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Un roman fort sur l’identité sexuelle, niveau lycées.

Ne m’appelez plus Julien, de Jimmy Sueur

L’Harmattan, 2003, 139 p., 12,20 €

vendredi 6 avril 2007

Un roman fort sur l’identité sexuelle, un parcours de vie hors du commun qui résonnera en chaque adolescent et lui permettra de répondre à des questions qu’il se pose et dont on ose rarement parler. À réserver à des élèves ayant atteint une certaine maturité.

Résumé

Androgyne, hermaphrodite, transsexuelle, travesti ? comment définir Julien Sartaux, doté à, sa naissance, en 1953, d’un sexe indéfini, et décrété de sexe masculin par son père et le médecin, en raison de « quelque chose entre les cuisses qui ne demandait qu’à se développer ». Le récit commence par une tentative de suicide par ingestion de médicaments, qui permet de raconter l’histoire sous forme d’un long flash-back avant que le personnage ne se retrouve à l’hôpital, où le cauchemar continue, puisque sur la seule foi de son état-civil, on a placé Barbara dans une chambre d’hommes, d’où le titre. Julien / Barbara passe le début de sa vie à s’affirmer comme fille en dépit des désirs de son père et de sa mère qui voulaient donner un frère à sa soeur aînée, Justine. Celle-ci sera le seul soutien de Julien. Un des rares gestes humains qui ait été fait pour lui, c’est quand Justine lui offre un dictionnaire, et lui met le doigt sur le mot « transsexualisme », pour l’aider à comprendre ce qui lui arrive (p. 75). C’est un des moments les plus bouleversants de l’ouvrage. On lira aussi le récit d’une scène inaugurale à la petite école, quand l’institutrice refuse que Julien joue le rôle de Cendrillon, que les camarades le traitent de « fifille », et que croyant bien faire, l’institutrice lui dit qu’il ne doit plus pleurer… avec vous savez quel argument ! Après sa réussite au brevet, Julien suit les cours d’une école privée de comptabilité, dans une ville voisine, ce qui lui permet de s’émanciper. À l’âge de 18 ans, Julien, ayant obtenu son diplôme, part à Paris, et continue son parcours, en assumant son identité féminine. Il rencontre une transsexuelle, puis ce seront les étapes de la transformation, avec la prostitution rendue obligatoire par les frais de chirurgie. Bref, ce n’est pas un roman à l’eau de rose que je vous propose. En lycée, cela devrait poser moins de problèmes. Si vous osez le proposer, faites-nous part des réactions.

Mon avis

Ce livre provoquera sans doute autant d’intérêt chez les élèves que de répulsion chez certains parents ou élèves. Pourtant, au niveau du passage à l’acte sexuel, cela va beaucoup moins loin que par exemple L’amour en chaussettes, de Gudule, et la lecture en parallèle des deux ouvrages permettra une réflexion croisée. Je dois signaler que Ne m’appelez plus Julien n’a manifestement pas bénéficié d’une relecture par un directeur de collection et un correcteur, et qu’il est bourré d’erreurs d’orthographe et de maladresses de style qui ne font qu’accentuer son côté témoignage. Le récit est truffé de répliques distinguées de la narration par la typographie, comme si ces paroles avaient traumatisé le personnage narrateur, comme si la parole d’autrui était une attaque constamment renouvelée pour ce personnage à l’identité blessée. Enfin l’authenticité du témoignage, l’émotion suscitée par certaines scènes, l’importance de la sexualité dans l’économie du récit, en font un livre unique pour aider les adolescents à grandir, surtout à notre époque où ils ont quasiment tous vu des films porno. Voici un livre qui les incitera à réfléchir sur ces mots qu’ils entendent à longueur de journée comme des insultes, et dont ils découvriront ce qu’ils recèlent de douleur et d’humanité. Quand je l’inclus dans des listes de lectures conseillées, je propose ce livre en parallèle à Dans la peau d’un noir de J. H. Griffin, ou bien L’étrange cas du Dr Jekyll et de Mr Hyde, parce que le meilleur point de vue me semble être non pas la sexualité, mais le fait d’aller à la recherche de l’autre tapi en soi, en tout cas c’est la démarche qui permettra aux élèves de s’approprier l’oeuvre.

Paroles d’élèves

Ces commentaires sont extraits de mon journal de bord d’un itinéraire de découverte, à la date du 23 novembre 2004. Dans le cadre d’un « débat littéraire », cinq élèves de troisième — des filles — avaient choisi ce livre parmi une trentaine de titres. Je ne saurais trop recommander à mes collègues de prendre toutes leurs précautions en prévision de réactions passionnées possibles. Avertir la hiérarchie qu’on va aborder un sujet sensible, faire lire le livre à des collègues, à la documentaliste, etc. ; avertir clairement les élèves du contenu, et si possible leur laisser le choix du livre. Les textes réglementaires en vigueur, s’ils couvrent ce qui peut entrer dans le cadre de la « lutte contre l’homophobie », ne prévoient rien au sujet du thème « transgenre ». Et ce livre-là, contrairement à celui de Gudule, n’est pas labellisé « jeunesse ». C’est une volonté personnelle, dans cette rubrique, de traiter l’altersexualité en un seul bloc, et de ne pas faire de discrimination entre les discriminations ; c’est pourquoi je ne cesse de conseiller ce livre unique, troublant, et tellement formateur pour des adolescents. Cela me gêne toujours quand on parle de « lutte contre l’homophobie », ce pourquoi j’ai forgé le mot « altersexophobie », mais certains parlent aussi de « LGBT-phobie ».

Le débat mené par ces cinq jeunes filles avait été d’un haut niveau, et je n’en croyais pas mes oreilles. Tous les passages importants ont été repérés, cités ou lus. Elles ont dit absolument tout ce que je n’osais pas espérer qu’elles disent ; notamment qu’il fallait leur proposer à leur âge ce genre de textes, que cela aide à réfléchir sur toutes les discriminations, etc. Ces élèves, bien sûr, étaient très curieuses de savoir qui était cet auteur, car il n’y a aucun renseignement sur lui ni aucune photo sur le livre. Quelle est la part d’autobiographie ? Est-ce un psychologue qui a écrit l’histoire d’un(e) patient(e) ?

Quelques jours plus tard, lors d’une rencontre parents-professeurs, la mère d’une d’entre elles a tenu à me dire qu’elle et sa fille avaient trouvé qu’une scène était choquante. Après l’avoir lue, la fille l’avait montrée à la mère. Il s’agit de « la scène de la fellation » de la page 102. Le mot est utilisé par la mère, qui est d’ailleurs très digne et ne veut pas jouer les mères la pudeur. D’ailleurs elle confirmera que l’ensemble du livre est intéressant et a apporté quelque chose à sa fille. En fait, elle me demande s’il n’y aurait pas un autre livre pour aborder le sujet. Eh bien non, rien en littérature jeunesse sur la transsexualité et le transvestisme, comme si les films d’Almodovar étaient interdits aux moins de 18 ans !

C’est une question importante, et il y aurait tant de choses à dire. Lorsque j’ai souhaité faire lire ce livre, c’est une autre scène qui m’avait inquiété, lorsque le personnage se prostitue pour financer son changement de sexe (p.137). J’avais même fourni une photocopie du passage à mon principal en le prévenant que ce passage pourrait choquer. Je n’avais pas particulièrement pris garde à cette autre scène. Résumons : aux cours de comptabilité, Denoel, le factotum du lycée, qui a une réputation de « pédophile » (mot impropre, car les élèves ont dépassé quinze ans), harcèle Julien / Barbara jusqu’à l’inviter chez lui. Celle-ci, fascinée, se laisse progressivement apprivoiser, et pratique une fellation. L’acte lui-même fait l’objet d’une relation de six lignes. Les mots sont précis et assez sobres quand on songe aux « Ta mère je la retourne », que les élèves s’échangent allègrement dans la cour de récréation. Pour prévenir des réactions outrées, je vous conseille d’assortir le livre d’un avertissement recommandant, si l’on a peur d’être choqué, de passer les trois pages litigieuses, en résumant ce qu’elles contiennent, et en rappelant le bénéfice pédagogique attendu. Si l’avertissement est donné devant la classe entière avant le choix du livre, il ne devrait pas y avoir de problème.

 Cet ouvrage bénéficie du label « Isidor ».

Label Isidor HomoEdu

 Pour en savoir plus sur les transgenre.
 Lire la critique de La Face cachée de Luna, de Julie Anne Peters, paru en 2004, et de Le Garçon bientôt oublié, de Jean Noël Sciarini, paru en 2010.

Lionel Labosse


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