avons reçu la visite d’Éric Verdier, psychologue qui travaille pour la Ligue des Droits de l’Homme. Lorsque M. Verdier est venu dans la classe, il nous a dit de dire toutes les insultes que nous connaissions, et la plupart des insultes touchaient les femmes (« nique ta mère », « fils de pute »). Cela a permis à certains de se défouler. Nous avons réalisé des affiches sur la violence contre les femmes, les crimes d’honneur, les viols. Nous avons eu des travaux concernant la Chine ancienne, le bouddhisme, le développement durable.

Nous retenons que les femmes sont les principales cibles touchées par le sexisme. Les femmes sont soumises dans beaucoup de pays, victimes de maltraitances. Même en France il y a beaucoup d’injustice. Dans le monde des personnes sont mises à l’écart à cause de leur mode de vie : comme les gays, les lesbiennes. Nous avons appris des choses essentielles, et pas que sur les discriminations sexuelles, mais aussi sur les insultes, sur les religions. Au départ certains d’entre nous se disaient que c’était bête d’être homosexuel, mais ils ont réfléchi à la question et ont changé d’opinion sur l’homosexualité. « Je ne vais plus avoir de mauvaise vue sur les autres » dit un garçon. « J’ai envie d’être impliquée dans la défense des homosexuels, aider des personnes dans cette situation que je connais, afin de vivre mieux, libres et fier(e)s de leur sexualité. », dit une fille. »

Mercredi 10 mai 2005

Une lettre encourageante reçue ce jour de la part du député-maire de Tremblay-en-France, à qui j’avais écrit pour l’informer de ce projet et lui demander de signer la pétition appelant à une journée mondiale de lutte contre l’homophobie.

« Monsieur,
J’ai bien reçu votre courrier et je vous en remercie.
Les discriminations, quelle que soit la forme qu’elles revêtent : homme/femmes, ethniques, d’âge, religieuses, géographiques, selon les orientations sexuelles, l’état de santé et le handicap… ne sont pas tolérables dans notre société, fondée sur les principes républicains de Liberté, d’Égalité et de Fraternité, valeurs qui sont au fondement de mon engagement politique.
La lutte contre les discriminations passe d’abord par une éducation à la tolérance et au respect mutuel, principes de base de tout vivre ensemble, car, même si cela s’avère parfois nécessaire, il nous faut aussi être vigilant contre les dérives d’une judiciarisation excessive des rapports humains. C’est pourquoi je ne peux que soutenir votre projet pédagogique consacré au refus du sexisme et de l’homophobie.
Comme indiqué dans le texte de la pétition pour une journée mondiale contre l’homophobie, la lutte contre l’homophobie s’inscrit « dans une démarche plus globale de défense des droits humains » et je puis déjà vous annoncer que je suis signataire de ce texte.
Je vous prie d’agréer, Monsieur, l’expression de mes sentiments les meilleurs. »

François Asensi, Député de Sevran/Tremblay/Villepinte, Maire de Tremblay-en-France

Les élèves de troisième ont rendu leur travail sur le programme de courts métrages de l’opération « Collège au cinéma ». Travail et débat décevants, non que les films ne les aient pas intéressés, mais plus de trois semaines se sont écoulées, et ça sent la fin d’année, l’apathie l’emporte sur le désir de s’exprimer. Rien ne ressort de ce que j’avais pressenti, et je ne sollicite pas les réponses. Même pour d’excellents élèves, on en reste à une description plan-plan du film. Par contre dans le questionnaire sur Les Confessions de Rousseau, parlant de Rousseau adolescent et de son cousin, une élève commet ce contresens : « Les voyant toujours ensemble, les écoliers du village se moquaient d’eux et croyaient en quelque sorte qu’ils vivaient une histoire d’amour, ce qui pouvait choquer à l’époque ».

Mardi 17 mai 2005

Il n’y a pas eu d’I.D.D. lundi 16 pour cause de grève. Voici arrivée cette fameuse Journée mondiale de lutte contre l’homophobie. Le matin, aucune allusion à la radio, mais un collègue me dit qu’il en a entendu parler à France Inter vers 6h. Dans Libération, pas le moindre article. En fait je pensais trouver un article tout frais pour une séance avec des élèves de sixième. C’est un petit raté pour Libé, qui cependant ne peut pas être suspecté d’être hostile aux gais ! Il y en avait deux dans Le Monde, que je consulte sur Internet, mais c’est trop tard pour les photocopier. Donc je me débrouille sans article. C’est un grand pas pour moi, car jusqu’à présent, à part une allusion en passant, je n’avais jamais eu l’occasion de consacrer explicitement une séance à l’homosexualité au niveau sixième. J’avais une certaine appréhension ; dois-je dire que j’ai hésité jusqu’au dernier moment ? En fait je craignais surtout qu’on me reproche d’en faire trop. En raison d’un voyage en Angleterre, les élèves restants ont été répartis en trois groupes. Je me retrouve face à 22 élèves dont seulement six ou sept de ma classe. Il y a bien sûr des frères ou sœurs de mes élèves de 4e ou 3e, qui peuvent avoir entendu parler de ce sujet particulier que je suis (presque) le seul prof à aborder. Tant pis, j’assume le risque qu’un élève fasse une réflexion du style : « Ah ! oui, ma sœur m’a dit que vous parlez tout le temps des homos ».

J’annonce le contenu du cours (2 séances d’une heure) en évoquant la Journée mondiale. L’un des élèves est au courant, il a vu un reportage à la télévision. Nous commençons par une séance de vocabulaire. J’ai prévu d’expliquer les mots suivants : hétérosexualité, homosexualité, lesbienne, bisexualité, transsexualité, homophobie, et de terminer par la question : « connaissez-vous un synonyme, d’origine anglaise, de « homosexuel » ? » Les élèves sont intéressés, attentifs, studieux. Je me rends compte que j’ai oublié quelques mots importants : homoparentalité, travesti. Ce sont les élèves qui évoquent ces mots, de même que j’entends parler d’Achille, avec un élève assez précis sur la question des relations du héros avec Patrocle et Briséis. Cela me permet d’évoquer le monde grec. Je parle de Sappho pour expliquer le mot « lesbienne ». Je laisse un temps pour les réactions, et inévitablement fusent les questions sur l’inceste et la pédophilie, que je dois expliquer en précisant que cela n’a rien à voir. Comme j’ai expliqué le sens étymologique du mot « homophobie », une élève demande s’il y a des homophobes qui n’aiment pas, sans pour autant avoir peur des homosexuels. Signe que les élèves sont avides de renseignements sur ces sujets, de même que les rires étouffés quand je leur dis que les relations amoureuses et la sexualité sont des questions qui commencent à les titiller.

Un élève demande si je connais, moi, des homosexuels. Bien sûr, et eux, en connaissent-ils dans leur entourage familial ou amical ? Je leur demande de lever la main, en précisant que je ne solliciterai aucune précision. Un seul élève lève la main. Se doutent-ils qu’ils en ont un en face d’eux ? Je conclus que souvent, justement à cause de l’homophobie, les gens préfèrent ne pas dire qu’ils sont homos.
Nous passons alors à la deuxième partie. Je reprends l’extrait de Marivaux : « Que vous êtes jolie ! », on le lit deux fois, on l’explique, de façon à mettre en évidence qu’il s’agit d’une caricature de drague hétérosexuelle. Je donne la consigne du travail d’écriture :
« Par groupes de deux, réécrivez le dialogue de cet extrait en modifiant quelques éléments. Vous pouvez remplacer Silvia par un garçon, ou Arlequin par une fille, ou imaginer que l’un ou l’autre est attiré par les garçons ou par les filles. Cela doit entraîner des modifications dans le dialogue. Nous comparerons les différentes solutions trouvées. Dans tous les cas, n’oubliez pas de tirer l’intérêt comique de la situation. »
Voilà ce que ça a donné (avec moins de sérieux que la première partie du travail, mais tous les élèves ont écrit quelque chose). Sept couples sont passés au tableau lire leur travail (avec une difficulté pour trouver des volontaires). Chaque sketch a donné lieu à un court débat.

 Deux filles mettent en scène deux filles. L’une drague l’autre dans une discothèque, elle finit par dire : « Je suis gouine », et se fait rejeter. Commentaire : une lesbienne en principe n’utilise pas un mot méprisant pour se désigner elle-même. Cela ne semblait vraiment pas évident aux auteures du sketch.
 Deux filles jouent deux garçons qui se draguent. « Ça ne me plaît pas », donc, échec. Pas de commentaire particulier.
 Deux garçons jouent deux gais qui tombent d’accord. En fait ils ont repris l’extrait de Marivaux, et ont très bien adapté ce qui devait l’être. Ils ont écouté le conseil que j’avais donné pendant le travail dirigé, d’utiliser le mot « gai » plutôt que « homosexuel ». Leur choix est assez significatif, car l’un des deux est celui qui a entendu parler de la Journée mondiale, et qui, à la fin, exprimera le plus clairement sa satisfaction.
 Deux garçons jouent deux filles. Sketch raté, la relation est étalée sur plusieurs jours, ce qui n’est guère théâtral. On note cependant la réussite de la drague, avec passage à l’acte, évoqué de façon métaphorique (venir dans un canapé) avec force gloussements.
 Deux filles jouent deux filles. Sketch très intéressant, basé sur un quiproquo. L’une aborde l’autre en déclarant « J’adore les filles », puis « Tu es belle comme une rose ». L’autre croit à de simples compliments, et les choses sont précisées : « Je suis lesbienne ». La relation échoue, mais nous mettons le doigt sur la différence entre les amitiés entre filles et entre garçons, qui peuvent autoriser ce genre de méprise. Cependant j’ai cru remarquer ces dernières années un changement chez les garçons, avec parfois des attitudes moins macho, des garçons qui se tiennent par les épaules, qui se traitent de « beau gosse », etc.
 Deux garçons jouent deux garçons adultes, qui s’invitent à discuter à domicile. Là aussi c’est très intéressant, car ils mettent en évidence ce qu’Éric Verdier appelle « homophobie intériorisée ». Ces hommes parlent « de leur personnalité ». Voici l’échange : « Moi je suis homosexuel et célibataire. — Moi aussi. — Si nous sortions ensemble ? — Vous m’avez cru, mais vous êtes malade ! ». Sans commentaire !
 Deux filles jouent deux mecs un peu « racaille ». Dans un cinéma, l’un fait une déclaration, que l’autre refuse de façon agressive, sans aucune volonté de dialogue. Les deux élèves pouffent et n’arrivent pas à lire leur texte de façon audible. Je fais remarquer aux élèves que leur fou-rire est symptomatique d’une certaine gêne. Ai-je eu raison ? La remarque était claire, mais je ne l’ai pas approfondie ; j’espère ne pas les avoir vexées, mais leur avoir permis d’entamer une réflexion.

Même si je ne l’ai bien sûr pas explicité, j’ai fait un bilan, en leur faisant remarquer la différence dans ces 7 exemples, d’une part de sexe des personnages, d’autre part, de réaction face à l’aveu. Il est clair pour moi que le niveau de tolérance familiale influe sur le choix de la situation. Disons qu’il y a des choix plus « gay friendly » que d’autres. Pour terminer j’ai demandé aux élèves quel bilan ils tiraient de ces deux séances exceptionnelles. Je n’ai entendu que des remarques enthousiastes (ce qui n’empêchait pas quelques élèves de rester silencieux, mais l’enthousiasme était majoritaire), du type : « c’est cool » ; « c’était différent du français », etc. Ouf ! aucun problème, apparemment, pour traiter la question à ce niveau, au contraire… Il faudrait maintenant croiser l’un de ces élèves dans dix ans, pour voir ce que cela aura laissé comme trace… mais d’ici là, ce ne sera plus un événement exceptionnel que de traiter de ce genre de sujet, alors peut-être n’auront-ils aucun souvenir du premier de leurs profs à briser le tabou… [1]

Dans la même journée, j’annonce aux élèves de 3e la venue prochaine de SOS homophobie. L’un des élèves s’exclame : « C’est leur anniversaire aujourd’hui, monsieur ! » La journée est donc plus médiatisée que je ne pensais… Je poursuis avec eux ma séquence sur Les Confessions de Rousseau. Une élève me demande en aparté si « Rousseau parle du truc sexuel des garçons ». Je pense au dossier du Monde de l’Éducation sur « sexe et école », où il est dit : « […] l’objet central, c’est la lecture et l’explication des textes. […] Cet « objet » fait apparaître ce qui ne saute pas spontanément aux yeux des élèves, comme l’éveil de la sensualité évoqué par Rousseau dans Les Confessions lors de la scène de la fessée donnée au jeune Jean-Jacques par Mlle Lambercier. » En effet, malgré l’incontestable baisse de régime de fin d’année, je crois constater que beaucoup d’élèves ont lu très attentivement le texte, pourtant d’un niveau difficile. Ce n’est pas par hasard si les deux premiers livres des Confessions sont au programme de 3e… Et cette réflexion féminine serait un signe du fameux clivage fille / garçon, ou du moins du temps d’avance des filles, au sujet de la sexualité.

Jeudi 19 mai 2005

On m’a confié un autre groupe de sixièmes mélangés pour une heure. Je propose la même réflexion sur le vocabulaire, suivie de la lecture d’un extrait du fameux article de Maxi du 7 au 13 mars 2005. Le titre est : « À l’école, l’homosexualité est restée un tabou. Comment aider nos ados qui souffrent de l’intolérance. » Il y a un article de réflexion puis le témoignage d’un jeune qui revient sur ses années au collège. La séance est moins satisfaisante, notamment à cause d’un garçon assez pénible, que je ne connais pas, mais qui me présente en début de cours une feuille de suivi (pour les élèves au comportement difficile). Cet élève produira à peu près toutes les deux minutes diverses remarques ou gloussements. Il commence par : « vous avez écrit un livre qui parle d’homosexualité ? » Je lui demande s’il l’a vu au C.D.I. Il répond « Non, à la T.V. » Je rappelle que mon seul passage à la télévision jusqu’à présent était sur Pink T.V. Impossible d’en savoir plus. Ensuite il dit que tel garçon assis à deux mètres de lui est homosexuel, puis déclare : « Y en a qui sont trop crâneurs », ce que j’aurai du mal à lui faire expliciter. Je me contente de rappeler que comme les hétérosexuels, les homos peuvent avoir divers caractères, mais que cela n’a aucun rapport avec notre sujet. Du coup il est assez difficile de donner la parole aux autres.

Les élèves (dont le dernier cité) évoquent des films qu’ils auraient vu ou qui devraient sortir, mais je ne les connais pas, et je ne sais pas si c’est du lard ou du cochon. J’ai souvent remarqué chez les élèves de 6e, un empilement chronologique. Quand on leur demande de préciser à quel moment et sur quelle chaîne ils ont vu tel documentaire, ils répondent invariablement « chépa ». Pour terminer, je pose la question finale de l’article : « n’est-il pas temps que l’école prenne davantage en charge ce problème ? » Certains répondent oui, un élève n’est pas d’accord : « À l’école on apprend, c’est tout ! » Bref, le message passe globalement quand même, brouillé par les réponses parfois maladroites que je suis obligé de donner aux interruptions de ce garçon.

À la fin du cours, une élève timide vient me voir en aparté : « vous savez, il y en a qui traitent untel de pédé. Et ils le disent de vous aussi. » Elle ajoute : « Moi je ne les crois pas, même si c’est vrai que untel a mis un jour un pull rose. » Qu’à cela ne tienne, la prochaine fois, elle pourra les traiter d’homophobes. En sortant du bâtiment, quelques uns de ces élèves, devant moi, s’amusent à se lancer des « Je suis hétéro », ou des « Sale pédale », comme s’ils révisaient le cours. Je me précipite vers l’autre bâtiment pour savoir comment s’est passée l’intervention de SOS homophobie auprès d’une classe de 4e. Mes collègues et les deux intervenants en sont satisfaits. Les élèves ont posé de bonnes questions. Il paraît, chose exceptionnelle, que la question de la pédophilie n’a même pas été évoquée. J’espère avoir un compte-rendu dans quelque temps, de mon collègue ou des intervenants. Ces derniers estiment que le niveau 4e est le plus approprié pour ces interventions. J’évoque mes séances avec les sixièmes, et ma collègue trouve qu’ils sont trop jeunes. Ce n’est pas mon avis. En effet, l’une de mes découvertes dans ces deux séances, c’est que si tous les élèves connaissaient les insultes, certains ignoraient le sens exact des mots que nous avons expliqués, notamment du mot « hétérosexualité » ! tous les élèves connaissaient « gouine », peu « lesbienne ». Ai-je besoin de justifier le bien fondé de ce travail ? D’ailleurs la semaine prochaine, il est prévu dans le cadre de l’éducation à la sexualité, une intervention en S.V.T. sur le thème de la puberté. Nul doute que cette séance va ressurgir ! Vais-je avoir à nouveau droit au psychodrame du mois de janvier ?

À l’occasion de la journée mondiale est paru un tract de 4 pages intitulé « Ensemble contre toutes les discriminations », réalisé par la FCPE et cinq syndicats (CGT, FSU, SGEN CFDT, UNEF, UNL, UNSA), avec le concours de SOS homophobie et du MAG (Jeunes gais et lesbiens). Ce tract est une excellente initiative, bien sûr (reste à savoir comment il sera diffusé). Deux défauts cependant à la première lecture. Premièrement, le thème n’apparaît pas dans les titres ; il faut lire le texte pour découvrir : « discriminations liées à l’orientation sexuelle et à l’identité de genre », ce qui reste crypté pour beaucoup. Il y a quand même un sous-titre en page 4 : « suicidalité des jeunes homosexuel(le)s », ainsi qu’un dessin en première page, suggérant l’égalité des trois types de couple. Deuxièmement, la question de l’ « homoparentalité » n’est pas abordée, ce qui me paraît gênant s’agissant du milieu éducatif. Un point important à noter, la question de l’identité de genre et de la « transphobie » sont explicitement abordées.

Lundi 23 mai 2005

C’est la journée « pas de chances ». Ça commence par un lapsus en classe de sixième. Au lieu de « présentatif », je dis « préservatif ». Un classique, mais pourquoi ça m’arrive juste après la séance mémorable de la semaine dernière ? En plus, cela n’est pas tombé dans l’oreille de sourds… Ça se poursuit avec ma collègue qui se fait porter pâle pour mercredi prochain. Je devrai accompagner seul les élèves à « Via le Monde », ce qui n’est pas grave en soi, mais j’aurais besoin de soutien. De plus une prof avec laquelle les élèves devaient avoir cours deux heures ce mercredi est absente, ce qui, l’air de rien, limite les velléités de participation. Bref, je trouve mes six « volontaires ». Pour les garçons, ce n’est pas la peine. Le plus motivé est absent, et les autres me demandent quatre fois dans l’heure si les I.D.D. se terminent cette semaine, perturbent bruyamment le cours, et j’entends même deux ou trois « pédé » voler. La documentaliste m’annonce, paniquée, que deux élèves lui ont demandé « des photos de pédés qui s’embrassent » pour illustrer leur exposé. Pourtant, apparemment, ce sont des élèves sérieuses et motivées. Elle a fait une mise au point.
De retour chez moi, j’apprends le décès d’une personne chère dans ma famille (et l’incertitude sur le jour de l’enterrement). Ajoutons quelques bobos pénibles, le stress des bouclages d’année scolaire et la préparation de l’accueil des élèves et profs allemands qui arrivent lundi prochain, et vous avez une idée de mon état d’esprit…

Mardi 24 mai 2005

Hier soir tard, j’ai appris que l’enterrement aurait lieu mercredi. Je ne peux pas balancer. Je passe encore deux coups de fil pour tenter de trouver un remplaçant, mais peine perdue. Ce matin, je renonce à la restitution, et l’annonce aux élèves. Coup de théâtre l’après-midi, Colette Broutin téléphone pour annoncer qu’elle tient à la venue des élèves, quitte à venir les chercher sur place ! La principale adjointe se met en quatre. Je suis tout ça entre deux « navettes » entre nos deux sites, par téléphone et en coinçant les élèves entre deux cours… De retour chez moi, j’apprends un fait qui se greffe sur tout cela : une journaliste de France 5 souhaite réaliser dans l’urgence un reportage sur le sujet. Pourquoi faut-il que ça tombe encore ce jour-là ? Apparemment, les choses se passeront sans ma présence, mais j’admire la mobilisation générale, et le concours de circonstances pour une fois favorables. Cela me permet de vérifier la solidité des soutiens qui depuis le début ont permis ce projet. Les lecteurs de ce journal de bord l’auront compris, je l’espère, malgré une certaine tendance à ronchonner dont je les prie de m’excuser !

En ce qui concerne la séquence sur Les Confessions, je fais remarquer aux élèves d’une classe de 3e que peu d’entre eux savent lire entre les lignes. Par exemple, je demandais le sens de l’expression « elle est gâtée » dans la phrase du livre I : « J’achète cher un œuf frais, il est vieux, un beau fruit, il est vert ; une fille, elle est gâtée. » La plupart y ont vu le sens habituel : « petite fille gâtée » ; rares sont ceux qui ont compris qu’il s’agissait de prostitution et de maladies. En corrigeant, je souligne les préjugés sexistes qui sous-tendent ce genre de propos.
Pour l’autre classe, j’avais posé la question suivante sur le livre II : « Comment Rousseau dans un premier temps essaie de temporiser (perdre du temps) ; puis qu’est-ce qui le pousse au contraire à hâter le moment de sa conversion ? » La bonne réponse était difficile à exprimer pour la pudeur de nos élèves. Il s’agit de la tentative de séduction sur la personne de notre Jean-Jacques âgé de 16 ans, lorsqu’il est à l’hospice des catéchumènes de Turin, par un des faux candidat à la conversion « qui se disaient Maures ». Je recopie pour le plaisir ce passage mémorable :

« Enfin il voulut passer par degrés aux privautés les plus malpropres et me forcer, en disposant de ma main, d’en faire autant. Je me dégageai impétueusement en poussant un cri et faisant un saut en arrière, et, sans marquer ni indignation ni colère, car je n’avais pas la moindre idée de ce dont il s’agissait, j’exprimai ma surprise et mon dégoût avec tant d’énergie, qu’il me laissa là : mais tandis qu’il achevait de se démener, je vis partir vers la cheminée et tomber à terre je ne sais quoi de gluant et de blanchâtre qui me fit soulever le cœur. Je m’élançai sur le balcon, plus ému, plus troublé, plus effrayé même que je ne l’avais été de ma vie, et prêt à me trouver mal. »

Il faudrait copier encore deux pages, mais je ne peux pas ne pas citer cette phrase digne de toutes les anthologies : « Sans que j’en susse davantage, l’aversion de la chose s’étendit à l’apologiste, et je ne pus me contraindre assez pour qu’il ne vît pas le mauvais effet de ses leçons. », puis la conclusion : « Cette aventure me mit pour l’avenir à couvert des entreprises des Chevaliers de la manchette, et la vue des gens qui passaient pour en être, me rappelant l’air et les gestes de mon effroyable Maure, m’a toujours inspiré tant d’horreur, que j’avais peine à la cacher. Au contraire, les femmes gagnèrent beaucoup dans mon esprit à cette comparaison […] ».

Là aussi, beaucoup d’élèves n’y ont vu que du feu, ou n’ont pas osé dire les choses. Quelques bonnes réponses pourtant, mais exprimées avec euphémisme ou retenue : « L’événement qui le pousse à hâter sa conversion est l’événement avec le Maure. Depuis ce moment, le Maure lui rend le séjour désagréable. » « Il lui arrive une aventure avec un des autres participants à la conversion, à partir de ce moment, Rousseau veut partir, il reste choqué. » « Ce qui le pousse à hâter sa conversion sont les attouchements, les baisers que fait le Maure à Rousseau. » « […] le fait que même le père supérieur est un « infâme ». »
Bref, je note ceci en passant, car ce n’est pas l’essentiel de l’intérêt des Confessions, et cela ne constitue qu’une des 20 questions que j’ai posées sur le livre II, mais à l’occasion, ce serait un passage intéressant à approfondir avec des élèves, car il permet d’étudier l’homosexualité avant la lettre, et les risques de tomber dans l’homophobie suite à une mauvaise expérience. On pourrait l’intégrer dans un groupement de textes littéraires sur l’homophobie…

 Lire la suite de ce Journal de bord.

Lionel Labosse


Voir en ligne : Présentation du projet


© altersexualite.com 2007.
L’illustration des Confessions est tirée de cet excellent site où l’on trouve tout le texte et les illustrations d’époque.

Portfolio


[1Commentaire à la relecture en 2007 : cette séquence fait partie des éléments que j’avais totalement oubliés, et pourtant elle semble très positive…

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