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Dédramatiser et banaliser l’homosexualité

Entrevue de Corinne Gendraud

Auteure de Le Bâillon

samedi 28 avril 2007

J’ai entamé l’écriture de ce livre à 19-20 ans alors que je commençais à me sentir à peu près bien dans ma peau de lesbienne. Écrire a d’abord été un besoin avant de devenir un plaisir. C’était donc au départ une sorte de thérapie et ça m’a aidé à comprendre ce que je ressentais, à prendre du recul et à m’affirmer.

 Lionel Labosse, pour altersexualite.com : Merci d’avoir accepté de répondre à notre entrevue. Pouvez-vous répondre pour commencer à notre critique de votre ouvrage ?
 Votre critique est positive, l’histoire est bien résumée, donc je ne peux qu’être ravie ! Je suis heureuse en tout cas que mon roman figure sur votre liste d’ouvrages.

 Présentez-vous en quelques mots. Combien de livres avez-vous publié ?
 J’ai 29 ans et je travaille dans l’administration au Ministère de l’Éducation Nationale (nous sommes donc de la même maison !). Le Bâillon est mon premier roman, publié en 2003 aux Éditions de la Cerisaie. Avec d’autres auteures de la maison d’éditions, je participe régulièrement à l’écriture de nouvelles sur un thème donné. Celles-ci sont publiées tous les ans sous la forme d’un recueil.

 À quelle classe d’âge Le Bâillon s’adresse-t-il ?
 Il s’adresse d’abord à des lycéens, et pourquoi pas à des élèves de 3e. Mais il peut évidemment être lu par un large public composé de jeunes, d’adultes, d’homos et d’hétéros.

 Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire un livre qui aborde la question homosexuelle ?
 Mon propre vécu et l’ignorance, les préjugés des gens sur ce sujet. J’ai entamé l’écriture de ce livre à 19-20 ans alors que je commençais à me sentir à peu près bien dans ma peau de lesbienne. Écrire a d’abord été un besoin avant de devenir un plaisir. C’était donc au départ une sorte de thérapie et ça m’a aidé à comprendre ce que je ressentais, à prendre du recul et à m’affirmer. Ecrire un livre était une façon de me dévoiler à ma famille et à mes proches, et un moyen d’apporter un témoignage aux jeunes qui se trouvent dans la même situation de doute et de désarroi. Avant ça j’écrivais un peu, mais le déclic de l’écriture s’est fait après la diffusion en 1995 d’un téléfilm de Caroline Huppert Charlotte, dite Charlie. Ce petit film sans prétention traite de la découverte de l’homosexualité féminine. Il m’a beaucoup touchée à l’époque mais il restait malheureusement frustrant car le spectateur était le témoin extérieur du ressenti de l’héroïne. J’ai voulu apporter les mots qui manquaient aux images.

 Quelle est votre implication personnelle, la part d’autobiographie dans votre roman ?
 Le Bâillon n’est pas véritablement une autobiographie même si j’ai mis beaucoup de mon ressenti dedans. Un certain nombre d’éléments proviennent de choses que j’ai entendues ou vues dans mon entourage, dans des films, des livres… J’ai « piqué » à droite et à gauche ce qui me semblait intéressant pour l’intrigue mais j’avoue que mon propre vécu est le fil directeur autour duquel le roman s’est construit.

 Quelles difficultés particulières avez-vous rencontrées dans l’écriture de votre livre ?
 Le Bâillon relate des émotions plus que des faits. Le plus difficile a donc été de se replonger dans certains souvenirs, de revivre mentalement des situations ou des moments pas très joyeux pour pouvoir retrouver l’intensité du vécu et le retranscrire sur le papier.

 Accepteriez-vous qu’on qualifie votre livre de roman « lesbien » ?
 C’est un roman lesbien dans le sens où il traite de l’homosexualité féminine, sa découverte étant le thème principal. Cependant, par « roman lesbien », je n’entends pas « roman exclusivement réservé aux lesbiennes ».

 Comment vos lecteurs ont-ils accueilli ce livre ?
 Les retours que j’ai pu avoir ont été très positifs dans l’ensemble. Mais je crois que mon roman a surtout été lu par des adultes, de tout âge. Je ne pensais pas qu’autant de personnes différentes - homos ou hétéros - pourraient retrouver une partie de leur adolescence à travers l’histoire de Nathalie. Je n’ai pas encore eu l’occasion de recueillir les réactions de jeunes lecteurs, lycéens par exemple (n’hésitez pas à m’en faire part !). Mais le livre ne bénéficie pas non plus d’une large diffusion dans le commerce, il est donc difficile pour un ado de tomber dessus « par hasard ».

 Votre position d’auteur est-elle militante ? Vous inscrivez-vous dans la perspective de faire évoluer les mentalités, de banaliser l’homosexualité ?
 Je ne suis pas une militante dans l’âme mais si je peux contribuer - à travers mes écrits - à faire évoluer les mentalités et à abattre quelques préjugés, j’en serais satisfaite. Chacun peut aussi faire évoluer les choses dans son quotidien, au contact des autres, en discutant et en restant ouvert. Il n’y a pas forcément besoin de grand chose parfois. Je ne cherche pas à donner une image nécessairement positive des homosexuels mais une image réaliste.

 Si l’on parle d’amour doit-on aussi parler de sexualité et de passage à l’acte sexuel selon l’âge auquel on s’adresse ? Vous imposez-vous des limites, lesquelles ?
 Parler d’amour c’est forcément parler aussi de l’attrait physique, charnel que l’on ressent pour une autre personne. Là encore, l’écriture doit s’adapter au public visé. Pour Le Bâillon, il me semblait évident d’aborder l’acte sexuel en lui-même car c’est une chronique initiatique. Personnellement, je me refuse à parler de sexualité en utilisant des termes pornographiques, crus ou violents. Un peu d’érotisme ne me gêne pas mais uniquement pour un public d’adultes et de jeunes adultes, évidemment !

 Pensez-vous que l’on puisse aborder tous les thèmes en littérature jeunesse ? Qu’est-ce qui est selon vous tabou ? Pensez-vous que la loi du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse doit être revue ou supprimée ?
 Tous les thèmes doivent pouvoir être abordés, à condition bien entendu d’adapter le contenu et la forme de ses écrits à l’âge des enfants auxquels on s’adresse. Je pense que plus on maintient de tabous et plus on risque de voir naître ensuite de l’incompréhension, de l’intolérance, des préjugés. Il ne faudrait cependant pas que la littérature jeunesse soit « inondée » de sujets d’actualité. Laissons au rêve sa place, mais en ne leurrant pas les jeunes sur le monde dans lequel ils vivent. Pour ce qui est de la loi, il est important que les publications soient contrôlées afin de protéger les enfants donc je ne vois pas pourquoi on devrait la supprimer. L’Article 2 stipule que « les publications ne doivent pas… inspirer ou entretenir des préjugés ethniques », j’ajouterais : « ou des préjugés à caractère homophobe ».

 Selon vous, que doit apporter aux jeunes lecteurs le fait d’aborder une question homosexuelle ?
 Dédramatiser et banaliser l’homosexualité, leur en donner une vision réaliste. Et puis leur permettre d’avoir des exemples de vies, des personnages auxquels s’identifier.

 Quels sont vos projets ?
 J’ai très envie d’écrire un autre roman. Les idées fusent mais il faut me laisser le temps de mettre un peu d’ordre dans tout ça… À bientôt donc !

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Propos recueillis par Lionel Labosse, février 2006.


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